La méthode Decroly
- Vers lécole rénovée, livre de Decroly et Boon (Nathan, édit.)
- La méthode Decroly, livre de A. Hamaïde
- Les tendances actuelles de lenseignement primaire, livre de E. Duvillard (Delachaux-Niestlé, Neufchâtel)
Ecole Emancipée n°38 16 juin 1923
Rubrique Bibliographie
C. Freinet
« Actuellement, daprès les évaluations les plus optimistes, 15% à peine des enfants profitent de lenseignement primaire...
Des 85% restants, une bonne partie, non seulement ne tirent quun avantage restreint du passage à lécole au point de vue des acquisitions dites indispensables, mais subit même à certains égards un préjudice plus ou moins considérable représenté par des connaissances incomplètes, mal coordonnées, mal assimilées, et surtout par des habitudes de distraction, de désintéressement pour lactivité intellectuelle, de dégoût pour létude, souvent de paresse, et, ce qui est plus grave encore, daversion pour le travail en général, sans compter les levains de révolte, de découragement, qui résultent des froissements damour propre, des déceptions subies au cours de la vie scolaire » . (Vers lécole rénovée)
Le Docteur Decroly a justement cherché le moyen daugmenter le rendement de lécole. Il a obtenu des résultats satisfaisants : dune part, en renouvelant lenseignement pour le rendre le plus actif possible, et dautre part, en sattachant aux pratiques, à la méthode, nécessaires à lenseignement primaire. Nous allons étudier deux points particuliers de cette méthode concernant, lun, lorganisation scolaire, lautre, les centres dintérêt.
La première intéresse surtout les écoles importantes de villes, où on trouve plusieurs classes de même année. Il faudrait, là, travailler à lorganisation de groupes homogènes.
On a remarqué, en effet, quil y a dans chaque classe un certain nombre délèves mieux doués ; dautres, au contraire, suivent difficilement et alourdissent la classe.
Lenseignement en est dautant plus difficile et moins profitable. Car les mieux doués, qui seraient pourtant appelés à devenir une élite, sont contraints de marquer le pas. Et lenseignement ainsi donné ne peut jamais se mettre au niveau que dune majorité, en brimant la minorité.
A ce mal, que propose le Dr Decroly comme remède ?
Dans les villes : Répartir les enfants, non plus arbitrairement dans les diverses classes dune même année, mais en tenant compte de leurs aptitudes spéciales et de leur degré davancement.
Le travail des enfants et de linstituteur est ainsi rendu plus agréable et plus profitable ; car ce classement spécial amène :
« 1° Une diminution de lécart entre les extrêmes dun même groupe ;
2° Une plus grande facilité à adapter le programme à la mentalité plus égale de la classe. »
E. Duvillard (Les tendances actuelles de lEnseignement Primaire) a eu lidée dun classement un peu différent. Il prévoit, à la base, la création de deux classes : lune dite normale, lautre auxiliaire, avec un plus petit nombre délèves. Au degré moyen, il envisage la création dune classe dite de « doublement », destinée à recueillir les élèves jugés inaptes à passer à la classe supérieure.
3° Il na guère été traité, à ma connaissance, de la question de lhomogénéité dans les classes à plusieurs cours ou dans les écoles rurales. Seule une innovation du Dr Decroly serait à expérimenter :
Chaque enfant a une prédilection particulière et, partant, plus de facilité pour une matière spéciale : calcul, français, dessin, etc. Jusqu'à ce jour, lécole est plutôt niveleuse. Un tel marcherait bien en calcul, mais il ne sait pas lire. Il piétinera donc en calcul pour attendre ceux qui apprennent à lire. Tel autre, au contraire, sait lire ; mais parce quil calcule mal, il ne peut pas « suivre » la division supérieure. Et il perd un temps précieux en lecture pour apprendre une matière quil naime pas et quil arrive à détester, parce quelle sera la cause de tout le mal.
Le Dr Decroly veut quon laisse chaque enfant se développer le plus possible. Pour cela, il a pratiqué un classement différent des élèves suivant les diverses leçons. Chaque élève suivra, pour chaque matière, le cours qui lui convient. Un tel sera à une division A pour le calcul, tandis quil est encore en B pour la lecture ; et inversement. Dès lors, il ny a plus de piétinement. Chaque élève peut cultiver au maximum les matières pour lesquelles il a le plus daptitudes. Il en résulte plus dintérêt et plus de vie. Les autres matières ne sont pas négligées pour cela. Car lélève qui est en A pour le calcul cherchera à y accéder aussi pour la lecture qui le laisse encore en B. Doù auto émulation bien profitable à lélève et facilitant la tâche du maître.
Il est vrai que ce système déducation, nécessitant de nombreux départements, saccommode mal de nos cours coupés à lextrême, en leçons de 15 à 20 minutes. Mais les Ecoles Nouvelles ont une tendance nettement marquée à en finir avec cet éparpillement de leffort quon a cru nécessaire pour diminuer la fatigue de lenfant dans des écoles où lenseignement, surtout enseigné du dehors, retient difficilement lattention des élèves. Les Ecoles Nouvelles préfèrent des leçons longues groupées autour dun point central, mais où les diverses activités de lenfant entrent en jeu tour à tour.
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Cest le système des Centres dintérêt. Mais non des Centres dintérêt factices quon avait essayé dacclimater en France ; cest toute lactivité scolaire qui doit désormais évoluer autour des idées principales nécessaires au développement mental des élèves.
Selon Decroly et Boon, tout lenseignement - qui est une initiation pratique à la vie elle-même en général, et à la vie sociale en particulier - peut graviter autour de deux domaines fondamentaux de connaissances : a) La connaissance par lenfant de sa propre personnalité ; b) la connaissance des conditions du milieu naturel et humain dans lequel il vit.
La subdivision de ce programme en idées associées donne déjà, par elle-même, une vie et un intérêt réels aux études. A. Hamaïde montre, dans « La méthode Decroly », comment on développe ces idées au jour le jour, activement, et tout en étudiant les matières prescrites par les programmes officiels : écriture, calcul, dessin, composition, etc.
« La seule difficulté - disent Decroly et Boon - cest quil faut organiser autrement tout le début de lenseignement primaire, en réduisant le nombre délèves par classe, et surtout en opérant dès le début un triage sérieux et basé sur la psychologie de lenfant ; en appliquant des procédés denseignement qui, au lieu de sinspirer des méthodes universitaires, sinspirent de lesprit maternel et instaurent autant que possible les systèmes dindividualisation qui sont appliqués pour lenseignement aux anormaux et pour certains enseignements spéciaux : lecture, diction, instruments de musique, enseignements professionnel et artistique. »
La question des centres dintérêt est donc intimement liée à une organisation nouvelle de lécole, ainsi quà une conception différente - dans un sens plus actif et plus humain - de lenseignement.
C. Freinet