0I - CHRONIQUE INTERNATIONALE

  1. FREINET VU PAR UNE DANOISE.

Célestin Freinet, sa vie, son travail et ses idées.
Le premier janvier 1920, Freinet, âgé de 24 ans fut appelé, comme sous-maître dans une école de deux classes à Bar-sur-Loup, en Provence (Alpes Maritimes). Elise Freinet écrit dans son livre "Naissance d'une pédagogie populaire". Il était, plus que tout autre I’humble débutant dans la carrière enseignante; sa cantine d'officier de la guerre 1914-18 l'accompagnait aux bagages et l'accompagnait aussi cette lassitude sans espoir qui est le lot des grands blessés de guerre voués au repos et à la mort lente.

D'hôpital en hôpital, il avait traîné pendant quatre ans dans une décevante convalescence.
"Pour vous, jeune homme, il ne reste que la vie sur une chaise longue à l’ombre des pins!"
C’est contre cette irrémédiable prescription qu'il avait voulu s'insurger dans un sursaut d'énergie: fuir I’immobilité, le désespoir, la solitude! Travailler! Etre l'artisan du métier qu’il avait choisi: l'instituteur. .
A Bar-sur-Loup, il venait se mettre à l'épreuve.
"La salle de classe où Freinet entre pour la première fois est la classe traditionnelle des écoles publiques: des rangées de bancs avec leurs pupitres, la chaire un peu élevée du maître, regardant une agréable place près du vieux château, une source ruisselante, un grand platane, quelques fenêtres, si haut que les enfants ne pouvaient voir à travers.
Il y avait des porte-manteaux, le long des murs. Une grosse ardoise sur un chevalet, quelques cartes de France, des tableaux muraux de système métrique, et dans un coin un boulier délavé, la seule chose attirante de cet ameublement poussière, symbole de la stagnation et de la tradition.
Ce qui occupait le plus Freinet c'était les enfants âgés de 5 à 8 ans. Ils étaient très différents, tout en se ressemblant, et formèrent bientôt un troupeau tourbillonnant dans la pièce.
Il craignait un peu de s'en approcher n'ayant pas d'entraînement scolaire ni théorique ni pratique. Il avait été appelé au service militaire lorsqu'il était normalien de seconde classe, et l'introduction de la pédagogie ne commençait qu'en troisième année. Malgrè ce défaut, il avait un profond respect pour chaque enfant, et de plus,le flair du berger, cet instinct qui le faisait surveiller les enfants seuls et le groupe entier, réminiscence de sa vie de berger de Provence. Le directeur comprit heureusement immédiatement ses difficultés et le soutint journellement de ses bons conseils et de son expérience. Il était le type d'un ancien instituteur qui partageait son temps méthodiquement entre l'école et la culture de sa terre, aidé de son âne. Il se servait des méthodes traditionnelles et avait appris certaines finesses qu'il essaya d'apprendre à Freinet.

En raison d'une grande blessure dans un poumon, Freinet ne pouvait pas supporter l'air enfermé de l'école avec ses 30 élèves.

Il y avait, de plus beaucoup de poussière dans l'école à cause de chaussures malpropres des enfants, et du parquet mal balayé. Freinet ne pouvait parler que difficilement, et quand il essayait il avait souvent une crise de toux. Il avait juste le temps de saisir la poignée de la porte avant la crise et comme il le devait, il restait étendu sans bouger sur un divan, complètement désolé. Mais il voulait vivre et travailler. Le directeur lui disait "II ne faut pas vous surmener ainsi. Prenez votre pension à 100 % et retourner à votre village où vous aurez le calme complet. Vous savez bien que vous ne pouvez pas supporter ce maudit travail".
"Mais Freinet ne voulait pas se rendre, et n'ayant pas la force physique, il se mit à étudier, et il étudiait aussi bien des oeuvres politiques que pédagogiques, qui l'inspiraient à tout accomplir son travail. Il observait les enfants de sa classe et s'informait de leur vie de famille et du milieu où ils grandissaient et qui les avaient marqués.
Il notait ses observations, aussi sur leur langage et leurs mouvements, etc.
Chaque enfant avait sa particularité~et bien des années plus tard on pouvait s'imaginer une peinture de cette foule variée.

Il y avait des élèves ordonnés et travailleurs qui comprenaient tout facilement et très empressés d'apprendre quelque chose. D'autres, moyens, qui avaient des difficultés à comprendre, en partie paresseux, au visage sans expression, mal peignés, mal vêtus, tapageurs. Enfin les débiles, anormaux et il en avait 5, 6 % dans sa classe.

Il y avait Joseph, l'ami des animaux qui était insensible à toute leçon, à toute culture, qui ne vivait qu'avec ses chats et chiens, et d'après les saisons avec les limaces, des cigales, etc. qu'il portait dans ses poches. Vêtu d'une vieille
chemise et d'un pantalon informe, attaché à la taille avec une corde, en été les pieds nus, en hiver avec des chaussures usées qu'il avait ramassées quelque part, ce petit bonhomme dominait la classe avec une autorité si "spontanée" qu'il faisait s'incliner tous les autres élèves. Quand il vous regarde avec ses yeux de braise, il est si convaincant, si vrai qu'il influence toute la classe, comme un petit diable qui emploie sa baguette magique.

Deux petits mendiants, noirs de visage et de vêtements, tout inséparables, la main dans la main, épaule contre épaule, ils se soumettent en bloc à la discipline de l'école. Si on s'adresse à eux, ils réagissent avec la même pensée. Ils sont dominés par un seul désir: de longs voyages dans la montagne avec unepetite voiture et une mule. Ils ne vont à l'école qu'irrégulièrement et si parfois leur esprit s'éveille, ce n'est qu'une idée d'association qui dans leur fantaisie et mise en relation avec leur rêve de voyage. Freinet note qu'il y a aussi d'autres types étranges.

Tous ces problèmes que montrait cette petite classe étaient les mêmes que rencontrent tous les jeunes instituteurs dans la plupart des écoles françaises. Peut être Freinet se serait habitué à ces tristes conditions si sa mauvaise santé n'avait
pas joué un rôle. Il était obligé de se soumettre à ce que sa santé lui permettait, et il découvrait bientôt que les devoirs traditionnels fatiguaient les enfants, comme ils le fatiguaient lui même.
Il savait fort bien que s'il voulait crier et frapper la chaire de sa règle comme le faisait le directeur, il pouvait dominer la classe, mais ce n'était pas son but.

