2e année - Numéro 8 Novembre 1927
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L'IMPRIMERIE A L'ECOLE
Bulletin mensuel de la Coopérative d'Entraide
L'IMPRIMERIE A L'ECOLE
C. FREINET
Bar-sur-Loup (Alpes Mar.) c/c Marseille 115.03
Trésorier de la Coopérative d'Entraide
R. DANIEL, Instituteur à Tréguno St Philibert
(Finistère) c/c Nantes 171.37
Abonnement aux 10 numéros de l'année : 10 Francs
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Le bulletin de l'Imprimerie à l'Ecole, est servi gratuitement à tous les adhérents. Nous l'adressons également à tous les camarades qui nous ont demandé des renseignements sur l'imprimerie. Nous sommes persuadés qu'ils auront à coeur de nous aider, en attendant de se joindre à nous.

 
NOUVELLES ADHESIONS (2e Liste)
Pour la première liste voir bulletin n°7
CORNEC, à Daoulas, Finistère
A. DEJON, à Scionzier, Haute Savoie
Mme CORNEC, à Daoulas, Finistère
R. CARAYON à St Jean d'Illac, Gironde 
L. SCHOULER, Le Petit-Betheny-Reims, Marne
MAUREL, à Valensole, Basses-Alpes
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CONGRES DE TOURS
et compte rendu des Travaux de l'année 1926-1927 (suite)


Quelques nouveaux adhérents m'ont dit leur crainte de ne pas trouver, dans les petites classes, un texte convenable par jour! L'expérience leur montrera bien vite qu'il n'en est rien. Il suffit de laisser  parler librement les enfants et de "choisir" parmi le tas "d'histoires" qu'ils ne manqueront pas de raconter... et des histoires intéressantes. "En tous cas, beaucoup plus que les autres années, dit encore Alziary, j'étais plus près des élèves ; nous nous comprenions mieux".
 
La place nous manque pour montrer tous les avantages pédagogiques de cette façon de procéder. Nous estimons que c'est là le seul apprentissage vraiment vivant du langage et de la rédaction ; et, qui plus est, parfaitement dans l'esprit des Instructions Ministérielles de 1923.
 
Dans ces classes, presque tous les camarades se metent à l'imprimerie dès le matin. Il est bon de combiner l'horaire pour que la composition soit prête vers 9H1/2. On imprime juste avant la sortie : les imprimeurs terminent le tirage pendant la récréation. A la rentrée de 10 heures tout est prêt.
 
Quoique partisans de l'incorporation complète de l'imprimerie au travail de la classe, nous maintenons le tirage pendant la récréation, parce qu'il y a toujours des volontaires pour ce travail. Mais nous affirmons bien que la composition et une partie du tirage doivent avoir lieu pendant la classe. Nous estimons cette technique suffisamment instructive pour la croire digne d'occuper les élèves quelques heures par semaine. Nous justifierons au besoin cette nécessité.
 
Les caractères sont quittés dans leurs cases, ordinairement aux moments perdus, quand on a fini un devoir, ou avant la rentrée en classe à une heure.
 
C..E. et C.M.- On peut, sans risque, laisser l'imprimerie envahir la classe dans un CP ou un CE. On peut suivre alors l'intérêt dominant des élèves, qui constitue vraiment le centre d'intérêt de la classe. Puis, pour cet âge, on tire facilement, de l'imprimé, les exercices nécessaires pour les autres disciplines.

Il nous faudra, certes, mettre cela au point. Mais l'adaptation de l'imprimerie aux classes uniques, aux CM et S devra surtout retenir longuement notre attention.
 
Quelques camarades pensent, en achetant l'imprimerie, l'employer utilement pour le tirage des résumés divers, des textes d'étude puissés dans une revue ou dans un livre. Ce serait l'imprimerie au service des méthodes actuelles d'enseignement.
 
Notre expérience nous pousse à dire à ces camarades qu'ils courent à une désillusion.
 
Oui, il vous sera possible, avec le matériel que nous faisons livrer, d'imprimer tel texte qu'il vous plaira. Mais s'il ne plaît pas à vos élèves, vous n'obtiendrez d'eux rien de bon en fait de travail à l'imprimerie. Si, au contraire, ils s'intéressent pleinement à leur travail, ils imprimeront avec un enthousiasme jamais lassé ; tous nos camarades l'ont constaté.
 
Est-ce à dire qu'on ne doit jamais imprimer aucun texte d'adulte? Non pas ; mais seulement quand ces textes sont parfaitement dans le centre d'intérêt des enfants, et dans le centre d'intérêt véritable.Ce travail ne sera jamais, malgré tout, l'essentiel.
 
Jusqu'à ce jour, l'imprimerie a été employée sans méthode. Elle inspire à l'enfant l'enthousiasme pour la rédaction dont parlent les Instructions Ministérielles. Les maîtres en ont seulement profité. Les élèves ont apporté denombreuses rédactions parmi lesquelles on n'a eu qu'à choisir.
 
