L’ÉDUCATEUR PROLÉTARIEN
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Avons-nous pris l’engagement de leur faire parvenir régulièrement du lait, du sucre, de la farine ?
Avons-nous changé en quoi que ce soit notre manière bourgeoise de vivre avec tout le superflu que cela implique, alors qu’on manque de l’indispensable ?
Avons-nous envoyé papier, crayons, cahiers, pour satisfaire ce besoin de s’approprier toutes les connaissances culturelles que ce peuple Espagnol manifeste à un tel degré ?
Les Sans-culottes de 89 partaient de par le monde propager les idées de Iiberté, et nous ne sommes plus capables même d'aider les autres à défendre les idées qu'ils ont fait leurs !
Et pourtant, nous, instituteurs, nous devrions bien comprendre qu’il ne nous est plus permis d'espérer quoi que ce soit d’un régime fasciste ou «simili-fasciste ». Nos camarades espagnols le savaient bien.
Almendros, cet inspecteur de Barcelone qui a réussi à rendre le mouvement Freinet officiel, qui s'est voué corps et âme à la culture du peuple et à la diffusion de ses techniques prolétariennes, me disait avec tant de résignation douloureuse : « Si les fascistes gagnent, nous serons les premières victimes, les seules peut-être, car on n’aura besoin d’ouvrier, mais on détruira toute velléité de libération culturelle ! »
Et, quand j'allais, m'émerveillant de toutes ces créations qui mettent l'Espagne au premier rang des nations civilisées, les camarades me disaient avec tristesse :
«  Certes, nous avons fait en quelques mois ce que d'autres ont mis des années à faire ou même à se proposer de faire, mais si tout cela doit être détruit ! »
Avènement de la République Espagnole, Poussée formidable vers la Culture Libératrice. Toutes les initiatives sont permises. Bourdonnement de la ruche au travail. Possibilités infinies qui nous stupéfient...
On propose la création d’écoles Dalton, Cousinet, Decroly...
Almendros obtient la création officielle d’une école Freinet.
Alors qu’en France si on avait pu même empêcher la réalisation de cette école, on l’aurait fait avec joie.
Pour construire son école, Freinet a dû gâcher le ciment, solliciter mille aides, la Généralité de Catalogne a installé l'école Freinet dans la résidence particulière de Madame la Marquise.
Un jardin magnifique entoure l'habitation recouverte de glycines, des statues se dressent contre le fond verdoyant des arbres. Une pièce d'eau où l'on peut nager est ornée en son centre d'une vasque fleurie. Tennis, jardin potager où les enfants travaillent véritablement et se partagent les produits au profit de la coopérative.
Il y a même les deux chiens de Madame la Marquise ! Un lévrier superbe et un pékinois grimacier.
Dans les grandes salles aux baies nombreuses, laquées de blanc ou rose, ou sobrement tendues d'étoffes chinoises, les classes sont installées .
Dans les halls les meubles et les tapis sont restés en place. Tout a été conservé avec un soin jaloux. Et les enfants évoluent dans un cadre somptueux sans paraître du reste impressionnés par la sobre élégance des lieux,
Le matin où j'arrive est justement un jour de grande liesse. Dans toutes les classes, sur tous les tableaux, il y a des lettres adressées à nos camarades Freinet ! « ils ont envoyé une caisse de vivres ! » et les enfants me disent en se pâmant d'aise la délectabilité des galettes aux raisins secs et des dattes ! Et la bonne soupe avec la semoule !
Et je pense que la France regorge de produits, et que tous ces petits ont les jambes si, si menues, et des figures si tirées !
Solidarité prolétarienne !!
Devons-nous remiser cet article dans Ies vieux décors de légende !
Almendros me montre les premières fiches de la Bibliothèque du Travail. Quelles possibilités infinies de travail, après la guerre ! Avec les imprimeries collectivisées, éditions de livres utiles réalisés pour la collectivité par des techniciens. Documents de toutes sortes, notre dictionnaire lancé à plusieurs milliers d'exemplaires ....

Rien d’impossible
Et notre mouvement prolétarien prendra la première place dans cette culture prolétarienne.
De nombreux camarades continuent leur travail de propagande là où ils se trouvent : milices de la Culture où l’on utilise les presses Freinet, écoles pour enfants réfugiés. Notre camarade Olmeda, échappé de Huesca par la montagne, dirige une école pour enfants difficiles et introduit immédiatement l'imprimerie dans sa nouvelle.
Il paraît même qu'on continue à imprimer en zone franquiste...
Vraiment, la terre d'Espagne est un champ illimité pour nos expériences ! Et je pense à mon émotion en voyant ces simples mots inscrits en haut de la porte d’entrée :

ECOLE FREINET
Généralité de Catalogne


Première école Freinet du monde entier !
Camarades espagnols, nous vous remercions de lutter pour nous, pour que nos espérances se réalisent, pour que tout ce que nous n’avons pas pu -ou pas su- créer en notre France, vous, vous le fassiez au prix de quelles luttes terribles et de quelles souffrances inouïes !
« Hommes libres du monde entier; soyez les bienvenus chez les hommes libres d'Ibérie, la Catalogne et l'Espagne vous saluent ! ", lit-on à la frontière.
Certainement les hommes d’Ibérie sont libres ! Mais, nous, pouvons-nous nous réclamer de cet état ?
Nous, qui avons accepté sans frémir qu'on assassine la liberté à quatre pas de nous ?

Lisette VINCENT.