l'école buissonnière
MOULLÉ BRUNET Abellia
PUCHTA Annabelle
2ème année de licence
"information et communication"
Mai 2005, Semestre 4
Option cinéma
-analyse d'un film-
Sommaire
 
I. Introduction
 
II. L’École buissonnière : pourquoi, qui, quoi ?
1. Contexte
2. Générique
3. Le réalisateur, Jean-Paul Le Chanois
4. L’acteur principal, Bernard Blier
5. Synopsis
6. Segmentation du film
III. L’ École buissonnière : comment ?
1. Les personnages
A. L’instituteur
B. Les femmes
C. Les enfants
D. Qui sont les jeunes acteurs ?
E. Les rapports entre les personnages
2. La bande son du film
3. La narration
4. L’espace
5. Le temps
6. Un film « grand public » et non un documentaire
sur la pédagogie Freinet
7. Un symbole
IV. L’École buissonnière et les droits de l’homme
1. Résumé de la scène
2. Scénographie
3. L’ambiance
4. Un récapitulatif du film
5. Le « sacre » d’Albert 25
Conclusion
Bibliographie
Introduction
 
Comment choisir un film dans la masse qui existe, sachant que nous sommes des novices en matière de cinéma ? Nous avons donc demandé conseil. Le père d’Abellia est instituteur et exerce la pédagogie de Célestin Freinet et nous a proposé de travailler sur le film L’école buissonnière. D’après lui, c’est « un beau film » qui mérite d’être analysé, lui-même étant intéressé par le dossier que nous pourrions faire. Un film de 1949, période qui nous convenait, sur l’école, thème qui nous intéressait, nous avons donc visionné le film et décidé de travailler dessus.
Il s’agit d’un film avant tout destiné à présenter au grand public les méthodes de la pédagogie Freinet. Dans le même temps, L’école buissonnière est devenu LE film du mouvement, c’est presque un mythe ou, tout du moins, un symbole pour le mouvement car les membres y sont attachés sentimentalement. Nous allons donc voir comment ce film peut être vu et compris à des degrés différents, comment il peut intéresser un public non averti comme un public de spécialistes. Pour cela, nous évoquerons, dans un premier temps, le film de façon générale, son réalisateur, ses interprètes, son contexte. Puis, petit à petit, nous approfondirons en abordant les objectifs des producteurs, les éléments de scénographie et l’analyse d’une séquence.

L'École buissonnière : pourquoi, qui, quoi ?
 
Contexte
Nous allons commencer l’analyse de ce film par expliquer les raisons qui ont mené à sa réalisation.
L’École buissonnière est calquée sur une école qui a existé, une école « spéciale ». Elle était dirigée par Célestin Freinet, lequel, ancien blessé de la guerre 14-18. Revenu à la vie active, Freinet eut l’idée d’appliquer une méthode active aux enfants peu motivés par l’école. Il les amena à s’intéresser aux choses par des travaux pratiques. Jean-Paul Le Chanois, avec son côté humaniste, eut l’idée de faire un film retraçant l’aventure de Freinet pour faire découvrir ses méthodes d’enseignement.
Freinet et Le Chanois se connaissaient depuis quelques années, Le Chanois faisant partie du groupe qui avait réalisé un film produit par la CEL (coopérative de l’enseignement laïc), Prix et Profits, ou l’histoire de la pomme de terre, 1932. Non seulement le réalisateur s’intéressait aux méthodes de Freinet, mais Elise et Célestin Freinet, le couple, souhaitaient présenter leur pédagogie. C’est ainsi que l’idée prit forme, à la demande de Le Chanois. Élise Freinet, qui terminait alors son livre Naissance d'une Pédagogie Populaire, rédigea un synopsis (payé 50000F de 1948) pour servir de base au scénario.
Le film L’école Buissonnière sortit en 1949, soit quatre ans après la fin de la seconde guerre mondiale. À cette période, le parti communiste bénéficiait d’une large popularité, Célestin Freinet et Le Chanois y avaient leur carte d’adhérent. La maison de production du film se situait dans la mouvance du parti communiste. La réalisation du film fut mise en route, mais Freinet eut des désaccords avec le PC , il était trop « libre », il avait des méthodes bien spécifiques qui ne correspondaient pas à celles prônées par le parti. Le PC souhaita donc arrêter la fabrication du film, mais il n’était plus temps. Tout fut alors fait pour qu’aucune référence à Freinet ne transparaisse dans le film !


