Instructions officielles relatives au nouveau
plan détudes des Ecoles primaires
élémentaires
(arrêté du 22 février 1923)
Ecole Emancipée n°1 23 septembre 1923
Rubrique : De la Théorie à la Pratique
C. Freinet
Si les arrêtés fixant les nouveaux programmes ou
modifiant le régime du C.E.P. ont fait couler beaucoup
dencre, il nen est pas de même de ces instructions
qui contiennent cependant dexcellentes choses et ont le seul
tort dêtre de la théorie, en contradiction,
maintes fois, avec la sévère pratique. Cest pour
cela même quil est intéressant de rechercher, dans
ces instructions, ce qui peut être profitable à
lécole, afin de pouvoir, le cas échéant,
nous appuyer, dans nos innovations, sur notre grand maître,
S.E. Monsieur Léon Bérard.
Avant de passer à la justification détaillée des
modifications apportées au programme,
larrêté explique, dans une introduction,
lesprit qui a guidé cette réforme. Nous nous
attacherons surtout à étudier le pas en avant qui a
été fait - en théorie - vers une école
plus libre et plus active.
Quon applique dabord aux examens cette parole du ministre
: « Mieux vaudrait moins apprendre, mais bien retenir ; mieux
vaudrait moins de souvenirs, mais des souvenirs complets et
ordonnés ». Il est donc de toute urgence que les examens
contrôlent non plus la « matière » retenue,
mais la façon dont on la apprise, la manière dont
les souvenirs sont fixés et ordonnés, plutôt que
la « quantité » de souvenirs.
Lenseignement doit être adapté à
lintelligence des élèves.
« Il doit être gradué. Cest perdre le temps
et gaspiller lénergie des maîtres et des
élèves que doffrir à ceux-ci une
nourriture pour laquelle ils nont pas de goût et que leur
esprit ne saurait digérer ».
Cest ce que disait Pestalozzi, il y a cent ans...
Le Ministre condamne lenseignement « concentrique
».
« Mais si lon veut que lélève
travaille avec joie et avec profit, il faut lui
éviter la monotonie des redites, le dégoût du
déjà vu. Il ne faut pas croire que la mémoire
retienne volontiers ce qui est répété «
à satiété » ; au contraire, lenfant a
lillusion de savoir ce que, dans les révisions, il
reconnaît au passage, et il ne fait aucun effort pour le
conserver. Si vous tourniez toujours dans le même cercle, ou
même dans les cercles concentriques, auriez-vous du plaisir
à marcher ? Donnez donc à votre élève
limpression quil avance, quil progresse, quil
découvre du pays nouveau. A la méthode concentrique,
préférons la méthode progressive. »
En ce qui concerne directement la méthode,
larrêté récent a fait un pas de plus, dans
la voie de lactivité, que les arrêtés de
1887. Ceux-ci ne parlaient guère que dintuition. Les
nouveaux disent :
« Méthode intuitive et inductive, partant des faits
sensibles pour aller aux idées ; méthode active,
faisant un appel constant à leffort de
lélève et lassociant au maître dans
la recherche de la vérité. Méthode
inspirée par la grande tradition des penseurs français
qui se sont occupés de léducation, depuis
Montaigne jusqu'à Rousseau. Elle est devenue pour nous si
classique, elle est tellement entrée dans nos moeurs que nous
nen sentons plus toujours la valeur, de même que
napprécient pas toujours la valeur de la santé,
ceux qui ont lhabitude de faire jouer leurs organes sans
douleur. Elle nous est si naturelle que nous lappliquons
parfois sans le savoir, si bien que nous ne la reconnaissons plus
lorsque les auteurs étrangers - ou même des auteurs
français - viennent nous en exposer les principes, comme
sil sagissait de sensationnelles nouveautés
».
Et le Ministre ajoute ce correctif :
« Tel croit très sincèrement suivre toujours une
méthode concrète, qui, peu à peu, se laisse
aller à des procédés et des mots de plus en plus
abstraits... Le grand ennemi de léducateur,
cest lhabitude ».
La conclusion directe est la marche vers lEcole Active,
entraînant lenseignement par laction.