Il faudra systématiser davantage l'emploi de l'imprimerie. Grâce à cette technique la composition et la rédaction ont retrouvé leur vraie raison d'être : la communication de la pensée à de nombreux autres élèves éloignés dans l'espace. Il faudra rechercher davantage, non pas ce qui est commun à tous les enfants, leurs jeux, leurs sentiments, leur vie ordinaire, mais ce qui "apprendra" quelque chose à leurs camarades. Monographies, statistiques, descriptions diverses ont alors un but. L'emploi de l'imprimerie aura ainsi son maximum d'effet éducatif.
 
Comme "méthode" de travail, tout est encore à trouver. Aucun emploi du temps fixe ne s'et encore fait jour. En général, on profite des moments perdus ou des récréations. Nous signalerons cependant, la très intéressante expérience de notre camarade Jayot, qui a adapté l'imprimerie au libre travail par groupes, selon la méthode Cousinet. Ses élèves impriment librement leurs productions libres, au moment qu'ils désirent. Nous reviendrons longuement, sous peu, sur cette expérience qui nous prouve combien l'imprimerie est le complément merveilleux de quelques autres pratiques scolaires que nous ferons connaître à nos lecteurs.
 
Nous ne pouvons donc que dire pour l'année : Profitez de notre mieux de l'enthousiasme que l'imprimerie fera naître dans votre classe. Orientez-vous résolument vers un enseignement libéral ; vous n'aurez guère de désillusion. En cours d'année et en commun, nous préciserons minutieusement la technique, car c'est là la tâche urgente. Nous vous apporterons aussi des matériaux qui vous aideront pour l'individualisation de votre enseignement. Un prochain numéro parlera des fiches auto éducatives employées par quelques-uns d'entre nous. Enfin, nos Gerbes vous apporteront des outils de travail dont nous étudierons le meilleur emploi.
 
Cours supérieurs. Ecoles professionnelles et Ecoles Normales. - L'imprimerie commence à pénétrer dans ces écoles. Malheureusement, les maître n'envisagent parfois l'emploi que pour des tirages de résumés, de tableaux synoptiques, etc...
 
Nous répétons que, si elle n'est employée qu'à ces fins, si elle reste asservie au régime scolaire actuel, l'imprimerie ne sera qu'un outil sans vigueur, dont il ne faut attendre aucune régénération radicale de l'enseignement. Mais nous espérons ue la voie montrée par nos écoles primaires élémentaires qui vivent, écrivent et lisent dans la joie, influencera les écoles trop formalistes et les aidera à faire triompher dans l'enseignement cet esprit de vie, d'intérêt profond, sans lequel il ne peut pas y avoir d'éducation vraie.


Les échanges interscolaires

 
Les échanges interscolaires sont le complément nécessaire de l'imprimerie à l'Ecole. Jusqu'à ce jour, les échanges épistolaires entre classes diverses n'ont jamais donné que des résultats éducatifs insuffisants. Nos échanges d'imprimés ont une autre ampleur et une autre portée -et aussi une assise psychologique autrement solide.
 
L'étroitesse de ce Bulletin nous oblige pour l'instant à employer ces pages d'une façon presque exclusivement pratique. Mais nous reviendrons sur ces questions théoriques, si besoin est.
 
Nous avons organisé deux sortes d'échanges :
 
1 - Un échange régulier entre deux classes.
 
En plus de ses exemplaires propres, chaque classe tire de chaque imprimé un exemplaire pour chaque élève de la classe correspondante.
 
Une classe pourvue d'une correspondance possède donc pour chaque élève : le livre de vie de la classe, constitué au jour le jour -et le livre de vie de la classe correspondante, constitué également au jour le jour. Les deux vies se pénètrent ainsi et se complètent. On devine quelle riche moisson d'enseignements on peut puiser dans un travail entièrement basé sur ces Pages de vie.
 
Des envois de dessins, de cartes postales, de fruits ou plantes de la région complètent à merveille cette correspondance. Tout notre travail scolaire a enfin un but : quand nous écrivons, quand nous dessinons, quand nous préparons un cliché, quand nous apportons des fleurs, ce ne sont pas là des occupations scolaires mortes ; ce sont des travaux véritables servant les acquisitions scolaires et l'éducation.
 
Les envois d'imprimés peuvent se faire tous les deux ou trois jours, ou deux fois par semaine. Il suffit que cette correspondance soit assez fréquente pour qu'elle permette aux enfants de suivre pas à pas la vie de leurs petits camarades.
 
Ces envois se font en général à 0F02. Pour avoir le moins d'ennuis possibles avec la poste, il est recommandé de leur donner l'aspect parfait de publications périodiques. Les 25 ou 30 imprimés semblables, destinés à l'école correspondante, sont légèrement brochés ensemble, sous couverture de journal bi-mensuel (agrafés avec un bout de fil). L'enveloppe est soigneusement préparée à l'avance : adresse imprimée, ainsi que le titre du journal. Des échanges réguliers semblables ont parfaitement fonctionné l'an dernier. Cette année, quinze couples de correspondants sont déjà fixés et collaborent depuis la rentrée. Cela n'entrapine pratiquement -grâce à l'imprimerie- aucun frais supplémentaire et donne aux classes une vie nouvelle, rarement obtenue jusqu'à ce jour.
 