Il n'avait qu'une légère connaissance des grands pédagogues du passé, mais il se jeta sur ses études et surtout Pestalozzi l'intéressa énormément.
Ce fut pourtant Joseph, l'ami des animaux, qui décida Freinet à commencer résolument l'étude des problèmes pédagogiques.
La récréation est terminée, le sifflet retentit, les deux classes se mettent en rang, Joseph se précipite hors des rangs vers la palissade où il tombe à genoux. Freinet appelle l'enfant qui se retourne vers lui, et crie: "chut, partez, je viens tout de suite. Freinet entre dans la classe avec les autres enfants qui crient: Monsieur l'instituteur, Joseph manque, il est parti. Il se sauve toujours, courons après lui!" Mais la porte s'ouvre et un Joseph rayonnant apparaît, reniflant un bon coup, comme après une victoire, "Monsieur l'instituteur, il y a un trou où il y a une petite larve qui a des plumes, toute petite ainsi," et il montre la mesure sur les doigts "et elle est bleue, Monsieur l'instituteur, je lui ai donné quelque chose à manger". La lecture commence, et tandis que la règle de l'instituteur montre l'orthographe sur le tableau mural: ba, bo, bu, Joseph la tête tournée vers la fenêtre pense à sa petite larve qui a des plumes et une si jolie teinte bleue. La larve de Joseph n'était qu'un exemple parmi des centaines d'autres qui montra à Freinet combien il était nécessaire de soutenir l'intérêt des enfants pendant les leçons.
Il décida que tous les jours, après récréation de midi, il ferait une promenade avec les enfants.
Cette promenade était attendue avec impatience. Les enfants et l’instituteur. étaient fatigués par les efforts de la matinée. Chaque enfant portait son ardoise et son crayon avec lui, et la promenade à travers les bois d'oliviers ou au cimetière, se prolongeait jusqu'à la montagne où chantait le rossignol et abondaient les fleurs.
Freinet s'aperçut très vite, de la grande portée de ces promenades, aussi par rapport entre lui et les enfants. Les conversations entre les deux parties devinrent très instructives pour chaque part.

Une nouvelle vie commença à l'école, mais il y avait encore un long chemin à parcourir avant que Freinet soit satisfait.
Les maudites rangées de syllabes avec leurs mots stupides et leurs phrases sans idées pour les enfants! La plupart les épelait à haute voix comme une litanie à l'église, d'autres encore, par exemple Joseph, avaient tout autre chose à l'esprit. La lecture individuelle n'eut, non plus, de succès. Ce qu'ils lisaient n'avait pas d’intérêt, et ils cessaient à la moindre occasion. Lui-même étudiait, et étudiait, il entra en contact avec A. FERRIERE à Hambourg, mais n'eut pas grand résultat de sa visite. Par sa camaraderie avec les enfants il comprit que c'était par eux, dans leur vie, qu'il devait trouver les nouveaux éléments de son travail pédagogique, et qu'il devait trouver et soutenir leurs intérêts pour satisfaire au besoin d'activité dont Ferrière parle dans ses livres (et que plus tard, Freinet cita également dans le sien "Éducation du travail").

Puis il se hâta et voulut connaître la vie du village. Il allait avec les enfants chez le tisserand qui, avec obligeance, leur parlait de son travail. Dans la classe, il fit un petit vers dont les enfants étaient contents: "sur son métier le tisserand a ourdé les fils patiemment ".

Cela amusa beaucoup les enfants et leur fit comprendre qu'ils pouvaient eux -mêmes, former des phrases, citations sur leurs différentes aventures. Ils allèrent en visite chez les autres ouvriers, et souvent ils allaient se promener sur les basses montagnes autour de la ville où ils avaient de vivantes leçons de géographie, de calcul, de botanique etc. L'école s'était ouverte sur la vie.
Heureusement était paru en 1923 une instruction ministérielle qui apprécia les principes de l' École Active, et par là, Freinet n'eut aucune difficulté avec les autorités. En rentrant de leurs excursions, Freinet écrivait un court récit de leur promenade sur le tableau. Les enfants le lisaient et l'inscrivaient sur leur cahier ou sur des feuilles illustrées. On voyait clairement que les enfants étaient intéressés par ce travail et que leur habileté dans leur langue mère et dans l’écriture grandissait de façon constante et aussi que la discipline et l'atmosphère devenaient plus libres et plus aimables.
Entre temps, Freinet s'était habitué à la vie du village. Il entreprit, avec un ami, une recherche sur l'industrie florale à Grasse et écrivit un article dans le journal "Clarté", rédigé par Barbusse. Il entra en relation avec un milieu intéressé à établir une société coopérative à Bar-sur-Loup, et d'autres sociétés à caractère social (eau, électricité), et gagné par là, une forte sympathie chez les habitants de cette petite ville.
Même si le travail en classe était devenu bien meilleur, Freinet sentait toujours qu'il y avait un abîme entre la vie réelle des enfants et l'instruction de l'école: par exemple le problème de la lecture n'était pas résolu.
Il prit part, à Montreux, au congrès de "New Education Fellowship" et fut très intéressé par ce qu'il vit et entendit, et heureux de faire sa connaissance Adolphe FERRIERE (né en 1679), Pierre BOVET (né en 1878) et d'Edouard CLAPAREDE (1873-1940)(Directeurs de la section suisse de N. E. F.) pouvaient. s'employer que dans les riches écoles qui avaient un équipement qui manquait à son école de Bar-sur-Loup.
Quand il reprit sa classe après les vacances, il fut reçu avec enthousiasme par les enfants. "Monsieur l'instituteur" dit Lulu, "nous avons beaucoup pensé à vous quand vous n'étiez pas là".

Il se sentait très attaché au milieu où il se trouvait.

Un jour, Joseph avait organisé une course d'escargots, en classe. "Monsieur, l'instituteur, regardez mes bêtes". Les garçons étaient enthousiasmés : "Je parie pour le gris". "Je parie pour le brun! " etc. La classe bouillonne de vie, à la fin Joseph fait rentrer ses bêtes dans une boîte.
L'instituteur est déjà devant le tableau: décrivant la course des escargots. Les enfants étaient ravis. "Ah, Monsieur l'instituteur, comme c'est drôle ! C'est comme une histoire". Ils lisent ce qui est sur le tableau, le copient, mais Freinet pense que ce serait d'une grande valeur si on gardait l'impression de cet évènement, et comme ce serait bien si cet écrit pouvait être imprimé. Cela serait la solution.
Il va à Grasse et s'adresse à différentes imprimeries. Les typographes sourient "Non, savez-vous, ce serait impossible avec ces enfants. Ils perdraient les lettres, renverseraient la caisse etc. Ce serait perdre son argent!
Par hasard, Freinet trouva dans un hebdomadaire l'annonce de la vente d'une presse. Il l’acheta et par là le premier pas était fait pour une nouvelle pédagogie, qui devait s'étendre dans le cours de quelques années.

