8 NOUVEAU PLAN DÉTUDES FRANÇAIS
ÉDUCATEUR PROLÉTARIEN 1° Juin 1937
A lheure où lenseignement du français est remis en cause et où, sans citer les sources, on reprend quelques idées sans lesprit évidemment lancées par Freinet voici 40 ans, jai cru bon de publier les articles que notre ami publiait dans léducateur prolétarien.
M. G.
Notre numéro spécial n° 2, consacré au NOUVEAU PLAN DÉTUDES, a obtenu un succès sans précédent, non seulement en Belgique, chose assez naturelle mais en France aussi, et tant en province quà Paris. Preuve certaine que la masse des éducateurs, la masse des jeunes surtout, rebutée parfois par les principes vaporeux de léducation nouvelle, sent puissamment la nécessité dune action pour la rénovation pratique de notre enseignement. Nous lavons dit bien des fois : sans sous-estimer limportance historique des théories nouvelles ou anciennes, nous nous attachons surtout à être des praticiens plus que des théoriciens. Nous savons par expérience que les prêches, les exhortations, les beaux articles enthousiasmants, sils ne sont pas, comme chez nous, LA CONSÉQUENCE dune action pratique, risquent de contrarier plus que de servir la cause de léducation nouvelle. Rares sont, en effet, les éducateurs qui ont les possibilités, la force, et le Temps, de renverser tout un édifice scolaire pour partir à laventure dans Les champs prometteurs mais encore trop en friche, de léducation nouvelle. Susciter un enthousiasme qui risque de sévanouir devant des obstacles pratiquement insurmontables, cest rebuter dangereusement, et parfois irrémédiablement, toutes les bonnes volontés qui comprennent les avantages et la nécessité de léducation nouvelle et qui ne restent dans la ligne traditionnelle que parce que nul ne les aide à en sortir. A tous ces camarades qui sentent ne serait-ce que quelques velléités Démancipation pédagogique notre mouvement se présente comme le seul Susceptible de les diriger et de les aider.
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Cette tendance est bien marquée dans notre numéro sur le PLAN DÉTUDES FRANÇAIS.
Nous ne demandons au gouvernement aucun verbiage : il y en a suffisamment dans les instructions et les programmes actuels. IL NOUS FAUT DES ACTES QUI NOUS PERMETTENT DE FAIRE PASSER DANS LA RÉALITÉ QUOTIDIENNE les idées généreuses inscrites dans les instructions ministérielles de 1923. Nous avons mis en lumière quelques-uns de ces actes dont nous demandons à nos camarades du Front populaire de prendre linitiative : suppression des manuels scolaires, suppression du C.E.P.E., réorganisation de lInspection Primaire, organisation nouvelle de lÉcole avec décharge des classes, création dÉcoles expérimentales.
Si ces améliorations matérielles et techniques étaient réalisées automatiquement les méthodes nouvelles pourraient se développer dans des Écoles où ne peut pénétrer pour linstant que limpuissant VERBIAGE DÉDUCATION NOUVELLE.
On nous rendra cet hommage que nous navons jamais attendu béatement que les gouvernements apportent toutes faites dans nos écoles les améliorations et les transformations que nous souhaitons. Bon pour ceux qui, solidement assis dans le désordre présent, craignent le progrès que nous appelons et que nous préparons, et qui ne se leurrent dailleurs pas sur la puissance réalisatrice de leurs revendications verbales.
Être à lavant-garde, ce nest pas partir en tête, drapeau déployé, en hurlant et en chantant, sans se soucier de ceux qui suivent
ou qui restent.