2 Des échanges bi-mensuels entre les classes travaillant à l'imprimerie
 
En plus des imprimés pour la classe et de imprimés pour la classe correspondante, nous tirons chaque fois un certain nombre d'exemplaires supplémentaires qui, à la fin de la quinzaine, sont réunis sous couverture spéciale de journal bi-mensuel et constituent ainsi de vrais journaux périodiques. Et, non seulement des journaux "pour rire", mais des journaux légaux, déclarés au Procureur de la République et jouissant de tous les droits d'imprimés périodiques, notamment l'envoi à 0F02 par exemplaire.
(Je tiens à la disposition des camarades qui en auraient besoin, quelques exemplaires restants du Bulletin N°3, où ont paru les instructions pour la déclaration des journaux scolaires.)
 
Nous avons à ce jour une quarantaine de journaux semblables : Livre de Vie, Notre Vie, Récits de la Charnie, En s'amusant, etc...
 


Utilisation des imprimés d'échange

 
Notre but n'est cependant pas d'imprimer un grand nombre de journaux, mais de faire servir de notre mieux pour l'enseignement ceux que nous désirons recevoir.
 
Au début de l'année dernière, alors quenous n'avions encore que cinq ou six correspondants bi-menseuls, nous collions sur affiches dans nos classes les imprimés reçus. Mais ces tableaux parlaient insuffisamment à l'esprit des élèves. Wullens (CM) utilisait les envois bi-mensuels pour la donfection de "journaux muraux". D'autres camarades classent les imprimés selon les enesignements apportés : mode de vie - végétation - jeux - notions de géographie, etc.... et les collent sur des tableaux spéciaux ou les relient en petits livres qui sont ensuite lus librement par les élèves.
 
Mais le nombre de classes imprimant a augmenté très rapidement. Nous approchons de la cinquantaine. Il faut absolument que nous travailions à tirer de nos échanges le maximum d'intérêt et de profits.
 
Je crois l'opinion d'Alziary (Var), très fondée : en général nous ne tirons pas des échanges tous les enseignements possibles. Il faut que nous nous gardions d'une déformation dangereuse : parce qu'il nous est possible d'avoir 20, 30, 40 correspondants, bientôt davantage encore, allons-nous nous évertuer pour recevoir chaque quinzaine un stock impressionnant de journaux que nous arriverons à peine à lire ?
 
Certains camarades réclament 20, 30, 40 correspondants ; d'autres en voudraient moins d'une dizaine.
 
Il faut, je crois, chercher l'explication de cette différence dans l'évolution des intérêts de l'enfant.
 
Dans les petites classes les élèves ont besoin d'avoir, pour leurs correspondances, quelques points d'appui suffisamment précis. Pour eux, Trégunc, Lyon, Sailly ne sont pas très éloignés l'un de l'autre, et, quelles que soient vos explications, vous ne parviendrez pas, avant un certain degré, à leur donner une idée précise de la distance. Si le nombre de correspondants s'accroît trop, les enfants s'y perdent : chaque livre devient alors impersonnel, donc moins vivant déjà.
 
C'est pour ces raisons qu'au degré préparatoire et élémentaire un échange régulier est d'abord souhaitable. Les élèves vivent alors avec leurs petits correspondants ; ils attendent leurs envois avec impatience ; ils travaillent pour eux.
 
Outre cette correspondance régulière, 5, 6, 10 correspondants bi-mensuels au maximum seraient suffisants. Il seraient répartis avec soin dans les diverses régions de la France. On pourrait lire et étudier en détail leurs envois et en tirer tous les enseignements nécessaires.
 
Pour le degré moyen, il y a divergence. Alziary pense que 8, 10 correspondants suffiraient à sa classe. Leroux, Jayot, Voirin, en réclament 20 à 30.
 
Nous nous appliquerons cette année à préciser la meilleure utilisation pédagogique de ces journaux d'échange.
 
Nous sommes en train de chercher une formule souple d'organisation qui permette à chaque classe d'avoir le nombre de correspondants qu'elle désire.
 
(A suivre)
 


La valeur pédagogique des textes d'enfants

 
On pourrait objecter que l'imprimerie permet, sans dépenses nouvelles, d'enrichir la bibliothèque en quantité, mais non en qualité, car la valeur littéraire des livres de lecture faits par les adultes -instituteurs, professeurs, inspecteurs- doit être bien supérieure à celle des textes écrits par les enfants.
 
C'est ce qui reste à démontrer. Nous jugeons trop les besoins des enfants avec notre mentalité d'adultes. Ce qui intéresse l'adulte, ce qui fait son admiration, ce qui l'instruit et le développe, peut être sans utilité pour l'instruction de l'enfant. Et l'expérience de cette année a montré que les enfants préfèrent lire les textes d'enfants comme eux plutôt que les oeuvres d’a...