Quelques jours plus tard, la caisse arriva avec la presse et les instruments s'y attachant. "Non regardez, il y a des lettres! Il y a un 0, un a, etc." Les enfants mirent de l'ordre dans la caisse et nous commençâmes le travail. Mais ce n'était pas facile. Les doigts de l’instituteur n'étaient pas plus adroits que ceux des enfants les types sautaient entre les mains, le bloc etc. Mais avec de la bonne volonté on réussit à placer le bloc dans la presse.

S'il faut dire la vérité, les première copies n'étaient pas belles. On ne pouvait mettre que 4 à 5 lignes et la presse était capricieuse. Mais les enfants étaient contents. "Regardez, monsieur l'instituteur, c'est bien, on peut le lire". Il y avait beaucoup de difficultés, entre autre ils n'avaient pas de papier. Le secrétaire du bureau communal pensa qu'ils pouvaient se servir des vieux bulletins de vote qui n'avaient pas été employés aux dernières élections, plus tard on leur donna du papier de rebut de la société coopérative et l'école continua son travail.
Un jour,le directeur rentra dans la classe, et vit les pages imprimées séchant sur un vieux banc. Il s'exclama: "On ne peut pas dire que ce soit vraiment bien!" "Pas aujourd'hui, " dit un petit garçon,"" mais hier c'était très bien".
Un jour, que Freinet devait se rendre à une réunion d'instituteurs, à Nice, il prit avec lui un choix des meilleurs imprimés pour les montrer à ses collègues. Avant d'aller à la réunion, ils burent un café dans une petite auberge et Freinet sortit timidement ses chefs-d’œuvre et expliqua leur importance pédagogique. Ses collègues jetèrent un coup d'œil sur ses feuilles et les lui rendirent. Mais une institutrice eut pitié de lui et lut, avec attention quelques-uns des petits textes, et dit: "Pauvre Freinet, ne pouvez-vous jamais faire quelque chose de pratique". Les autres avaient déjà bu leur café.
Une personne pourtant l'avait compris, c'était Barbusse qui avait lu, avec intérêt quelques-uns des articles que Freinet avait écrits, et il l'invita chez lui. Freinet lui expliqua son idée et Barbusse l'engagea à écrire dans "Clarté.'" Barbusse écrivit lui-même un article concernant Freinet et par là, lui ouvrit le chemin.

Après les vacances il eut de l'argent pour acheter le papier convenable, et l'imprimerie fut meilleure, Freinet se mit à rassembler les imprimés de tous les jours, dans une sorte de journal qu'ils appelaient "Le livre de Vie".

Freinet attache beaucoup de prix à ce que l’on imprime soit le propre langage des enfants, leurs observations. Il en est de même des problèmes qu'ils rencontrent dans leurs observations au cours de promenades, et dans leur vie journalière. Il refuse clairement l'instruction donnée à l'aide de 1ivres et écrit une série d’articles dans "Clarté" (rassemblés plus tard dans un petit livre) du sujet. Plus de manuels scolaire,sur le mal que l'emploi des livres scolaires peut provoquer (voir aussi CC Kragh-Müller: "Demain ce sera trop tard" p. 58)
Les manuels scolaires sont un moyen de provoquer lapathie et servent ici le programme officiel. Parfois ils rendent le programme encore pire qu'il n'est en réalité. Ils sont rarement faits pour les enfants. Ils rendent le travail des maîtres plus facile. Ils se vantent de suivre le programme, pas à pas. Mais l'enfant ne peut suivre que s'il en est capable. Mais on ne s'inquiète pas de l'enfant.

Et si cela est juste, la guerre contre les manuels scolaires est absolument nécessaire.
Les manuels scolaires font aussi des esclaves des instituteurs. Ils s'habituent, chaque année à distribuer les sujets qui sont dans les livres sans s'inquiéter si les enfants sont en mesure de comprendre la matière.

Il est absolument nécessaire que les maîtres se délivrent de cette façon mécanique d'instruire, si vraiment ils veulent assurer un enseignement véritable de l'enfant, dit Freinet.

LE PREMIER ELEVE
-----------

A la fin de 1924, parut sur un journal de classe, un article de Freinet, sur ses expériences. Quelques instituteurs intéressés demandèrent de voir quelques-uns des imprimés journaliers des enfants. Quand ces instituteurs renvoyèrent les imprimés l'un d'eux écrivit: "Mes élèves n'ont jamais lu quelque chose avec un tel intérêt. Ils l'ont bu comme du lait. Je vais aussi quitter mes ornières et composer un Livre de Vie.
Freinet avait un ami DANIEL, instituteur à Trégunc (Bretagne). Il écrivit à Freinet en le priant de l'aider à trouver une imprimerie, car il voulait travailler avec ses garçons comme il l'avait vu faire à Freinet à Bar-sur -Loup. Freinet lui apprit la technique et ils décidèrent de laisser leurs élèves échanger leurs imprimés. Chaque élève à Bar-sur-Loup eut son petit correspondant à Trégunc.
Ce fut une énorme correspondance qui vit le jour de cette façon, mais heureusement ils eurent la permission d'envoyer leurs lettres comme imprimés. Que contenaient-elles? Qu'est-ce qu'on mange à Bar-sur-Loup, comment cultive-t-on les champs?Qu'est-ce qu'on moissonne?Qu'est-ce qu'on fabrique? Quels arbres et quelles fleurs poussent-ils? Quels jeux? Quand et comment fait-on les fêtes? etc. C'est toute la Provence qui s'exprime en ces lettres, ses paysages avec ses oliviers et ses orangers, ses jardins en terrasses, le ciel bleu, les cigales, le parfum du thym et de l'ail qui font partie de la tradition concernant la vie champêtre et gastronomique.
Mais, parmi tous ces détails géographiques et historiques vit le petit provençal, car chaque enfant a sa propre page et lui donne son cachet. La vie en classe, des événements personnels ont aussi leur importance et si on feuillette le livre de Bar-sur-Loup de cette première année d'échanges de lettres, on trouve dans le texte des lettres échangées, cette marque personnelle qui est si précieuse. Freinet donne quelques exemples de ces textes.
Les lettres de Tregunc qui est une petite ville de pêcheurs dans le Finistère (Bretagne), racontent tout autre chose. Les enfants s'adressent réciproquement des colis. De Bar-sur-Loup on envoyait des fleurs, des fruits, des parfums, des fossiles, des cartes postales, différentes sucreries et chaque petit "Barois" apportait ces dons qu'aimaient les enfants bretons. Photographies, vieilles images, des catalogues, des rubans, des dentelles et de vieux jouets partaient également.
De Tregunc on recevait un choix de végétations, des photos de bateaux, on apprenait le nom des pêcheurs dont beaucoup portait des noms celtiques qui intéressaient beaucoup des enfants. Parfois il arrivait un envoi de très grosses crêpes fines et transparentes comme des dentelles. On les partageait avec soin et les mangeait comme du pain bénit. On en emportait quelques menus morceaux pour les petits frères et sœurs, le grand père et la grand mère. A Trégunc c'est la même fête quand il vient des colis de Bar-sur-Loup, et on mange les spécialités de cet endroit avec le plus grand plaisir. Cet échange commença et il avait une si stimulante valeur et causa une telle activité que le maître en fut tout à fait surpris. Et à présent, 20 ans après, on comprend la force des sentiments qu'il exprime par une courte notice dans son journal 28. 11. 24 : "Maintenant, nous ne sommes plus seuls".