Comme on le voit, on ne sest pas arrêté timidement
à la vieille leçon de choses. On parle
dexpérimentation, de travail ; on oppose enseignement
par laction à enseignement par
laspect. Et tout cela est excellent. Il sagit de le
faire entrer dans la pratique. Et nous souhaitons que le Ministre
lui-même ou ses sous-ordres ne sy opposent pas.
Le Ministre, passant ensuite en revue les diverses disciplines,
examine en premier lieu linstruction morale et
civique.
« Dans cet ordre denseignement - disaient les instructions
de 1887 - ce qui ne vient pas du cur ne va pas au cur. Un
maître qui récite des préceptes, qui parle du
devoir sans conviction, sans chaleur, fait bien pis que de perdre sa
peine, il est en faute... »
Dans les Instructions nouvelles, on apporte des précisions sur
léducation de la liberté. Le morceau est certes
très mesuré ; il nen est pas moins
significatif.
« Lorsque lenfant entre au cours moyen, sa volonté
commence à se former, il ne sagit plus seulement de
diriger ses habitudes, il y a lieu de lui apprendre à user
de sa liberté... Au moins à certains moments et
dans certains domaines de lactivité scolaire, on fera
place au self-governement : sous réserve de lapprobation
du maître, les écoliers seront appelés à
régler eux-mêmes, par une entente concertée,
certains détails de leur vie commune... sans que
lautorité du maître perde un seul de ses droits,
on multipliera les circonstances où lenfant aura
loccasion de prendre une décision, soit par
lui-même, soit de concert avec ses camarades... »
En lecture et écriture, les instructions montrent une
tendance particulière à vouloir mécaniser trop
tôt ces deux pratiques. Et cela peut être un mal si on
fait passer la lecture et lécriture avant le
développement intellectuel et moral de
lélève, alors quelles devraient marcher de
pair avec lui. Cest lindice dune éducation
qui reste livresque.
Il y a des idées très intéressantes dans les
instructions se rapportant à la langue française
: Place plus grande réservée à la
récitation, nécessité de létude
attrayante du vocabulaire, exercices délocution «
qui ne seront féconds que sils apportent aux enfants
de la joie », simplification de la grammaire :
« Peu de notions, mais des notions précises, si bien
assimilées que lenfant les applique inconsciemment quand
il parle ou lorsquil écrit, voilà tout ce que
nous demandons à lenseignement de la grammaire
».
En composition, on recommande la liberté.
« Cette liberté doit aller jusqu'à laisser, au
moins de temps à autre, les enfants eux-mêmes choisir
leurs sujets de rédaction. La méthode qui, depuis 1909,
produit dans lenseignement du dessin des résultats si
appréciables, doit être sans hésitation
appliquée à lenseignement du français.
Le dessin libre doit avoir pour pendant la rédaction libre. De
même que le dessin libre révèle chez maint enfant
des qualités insoupçonnées : le sens de
lobservation, du pittoresque, de lhumour, de même
la rédaction libre mettra en valeur, tantôt la
spontanéité et la fraîcheur des sentiments,
tantôt le goût littéraire, tantôt
lingéniosité intellectuelle de nos
élèves. Et surtout, elle leur inspirera le désir
décrire, sans lequel tous nos efforts resteront vains...
»
« Dune manière générale, toute
méthode est mauvaise si elle ninspire pas à
lenfant le désir de traduire ses impressions et de
chercher, pour cette traduction, lexpression adéquate.
Toute méthode est bonne si elle inspire un double
désir. Elle est parfaite si ce désir croît, chez
lécolier, jusqu'à la passion ou
lenthousiasme. Or nul néprouve le besoin de
traduire ses impressions sil ne les ressent vivement. Il
importe donc que les impressions de lenfant soient vives.
Lintérêt quil prendra aux autres
leçons rejaillira sur lenseignement du français.
A la condition quil soit vivant, quil intensifie les
impressions de lenfant en le faisant activement participer
à la recherche de la vérité, tout enseignement
collabore à lenseignement du français. Nous
obtiendrons, en cette matière, de meilleurs résultats
quand, non seulement nos leçons de français, mais
toutes nos leçons feront, plus que par le passé,
appel à lactivité et confiance en la
liberté de lécolier ».
