Tagore éducateur
livre de E. Pieczynska (Delachaux-Niestlé, Neufchâtel)
Ecole Emancipée n°27 31 mars 1923
Rubrique : critiques de livres
C. Freinet


A l’occasion du voyage que Rabindranath Tagore fit en Europe en 1921, Mme Pieczynska a réuni en volume tout ce qu’elle a pu trouver d’intéressant, au point de vue de l’éducation, dans l’œuvre, en grande partie encore inconnue en France, du grand maître indou.

  1. Tagore, qui est surtout poète, ne pensa qu’assez tard - à40 ans - à son action possible comme éducateur. « Ce n’était pas, dit-il, que je crusse avoir un talent particulier pour les enseigner (les enfants), mais il me semblait que j’aurais le secret de les rendre heureux ». Il installa dans le Bengale, une école qu’il appela Shantiniketan (demeure de la paix). Cette école a de nombreux points communs avec les diverses écoles nouvelles qui existent en Europe : vie en plein air, grande part à l’initiative des enfants, self-gouvernement, développement intellectuel plutôt qu’acquisition d’une grande quantité de savoir, emploi du temps rationnellement calculé.
L’enseignement de Tagore vise surtout à toucher l’âme. « Cette émancipation de l’âme, nous l’avons contemplée en des hommes dépourvus de savoir livresque et vivant dans une pauvreté absolue. Aux Indes, nous avons hérité d’un trésor de richesse spirituelle. Que le but de notre éducation soit de le déployer devant nos yeux, de nous conférer le pouvoir d’en faire usage et de l’offrir un jour au reste du monde comme notre contribution à son éternelle prospérité ».
Et maintenant, feuilletons ces pages pour nous rendre compte des principales idées pédagogiques de Tagore.
« La fonction la plus haute de l’intelligence n’est pas de saisir clairement le sens des mots. L’objet principal de l’enseignement est, non d’interpréter des termes, mais de frapper à la porte de l’esprit ».
« Selon l’école, la vie est à l’état parfait quand elle permet qu’on la traite comme une morte, qu’on la dissèque et qu’on la découpe en compartiments symétriques ».
« La meilleure éducation est celle qui ne se borne pas à nous renseigner, mais qui nous harmonise avec tout ce qui est ».
Tagore pense, lui aussi, que l’enfant doit parcourir durant sa jeunesse les stades différents par où est passée l’humanité. « A mon avis, on devrait réserver délibérément une portion limitée de l’existence pour vivre comme vivait l’homme primitif ».
Et pour terminer, ceci :
« On ne peut enseigner que ce qu’on aime. Mieux vaut se taire si l’on n’aime pas ce qu’on enseigne »... »Allez vers la vie, là où elle règne. Sortez de la salle d’école. N’amenez pas les arbres dans la classe. Transportez la classe sous les arbres ».
Et : « Une chose est nécessaire pour être éducateur d’enfants : c’est d’être vous-même semblable à un enfant ; d’oublier que vous êtes sage et parvenu au terme de la connaissance. Si vous voulez être vraiment un guide pour les jeunes de votre âge, renoncez de vous prévaloir de votre supériorité. Soyez leur frère aîné, prêt à voyager avec eux sur le même sentier de la sagesse et des hautes aspirations. Tel est le seul conseil que je puisse vous offrir : cultivez en vous-même l’esprit de l’éternel enfant si vous devez aborder la mission d’élever les enfants des hommes. »
C. Freinet