Freinet rêvait d'un tout autre ameublement de l'école: tables et bancs transportables, bibliothèque d'enfants, vitrines et aquarium, métier à tisser, des petits ateliers communiquant à la classe où les enfants pourraient entrer et travai11er selon leur désir. Mais le rêve est loin de la réalité. Il lui fallut se satisfaire de changer les meubles de place. On ne peut, en plus, changer les fenêtres afin que les enfants puissent voir à travers. Ce fut les petits qui souffrirent de cette nouvelle organisation. L'école n'était pas un asile et l'imprimerie dont on se servait n'était pas fait pour les petits. Les types étaient trop fins, trop serrés, mais après différents essais Freinet trouva un matériel d'imprimerie convenable, et les petits furent ravis. Premièrement, il les laissa imprimer les simples lettres qui furent illustrées, plus tard des mots. Ce qu'ils avaient imprimé et illustré fut mis sur le mur comme une frise et les enfants lisaient ensemble ce qu'il y avait sur le mur. Ils commencèrent à imprimer en gros types du mois de janvier, et à la fin de juillet la plupart des petits lisaient les mots imprimés sur le mur globalement. 3,4 d'entre eux pouvaient aussi les 1ire analytiquement.
Il nous manquait, à un haut degré, dans cette école un travai1 artistique. Les enfants écrivaient des petits poèmes, et on leur lisait aussi de la poésie à haute voix, et Freinet leur montrait des grandes images, mais il n'y avait ni musique ni l'argent pour le théâtre. Il nous manquait des projections lumineuses, un gramophone, etc.


ON ELARGIT LE TRAVAIL ET FORME LA C. E.L.
-------------------------------------------


Un instituteur de Villeurbanne se joint à Freinet et l'échange commence alors avec lui. Les enfants de Bar-sur-Loup continuaient cependant un échange privé, de lettres avec les enfants de Trégunc. Cet instituteur était dans une école de ville avec plusieurs classes. Le commencement était assez malaisé, mais peu à peu le mieux se produisit et à la fin de l'année, Freinet écrivit: "A présent, nous avons deux livres, un de Bar-sur-Loup, l'autre de Villeurbanne. C'est à dire 30 000 lignes, ce qui répond à un livre de 200 pages. C'est une quantité qui ne dit rien, ni de la qualité, ni de la quantité qui ne peut se mesurer par ce qui est imprimé, vécu, senti et ensuite totalement compris".
Entre temps Freinet était très mécontent de sa presse et après un long temps de tâtonnement et l'aide d'un ouvrier intéressé, il fit construire une nouvelle presse plus pratique destinée à l'école.
La prochaine personne qui se joignit à ce nouveau système,fut le Directeur de l'école à Bruxelles,VAN MEER, et les enfants étaient fiers de leur nouvel ami,et chantaient: "Nous, on va jusqu'en Belgique".

En mars 1926, Élise Freinet commença à travai11er avec Freinet à Bar-sur-Loup.. C'était un grand secours pour lui. D'abord elle était au courant de ses idées, elle était artiste peintre et il y avait largement de travail pour deux. "C'était en mars 1926 que je commençai à travai11er, avec Freinet à Bar-sur-Loup. C'était le printemps et la petite classe bourdonnait d'activité. Un laboratoire complet de biologie était installé un peu partout, sur le bureau, les tables et même sur le parquet, dans les coins, plus ou moins tranquilles, couleuvres, larves, limaces ou limaçons, d'innombrables insectes, des papillons vivaient sous de maigres conditions, sous la direction de Joseph. Il subvenait aussi bien qu'il le pouvait à la nourriture des bêtes: des feuilles de roses, des feuilles d'oliviers, des branches de fleurs, de plantes sauvages, choisies avec soin sur les terrains où il y avait beaucoup d'insectes, de la salade fraîche prise aux bordures du fleuve et même des gouttes de rosées prises au fond d'une feuille neuve.

