I – LA GUERRE ÉCLATE EN ESPAGNE

Extraits d’Enfantines n° 86
« Petit réfugié d’Espagne »

JADIS
Je suis un garçon de 12 ans.
Je naquis à Santander.
Je vivais avec mes sept frères et la dernière de la famille était ma petite sœur Maria-Cruz. Je l’aimais plus que les autres. Elle était blonde avec de beaux yeux noirs et des joues fraîches.
Quand je revenais de l’école et que j’arrivais à la maison, elle m’appelait : « Cholin ! Cholin ! » et elle riait…
Nous habitions une maison d’ouvriers dans la plus haute mansarde. Nous avions quatre pièces. Je dormais dans le même lit que mon frère Pierre.
Le soir, nous tardions beaucoup à nous endormir. Ma mère nous entendait et nous grondait.
Mon père pendant la nuit, n’était jamais à la maison. Il passait la nuit en mer, car il était machiniste sur un bateau. Le dimanche, il venait là avec nous en nous, alors, nous étions très contents, car mon père était très bon et pas une seule fois il ne nous a battus.
La vie était agréable.
Nous ne manquions de rien. Nous mangions tous à notre faim. Tous nous étions heureux, jusqu’au jour où arriva la guerre.

19 JUILLET
Le 19 juillet 1936, la guerre éclata dans toute l’Espagne.
A Santander, pendant la matinée, un commandant républicain s’échappa de la garnison et s’en fut chez le gouverneur dire tout ce que les rebelles étaient en train de comploter.

Alors, tout de suite, le peuple prit les armes prêt à se défendre. Nos ouvriers prirent les vieux fusils de chasse et les révolvers. Ils n’avaient ni fusils de guerre, ni mitrailleuses, ni canons. Ils élevèrent des barricades dans tout le quartier.
Les nationalistes, qui étaient très peu courageux, se rendirent tout de suite et les soldats gouvernementaux s’unirent avec le peuple armé.
Dans les rues, les miliciens allaient, bien équipés, avec leurs courroies et leurs révolvers. Ils défilaient en disant à voix haute :
-UHP ! UHP !
Ce qui voulait dire : Union des Frères Prolétariens.
Et des fenêtres les mères les applaudissaient, les larmes aux yeux, mais le cœur plein de courage. Dans les rues, nous, les petits enfants et les grands, nous les suivions, criant aussi :
-UHP ! UHP !
mêlant nos voix aux leurs.
Jusqu’aux petits enfants de un an qui criaient avec nous, levant leur petit poing au-dessus de leur tête.

BOMBARDEMENTS
Tous les jours, dix grands avions noirs venaient bombarder la ville.
Dans Santander, dès que la sirène sonnait, nous courions tous nous réfugier dans les abris. Le danger passé, nous ressortions dans la rue et la vie recommençait.

Nous n’avions presque pas de pain à la maison. Le peu que nous avions était très cher et trop rassis. La nuit, à une heure du matin, nous nous levions pour aller chercher le pain. Nous faisions la queue. Mais comme la queue était très longue, la moitié des gens devaient, vers les huit heures, s’en retourner sans pain.
Nous avions peu de provisions. Le matin, nous ne mangions souvent qu’un petit bout de pain. Pour pouvoir manger le jour, avoir un peu de viande, un peu de légume, des pommes de terre, il fallait aller faire la queue de 11 heures du soir à midi. Nous ne rapportions qu’une livre de pommes de terre pour cinq et pour la journée et une demi livre de viande. Le kilo de viande coûtait 30 francs, une livre de tomates 10 francs et un petit chou-fleur 15 fr.
Notre misère était grande.
L’école était fermée car, sans cesse, les avions la survolaient. Nous restions donc dans les rues à jouer aux miliciens. Nous faisions des parapets et, avec la terre, nous faisions des bombes que nous lançions d’un camp à l’autre.
Mais les aliments se faisaient de plus en plus rares. Chaque jour nous avions faim et ma mère était très triste de cela ; aussi, un jour, décida-t-elle de nous faire évacuer vers la France.
D’une part, j’étais content de partir, car les bombes étaient cruelles et j’avais peur de rester dans les décombres.
D’autre part, j’étais triste de dire adieu à ma mère et à mes frères. J’avais de la peine de ne plus les voir. En France, je venais vivre parmi des étrangers. Est-ce qu’ils seront bons pour moi ?