L'IMPRIMERIE A L'ECOLE
 
J'avais lu les articles de Freinet dans Clarté, dans l'Ecole Emancipée. Mais j'avoue que je ne comprenais pas très bien.
 
Heureusement vint le voyage en Russie, aux vacances de 1925. Je vécus plusieurs semaines en compagnie de l'ami Freinet. Il me montra ses imprimés, m'expliqua son système.
 
Retour en France, reprise du collier quotidien, d'autres soucis, des ennuis divers... Mais je n'oubliais pas l'imprimerie. En octobre 1926 j'en fis l'acquisition.
 
Joie! Comme cette classe devint vivante. Besogne journalière qui m'apparaissait souvent comme une corvée et qui devient palpitante d'intérêt. Et pour les enfants donc!
 
Nous avons tâtonné. Bien des essais maladroits. Mais en imprimant, l'on devient imprimeur. Et chaque jour apporte un progrès.
 
Voici, au bout d'un an, où nous en sommes!
 
Plus de livre de grammaire. Les élèves griffonnent chez eux des textes d'une dizaine de lines sur les sujets les plus variés : la rue, la maison, leurs jeux, un cirque qui passe, le cinéma, leur jardin, les élections, une grève, un voyage, une farce, etc.
 
Au début de la classe, chacun lit son "papier" (et comme il s'attache à mettre en valeur l'intérêt de ses lignes!). Au début, je choisissais le plus convenable. Aujourd'hui, je leur laisse choisir eux-mêmes. Un vote à mains levées (pour abréger -et puis ils ne sont encore guère rompus aux roueries électorales!).

Le lauréat me remet sa feuille et passe au tableau. Je lui dicte son texte. Chemin faisant, nous corrigeons une impropriété, nous rectifions une tournure défectueuse, nous mettons entre guillemets un mot de la Sarthe, etc. voire de Belgique, de Suisse ou d'Espagne. On vote encore une fois : les meilleures pages sont collées au journal mural et le reste est distribué entre les jeunes imprimeurs.
 
En dehors des leçons de français, il y a toujours des volontaires, même au bout d'un an d'exercice, pour composer et imprimer des chants, une récitation, voire même des petits travaux pour le maître.
 
Puis, il y a les artistes, pas grand-chose à espérer du bois gravé ou du lino : c'est trop difficile pour leurs jeunes doigts. mais le camarade Leroux, de la Sarthe, nous a indiqué un procédé épatant : les élèves dessinent sur du carton, découpent leur dessin et le collent sur un bout de planche. Quel beau cliché!
 
Et comme on s'amuse ensuite à imprimer cette production du camarade de classe... et à en critiquer les imperfections.
 
Vers la fin de l'année, nous travaillons à un gros ouvrage : une brochure qui aura bien une vingtaine de pages! LA MINE ET LES MINEURS : textes et dessins de mes jeunes gaillards. Il y aura sans doute une vingtaine d'exemplaires disponibles (nous tirons à 100 : une rareté bibliophilique!). Avis aux amateurs : je les enverrai contre vingt sous de timbres.
 
Et Freinet a lancé une coo-revue d'enfants : LA GERBE, écrite et imprimée par eux. Elle en est à son troisième numéro et fort réussi, ma foi. Lui écrire à ce sujet à Bar-sur-Loup, Alpes-Maritimes.
 
 
Combien cela coûte-t-il? direz-vous. En chiffres ronds, je compte 400 francs. Ce n'est pas une affaire hein! Et comme cela vaut mieux que d'acheter des bons de la Défense Nationale!
 
Maurice WULLENS
Les HUMBLES - n° spécial de 1927