La section de la vannerie consistait en un tas d'écorces, branches de saules, de joncs, tabourets, corbeilles, nattes, tout mélangé en un pêle-mêle où il aurait été difficile de retrouver une épingle, ou une braise qui y serait tombée.
La bibliothèque était naturellement ambulante et.pour être accessible à tous, tous les livres étaient dispersés hors des rayons et posés n'importe où par les enfants, sur les pupitres, les tables, les bancs, les chaises, et de préférence sur le bureau de l'instituteur! Et cet instituteur lui-même qui pouvait entendre 5 questions à la fois, et répondre à toutes! On ne se servait plus des vieilles ardoises, et on les avait déposées dans un coin, méprisées.
Par contre, l’imprimerie avait la place d'honneur: rouleaux, presse, les caisses pleines de papier, occupaient de larges bancs et se limitaient sur le plancher par un trait à la craie. C'était l'autel!"
Elise Freinet mit de l'ordre dans la salle de classe et le travai1 avançait. Peu à peu il vint beaucoup de visiteurs, et le 4 juillet 1926 parut un article dans "Le Temps" intitulé: "A l'école de Gutenberg". Cet article montrait beaucoup de compréhension pour le travail de Bar-sur-Loup, et était presque débordant dans son jugement de 'L'Imprimerie à l'école". Cet article donna 1ieu dans nombre de journaux (surtout locaux) à des articles pour et contre ce travail, selon leur politique.
Dans le cours des années, Freinet avait collaboré avec beaucoup d’instituteurs qui voulaient adopter sa technique. Le travai1 avec l'envoi des billets journaliers et l'organisation de l’échange grandit de façon inquiétante, et il fut nécessaire de créer une organisation qui puisse se charger en partie de ces problèmes pratiques. Les discussions théoriques et humaines qui restaient du domaine de Freinet. Sur l’initiative de Freinet (lettre circulaire 27/7/1926, on créa une réunion (coopérative de l'enseignement laïc, Société de l'Enseignement populaire) qui eut une grande importance pour toute la chose. Son petit 1ivre: "L'imprimerie à l'école" fut envoyé à tous les membres, et on continua à réaliser de nouvelles et meilleures presses et on y joignit des machines à écrire, des duplicateurs.

Les membres de la C. E. L. payaient une contribution mensuelle et cet argent aidait à l'achat de nouvelles presses pour les nouveaux membres dont le nombre augmentait chaque jour davantage.

Le 15 mars 1927 la C. E. L. commence à lancer "La Gerbe", journal hebdomadaire qui, en général, était écrit et imprimé par les enfants.

Le premier congrès pour "L'imprimerie à l'école" eut 1ieu à Tours en 1927. Dans le courant de l'année un article de la "Gerbe" avait été édité comme un petit livre: "Histoire d'un petit garçon de montagne". On en vendit un grand nombre au congrès où Freinet parla de son travail et mit en garde contre l'emploi de l'imprimerie dans une autre atmosphère que celle qui l'avait créée.

Il montra aussi un film qu'i1 avait réa1isé 1ui -même avec son Pathé-Baby qui montrait les petits élèves au travail à Bar-sur-Loup.

"La Gerbe" devint de plus en plus épaisse, et il fut décidé que les sujets pour les enfants seraient séparés dans des brochures spéciales, dites "Enfantines", par exemple "L'histoire du petit garçon de la montagne" et "les petits vagabonds".
En 1928 la famille Freinet déménagea à St Paul, une petite ville d'aspect roman-tique près de Vence. Freinet devait être instituteur seul pour les garçons, et on avait promis à Elise Freinet la place d'institutrice pour l'école des filles.

Ils travaillent dans cette ville jusqu'en 1934.
St Paul n'était pas comme Bar-sur-Loup une ville avec une population homogène, tous, pour ainsi dire pauvres et simples. St Paul était composé en deux groupes, l'ancienne ville avec des remparts où vivait la partie pauvre des habitants et où se trouvaient l'école et l'Église. Hors des remparts étaient les hôtels de luxe et beaucoup de villas de riches.
Les conditions sanitaires de l'école étaient déplorables, et Freinet commença son travai1 par aller trouver le maire qui demeurait hors des remparts dans une grande villa toute neuve. .
"Est-ce que l'école est en mauvais état" demanda le Maire?


Ce début démontre ce que Freinet pouvait attendre du côté des autorités et ce fut, en réalité, une longue lutte pour lui et sa femme de faire accepter leurs idées. C'était comme d'habitude le travai1 avec les enfants qui les encouragea et leur donna des forces imprévues pour soutenir leurs difficultés. On peut dire que Freinet (toujours aidé de sa femme) pendant cette année travailla sur 3 fronts: 1. Développement du travail scolaire (et cette technique comprend beaucoup plus que l'imprimerie). 2. Le travail avec la "Coopérative de l'enseignement laïc", qui a un haut degré, reposait en Freinet qui éditait des livres, des journaux aussi bien que pour les maîtres que pour les enfants, et 3. le travai1 social politique dont St Paul justement avait grand besoin. De plus, il travaillait avec un groupe de la nouvelle section française de "New Éducation Fellowship" fondé en 1921 à Calais par A. Ferrière, Elisabeth Rotten, et Béatrice Enser. Il voulait changer cette association exclusive en une association ayant pour but de s'étendre jusqu'aux coins les plus reculés du pays. Et jusqu'aux dernières années avant la guerre, il avait gagné beaucoup de terrain sur ce point. Ce travai1 fut rendu vain par la guerre.

Quant Freinet avait fini sa classe et fait le nécessaire à la C. E. L., il restait tantôt à la maison pour écrire des articles ou des livres, ou il allait dans les environs faire des conférences ou politiques ou pédagogiques. Il rentrait le soir très tard et très fatigué à cause de sa faiblesse corporelle.

Concernant son travai1 à l'école, nous avons dit qu'i1 améliorait le matériel de l'imprimerie et l'élargissant. Il se servait de film de radio et recherchait toutes sortes de moyens pour un travail créatif -terre glaise, 1inoléum, couleurs, scie, rabot etc.
Le fond du travail de l'école était toujours la liberté des enfants à s'exprimer dans le texte journalier (qu'on appelle le texte 1ibre), et la correspondance avec les enfants des autres écoles.

LE TRAVAIL A LA C.E.L.
----------------------------

Le travai1 de l'école à St Paul était en constante relation avec la CEL. Outre "La Gerbe" et "Enfantines", la société publiait une édition mensuelle: "L'Educateur prolétarien", où Freinet presque toujours écrivait un article de pédagogie, ainsi que d'autres articles professionnels et sociaux.

La C. E. L. tenait tous les ans un congrès et était attachée aux syndicats et souvent mêlée aux polémiques avec d'autres journaux qui n'étaient pas d'accord avec Freinet. La Coopérative faisait des recherches, présentait de nouvelles idées et était active. Malgré tout, nombre de problèmes retombaient sur Freinet qui aussi concernant les locaux avait des difficultés à placer ces nombreux papiers.

