Limprimerie à lécole
Les résultats de lexpérience
LEcole Emancipée n°40 du 4 juillet 1926 Rubrique : Chacun sa pierre
La place métant très limitée en cette fin dannée, je me contenterai de faire ici un bref résumé de mon expérience dimprimerie à lécole, afin de donner à nos lecteurs une idée, du moins, des immenses avantages de cette technique.
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De nombreux collègues me demandent dabord :
A partir de quel âge peut-on faire composer les élèves ? - Dès que lenfant connaît les principales lettres de lalphabet (caractères manuscrits et imprimés), cest-à-dire avant six ans même. Il compose très facilement. On peut, en tous cas, commencer la composition dès le cours préparatoire. Et je dirais même que cest bien à cet âge-là que limprimerie est le plus utile (je me propose de faire composer lan prochain des débutants de cinq ans et demi).
Jai, pour linstant, expérimenté cette technique dans un cours préparatoire et élémentaire (deuxième classe dune école à deux classes). Il y a sûrement un emploi intéressant de la presse dans les cours moyen et supérieur, ainsi que dans les écoles à classe unique. Lannée prochaine montrera si je me suis trompé dans mes déductions. Jappelle toutefois à luvre les collègues que cette expérience tenterait (pour linstant, ce sont surtout des cours élémentaires qui travaillent avec limprimerie).
Les élèves ne perdent-ils pas trop de temps à cela ? - Au début, il y a certainement des tâtonnements provenant en grande partie du manque de préparation du maître. Mais les enfants acquièrent bien vite un automatisme de mouvements qui est dune précision et dune rapidité surprenantes. Dans ma classe, un élève moyen arrive à composer aujourdhui deux lignes de 45 caractères en 15 à 20 minutes.
Limpression proprement dite - avec la presse la Lino, en attendant mieux - est un jeu. Jimprime parfois moi-même pour mamuser. Mais la plupart du temps, les élèves se disputent cet honneur et impriment pendant la récréation. Nous tirons chaque fois environ 90 imprimés.
Les élèves désignés travaillent absolument sans le concours du maître qui, pendant ce temps, peut mener sa classe comme il lui plaît. Il ne pourrait y avoir temps perdu que pour les élèves qui composent.
Mais il ny a pas perte de temps ! Loin de là.
Avantages directs - Je note seulement les résultats obtenus, me réservant dapprofondir plus tard ce compte rendu :
- Agilité manuelle par le travail au composteur ;
- Fini du travail absolument indispensable. Cette bonne habitude de travail a son heureuse répercussion sur tous les autres travaux scolaires ;
- Exercice de la mémoire visuelle et de lattention ;
- Apprentissage sans effort de la lecture et de lécriture des mots ;
- Apprentissage mécanique, manuel pour ainsi dire, de lorthographe ;
- Bonnes habitudes de travail en commun.
Vie dans la classe - Mais, bien plus important que ces avantages particuliers, est le regain de vie obtenu dans ma classe, sans effort, par le simple emploi de limprimerie.
Jusqu'à présent, les élèves parlaient, faisaient des rédactions, mais cela sans but important. Maintenant ils parlent et leur pensée est écrite, imprimée, expédiée par delà des centaines de kilomètres à des classes entières de camarades qui les comprennent ; ils écrivent et leur rédaction, à laquelle ils ont mis une application extraordinaire, est imprimée et communiquée de même à leurs camarades lointains. Ce travail - langage, rédaction - cesse dêtre un travail scolaire ; cest un travail normal, dadulte, dont on voit immédiatement le but et lutilité.
Aussi y a-t-il, dans nos classes, depuis limprimerie, un grand besoin de parler, non pas pour bavarder, mais pour dire quelque chose dintéressant, dutile, quelque chose qui mérite dêtre dit. Et souvent, en ouvrant la porte, mes élèves se précipitent en criant : « Oh ! monsieur, il faut imprimer quhier je suis allé cueillir de la fleur... »
Grand besoin aussi décrire, sitôt que lenfant en sait assez pour gribouiller sa pensée. En partant, un élève me dit un soir : - Monsieur, demain je vais au moulin avec mon père ; je ferai une rédaction... - Demain, me dit un autre, je vais à Grasse... Je regarderai bien et je lécrirai...
Le résultat a été exactement le même à Lyon-Villeurbanne, dans une classe (décole à 10 classes) de 40 élèves qui a travaillé cette année avec limprimerie.
Notre collègue, M. Primas, mécrit : « Le matin, quelques élèves me donnent des textes quils ont faits chez eux... Je ne les oblige jamais à ce travail, me contentant de lire à tous leurs compositions. Cela suffit ; les camarades font le reste... »
Notre collègue insiste également sur ce fait que le travail dimprimerie ne le dérange à peu près en rien de sa classe.
Inutile de dire tous les avantages pédagogiques de ce besoin de parler, décrire, de rédiger (observation, orthographe, vocabulaire, tout en bénéficie).
Intérêt - Mais, de plus, les textes ainsi obtenus sont toujours dun très grand intérêt pour les élèves. Car lenfant ne trouve rien de plus beau que sa propre vie. Et je nai pas fait là une découverte, car les manuels sont maintenant remplis aujourdhui dhistoires denfants. Mais, chez nous, cest la propre histoire des élèves, de leur pensée, de la vie de la classe. Nous reprenons souvent le Livre de vie pour relire notre travail. Cest une joie passionnante. Si tous ne suivent pas, cest que les plus habiles passent devant ; ils suivent seulement leur pensée ; ils revivent leurs bons instants passés.
