Lécole active,
livre dAd. Ferrière
(directeur du Bureau International des Ecoles nouvelles)
Editions Forum, Genève
Ecole Emancipée n°7 11 novembre 1922
Rubrique : Critiques de livres
par C. Freinet
Dans la préface de son livre, lauteur cherche à définir lesprit de lEcole active par rapport à lEcole traditionnelle. F. Bernard parlait, dans le n°1 de lEcole Emancipée, de « lArbeitsschule », lEcole du travail. Mais lEcole du travail, comme on le verra plus loin, nest pas précisément lEcole active. Le principe de cette dernière, cest celui de lEcole nouvelle de Hambourg dont nous avons déjà parlé ici.
Il sagit dun mouvement de réaction contre ce qui subsiste de médiéval dans lécole actuelle, contre son formalisme, contre son habitude de se faire une place en marge de la vie, contre son incompréhension radicale de ce qui fait le fond et lessence de la nature de lenfant.
Son idéal : « lactivité spontanée, personnelle et productive » de lenfant, basée sur la connaissance plus approfondie de celui-ci, daprès les dernières découvertes des psychologues.
Une science avertie viendra reconstruire à la place un édifice plus vaste, une « école au soleil » à sa façon et peut-être verra-t-on un jour des hommes qui ne haïront plus lécole de leur enfance, parce quils y auront connu la santé du corps, lharmonie de lâme et lépanouissement de lesprit.
Les Précurseurs de lEcole active
Les principes de lEcole active sont ceux qui réglèrent léducation naturelle des enfants des primitifs, puis ceux de la société patriarcale. Mais déjà la cité antique « sépara lécole de la vie » (avec la naissance du verbalisme). Il faut arriver aux temps modernes pour voir des essais se proposant de ramener lécole à la vie. Luther disait vers 1524 : « Nous prêchons aux enfants, sachons donc rire avec eux ». Rabelais écrivait Gargantua. Montaigne disait : « Je ne veux pas quun maître invente et parle seul, je veux quil écoute son disciple parler à son tour ». Plus tard, J.J. Rousseau se révèle comme le véritable père de lEcole active avec son Emile. « La nature veut que les enfants soient enfants avant que dêtre hommes. Si nous voulons pervertir cet ordre, nous produirons des fruits précoces qui nauront ni maturité, ni saveur ».Et « On a essayé de tous les instruments hors un, le seul précisément qui peut réussir : la liberté bien réglée ». Voilà bien défini le défaut général de tout enseignement : « Nous ne savons jamais nous mettre à la place des enfants, nous nentrons pas dans leurs idées, nous leur préférons les nôtres ; en suivant toujours nos propres raisonnements avec des chaînes de vérités, nous nentassons quextravagances et querreurs dans leur tête ». On dira quil est facile de parler, même pour dire quon parle trop, mais ce qua dit J.J. Rousseau est remarquable parce que, justement, lEcole active le réalise aujourdhui. « Je ne répéterai jamais assez que nous donnons trop de pouvoir aux mots : avec notre éducation babillarde, nous ne faisons que des babillards ». A propos de la liberté dans la classe, il dit : « Vous voulez quil soit docile étant petit, cest vouloir quil soit crédule et dupe étant grand ». Et il résume déjà lEcole active par ces mots : « Il faut parler tant quon peut par les actions et ne dire que ce quon ne saurait faire ».