En histoire, par contre, on nest pas sorti des terrains
battus. Lhistoire restera nationale, guerrière,
livresque et, malheureusement, incompréhensible par la
majorité de nos écoliers. Les leçons de
géographie, moins délicates au point de vue
patriotique, deviennent plus expérimentales. « Elles se
donnent de préférence dans la cour de
lécole, ou mieux, en promenade ». Cet enseignement,
disent les instructions, doit être rendu « vivant et
concret ».
Essai de concrétisation aussi, de simplification,
dadaptation à lintelligence des
élèves, pour lenseignement du calcul, de
larithmétique et de la
géométrie.
Lenseignement des sciences physiques et naturelles sera
surtout expérimental et adapté au milieu. Il sera aussi
« simple et concret ».
« Les enfants apporteront en classe ou recueilleront en
promenade les plantes ou les animaux qui feront lobjet des
démonstrations et des leçons... En dépit des
préjugés, la classe-promenade tend à devenir une
institution régulière ».
On commence à donner au dessin et au travail
manuel un peu de la place quils méritent. On veut
faire du dessin « non pas un art dagrément, mais un
facteur de culture » ; on demande que le travail manuel soit
intimement associé aux autres disciplines. Mais en fait, cette
association est loin dêtre réalisée. On
pense surtout à lenseignement des sciences et on ne dit
rien de lemploi du travail manuel en histoire, en
géographie, en langue française.
On voit donc que, sauf en ce qui concerne lhistoire, ces
instructions renferment des conseils auxquels nous applaudissons.
Nous applaudissons tout aussi volontiers à la conclusion du
ministre :
« Lécole, telle que nous la rêvons, sera, du
dehors, avenante et accueillante, entre un jardin fleuri et des cours
ensoleillées. A lintérieur, elle sera
inondée dair et de lumière. Et cette
gaieté que lui donneront les dispositions matérielles
prises par larchitecte, nous voudrions quelle fût
entretenue, grâce aux dispositions pédagogiques prises
par linstituteur. On ne travaille bien que dans la joie. Bien
démodées sont les bâtisses scolaires - encore
trop fréquentes cependant - qui ressemblent à de
sombres prisons. Mais un magister au ton rude ne serait pas moins
archaïque. Ce nest pas à dire que tout
règlement disciplinaire doive être aboli... Mais on peut
faire en sorte que lemploi de la punition devienne exceptionnel
et que latmosphère de la classe soir à peu
près constamment dune parfaite
sérénité. Ce nest pas par la crainte,
cest par laffection que le maître obtient le
travail le plus régulier et le plus productif... »
« Nous avons préconisé les méthodes
susceptibles dintéresser lenfant, bien plus, de
lui inspirer pour son travail une sorte denthousiasme... Nous
voulons que les écoliers travaillent avec plaisir, parce que
le plaisir est un moyen efficace de stimuler leur activité...
»
« Lécole nest pas plus une salle de jeu
quelle nest une prison. Lécole est
lécole : une réunion denfants qui
travaillent de bon cur à leur éducation commune,
sous la direction de leur maître. »
Tout cela est fort bien, Monsieur le Ministre. Nous avons
rêvé comme vous dune école saine et claire,
dune classe active et libre. Mais, parce que nous navons
pas fait que le rêver, que nous avons voulu le réaliser
dans la faible mesure de nos moyens, quelques-uns dentre nous
ont été chassés impitoyablement de
lécole quils aimaient. Et chassés par vous,
qui devriez les louer.
Nimporte. Forts de votre approbation théorique,
succédant paradoxalement à votre réprobation
effective, nous sommes prêts à continuer à lutter
pour lécole belle, confortable et vraiment
éducatrice que vous rêvez.
C. Freinet
Note : On trouve déjà, dans cette analyse, la
stratégie de Freinet. Refuser la condamnation globale des
directives ministérielles, mais en tirer tous les arguments
pour défendre les pratiques nouvelles. Lavant-dernier
paragraphe semble prémonitoire de laffrontement qui aura
lieu, 10 ans plus tard, à Saint-Paul.