bulletin des Amis de Freinet et de son mouvement n°58 de décembre 19925 p.65

Des cousins en pédagogie:
Paulo Freire et Célestin Freinet


extrait de la Multilettre FIMEM 1.1992

Fatima Morais du mouvement Freinet du Nord-Est au Brésil nous communique quelques extraits de cette conférence. Laissons parler Paulo Freire...

En novembre 1990, a eu lieu à Olinda-Pernambuco (près de Recife) au Brésil, le premier séminaire des Éducateurs Freinet du Nord-Est. À cette occasion, une conférence de P. Freire a permis de mieux comprendre que ces deux pédagogues sont cousins, si pas frères!

Pour moi, Freinet est un pédagogue tellement important que je pense que des thèses, des propositions diverses continueront à se faire dans son sillage, durant le XXIe siècle, prouvant ainsi la validité de sa pédagogie.
J'ai une grande admiration et du respect pour Freinet. Quand en 1961 s'est fondée l'Université de Recife, j'ai eu des contacts avec des membres du mouvement Freinet international à Paris. J'ai collaboré à ce moment mais malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion de le rencontrer.
Les rêves de Freinet sont aussi les miens. Il y a concordance entre les objectifs: la lutte, l'engagement permanent pour une éducation populaire, pour une école sérieuse qui n'aurait pas honte d'être aussi heureuse. Cette école est dans toute l'oeuvre de Freinet.
La foi de Freinet en l'importance du travail, c'est aussi ma foi: Freinet a construit la notion de travail-jeu et de jeu-travail.
Il y a des questions à problèmes que je vois dans l'éducation au Brésil et que Freinet a perçues dans l'éducation en France, ces problèmes semblent dichotomiques, en réalité, ils sont unitaires:
-La pratique et la théorie: elles ne peuvent pas se séparer, elles forment un ensemble. La pratique scolaire est une extension des événements de la pratique sociale. La pratique qui se traduit par une idéologie antidémocratique, anti-populaire, une idéologie élitiste trouve son originalité dans des aspects de la pensée au pouvoir.
La pratique et la théorie forment une unité contradictoire: la pratique en tant que génératrice de connaissances, de savoir n'est pas sa propre théorie. Parfois, le savoir que la pratique a produit n'est pas suffisant pour expliquer sa propre pratique, s'il n'est pas étayé aussi par la théorie de cette pratique. C'est l'élément de nature théorique qui va alimenter à nouveau la relation entre la théorie et la pratique. Pratique et théorie sont une unité indissociable.
Je propose aux enseignants de réfléchir sur leur pratique car c'est la réflexion qui permet la théorisation, une compréhension plus rigoureuse, plus profonde de la raison d'être de cette pratique même et de ses objectifs. L'école brésilienne souffre de trop d'intellectualisme et de verbalisme oisif. Freinet les a également dénoncés dès le début de son action. Je les critique aussi mais je suis en faveur d'une théorie qui donne un fondement à la pratique. En fait, bizarrement, l'éducation a besoin d'être théorique pour être pratique! Il y a des différences entre être “théorique” et être “verbal”. Le verbalisme, c'est l'intellectualisme vide. Freinet a eu le souci de connaître les circonstances concrètes de la vie de ses élèves, leur réalité non pas une réalité soi-disant universelle.
Comment est-il possible d'enseigner à Pierre si l'enseignant ne sait pas comment Pierre vit ni quels sont ses désirs et ses peurs? Il est important de connaître le désir de l'élève car il a un impact fantastique sur l'apprentissage.
Nous devons créer de nouvelles structures de travail et de pouvoir dans l'école pour diminuer la distance entre la théorie et la pratique.
Le travail intellectuel a une relation avec l'oisiveté de la bourgeoisie et le travail manuel trouve son origine dans les classes populaires. L'école continue à reproduire ce schéma. J'organise actuellement une campagne au Secrétariat de l'Education de Sao Paulo pour valoriser le travail de tous ceux qui travaillent à l'école et pas seulement l'enseignant car tous sont éducateurs, indépendamment du fait qu'ils pratiquent un travail “manuel” ou “intellectuel”. Ils discutent ensemble des questions de droit, de sociologie, etc.., et ils découvrent qu'ils ont un savoir.
... Une autre contradiction dans l'éducation au Brésil, c'est la relation entre la pratique de la liberté et l'autorité. Cette question a été étudiée par Freinet et par moi-même. Ni la liberté ni l'autorité ne doivent être réduites dans la pratique démocratique d'une société moins injuste, socialiste. L'autorité n'est pas nécessairement autoritaire et la liberté n'est pas nécessairement rebelle. Il s'agit plutôt d'une sorte d'équilibre entre les deux.

Traduit et communiqué par F. Marais
Adaptation: H. Landroit