De lenseignement de lHistoire
daprès J. Dewey (Lécole et lenfant, Delachaux-Niestlé, Genève)
Ecole Emancipée n°36 25 mai 1924
C. Freinet
John Dewey, dans son livre Lécole et lenfant, définit ainsi la place qui doit être accordée à lhistoire dans lenseignement. « Si lon envisage lhistoire, dit-il, comme le récit des faits passés, il est bien difficile de légitimer sa présence dans le programme de linstruction primaire... Il nen va plus de même si lon considère lhistoire comme une explication des forces et des formes qui se présentent dans la vie sociale ». « Lhistoire est une substance vivante ou morte pour lesprit des enfants, selon quelle est ou quelle nest pas présentée sous langle sociologique ».
Ceci admis, « lessentiel est de présenter lhistoire comme un mouvement, dune manière dynamique. Elle ne doit pas apparaître comme une accumulation de résultats ou deffets, comme une statistique des phénomènes passés, mais comme une force, une chose active. Il sagit de mettre en relief les mobiles ou les moteurs. Etudier lhistoire, ce nest pas amasser des informations, mais tracer une peinture vivante de la manière dagir des hommes, de leurs succès et de leurs revers ».
Mais comment réaliser cette conception dans nos écoles ?
Que seront, dabord, les premiers éléments ?
Il faudra commencer par donner à lenfant la notion dun passé différent du présent quil vit. « Une des raisons pour lesquelles lhistoire nexerce pas plus dinfluence, cest que lélève la voit toute sur un même plan, aucune époque et aucun facteur historique ne se dressent devant lui comme typiques. Le seul moyen de conserver la perspective indispensable est de mettre le passé en rapport avec le présent, comme si le passé était un présent projeté de manière à ce que ses éléments divers soient tous agrandis... Le milieu social dans lequel vit maintenant lenfant est si riche, si plein, quil ne lui est pas facile de discerner au prix de quels efforts ces progrès furent obtenus ». Cest à lécole dattirer justement son attention là-dessus. « Ce qui intéresse avant tout lenfant, cest la manière de vivre des êtres humains, et cest par cet intérêt quil faut lui faire aborder létude des faits historiques. Cest par là que laction des hommes disparus se rapproche, pour lenfant, de la vie des hommes avec lesquels il est journellement en relation. Cest cet intérêt qui lui est indispensable pour sympathiser avec le passé et y pénétrer par limagination ».
Nos premières leçons dhistoire seront donc, en même temps, des leçons de choses, ayant pour but détudier comment, par quels efforts, physiques et intellectuels, les hommes sont arrivés à la vie sociale daujourdhui. « Lhistoire de lindustrie humaine nest pas uniquement une affaire matérielle et utilitaire. Lintelligence y joue un rôle considérable. Sa marche nous révèle léveil de la pensée humaine, qui apprit à étudier les causes et les effets, et qui transforma les conditions de lexistence, au point que la vie daujourdhui ne ressemble en rien à la vie dautrefois ».
Grâce à cette façon nouvelle de comprendre lhistoire, nos leçons seront adaptées à lintelligence de nos élèves ; elles deviendront intéressantes, dautant plus quelles permettent des activités nombreuses (réalisation de costumes, dhabitations, scènes rappelant les diverses époques, langage, etc.). Enfin, en donnant à lenfant cette notion de temps si difficile à acquérir, elle préparent lenseignement profitable de lhistoire proprement dite.
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Cette notion une fois acquise, on commencera à préciser notre enseignement historique. Sous quelle forme ? « Il est hors de contestation, dit J. Dewey, que les faits intéressent plus particulièrement lenfant quand ils se résument dans la vie et les actions dun héros ». Mais ici, attention. Si lenfant sintéresse exclusivement au personnage, « sil nest amené à se représenter vivement la situation réelle qui fit appel à lactivité de ce héros et les progrès sociaux dont cette activité fut la cause », lhistoire manque son but éducatif.
« Au contraire, si une biographie se présente comme un résumé dramatique des nécessités sociales dune époque et des progrès qui furent réalisés, si limagination enfantine voit vivre les héros au milieu des difficultés de la vie sociale, auxquelles ils ont réussi à porter remède, alors seulement lhistoire sous forme biographique est un organe détude sociale. Car il ne faut pas perdre de vue ce but social, il ne faut pas noyer lhistoire sous les mythes ou sous les récits purement littéraires et fictifs ».
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A un degré plus élevé, étant donné que nous nous proposons pour but de « faire comprendre comment lhomme dépend de circonstances sociales », quel ordre suivrons-nous pour létude plus approfondie de lhistoire ? Sera-ce encore lordre classique, suivant le développement de la civilisation, dans sa marche à travers les siècles, de lEuphrate et le Nil à la France, en passant par la Grèce et Rome ? « Si, comme nous lestimons, le but de lhistoire est de fournir une appréciation juste de la nature et du développement de la vie sociale, alors certainement, lenfant doit dabord avoir affaire avec ce qui est près de son esprit, non avec ce qui en est éloigné. Ce qui complique, par exemple, lhistoire de Babylone et de lEgypte, ce nest pas seulement son éloignement dans le temps, mais son éloignement des intérêts présents et des fins actuelles de la vie sociale ». Il faudra donc sattacher dabord à familiariser lenfant avec les questions sociales et historiques des pays qui lintéressent particulièrement parce quil y vit. On étudiera ensuite, par analogie, les histoires antérieures que lenfant sera alors capable de situer dans le temps et dans lhistoire.
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John Dewey résume ainsi sa conception :
« Dans ce programme, on reconnaît trois phases ou périodes :
Dabord lhistoire généralisée et simplifiée - qui est à peine de lhistoire au sens local et chronologique du mot - mais qui a pour but de donner à lenfant lintuition des diverses activités sociales et de les lui faire envisager avec sympathie. Cette période comprend : le travail des enfants de six ans auxquels on fait étudier les occupations typiques des gens de leur pays ou de leur localité, celui des enfants de sept ans quon initie à lévolution des inventions et aux effets de ces inventions sur la vie sociale, et celui des enfants de huit ans quon met en présence des grands mouvements de migration, dexploration, de découvertes, qui ont ouvert le monde entier à lactivité de lhomme. Le travail des deux premières années est évidemment tout à fait indépendant dun peuple particulier ou de personnes spéciales, de dates historiques au sens strict du terme. En même temps, on y fait une large place à la dramatisation en introduisant des facteurs individuels. Le récit des grandes explorations et des grandes découvertes sert à opérer la transition avec ce qui est local et spécialisé, cest-à-dire dépendant de certaines personnes à des moments et des endroits déterminés.
A ce moment, lenfant a acquis la capacité denvisager les faits limités et positifs. Sa ville, son village, son pays fournissent le matériel des trois années suivantes.
Dans la 3e période, on sastreint à lordre chronologique et on commence par lhistoire des vieilles civilisations méditerranéennes, pour descendre le cours des âges et arriver aux facteurs déterminés et différenciés de lhistoire contemporaine ».
C. Freinet