A St-Paul il rencontra beaucoup de résistance contre ce travail bien que ce fut un grand besoin. C'était surtout les riches, les autorités et l'Eglise qui était contre lui. Ils créèrent une forte résistance contre Freinet. Et bien que tous les parents des enfants qui fréquentaient l'école exprimaient leur satisfaction, sa famille et lui furent exposés à un traitement abject, et c'est miracle qu'ils arrivèrent à quitter St-Paul en vie.
L'affaire éveilla un bruit de scandale bien au-delà de la société pédagogique, d'où du haut en bas on s'efforça de démontrer les droits de Freinet.

C. et E. Freinet sortirent vainqueurs du combat, les conditions de vie à St-Paul étaient devenues si insupportables qu'ils préférèrent chercher un autre endroit.

Sur le journal "Techniques de Vie " en avri1 62, Freinet parle de l'origine de l'école Freinet et conte l'épisode de St-Paul. "Nous croyions n'avoir que des amis dans cette petite ville, mais le mouvement royaliste - Action française sous la conduite de Léon Daudet travaillait en secret. On exploita les parents, se servant de leur ignorance, et les membres de l'Action française qui n'avaient pas d'enfants eux-mêmes étaient nos plus durs adversaires. La nuit entre le 1 et 2 décembre 1932 on colla des affiches injurieuses sur les murs de la ville autour de nous, et en même temps, on ouvrit une campagne calomnieuse dans l'Action Française à Paris, et qui eut de la résonance dans tous les journaux de France et de Navarre. Toute l'affaire popularisée dans un film "l'Ecole Buissonnière" qui fut projeté en France et à l'étranger. "Notre travail sortit pourtant vainqueur de la bataille. Nous avions fait le baptême du feu! "
Malgré notre victoire; nous étions toujours considérés comme des perturbateurs de la paix, dont on n'était pas sûr. Nous nous préparâmes: Nous ne pouvions pas continuer à travailler en lutte contre l'administration. Il fallait céder ou partir. Nous partîmes.
Nous cherchâmes avec ardeur un endroit où nous pouvions habiter! Nous trouvâmes une colline près de Vence; un mauvais petit sentier nous y conduisit, mais la terre était bon marché ce qui rendit possible notre installation provisoire dans une petite maison de deux chambres qui devait être le commencement d'une école prochaine.
En raison de notre manque de crédit, il fallait bâtir soi-même pièce par pièce avec l'aide financière de parents, et d’amis, et surtout en travaillant soi-même sans arrêt: scier, murer, amener du sable, manœuvrer une machine à écraser rudimentaire etc. Nous fîmes nos essais sur tous les points, et les résultats se montrèrent vraiment assez bons, comme nous l’espérions.
Pendant 20 ans, l'école Freinet fut une belle place de travail. On se demande parfois pourquoi nous avons bâti après le système de pavillons. C'est tout à fait sûr que ce système répond exactement à nos besoins pédagogiques.

Mais la raison en est aussi que notre école a pris la forme qu'elle a pierre sur pierre, des lampes à pétrole avant l'électricité etc. parce que nous n'avions d'argent pour bâtir en mieux. Cependant le résultat est satisfaisant à notre but et les maisons ne paraissent pas choquer nos visiteurs d'aujourd'hui. L'école Freinet en raison de ce quelle fut si longtemps un champ de travai1 permet aux enfants, pendant plusieurs générations de prendre une vive part au travail constructif, et ils ont amené du sable des carrières, grimpé sur les échelles, blanchi les façades, peint les volets, les fenêtres et les murs intérieurs. Ils ont réparé les meubles, changé les dalles et ont surtout créé des objets d'art, qui embellissaient leur foyer commun. Le jardin a toujours été placé sous leurs soins. Tous les ans ils se sont intéressés à tenir et planter sous la conduite d'un jardinier et chacun d'eux a toujours eu un petit terrain qu'ils ont soigné avec ardeur, et ils apportaient toujours en triomphe leurs premières récoltes à la cuisine.

Pour qu'un tel travail puisse réussir, il faut un certain ordre dans les locaux, au jardin,dans la forêt et parmi les animaux, et les petits ouvriers s'arrangent avec un minimum de discipline et d'ordre.

On termina le bâtiment de l'école, et le 1er octobre 1935, 15 enfants en prirent possession, ce qui était un record surprenant quand on pense qu'il n'y avait eu aucune sorte de publicité.

"J'avais averti officiellement l'ouverture de l'école", dit Freinet, qui tout de même eu un ordre du département de ne pas ouvrir l'école.

Après avoir vaincu de grandes difficultés, l'école commença et le travail fut éclatant.

A la fin de 1936 Freinet fit un cours à l'école. Soixante instituteurs d'autres écoles qui avaient commencé le travail selon ses méthodes y prirent part. Pendant la journée ils vivaient avec les enfants dans leur travail ordinaire, et le soir, ils discutaient le travail et la pédagogie Freinet. Le cours connut un grand succès et on en fit plusieurs pendant l'année scolaire.

En 1936 les premiers réfugiés espagnols arrivèrent à la frontière française, affamés et fatigués. Tous les enfants que nous reçûmes étaient en lambeaux et pleins de poux et de gale, pris d'une seule pensée: d'avoir quelque chose à manger. Après quelque temps ils s'acclimatèrent parmi nos enfants.

Quand la guerre éclata en 1939 le drame atteignit son dénouement, mais seulement pour donner de la place pour d'autres drames qui continuèrent ceux qui avaient entrelacé notre vie de pionniers et de combattants.

L’école Freinet était vraiment dans le plus grand danger.

Le 20 mars 1940 Freinet fut arrêté et envoyé dans un camp de concentration où il fut gardé pendant 21 mois. En ces 21 mois dont il passa quelque temps à l'hôpital, Freinet trouva, comme d'habitude, consolation et force par le travail.Il écrivit des livres, des brochures et à l'aide d'un duplicateur il fit une sorte de journal qui circulait entre les prisonniers, et de plus il instruisait les illettrés du camp.

Dans l'école à Vence, Élise Freinet chercha de tenir bon avec quelques orphelins,mais cette petite école non plus, ne devait pas avoir la permission d'exister. Un décret spécial ferma bientôt l'École Freinet où Élise Freinet demeurait encore quelques mois avec toutes les difficultés venant d'une occupation militaire. Elle y restait avec l'intention de sauver les derniers orphelins que le Préfet n'avait pu placer nulle part, mais elle fut chassée et l'école fut tout à fait détruite,

"Nous la retrouvâmes dans un état misérable 'en 1945".


