Pédagogie et lutte de classes
« Il ne peut y avoir comme but à nos efforts que la société doù sera exclue toute exploitation de lhomme par lhomme. » C. Freinet, Naissance dune pédagogie populaire.
Cest pourquoi nous rejetons tout régime capitaliste, toute pédagogie bureaucratique de style napoléonien, tout système hiérarchisé de haut en bas. Nous navons pas besoin de chefs éclairés - ceux-ci sont toujours au service dune puissance financière ou dune puissance idéologique totalitaire - mais dun peuple éclairé.
Non du pain et des jeux,
Mais du pain et de la culture.
Par une lutte pied à pied, pouce à pouce, souvent secrète, mais puissante et vivante. La pédagogie est en train de devenir un outil révolutionnaire efficace qui transforme radicalement la manière de vivre et de penser des enfants et des éducateurs.
« Le système pédagogique de la bourgeoisie forme des individus aptes à perpétuer les moeurs et les traditions de la classe sociale au pouvoir depuis 1789.
La pédagogie populaire met en place une société démocratique formée dindividus forts, éclairés.
- Ou vous appellerez Révolution une émeute politique,
- Ou vous appellerez Révolution une théorie sociale...
- Ou vous appellerez Révolution une invention plus étonnante que la machine à vapeur ; une organisation technique, intellectuelle, morale du travail sur la terre, vous essayerez de la commencer aujourdhui dans lécole, dans latelier, dans le syndicat, avec la collaboration constante des travailleurs ; - et alors jestime que les apprentis et les écoliers peuvent vous aider. Et leurs maîtres aussi »
Albert Thierry, La Vie Ouvrière - 5 avril 1912
Cest à cette Révolution que la Pédagogie Populaire, mise en route par Freinet, participe pleinement.
Une société démocratique : La classe nest plus une monarchie absolue. Le pouvoir et le savoir y sont complètement partagés. Cest le groupe qui décide de lemploi du temps, des activités à accomplir, des erreurs à rectifier, des matériaux de travail à utiliser, des dépenses à entreprendre en réunion de coopérative. Il suffit de sasseoir un moment chaque jour et de discuter.
Une communauté vivante : On ne travaille plus chacun pour soi, en concurrence constante avec les voisins, mais avec les copains et pour les copains. Les enfants lisent leurs textes à voix haute, écoutent les critiques, répondent, questionnent, offrent à la classe leurs plus belles réussites, travaillent à deux, à trois pour venir à bout dune recherche, se mettent à dix, à vingt pour enrichir un texte et en parfaire lexpression.
Des réseaux déchanges naissent constamment. Toute création, toute découverte est livrée à la communauté, admirée, critiquée : chant libre, problème vivant, conférence denfant ; le dialogue est constant. Le savoir ne tombe plus tout mâché du haut de la chaire, mais il est fait par tous, au jour le jour.
La correspondance scolaire permet en outre de connaître la vie dun autre milieu, de souvrir aux autres.
Une organisation, qui peut être remise en question à tout moment, commence à naître avec des plans de travail établis par les enfants ; la division de la classe en ateliers de peinture, de chanson, de poésie, de sciences, de mathématiques, de géométrie, dhistoire, de géographie, où chacun peut senrichir, séduquer en souvrant aux besoins et aux intérêts des autres, dans laction quotidienne. Il vous naît ainsi un besoin de participer sans lequel toute pédagogie nest que bourrage de crâne et catéchisme.
Dans le cadre de cette organisation que le groupe peut modifier suivant sa vie, chacun entre, lorsquil le désire, en état de responsabilité : tenir les comptes de la coopérative, faire fonctionner un atelier de travail, peser les marrons ou les vieux papiers, organiser une exposition, donner la parole aux autres, diriger un jeu, préparer le colis pour les correspondants. Morale en actes. Morale de participation. Et foin des sermons ratatinés sur un patriotisme chauvin, chauve et béat que publie lEcole Libératrice !
Au sein de cette société scolaire, embryon de la Société Socialiste que nous travaillons depuis cent ans à mettre en place, sépanouissent des individus forts.
Dabord parce quils vivent heureux. Et ce nest pas rien dêtre heureux pendant 10 ou 15 ans de sa vie, à la racine de sa vie : cela peut donner envie de continuer... Mais le bonheur est-il possible bras croisés, bouche cousue ?
Pour lenfant - pour lhomme - ce sont les actes réalisés qui rendent heureux.
Ce nest pas un acte de boucher les trous que Monsieur Bled a creusés dans le gruyère de lorthographe. Mais cest de sexprimer totalement par le dessin libre, le chant libre, le texte libre. Ce nest pas un acte de torturer le fantôme de Jules Renard pour en extraire quelques pronoms relatifs, mais cest un acte de partir en chasse dans le milieu local pour ramener une pleine gibecière de chiffres, de dessins, de phrases, de cris, dimages, dobjets qui sont, parce que réels, lirremplaçable matériau de construction de la personnalité. Connaître le réel pour agir sur lui, cela ne sapprend pas dans les manuels fabriqués par les trusts déditions.
Ce nest pas en bâillant devant les leçons en boîte de la télévision scolaire, en ronronnant des morceaux choisis, hachés et conditionnés, que lon devient assoiffé de culture. Seul lenthousiasme de la création participe à la culture. Que lenfant parle, quil dessine, quil peigne, quil sculpte, quil écrive, quil écoute ses voisins, quil invente, quil danse, quil coure, quil joue, quil crie, quil mime, quil rie librement et il aura bien vite envie daller voir du côté de Gauguin, dApollinaire et de Camus.
Et léducateur, que lon a mis 15 ans à dégoûter de la grammaire, de lhistoire ou des mathématiques, qui tremble davoir à dessiner une coccinelle au tableau noir sans une règle et un compas, qui attend quon lui montre comment fossiliser les hommes dès lâge de six ans, devra devenir un être libre et participant.
Libéré des formes, des doctrines et des modes, il apprendra à lécoute constante des enfants et en harmonie avec la communauté scolaire. Il participera à toutes les rencontres pédagogiques où il pourra se délivrer de ses expériences et souvrir à celles des autres. Il remettra en cause constamment la pédagogie dans ses formes et ses contenus, en état de recherche constante, se gardant doublier que lhistoire écrite pour les écoliers est celle des rois, des princes et de tous leurs sous-fifres, non celle du peuple dans sa vie quotidienne, que les problèmes des manuels sont faits pour les garçons épiciers, que lorthographe française a fixé toutes les fautes des apprentis juristes du XVIème siècle, que la grammaire est un fatras de mots à sept lieues du langage populaire.
Il sait que toute révolution se fait de bas en haut et il nattendra pas les projets de réforme dun ministre de passage pour proposer et mettre en uvre une pédagogie populaire vivante.
Il luttera sans cesse, si possible à laide de son syndicat, pour obtenir des conditions de travail décentes, un matériel à la hauteur des enfants du peuple, un effectif non criminel, une scolarité qui naboutisse pas à 70% à la fabrication de manoeuvres.
Il ne sagit pas de faire du pédagogisme (hors de la pédagogie, point de salut !), mais de participer de toutes nos forces, techniques, morales, intellectuelles, à la lutte des travailleurs contre lexploitation financière, matérielle, intellectuelle et morale du peuple.
Patrick Hétier
Responsable groupe Ecole Moderne du Maine-et-Loire
Conseiller syndical Ecole Emancipée 49