Et jinsiste tout particulièrement sur lavantage dun intérêt aussi soutenu dans la lecture. Intérêt dont nul manuel, même parmi les mieux compris, ne peut approcher.
On comprendra dès lors que tous les devoirs ou exercices greffés sur ces sujets vraiment intéressants, sont non seulement acceptés avec joie, mais souvent demandés. Vocabulaire, grammaire, dictée, conjugaison ont toujours été chez nous dagréables moments. Et ce nest pas parce que je serais, moi, un instituteur émérite (ce qui est bien discutable), mais simplement parce que, grâce à limprimerie, nous avons rétabli lunité de la pensée enfantine ; nous avons supprimé lemploi des devoirs scolaires. Nous apprenons seulement à lenfant à réfléchir, à ordonner sa pensée, à lexprimer et - corollaire naturel - à lire la pensée des autres. Mais nimporte quel instituteur obtiendra, nous en sommes certains, le même regain de vie dans sa classe par lemploi constant de limprimerie.
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Mais, me disais-je, tu feras surtout du français... Que va devenir le calcul dans la classe ?
Javais compté sans lélan de vie obtenu. Les élèves eux-mêmes mont demandé à faire des additions, des soustractions, des multiplications, des problèmes. Mieux, la table de multiplication, cauchemar de tant de maîtres, que je ne pouvais faire apprendre sans promesses ou punitions de toutes sortes, est apprise par mes élèves sans que je les y oblige, seulement parce quils veulent faire des problèmes et quils savent nécessaire la connaissance de cette table.
La vie de la classe seule nous a valu ces heureux résultats.
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Echanges entre les classes - Enfin, il y a dans lemploi de limprimerie une source nouvelle dactivité dune importance insoupçonnée pour notre enseignement public : je veux parler de léchange dimprimés entre plusieurs écoles françaises ou étrangères.
Durant toute lannée, nous avons ainsi échangé nos imprimés avec la classe de Villeurbanne. Jai trouvé à cet échange une infinité davantages que je résume :
- Intérêt pour une classe à suivre la vie dune autre classe.
- Initiation à la diversité du monde par le spectacle dune activité (les sujets étudiés à la ville sont bien différents des nôtres).
- Doù étude de la géographie, aidée par léchange de plans, cartes postales ou autres documents.
- Le but de la composition est ainsi plus précis encore, parce que les imprimés sont lus, non seulement dans notre classe, mais surtout dans cette école éloignée dont on redoute le jugement.
Donc nécessité dêtre : intéressant, clair, précis, propre, etc.
- Et enfin, sans manuel, les élèves arrivent ainsi à lire beaucoup. Nous avons lu, cette année, grâce à nos deux livres de vie, plus de 3000 lignes de texte, ce qui équivaut à un bon livre de lecture de 800 pages environ. Mais je mesure aussi la quantité, la qualité des textes et surtout du travail, cela reste pour moi incomparable parce que nos imprimés sont vécus et sentis, et quils sont pleinement compris.
Cet échange ne coûte pour ainsi dire rien. Nos imprimés - pages quotidiennes de journal - ont été admis, du moins par tolérance, à circuler comme périodiques à 0,02 fr. Le total des frais de port ne dépasse donc guère trois francs par an.
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Cette expérience a été pour moi une révélation en ce sens quelle ne ma apporté que joie et agréables surprises. Mes élèves aussi nont pas cessé de sy intéresser étrangement. Nul encore ne ma demandé à ne pas composer et les tâches que nécessite limprimerie ont toujours été recherchées comme des faveurs. Cest ce qui me fait dire quil y a là sûrement un facteur dintérêt dont lutilisation sera bien précieuse.
Enfin, les nombreuses demandes de renseignements, les approbations et les encouragements qui me sont venus de toutes parts me prouvent que cette expérience était latente dans lesprit de pas mal de collègues qui sont heureux aujourdhui den essayer la réalisation. Au mois doctobre prochain, six écoles au moins (françaises, belges, suisses) travailleront avec limprimerie. Léchange sera fort intéressant. Il le serait davantage encore si quelques collègues se joignaient à nous pour développer en tous sens cette expérience.
Le prix de la presse est modique : les dernières livraisons ont coûté 315 francs (presse absolument prête à fonctionner). Cette dépense peut être faite par la mairie ou par une coopérative scolaire, étant donné surtout lemploi possible de la presse pour le tirage dimprimés courants : circulaires, en-têtes de lettres, etc.
Après la première dépense dachat de la presse, les seuls frais sont : encres, 10fr. env. ; papier, 50 fr. env. ; refonte des caractères usés en fin dannée, 40 fr. env. ; soit une centaine de francs par an.
On économise ainsi au moins deux livres à 4 francs, soit 8 francs par élève et 240 francs pour une classe de trente élèves.
Je ne veux pourtant pas dire que lemploi de la presse soit une économie, mais je puis assurer quelle ne modifie sensiblement pas le budget de la classe. C. Freinet
Pour tous renseignements complémentaires, écrire à C. Freinet, Bar-sur-Loup (Alpes-Maritimes)
Note : Ce bilan dexpérience et cet appel marquent le début dune aventure collective qui aboutira progressivement, mais rapidement au mouvement de LImprimerie à lEcole, doù naîtra, deux ans après, la Coopérative de lEnseignement Laïc et, trente ans plus tard, lInstitut Coopératif de lEcole Moderne.