Pédagogie russe et pédagogie bourgeoise
réponse à E. Delaunay
C. Freinet
lÉcole Émancipée n°22, 21 février 1926
rubrique: Vie pédagogique
La réponse de Delaunay (E.E. n° 21) rend une dernière mise au point nécessaire, moins pour répondre à Delaunay lui-même que pour préciser la position de leffort pédagogique russe par rapport aux divers courants éducatifs qui lont précédé, et, dans une certaine mesure préparé :
1° Delaunay ne peut pas souffrir que jaffirme un fait dont jai été témoin. Je maintiens pourtant mon affirmation. Je répète encore : « Je ne dis pas quil ny ait par toute la Russie quelques pédagogues connaissant Ferrière et Decroly ». Je sais notamment et G. Baudoin me le signale aussi que mon ami Zilberfarb, de Karkov avec qui jai eu le plaisir de mentretenir longuement, est extrêmement au courant de la situation politique et pédagogique française et occidentale, et quil fait profiter les lecteurs de « La Voie dEducation » de sa grande érudition. Mais cela en Oukraïne. Jai dit, moi, la constatation que jai faite là où je suis passé. Je puis avoir mal vu ou mal entendu ; cest humainement possible. Mais je métonne que Delaunay semble douter de ma sincérité.
Si, aujourdhui, le Comité de rédaction des « Questions denseignement soviétique à lEcole » demande des études à Decroly et à ferrière. Il faut voir là sans doute lheureux résultat du voyage en Russie de pédagogue occidentaux, et notamment de linfluence active de notre Secrétaire Pédagogique International, Van de Moortel, qui na cessé de dire partout ce que jécris maintenant, et qui a appelé sans se lasser nos camarades russes à une collaboration «effective avec les pédagogues dEurope occidentale.
2° Jespérais bien, en accusant M. Ferrière davoir participé à une conspiration du silence, quon me citerait quelques faits pour tenter de démentir cette accusation. Jai été très heureux davoir ces précisions de la plume même de M. ferrière, qui mécrit à cette occasion un mot fort aimable dont je le remercie.
Delaunay nous dit bien tout ce qua fait M. Ferrière pour nous documenter sur la nouvelle éducation russe ( M. Ferrière ne me parle pourtant pas de la mission Carletton W. Washburne)
Je laisse nos camarades juges de la justice de laccusation que jai portée. Mon opinion nest que fortifiée : le directeur du « Bureau International des Écoles Nouvelles », le rédacteur de « Pour lÈre Nouvelle » na pu, de 1922 à 1925, avoir aucun renseignement sur léducation russe, alors quil sest montré toujours si sérieusement documenté sur tout ce qui intéresse léducation à travers le monde. Nous attendions mieux de M. ferrière. Quil me permette de lui signifier à nouveau ma déception.
M. Ferrière, dailleurs, ne se défend ni ne sexcuse. « Vous avez deviné me dit-il, que lhomme de science, le travailleur intellectuel, même sil porte lhabit dun bourgeois, nen est pas un nécessairement. La psychologie et la physiologie, pas plus que la physique ou lastronomie, ne se préoccupent de partis ou de classes. Moi et mes semblables, nous sommes des fabricants doutils psychologiques. Cest un rôle très utile aussi ».
Cela est parfaitement juste ; et je naurais jamais critiqué ici M. Ferrière psychologue. Mais il y a tout de même M. Ferrière pédagogue, et la pédagogie, est obligée de se préoccuper des partis et des classes.
Jaimais bien M. Ferrière pédagogue, aidant tous les chercheurs dans leur voie aride et ingrate. Je regrette que lorsquil sest agi de léducation russe, le Maître ait semblé nous dire : « Pour ce qui est de léducation révolutionnaire, débrouillez-vous ! ».
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Mail na jamais été dans mon esprit de négliger la pédagogie « bourgeoise » : et notamment luvre de Ferrière, ni dadmirer béatement la pédagogie russe. Il ne peut pas y avoir de coupure brusque entre la pédagogie bourgeoise et la pédagogie révolutionnaire. Nous avons même regretté bien souvent que les pédagogues russes aient été si peu au courant de ce qui sétait fait dans les payas capitalistes. Jespère que grâce en partie à tout le bien que nous avons pu dire des pédagogues bourgeois, nos camarades russes ne tarderont pas à tirer de la pédagogie occidentale le maximum denseignements.
C. Freinet.