extrait de la Multilettre FIMEM 1.1992
Fatima Morais du mouvement Freinet du Nord-Est au Brésil nous
communique quelques extraits de cette conférence. Laissons
parler Paulo Freire...
En novembre 1990, a eu lieu à Olinda-Pernambuco (près
de Recife) au Brésil, le premier séminaire des
Éducateurs Freinet du Nord-Est. À cette occasion, une
conférence de P. Freire a permis de mieux comprendre que ces
deux pédagogues sont cousins, si pas frères!
Pour moi, Freinet est un pédagogue tellement important que je
pense que des thèses, des propositions diverses continueront
à se faire dans son sillage, durant le XXIe siècle,
prouvant ainsi la validité de sa pédagogie.
J'ai une grande admiration et du respect pour Freinet. Quand en 1961
s'est fondée l'Université de Recife, j'ai eu des
contacts avec des membres du mouvement Freinet international à
Paris. J'ai collaboré à ce moment mais malheureusement,
je n'ai pas eu l'occasion de le rencontrer.
Les rêves de Freinet sont aussi les miens. Il y a concordance
entre les objectifs: la lutte, l'engagement permanent pour une
éducation populaire, pour une école sérieuse qui
n'aurait pas honte d'être aussi heureuse. Cette école
est dans toute l'oeuvre de Freinet.
La foi de Freinet en l'importance du travail, c'est aussi ma foi:
Freinet a construit la notion de travail-jeu et de jeu-travail.
Il y a des questions à problèmes que je vois dans
l'éducation au Brésil et que Freinet a perçues
dans l'éducation en France, ces problèmes semblent
dichotomiques, en réalité, ils sont unitaires:
-La pratique et la théorie: elles ne peuvent pas se
séparer, elles forment un ensemble. La pratique scolaire est
une extension des événements de la pratique sociale. La
pratique qui se traduit par une idéologie
antidémocratique, anti-populaire, une idéologie
élitiste trouve son originalité dans des aspects de la
pensée au pouvoir.
La pratique et la théorie forment une unité
contradictoire: la pratique en tant que génératrice de
connaissances, de savoir n'est pas sa propre théorie. Parfois,
le savoir que la pratique a produit n'est pas suffisant pour
expliquer sa propre pratique, s'il n'est pas étayé
aussi par la théorie de cette pratique. C'est
l'élément de nature théorique qui va alimenter
à nouveau la relation entre la théorie et la pratique.
Pratique et théorie sont une unité indissociable.
Je propose aux enseignants de réfléchir sur leur
pratique car c'est la réflexion qui permet la
théorisation, une compréhension plus rigoureuse, plus
profonde de la raison d'être de cette pratique même et de
ses objectifs. L'école brésilienne souffre de trop
d'intellectualisme et de verbalisme oisif. Freinet les a
également dénoncés dès le début de
son action. Je les critique aussi mais je suis en faveur d'une
théorie qui donne un fondement à la pratique. En fait,
bizarrement, l'éducation a besoin d'être
théorique pour être pratique! Il y a des
différences entre être théorique et
être verbal. Le verbalisme, c'est
l'intellectualisme vide. Freinet a eu le souci de connaître les
circonstances concrètes de la vie de ses élèves,
leur réalité non pas une réalité
soi-disant universelle.
Comment est-il possible d'enseigner à Pierre si l'enseignant
ne sait pas comment Pierre vit ni quels sont ses désirs et ses
peurs? Il est important de connaître le désir de
l'élève car il a un impact fantastique sur
l'apprentissage.
Nous devons créer de nouvelles structures de travail et de
pouvoir dans l'école pour diminuer la distance entre la
théorie et la pratique.
Le travail intellectuel a une relation avec l'oisiveté de la
bourgeoisie et le travail manuel trouve son origine dans les classes
populaires. L'école continue à reproduire ce
schéma. J'organise actuellement une campagne au
Secrétariat de l'Education de Sao Paulo pour valoriser le
travail de tous ceux qui travaillent à l'école et pas
seulement l'enseignant car tous sont éducateurs,
indépendamment du fait qu'ils pratiquent un travail
manuel ou intellectuel. Ils discutent
ensemble des questions de droit, de sociologie, etc.., et ils
découvrent qu'ils ont un savoir.
... Une autre contradiction dans l'éducation au Brésil,
c'est la relation entre la pratique de la liberté et
l'autorité. Cette question a été
étudiée par Freinet et par moi-même. Ni la
liberté ni l'autorité ne doivent être
réduites dans la pratique démocratique d'une
société moins injuste, socialiste. L'autorité
n'est pas nécessairement autoritaire et la liberté
n'est pas nécessairement rebelle. Il s'agit plutôt d'une
sorte d'équilibre entre les deux.
Traduit et communiqué par F. Marais
Adaptation: H. Landroit