Vers une discipline scolaire libératrice
Monde, n°153 de mai 1931, p. 25
Numéro spécial Cinquantenaire Ecole Laïque
La discipline scolaire, qui conditionne et détermine, dans sa forme et dans son esprit, le travail et la vie de lécole populaire, est un des problèmes capitaux de pédagogie contemporaine et un des plus intéressants à étudier et à préciser dans la période de transition où nous sommes engagés.
Nous nous garderons bien, dailleurs, détudier la discipline en soi, comme lont trop fait jusqu'à ce jour la plupart des pédagogues. Il ny a pas une théorie de la discipline indépendante de la vie scolaire et sociale des individus ; la discipline scolaire nest quune résultante : lorganisation sociale basée sur lautorité et loppression, les pratiques déducation et denseignement asservies aux nécessités capitalistes, les conditions matérielles et morales qui sont faites à lécole dans tous nos vieux pays nous valent la discipline actuelle, semi-libérale dans ses formes les plus avancées - de même que les fins nouvelles de lécole populaire soviétique répondent dailleurs à des nécessités économiques et sociales - sont en train de donner à la pédagogie mondiale des modèles originaux dactivité et de vie sur lesquels on na pas assez attiré lattention des éducateurs.
La discipline scolaire a cependant été fréquemment étudiée par les pédagogues déducation nouvelle et discutée dans les congrès nationaux et internationaux - et récemment encore au Congrès International dEducation Morale de Paris. On présente avec enthousiasme les résultats dexpériences menées dans des conditions spéciales, souvent avec des maîtres délite. On propose ensuite aux éducateurs, comme une chose facile et toujours possible, linstitution de pratiques semblables. Et ceux-ci se découragent bien vite de leurs efforts parce que, nayant pas mesuré avec justesse et pénétration les obstacles véritables, ils sétonnent de leur impuissance.
Cest notre tâche, à nous éducateurs populaires, dentreprendre la besogne sur le seuil de laquelle sarrêtent les personnalités bien pensantes, de dénoncer la duperie dune pédagogie qui hésite à étudier le fait éducatif dans toute sa complexité génétique, même si nous devions, pour cela, bousculer la prudente neutralité qui est un des graves dangers sociaux de la recherche scientifique.
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Cest un tort de mettre, au premier plan des obstacles à une discipline libératrice, les directives impérieuses des programmes officiels, la nocivité des manuels scolaires qui aggravent souvent les erreurs des programmes, les examens eux-mêmes qui apportent dans léducation une regrettable tyrannie. Ce ne sont là que conséquences dune conception capitaliste de la vie et du travail, quun reflet dune oppression qui ne respecte rien et dont le profit est lidole.
Nous devons aller plus profond et voir les causes véritables qui entravent une évolution souhaitée et préparée par tant de chercheurs généreux, désireux que nous sommes de toujours puiser dans la pratique prolétarienne les éléments sûrs de la réalisation révolutionnaire.
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Autrement imposantes et tyranniques sont les forces du passé, incarnés dans ce que nous avons appelé le Matérialisme pédagogique.
Les locaux exigus et sombres où sentassent pendant de trop longues heures un nombre exagéré denfants souvent nerveux, malades, sous-alimentés, anormaux, rivés dailleurs à de vrais bancs de torture eux-mêmes incommodes et anormaux, - toute cette organisation déplorable qui est le lot de la majorité des écoles populaires imprime ses stigmates sur la vie et la discipline scolaire.
Il ne suffit pas quun gouvernement autorise et encourage officiellement les plus hardies théories éducatives, quil suscite des discours pathétiques sur les destinées et lavenir de lécole. Nous qualifierons ces manifestations de dangereuse démagogie jusquau jour où son action sociale et politique engendrera lamélioration rapide de la condition matérielle de lécole et des enfants. Et construire une école, serait-ce même un « palais », nest quune infime partie de cette action : élever tous les enfants à une vie végétative normale, soigner et éduquer dans un milieu convenable la masse des petits anormaux, permettra vraiment à chaque individu de profiter au maximum dune éducation bien comprise, dépassant dailleurs hardiment les pauvres cadres scolaires, cest une tâche immense qui ne saurait être réalisée que dans la société nouvelle socialiste.
Ces considérations primordiales nous permetront dapprécier à sa juste valeur la lente évolution de la discipline dans les pays capitalistes.
Les pratiques scolaires se sont certes profondément modifiées depuis le temps où les frères des écoles chrétiennes, avec lassistance de moniteurs impitoyables, dressaient les petits pauvres au rythme des psalmodies religieuses. Les formes, du moins, se sont humanisées et démocratisées, tout comme les apparences bourgeoises des sociétés capitalistes. Mais la discipline nen reste pas moins essentiellement oppressive, en opposition avec les besoins physiques, psychologiques et sociaux des élèves, et contrariant leur véritable éducation.
Des palliatifs ont été apportés à limpuissance des pratiques autoritaires. Après avoir constaté la faillite de tout lappareil - officiel ou non - de récompenses et de punitions par lesquelles lécole impose sa domination, les pédagogues, les instructions officielles elles-mêmes recommandent lintroduction dans les classes des méthodes démocratiques qui ont si bien neutralisé les efforts prolétariens.
Lécole prend une forme libérale. Elle « octroie » aux enfants certaines libertés jalousement circonscrites, en échange desquelles elle exige une plus grande servilité. Les enfants reçoivent la responsabilité de quelques services : surveillance de la propreté, distribution de cahiers, classement de livres, exécution de diverses besognes éducatives qui apparaissent en soi comme un progrès, mais ne changent cependant pas les rapports fondamentaux entre maîtres et élèves et ne sont, hélas ! quune modification des formes de loppression, quune mesure habile donnant aux enfants lillusion de la liberté.