Cest, comme nous le faisons, remplir un rôle de PIONNIERS : préparer généreusement les chemins et les ponts, couper hardiment les amarres des traditions et des égoïsmes, afin que, sans efforts héroïques, mais avec sûreté, limmense masse des éducateurs sengage enfin dans une voie dont elle comprend lutilité et sur laquelle elle est certaine de réussir. Cette besogne de Pionniers, nous la menons depuis plus de dix ans, contre vents et marées
et il y en a eu de puissamment dangereux, nest-ce pas, camarades ? Mais nous avons la satisfaction maintenant davoir établi la voie sur laquelle des centaines déducateurs nous suivent. Mais cette voie est encore étroite et difficile. Nous devons lélargir et laplanir pour que sy engage toute lécole française.
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On a cru et nous y revenons que nous étions partisans dune école où lenfant ne fait que ce qui lui plaît, en négligeant parfois des acquisitions que la société juge à bon droit essentielles.
Nous voulons, au contraire, une école plus efficiente que lécole traditionnelle où tant defforts se dépensent en vain. LÉcole actuelle nest adaptée ni aux moyens que nous offre la civilisation actuelle, ni au mode de vie contemporain, ni aux buts sociaux qui évoluent à un rythme accéléré.
Il faut réorganiser lenseignement sur des bases plus rationnelles.
Cest le but de notre technique.
Il fut un temps où lÉcole nétait pas exigeante : les notions à acquérir étaient réduites et ne risquaient pas de déborder la capacité dun cerveau denfant.
On a tellement accumulé depuis quelques décades que nous sommes aujourdhui dans cette impasse dont nous parlions dans un récent numéro. Il nous faut organiser et rationaliser léducation et lenseignement.
Mais rationaliser lacquisition, ce nest pas, comme le pratiquent certains charlatans de la pédagogie, trouver le moyen de bourrer toujours davantage le cerveau des enfants. Ce serait procéder comme un État qui produirait des millions dautomobiles qui ne trouveraient pas dacheteurs, encombreraient le marché et immobiliseraient inutilement des forces vives. Le problème de lacquisition ne saurait être séparé de celui de lenrichissement et de lharmonisation des personnalités, harmonisation qui doit être le résultat dune organisation technique rationnelle adaptée aux exigences sociales de lheure.
Nous ne sous-estimons pas le problème de lacquisition : Mais nous disons dune part, que cette acquisition est conduite de nos jours selon des procédés qui ne donnent quun bien minime rendement. Dautre part, linstruction, dans lÉcole actuelle, nest jamais sérieusement accrochée aux individus ; elle ne fait pas partie deux-mêmes ; elle sen sépare donc facilement. Et cest ce qui explique lignorance incroyable de recrues pourtant instruites pendant 5 et 6 ans dans nos écoles primaires.
On pratique actuellement comme les dirigeants de la production automobile dun pays qui produirait de façon intensive les pièces détachées de leurs machines, mais qui les entasseraient dans leurs entrepôts, nayant pas trouvé le moyen de les agencer harmonieusement, rationnellement, scientifiquement, pour leur donner vie et utilité.
Il nous faut des matériaux, et dexcellente qualité, que nous devons apprendre à produire dans les meilleures conditions. Il nous faut aussi les utiliser pour créer et enrichir la vie.
Cest ce double problème quil nous faut mener de front, et selon les mêmes principes scientifiques et humains.
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On voit alors limportance conditionnée que nous accordons à lacquisition.
Tenant compte de ces considérations, il faudrait nous mettre daccord sur la qualité et la quantité de ces acquisitions.
LÉcole actuelle procède comme si ce même directeur de production automobile fabriquait intensivement des pièces quelconques qui sentasseraient ensuite sur la machine, sans savoir lesquelles sont utiles, lesquelles inutiles, lesquelles nuisibles. Le chef du rayon des carburateurs a exagéré la production, mais les pistons sont mal ajustés et on manque de caoutchouc ou dessence pour donner vie à la machine chacun ayant exagéré sa spécialité sans se soucier de lensemble, de la synthèse dont son effort nest quun élément.
