Mon cher camarade,
Jespère que ma lettre dexcuse a pu te parvenir à Talence avant la fin du congrès. Javais assisté à la séance douverture en compagnie de Charlotte Audureau et javais entendu la lecture de la lettre du cher Alziary. Jai longuement promené, à travers la magnifique exposition, ma petite fille Lucette Jacquet, institutrice décole maternelle à Mérignac, qui a toutes les qualités requises pour rejoindre un jour le groupe girondin. Un incident fâcheux mais sans gravité ne lui a pas permis dassister à la réunion du jeudi. Jy aurais eu beaucoup de plaisir, mais par contre je ny aurais pas apporté grand chose. Jaurais pu seulement témoigner du dévouement des premiers membres de la CEL, Gorce, Marguerite Bouscarrut, Caps, Odette et Rémy Boyau, tous disparus à lexception de Caps, beaucoup plus jeune. Ma femme et moi nous nous réunissions avec eux tous les jeudis à Bordeaux pour discuter à la fois de la pédagogie Freinet et du peu orthodoxe syndicat dalors. Camblanes et Tabanac étant séparés de quelques kilomètres seulement, lorsquà partir de 1929, à force de quelles acrobaties, nous eûmes achetés un invraisemblable taco, nous allions parfois, après la classe, donner un coup de main à nos amis. Il nous arrivait de revenir chez nous à pied. Nous avons surtout collaboré à la constitution dun fichier, vieille idée dont je voyais la réalisation possible et aussi à l'esquisse du dictionnaire. Outre lemploi de limprimerie, j'ai été surtout un utilisateur du cinéma que j'employais que jemployais uniquement pour illustrer les leçons en classe, jamais pour organiser des séances récréatives.
En revenant de la guerre, en 1919, je fis lacquisition au moyen de ma prime de démobilisation d'une machine à écrire dont je voyais lutilisation à l'école et aussi dun projecteur cinématographique "Pathé Kok" muni dune dynamo car dans mon très petit village landais ou dans le bourg de Tabanac, il n'était pas question déclairage électrique. Cela me valut le sourire indulgent de ma famille "comme ça l'a rendu" et les sarcasmes des collègues. Les enfants, eux, en étaient heureux, nos enfants en tabliers noirs et sabots de bois.
L'électricité jaillit à Tabanac en 1929. La CEL me vendit un pathé-Baby que Boyau vint installer dans une classe dont je venais d'obtenir l'agrandissement et l'obturation presque automatique des ouvertures Lappareil était muni dune cuve à eau refroidisseuse qui permit pendant quelque temps d'obtenir des images fixes. le progrès était important, d'autant plus qu'il était plus facile de se procurer des films. La coopérative scolaire qui trouvait des ressources par la culture et la vente de plants de choux et de salades aidée du groupe des anciens élèves qui donnait des représentations théâtrales put acheter un nombre important de petites bobines utilisables à n'importe quel moment, à n'importe quelle occasion. Après lachat dune caméra par la CEL, nous avons essayé de tourner quelques films concernant les activités locales. Une équipe formée dOdette et Rémy Boyau, Jeanne et Paul Jacquet en tourna une série sur la vie dans la forêt landaise. Alziary se souvient il de celui que nous avions entre pris sur les bords du Bassin d'Arcachon avec la collaboration de ces jeunes institutrices de la Dordogne ? En 1959 de la pellicule 16 m/m fut confiée à un steward du "stella Polaris" voyageant autour du monde, aidé dun cinéaste de bord, il en tira un assez long métrage (coutumes de certaines peuplades dAfrique et d'Asie) qui accompagné de disques de musiques locales ne put guère être utilisé et pour cause. Qu'est devenu ce matériel ? Nous avons été mis à la retraite en 1941.
Lécole de Tabanac ne possède plus que quelques fiches et quelques numéros du BT dalors. Dans un moment de dépression, après la mort de ma femme, jai détruit quelques travaux d'élèves que javais conservés. Le courage me revient cependant lorsque Françoise Luc reprit le flambeau, l'éleva beaucoup plus haut et fit de l'école de Tabanac un des hauts lieux de l'Ecole Moderne.
Mon salut à tous - G. JACQUET