Au début du XIXe siècle, Pestalozzi est un réalisateur avec son Institut dYverdon. Les élèves de cet Institut « napprennent pas seulement la science, ils linventent ». On applique ce principe lumineux de Bacon : « Nul ne possède réellement et à fond que les connaissances quil a, pour ainsi dire, créées lui-même ». Pestalozzi veut que « linstituteur nintervienne jamais comme maître et pour influencer, quil respecte le libre élan de la nature ; quil nait point de rang parmi les élèves par son état et sa fonction, mais seulement par le degré de confiance et damitié quil a pu mériter et obtenir ». Cest ce que Max Tepp dit aussi de son Ecole Nouvelle et qui, réalisable seulement sur une petite échelle, limitera encore pour longtemps le mouvement. Il est vrai que les fervents même de lEcole Active ne se font aucune illusion sur ce changement complet dans léducation. Ils savent « quil faut à une idée juste cent ans pour être découverte, cent ans pour être comprise et cent ans encore pour être réalisée »... Et, comme on commence à comprendre lEcole Active...
Parmi les précurseurs de lécole active, les uns sont des théoriciens, les autres des praticiens. Théoricien, Kant qui dit en 1777 ce que croyaient avoir découvert les promoteurs actuels de lEcole Nouvelle : « Il est vain dattendre le salut du genre humain dune amélioration graduelle des écoles. Celles-ci doivent être transformées si lon veut quil en sorte du bien, parce que cest leur organisation fondamentale qui est fautive et que même les maîtres qui y enseignent doivent recevoir une culture nouvelle. Aucune lente réforme ne peut conduire à un résultat. Il faut une révolution rapide ».
Goethe aussi, qui a de nombreux points de contact avec J.J. Rousseau, a écrit sur lEcole Active.
Froebel (1782-1852), plus connu dans les milieux pédagogiques, est déjà un praticien : « Lhomme ne connaît pleinement que ce quil est capable de réaliser ». Nombreux furent aussi, de 1760 à nos jours, les praticiens : directeurs décoles, de lenseignement privé très souvent, qui fondèrent des écoles devancières de nos « Ecoles Actives ».
Plus près de nous, on connaît lexpérience de Tolstoï à Iasnaïa Poliana, où il avait notamment appliqué la liberté comme méthode - liberté quil navait pas toujours su tempérer utilement ; mais du moins le principe était-il excellent, car « il nous faut connaître lenfant et, pour cela, il faut quil manifeste devant nous, le plus librement possible, sa personnalité et sa vie ». Et ceci est très important. De plus, Tolstoï avait pensé aussi à léducation des futurs maîtres, nécessaire au succès dune école nouvelle.
LE.E. a parlé aussi de Robin qui avait institué à Cempuis une vraie école active.
Lécole active avant la guerre
Lauteur passe alors en revue les diverses expériences décole active dans le monde. Fort sagement, il explique que les différences de succès par les différences de caractères entre peuples qui permettent notamment de comprendre le développement exceptionnel de lArbeitsschule et, plus tard, de lécole active en Allemagne.
En France, il cite Paul Robin, Francisco Ferrer, les frères Reclus, la « Ruche » de Rambouillet avec Sébastien Faure, lEcole des Roches, fondée en 1899 à Verneuil-sur-Avre et dirigée aujourdhui par M. G. Berthier. Il parle de lintroduction du travail manuel dans lenseignement. Il cite aussi Binet et même Herriot avec son « Créer ».
En Belgique, il cite le Docteur Decroly auquel il consacre de longues pages. En Italie, Mme Dr Montessori dont on connaît la méthode et les applications qui ont été faites.
Après avoir remarqué que les pays latins sont peu favorables à la diffusion de lécole active, il passe aux autres : lAngleterre, les Etats-Unis où lécole aurait facilement une tendance trop utilitaire. En Hollande, Jean Ligthart essaie de faire passer lécole active dans la pratique ; instituteur aimant les enfants, il veut aussi que « lécole crée une atmosphère de gaieté et de joie au travail ».
Lécole active dans les pays de langue allemande
LAllemagne, pays où chaque habitant fait partie de plusieurs associations, était la terre délection de lEcole active. Les partis de gauche, un instant au pouvoir, sont maintenant balancés par la réaction, mais il faut faire crédit à la nouvelle Allemagne.
Le mot « arbeitsschule » a passé, depuis cent ans, par 5 phases successives :