LE DESTIN D'UNE ÉCOLE EXPÉRIMENTALE
----------------------------------------


"Nous ne serions certainement pas si loin sur nos chemins nouveaux si notre travail avait eu lieu dans une école ordinaire, mais maintenant c'était le cas que nous travaillâmes dans une école où on avait une grande indépendance et où les parents en partie ou tout à fait acceptèrent nos principes dans l'espoir qu'ils serviront à leurs enfants.
Si nous n'avions pas tenu ferme, si nous avions cédé après la lutte à St Paul, et si nous n'avions pas établi l'École Freinet à Vence, nous n'aurions pas pu développer nos techniques ainsi que nous l'avons fait.
C'est dans cette école que nous avons montré l'importance des points suivants:
1 - le texte 1ibre et son emploi (décrit au n° 3 de la Bibliothèque de l'École Moderne: le texte 1ibre par C. Freinet).
2 - le livre de la vie. Décrit dans "Le journal scolaire" par C. Freinet
3 - la correspondance interscolaire. ibid.
4 - la liaison entre la vie et le milieu
5 - plans de travail. Sur base de l'intérêt des enfants et de leurs aventures.
6 - "Fichiers documentaires". Le 10 juillet 1964 la liste de la "Bibliothèque du - Travail" se montait à 589 numéros, avec un supplément de 152 numéros.
7 - "Fichiers autocorrectifs: avec des problèmes que les enfants peuvent corriger eux-mêmes (la base de ce système de calcul était celui de C. Wahburn, à savoir le système de Winnetka).
8 - matériaux pour la libre création du travail sous toutes formes.
9 - travail dramatique à livre ouvert ou improvisé.
10 - journal de mur
11 - 1imographe
12 - des imprimeries de différentes grandeurs et des presses.
13 - caisses de travail de différentes grandeurs et de formes, pour les expériences physique et chimiques.
14 - la caisse de Freinet - avec différents types d'écritures -
15 - le four pour céramique (et tous les matériaux pour colorer et glacer)
16 - Travaux pratiques de la maison et du jardin, soins des animaux (pas mangeables cependant, car ils étaient végétariens). .
De plus tous les moyens d'aide possibles de notre temps: radio, télévision, magnétophone, électrophone, appareils filmiques etc. .
Il s'ensuivit une campagne écrite entre Freinet et le ministère de l'instruction publique. Freinet priait instamment que son école soit reconnue, comme une école d'essai semblable à celles de Decroly et de Montessori qui avaient atteint de bonnes conditions, mais cela lui fut refusé. On lui proposa différentes issues (inacceptables, par exemple qu'il appelle son école "une école de plein air", mais il ne pouvait accepter cette proposition et refusa).
L'article se termine par une prière aux intéressés de former une société "Association des Amis de l'école Freinet" et de fournir les moyens de continuer et garder l'école.


ÉPILOGUE
----------

L'école est à présent sous la direction de la C. E. L. avec Freinet comme directeur, aussi bien pour "école que pour la C. E. L. J'ai visité l'école en 1964.

Elle consistait en une quantité de bâtiments plus ou moins grands sur un large et superbe terrain. Les maisons et le terrain étaient fort bien tenus, et chaque maison était décorée d'oeuvres d'art à l'intérieur comme à l'extérieur. Les enfants (exceptés 10) étaient en vacances, mais il y avait encore une grande exposition avec une quantité de travaux des élèves: peintures, céramiques, des écrits, par exemple "Le Livre de la Vie", des collections de poèmes, des travaux en bois et en métal et beaucoup d'autres choses. J'ai visité aussi le bâtiment de la C. E. L. à Cannes. Il y avait une imprimerie et une grande librairie (ou maison d'édition), des magasins avec de grands stocks des matériaux employés aux écoles enfantines. Au premier, il y avait des bureaux chargés de la correspondance des interscolaires, des réponses à des lettres (on en recevait environ 200 par jour) d'envois de journaux, de périodiques, de revues (i1 y en a un grand nombre) etc. En bas il y avait l'imprimerie et l'entrepôt pour tous les imprimés: livres, brochures, journaux et autre matériel pour l école, entre autres des disques de gramophones. C'était très imposant, et nous achetâmes plusieurs livres. On nous donna aussi plusieurs brochures.


LA BASE DES TRAVAUX DE FREINET
-----------------------------------

Dans le livre "l'Éducation du Travail" que Freinet écrivit pendant les 21 mois qu'il passa dans un camp de concentration au début de la seconde guerre, il s'absorbe surtout dans ses souvenirs d'enfance dans un petit village de Provence, pour trouver une source de consolation et d'espoir. Il termine son introduction de la première édition du 1ivre (1946) par ce qui suit: "J'ai voulu marcher au rythme du paysan quand il va dans son champ, trouver la trace du berger sur la montagne! J'ai réappris à rechercher la nature changeante et variée et je me suis rafraîchi dans les claires sources enfin retrouvées!"

Je suppose que le germe du travai1 de Freinet est son enfance dans le petit village de Provence où il apprit à aimer et respecter tout ce qui vit où par son travai1 et ses jeux, il a eu la possibilité de se développer de façon naturelle, calmement, de surmonter les difficultés techniques à l'aide de son bon sens et de sa bonne volonté, et d'obtenir" le flair du berger" comme gardien de chèvres, de moutons et de vaches dans la montagne.
Il n'a pas seulement eu la possibilité de vivre dans la nature, mais aussi de satisfaire son besoin d'apprendre en écoutant parler les vieux paysans qui connaissaient à fond l'art de vivre.
Une autre raison est naturellement son indomptable envie de vivre qui le fit lutter contre le mal contracté à la guerre. Cette insurmontable énergie alliée à une haute intelligence et une forte capacité à se familiariser avec l'état des pauvres et des faibles, lui donna l'énergie de travailler, pour surmonter petites et grandes difficultés.
Je crois qu'une des conditions importantes pour le travail de Freinet était aussi, que dans sa femme, Élise Freinet, il eut une compagne de travail exceptionnelle qui de beaucoup de façons, le suppléait et le soutenait.

Ce qui eut aussi beaucoup d'importance pour lui fut qu'il entra de bonne heure, en relation avec le centre psychologique pédagogiste à Genève: Bovet, Claparède, Ferrière et d'autres, et toujours dans l'adversité eut un ami chaleureux en Ferrière.

