EXTRAIT DENFANTINES
AME DENFANT
N°101
Octobre 1939
Pourquoi ne maiment-ils pas ?
Jai 7 ans.
Tous les petits disent que je suis méchant.
Je ne comprends vraiment pas pourquoi. Moi, pour ma part, jaime tout le monde.
Jaimerais tant que tous les gens du monde saiment.
Dans le dortoir des petits, il arrive quelquefois quils ne maiment pas.
Quand nous allons nous coucher, le soir, ils disent de vilaines choses de moi.
Moi, je me couche. Je tire les couvertures sur ma tête et je nentends plus rien de ce quils disent de moi.
Tout dabord, cela me fait un peu de peine. Puis, je ferme les yeux et je mendors tranquillement.
Le matin à 6 heures, Albert vient et nous dit :
Il retire mes couvertures pour me réveiller. Moi, je men vais tranquillement me baigner et, tout de suite, je reviens me coucher.
Quand nous faisons nos lits, toujours « ils » me disent :
- Ne fais pas ton lit parce que tu le fais trop mal.
Il me semble que je fais mon lit aussi bien queux.
Cela ne me plait pas.
Moi, je ne dis rien et je men vais faire mon service.
Il arrive, quelquefois, quils me disent de ne point faire mon service.
Pourquoi ? Jai un service comme les autres et je dois le faire comme les autres. Pourquoi nirai-je pas le faire ?
Et si je tiens à le faire !
Si je ne le fais pas, maman ne sera pas contente.
Moi, jaime faire plaisir à maman.
Un jour, José Luis était en train de travailler.
Moi, jétais en train de regarder ce quil faisait.
Et toujours, toujours, les petits venaient me dire :
- Allez, va jeter les ordures de la cuisine !
Moi, je ne voulais pas y aller car José-Luis faisait de très jolies choses que jaimais à regarder.
- Va vider les balayures, disaient toujours les autres.
Moi je ny allais pas.
Alors, ils commencèrent à me battre. Moi aussi je les battais. Cétait la bataille.
Les petits ont gagné parce quils étaient très nombreux contre moi.
Moi, jétais seul.
Jose-Luis, lui, continuait à dessiner.
Quand jétais à la table des petits, toujours ils me donnaient la plus petite part de toute la table.
A moi, cela mimportait peu. Moi je la mangeais, même que ce soit la plus petite.
Le dimanche, quand il y a de la tarte, ils me donnent aussi la plus petite part. Mais à moi, cela mimporte peu car je ne suis pas de ces égoïstes comme eux.
De la soupe aussi ils men donnent moins quà eux.
Mais je la mange sans rien dire.
Un jour, un petit ma dit :
- Tu vois bien que maman ne taime pas !
Moi, je devins tout triste.
Pendant la matinée, je dis à maman :
- Maman, un petit ma dit que tu ne maimais pas.
Maman ma répondu :
- Oui, fripon, je taime, et beaucoup !
Jétais content, je suis allé en courant le dire aux autres :
- Tu as vu que maman maime !
- Oh ! ce nest pas vrai quelle ta dit cela. Elle ne taime pas, nous le savons très bien.
Et ils ne veulent pas le croire
Quelquefois, je me bats avec un camarade car lui aussi me bat.
Moi, je nai quà me défendre.
Pourquoi me laisserai-je battre ?
Je ne gagne pas toujours. Si je gagne, tous les autres arrivent et, ensemble, ils me battent à leur tour.
Alors, ce sont eux qui gagnent.
Ils gagnent, oui, mais parce que toute la bande est venue.
Il arrive que je me batte avec le plus petit de tous.
Cest lui qui gagne parce quil se met à frapper à coups de poing. Il me jette par terre comme une brute.
Moi je ne le frappe pas avec les poings parce que je ne veux pas lui faire mal.
Après la bataille, nous sommes tous les deux amis et tranquilles.
Alors, les autres disent au plus petit :
- Ne sois pas ami avec lui.
Et il me laisse seul.
Quand jétais venu ici, je ne savais pas du tout dessiner. Maintenant, jai appris.
Moi, je dessine avec maman et je suis très content de faire de belles peintures de toutes les couleurs.
Eux sont là en train de regarder ce que je fais. Et ils disent :
- Comme il est laid son dessin !
Ce nest pas vrai.
Moi, je ne dis rien. Mais en dedans de moi, je suis furieux.
Je sais que jai fait de très beaux dessins puisquon les a portés à une exposition à Paris.
Si par hasard un petit laisse tomber quelque chose par terre, ils disent tout de suite que cest moi qui lai volé.
Ce nest pas moi qui lai volé.
Les autres viennent à mes côtés et me disent :
- Voleur ! rends lui ce que tu lui a pris.
Je dis :
Alors, ils vont à mon casier et bouleversent tout pour voir si jai lobjet perdu.
Ils ne le trouvent nulle part mais toujours ils mappellent :
Moi, jaime tous les petits et pourtant, eux ne maiment pas
Je leur dis :
- Pourquoi ne maimez-vous pas ?
Ils se taisent et ne répondent rien. Moi aussi, je ne dis rien.