Il en est ainsi à lÉcole, hélas ! Chaque manuel accentue les exigences du programme ; chacun voudrait faire rendre au maximum sa spécialité ; le C.E.P.E. contrôle la production de chacune de ces spécialités. Mais lorsque, sitôt lexamen passé, on essaye dutiliser lacquis de lécole, on saperçoit que nous avons enseigné beaucoup de notions inutiles, que nous avons ainsi usé en vain les rouages indispensables et que nous avons oublié lessentiel qui est la synthèse de vie de la machine humaine. Alors, il faut tout redémonter, éliminer les malfaçons ou les pièces inutiles, forger patiemment ce qui manque. Rare sont hélas ! ceux qui en viennent à bout !
Si nous procédions plus rationnellement ! Si nous essayions dabord de savoir quelles pièces sont nécessaires pour que la machine marche harmonieusement, nous pourrions établir avec sûreté ensuite la besogne de tous les spécialistes et le développement normal des disciplines qui doivent concourir à la synthèse vivante et profitable.
Autrement dit, il ne faut pas prévoir des Plans.
Nous navons pas de Plan de travail maintenant parce que nous sommes dans un régime où seuls ont un Plan ceux qui organisent lÉconomie mondiale pour la plus grande somme de bénéfices ou de dividendes. Nous sommes dans la société qui produit des automobiles que les usagers éventuels ne peuvent acheter, des fruits quil faut jeter, du vin quil faut brûler, du blé quon doit donner au bétail.
A lécole actuelle, même activité désordonnée et inconsidérée : on passe de longues heures à enseigner selon des techniques vieilles de cent ans parfois lhistoire, le calcul, la géographie, les sciences compliquées et livresques. Et puis, à lusage, on saperçoit quil y a eu maldonne, que la vie a dautres exigences et quil faut, à nos risques et périls, remonter la machine.
Pour sortir de la crise les gouvernements ont dressé des Plans rigoureux dactivité.
Si nous voulons travailler méthodiquement, effectivement, productivement dans nos écoles, il nous faut de même notre Plan de Travail.
Mais ce PLAN DE TRAVAIL, il faut létablir.
On pourrait nous objecter quil existe bien à ce jour des PLANS DE TRAVAIL qui sont les programmes officiels, détaillés et élargis dans les manuels scolaires ; Mais ce sont des Plans de travail capitalistes, nés de la fantaisie ou de lintérêt de leurs initiateurs. Ils nont rien à voir socialement et humainement parlant, avec les PLANS DE TRAVAIL méthodiquement établis que nous préconisons.
Ces plans de travail ne peuvent pas être luvre des seuls spécialistes.
Il faut dabord connaître quelles sont les notions, qui, de lavis des usagers eux-mêmes, sont nécessaires à lenfant aux différents âges et plus spécialement à lenfant qui quitte lécole à 13-14 ans.
Il nous faut, par une vaste enquête, interroger nos anciens élèves et leurs parents, leur demander quelles sont, parmi les notions que nous leur avons enseignées, celles quils ont reconnues indispensables, celles dont ils nont aucune utilisation et quils ont laissé tomber. Il faut quils nous signalent les trous, les insuffisances qui se sont révélées à lépreuve de la vie.
Le résultat de cette enquête sera un élément pratique essentiel, car lÉcole est faite pour préparer lindividu social ; son rôle véritable doit être daider lenfant à sintégrer à la société pour y tenir utilement son rôle.
Tout doit être subordonné à cette fin que nous tâcherons dailleurs de mieux connaître et de préciser.
Nous interrogerons ensuite les dirigeants des grands groupes humains de défense et de travail, les militants de syndicats et de coopératives, les petits artisans et aussi les chefs dentreprise sympathiques en tenant compte cependant que ceux-ci jugent la formation des individus en fonction des frais dexploitation qui sont leur seule raison dêtre.
Nous aurons là le point de vue de la société qui attend du travail de lhomme une utilisation effective et profitable.