Il apprit beaucoup de Decroly et il eut vite des amis dans les différentes unions culturelles de France (Henri Barbusse 1874-1935 - Romain Rolland 1866-1944 - Henri Wallon 1879-1962 - sans oublier tous ses amis de la C.E.L.

Son plus grand intérêt, sa force la plus importante se portaient sur les enfants - chaque enfant!
Son point de départ est en vérité très simple. Que l'enfant vive, cela veut dire que l'enfant veut se développer. Il ne peut se développer que par sa propre activité. Ce que les adultes peuvent faire, n'est pas d'empêcher cette activité, mais au contraire de chercher les moyens qui peuvent aider l'enfant dans son activité.

C'est ce que dit Montessori (et beaucoup d'autres), mais Montessori et Freinet sont peut-être les seuls qui aient suivi leur point de départ. (Et c'est curieux de voir à quelle différence de formes d'instruction ils ont atteint).

Ce qu'il y a de spécial dans l'instruction de Freinet (outre l'emploi de l'imprimerie) c'est ce qu'il appelle la méthode naturelle dont il se sert dans toutes les leçons. Par exemple, un enfant doit apprendre à lire quand il le désire lui-même, et il doit avoir le droit d'employer le temps qu'il veut et qu'il sent nécessaire. D'après la conception de Freinet, les nombreux cas de faiblesse de lecture chez les enfants est qu'on les a forcés d'apprendre à lire en trop peu de temps. Instruits selon sa méthode, les enfants commencent très tôt à travailler à une lecture globale, mais la plupart des enfants mettent de deux à trois ans pour apprendre à lire couramment.
Freinet en déduit, comme Montessori, que l'écriture, dans nos cercles de culture, est un moyen de s'exprimer aussi naturel que le langage. C'est pourquoi il est absolument nécessaire que les enfants se familiarisent avec le texte qu'ils lisent et écrivent. Cela ne suffit pas que ce soit un langage et un texte d'enfants. Ce doit être" le texte du jour" allant d'une courte phrase chez les plus jeunes à un long récit chez les grands.
Plus important que toutes les matières et méthodes est l'atmosphère de l'école: les relations entre les enfants eux-mêmes (toute forme de concurrence était naturellement inconnue) et entre les grandes personnes et les enfants aussi bien à l'école qu'ailleurs. Venant de cette pensée une correspondance s'ouvrit entre des écoles autre part et il en résulta un échange du "texte du jour", de lettres et de colis.
Cet échange est, à présent, si répandu qu'il se fait dans une section spéciale de la C. E. L. à Cannes.
Freinet et plusieurs de ses élèves qui ont décrit leurs travaux disent que cet échange est un grand stimulant à l'envie des enfants d'apprendre à lire et à écrire.
Sur tous les points, cette façon de voir entre en jeu: de quoi cet enfant a-t-il besoin pour son développement et que peut-on faire pour que chaque enfant se sente content et heureux ? "Laissez briller le soleil" telle était sa devise. Et c'était sa réponse à ceux qui écrivaient" ou parlaient de leurs soucis concernant le travail!
Des rapports sur le travail à Bar-sur-Loup et à St-Paul nous avons vu combien de choses Freinet avait déjà mises en pratique, et à Vence où Freinet avait son école, quand les maisons furent bâties aussi le besoin d'une chambre de travail. Mais c'est malgré tout surprenant de voir cette richesse de matériaux et de possibilités à Vence cet été (1964) et dans le bâtiment de la C. E. L. à Cannes.
Quand on prend en considération que l'École Freinet est et a toujours été une école pauvre, qui n'a jamais eu d'aide publique, il faut au plus haut degré admirer le résultat atteint, naturellement en premier lieu sur le terrain pédagogique - psychologique et social, mais aussi sur le domaine technique -pratique et matériel.

Freinet serait le premier à dire qu'il n'aurait pas pu faire tout cela seul, mais que tous ses compagnons de travail en France et ailleurs l'ont aidé énormément.
Mais Freinet est pourtant l'âme de cette grande oeuvre ce que tous ses compagnons veulent affirmer.
Évidemment cet article paru dans une revue pédagogique danoise a été rédigé par une de nos camarades danoises et traduit par notre ami Masseye des Bouches - du -Rhône.
Notre camarade s’est largement inspirée du livre d'Élise « Naissance d'une pédagogie populaire » que je vous conseille si ce n'est déjà fait de lire et relire. En vente à la C. E. L.


Suite à l'article paru dans le n° 13 - l'École en Norvège
----------------------------------------------------------------

Voici comment une collègue norvégienne décrit Freinet lors de son voyage à Oslo en 1936 Freinet « En 1936, arriva chez nous, le pédagogue français, cheveux longs et un manteau à l'espagnol.
Il nous fit part des activités de la coopérative des enseignants et nous initia à l'imprimerie à l’école et comment on utilise l’initiative de l’enfant et sa spontanéité dans un plan de travail suivi sur la langue maternelle et l'étude du monde autour de nous, comment cela peut conduire à la coopération entre les différentes régions d'un pays, entre plusieurs pays et plusieurs continents. »

extrait du livre « Paedagogiske Perspektiver » paru en 1963
-----------------------------------------------------------------


Du même 1ivre, quelques pages plus loin.
"11 faut parler d'un autre nom - c'est Olav Storstein qui, pendant quelques années, fit de la recherche, des conférences et publia une série de livres sur son travail et celui de ses élèves. Il s'était notamment inspiré de Freinet bien avant que celui-ci fut connu en Norvège. Des livres comme "L'enfant de 1932", le livre sur les adultes par les enfants « L'Avenir est assis sur le banc de l'école » se trouvèrent rapidement sur les étagères des bibliothèques de beaucoup de personnes même en dehors de l’école. Ils faisaient les conversations du jour. Ceux qui étaient enseignants au début des années 1930, n'oublient pas l'influence qu'eut Storstein sur eux. Brusquement il devenait amusant d'être professeur, de découvrir les trésors des enfants et de trouver de nouvelles voies. Storstein n'était pas celui qui pouvait entrer de plain - pied dans un centre de formation d'enseignants ou une quelconque École Normale. Mais ses
1ivres étaient les interprètes d’une hardiesse, d'un goût de l'aventure, d'un renouveau dans un domaine où la plupart pensait que c'était plutôt sans âme et plein d'ennemis. Les gens près de son école s'arrêtaient, levaient la tête et songeaient: l'École peut aussi être amusante?
Elle peut vraiment nous concerner beaucoup plus que cette longue et aride traversée du désert.