Si quelquun me dit :
- Pourquoi ne dis-tu pas le nom de ceux qui ne taiment pas ?
Je dis :
- Parce que je naime pas. Parce quensuite, ils maimeraient encore moins.
Moi je les aime quand même.
Moi jaime toute lécole Freinet et davantage maman Freinet parce que cest elle qui veille sur moi et qui me garde là.
Pourquoi maiment-ils ?
Si quelques uns ne m aiment pas, il y en a dautres qui, heureusement, maiment.
Ceux qui maiment sont les plus gentils de toute lEcole.
Il nest pas utile que je dise leur nom parce que, tous, ils savent que je veux parler deux.
Il est préférable dêtre aimé des bons que des méchants.
Pourquoi maiment-ils ?
Parce que je suis gentil avec eux ; parce que jai 7 ans et que je ne suis pas désagréable.
Je comprends quils maiment.
Pourquoi je le comprends ?
Parce quils rient quand ils me voient et quils me font des chatouilles sur le visage. Eux sourient et moi aussi.
Je navais pas de ceinture pour tenir mon pantalon et, toujours, ces maudits pantalons coulaient. Il fallait toujours que je les tienne avec ma main. Cétait très ennuyeux de tenir ainsi mes pantalons. Je ne pouvais jamais courir comme jaime courir.
Quelques fois, je mettais une cordelette pour quelle soutienne mes pantalons. Mais la corde ne serrait pas assez ou si elle serrait trop, elle me faisait mal à lestomac.
Cétait vraiment très désagréable.
Un jour, Fifi est allée à Nice. A son retour, elle ma appelé :
Je ne savais pas pourquoi elle mappelait, mais jallais vers elle, tout tranquillement.
- Tiens, prends ce que je tai acheté, dit-elle.
Je ne savais pas du tout ce que ce pouvait être. Je prends le paquet ; jouvre le papier.
Le papier était bleu.
A lintérieur, il y avait une ceinture.
Cétait une ceinture marron avec une boucle brillante. Je la trouvais jolie. Je ladmirai un moment et je dis :
- Oh ! quelle est belle, Fifi, combien ta-t-elle coûté ?
Elle ne me répondit pas. Quand on nous offre une surprise, jamais lon ne nous dit ce quelle a coûté.
Moi, je nai rien ajouté : jai essayé la ceinture pour voir si elle mallait bien.
Oui, elle mallait bien. Elle nétait ni grande, ni petite. Mais, toutefois, il manquait deux ou trois trous. Fifi dit :
- Demain, tu diras à Mémé quelle fasse des trous.
Ce que jai fait.
Maman maime beaucoup.
Est-ce que ça se voit qu elle maime ?
Oui, ça se voit.
Comment ça se voit-il ?
Parce quelle rit en me tirant loreille et me dit :
Et puis, je vois aussi quelle maime car, quand je vais près delle, elle me laisse à ses côtés. Même quand elle travaille, elle me répond si je linterroge.
Parfois, je vais planter des fleurs avec elle.
Elle les plante et moi je les arrose. Elle me dit :
- Donne à boire au bébé-fleur
Cela me fait rire et je travaille volontiers.
Jaime beaucoup dessiner avec maman. Aussi japprends à faire de beaux dessins.
Nous sommes là, dessinant et causant de tout ce qui se passe, de ce que jai vu en Espagne. Elle sait que jai à Madrid une petite grandmère qui, elle aussi, maime beaucoup.
Quand je reçois une lettre de ma grandmère, de suite, je vais la montrer à maman : quelquefois, maman lit les lettres avant moi.
Si lon me dit :
- Maman ne se fâche jamais contre toi ?
Je réponds :
- Oh ! cest peu de choses ! Puisquelle maime, quest-ce que cela peut faire quelle me gronde ?
Dailleurs, si je fais mal, je tiens à ce quon me corrige.
Et, si Maman ne mavait pas recueilli, où serai-je en ce moment ?
Je serai mort déjà par les bombes jetées sur lEspagne. Mais heureusement, comme Maman ma recueilli, je ne suis pas mort. Quelle chance dêtre vivant !
Maman maime parce quelle aime tous les enfants. Elle nous donne beaucoup à manger et, le dimanche, elle nous fait de lexcellente tarte.
Si lon me demande :
- Est-ce que Maman taime mieux que les autres ?
Je répondrais :
- « Pareil » que les autres. Si elle maime un tout petit peu plus, elle ne me la jamais dit
Tout dabord, javais dit que je ne dirais pas le nom de ceux qui maiment. Et voilà que jai dit le nom de Maman et de Fifi. Je vais dire aussi le nom de quelques autres, sinon, ils diront :
Oui, il y en a beaucoup qui maiment. Et même ceux qui me disent quils ne maiment pas, maiment aussi, mais ils ne veulent pas le dire
Et que font-ils pour que je voie quils maiment ?
Toutes sortes de choses gentilles : ils ne me frappent pas, ils ne me disent pas de vilains mots, ils me laissent leurs jouets. Mais, moi, en retour, je leur prête ma trompette, moi !
Il y a une petite fille qui maide toujours à faire mon lit. Elle range mon casier. Jamais ils ne me font rien de mal. Ils maiment