Pédagogie russe et pédagogie
bourgeoise
E. Delaunay
lÉcole Émancipée n°21, 14
février 1926
rubrique: Vie pédagogique
Notre camarade Freinet veut placer la discussion sur le terrain
des faits, rien ne pouvait nous être aussi agréable, car
nous avons des faits à opposer aux : « je ne
puis le croire » ; « à ma
connaissance » ;
« peut-être »,
; qui remplissent
la deuxième partie de larticle de Freinet. Ce nest
pas avec des suppositions que nous allons répondre aux
suppositions de Freinet, mais avec des faits précis.
Cependant il ne semble pas y avoir que des suppositions dans
larticle de Freinet et notre camarade écrit :
« je puis bien affirmer que partout où nous sommes
passés, les meilleurs pédagogues qui travaillent dans
les écoles expérimentales, les Volinska, les
Pistraka ; ceux qui sont à la tête des laboratoires
de pédagogie dont nous envions lorganisation ; les
pédagogues même du commissariat de linstruction
publique, ignoraient jusquaux noms de Ferrière et de
Decroly. »
Cest un fait, jajoute et cest
précis.
Voyons un peu ce que nous devons penser de laffirmation de
Freinet.
On ne connaît pas Ferrière !! mais on le cite dans
une « première lettre sur lenseignement
complexe » - où sont cités également
Faria de Varconcellos, Dewey et Demoulins publiée en
Russie en 1924.
On ne connaît ni Ferrière, ni Decroly !! mais le
Comité de Rédaction des « Questions
dEnseignement soviétique à
lEcole » écrit à Decroly ( le fait
ma été annoncé par Van de Moortel et
confirmé par G. Boon) et à Ferrière pour lui
demander des études sur les centres
dintérêt. Voici quelques jours Decroly
navait pas encore eu le temps de répondre, mais
Ferrière avait adressé son travail à Serge
Ivanoff, membre du Comité de Rédaction et professeur
à la faculté pédagogique de
lUniversité de Voronège.
Seconde erreur : depuis 1921 - pourquoi ne layant pas fait
avant laurait-il fait après ?
Ferrière est resté muet sur les réformes
pédagogiques russes et a négligé dinviter
les pédagogues russes ; sil est heureux maintenant
de publier quelque chose dans « Pour lÈre
nouvelle » cest parce que lInternationale
des Travailleurs de lEnseignement loblige à
emboîter le pas.
Ça cest du roman et en face de ce roman il y a
lhistoire, et cette histoire la voici :
En 1922, Ferrière, président du IIIème
Congrès International déducation morale à
Genève, y invite Chatsky ( Aujourdhui à la
tête dun section expérimentale pédagogique
à Moscou) et ce camarade russe nayant pu venir, il fait
lire son mémoire par Paul Biroukoff, à lune des
séance publique du Congrès.
En 1923, Ferrière charge un pédagogue fameux, M.
Carleton W. Washburne ( connu à cause de la méthode
dite de Winnetka), dune grande enquête dans les
écoles de Russie.
Cette mission ne put être remplie, car on refusa le passeport
à M. Carleton Washburne.
Quen 1924, Ferrière nait pas cru utile de
renouveler sa tentative de 1923 na rien de surprenant, mais en
1925 il a été entendu entre Ferrière et moi que
je donnerais à « Pour lÈre
nouvelle » une étude sur la pédagogie russe.
Jattends pour le faire de posséder des renseignements
suffisamment complets et précis - jen ai demandé
en Russie - et notre camarade Van de Moortel ma lui-même
engagé à ne pas trop me hâter.
Où voit-on que lInternationale des travailleurs de
lenseignement à forcé Ferrière
« à soccuper de la nouvelle éducation
russe » ? ne devine-t-on pas au contraire que de
telles affirmations ne sont pas faites pour nous ouvrir les colonnes
des journaux et des revues.
Soyons justes et demandons-nous sil fut reprocher à
ferrière de navoir pu obtenir plus de documents sur la
pédagogie russe ou sil faut regretter que Lounatcharsky
nait pas songé à fournir lui-même toute la
documentation voulue à un pédagogue chez qui il
était allé jadis et auquel il avait emprunté
plusieurs ouvrages.
Soyons logiques et comprenons que le meilleur hommage que nous
puissions rendre à nos camarades russes nest pas un
concert de louanges, mais limitation de tout ce quils ont
fait de bien et notre aide pour faire mieux encore. Or le plus grand
souci de nos camarades a été de se documenter sur tous
les efforts pédagogiques doù quils
viennent ; cest ainsi quils ont demandé une
longue étude à Ferrière un bourgeois si
jen crois Freinet et quils nous en ont
demandé une plus brève sur le même sujet,
montrant par là quils ont en plus haute estime la
pédagogie de Ferrière que la nôtre et quils
nentendent pas se borner à létude des
idées pédagogiques de camarades communistes. Sachons
nous inspirer de cet exemple.
E. Delaunay