Intéressons-nous maintenant à situer le film dans l’histoire du cinéma.
Le film L’École buissonnière est sorti à l’époque du néo-réalisme italien. Né après la seconde guerre mondiale, marqué par les traumatismes qui en découlent, ce mouvement souhaitait changer le monde, il se voulait citoyen, tout comme Freinet qui voulait changer la société par l’école. Inscrit au cœur de la réalité politique et sociale de l’Italie libérée, le nouveau réalisme impliquait une prise de position du cinéaste face au réel, une exigence de témoignage, et privilégiait le tournage en décor réel.
Dans la nécrologie que Jean-Paul Le Chanois a écrit lui-même avant de mourir, il se dit « représentant du néo-réalisme français ». En effet, le cinéma de Le Chanois répond aux critères du néo-réalisme. Dans l’École buissonnière, il prit position pour témoigner de l’existence de novateurs et de méthodes d’enseignement qui lui semblaient bénéfiques. De plus, comme les réalisateurs italiens, il privilégia le tournage en décors réels, pour mieux traquer la réalité.
Pendant la deuxième guerre, la mode était davantage au cinéma d’évasion, pour se changer les idées. L’École buissonnière, malgré son thème assez sérieux, est loin de la démonstration pesante et laisse place à l’évasion, au divertissement, grâce à son rythme et sa fraîcheur. Cependant, il reste un film « classique » et non-innovant, surtout quand on le compare à Jour de fête de Tati, sorti la même année.

Générique

L´ École buissonnière
Jean-Paul le Chanois.
France, 1949, Comédie dramatique,
1 h 39 min, 35 mm, noir et blanc.

Réalisation :
Jean-Paul le Chanois
Scénario et dialogues: Jean-Paul Le Chanois, d´après un synopsis d´Élise Freinet
Musique : Joseph Kosma
Photographe : Léo Mirkine
Montage : Emma Le Chanois
Production : Coopérative Générale du Cinéma Français, et Union Générale Cinématographique
Studios :
La Victorine à Nice
Extérieurs : St-Jeannet – Vence – Gattières – région niçoise.

Interprètes :
Bernard BLIER (Monsieur Pascal) – Juliette FABER (Lise Arnaud) – Edouard DELMONT (M. Arnaud) – Jean-Louis ALLIBERT (le Novateur) – ARIUS (le Maire) – ARDISSON (M. Pourpre, le coiffeur) – AQUISTAPACE (l’antiquaire La Verdière) – MAUPI (le pharmacien Alexandre) –
Dany CARON (sœur d’Albert, la servante Cécile) – Pierre COSTE (Albert) …
  … et des enfants de l’École Freinet de Vence et des environs.

Sortie : Paris le 8 avril 1949
Distinctions:
-1er Prix du Festival de Knotte-le-Zutte.
-Prix au Festival de Carlovy Vary.
-Prix de Mérite du Meilleur Film Étranger (présenté à New-York sous le titre de « Passion for Life »).
-Patronage par le Conseil de l’ONU


Premièrement nous pouvons noter la présence de la femme du réalisateur (sa deuxième) en tant que chef-monteuse.
En ce qui concerne le générique présent sur la copie du film, voilà ce qu’il faut remarquer :
Tout d’abord, le générique se trouve au début du film sur un fond d’images mouvantes nous
faisant découvrir le paysage provençal où se déroule le film. De plus, la liste des acteurs est divisée en catégories : les hommes en premier, puis les femmes, les examinateurs et enfin, « les gosses ».
Le titre est noté deux fois, en tant que titre et en tant qu’expression :
Dans
un film de
JEAN-PAUL
LE CHANOIS
L’ÉCOLE
BUISSONNIÈRE

LES GOSSES:
ALBERT, le grand chef
PIERRE COSTE
ET
LES ENFANTS
VENUS DE PLUSIEURS VILLAGES
DE PROVENCE
FAIRE...
l’école
buissonnière...

À noter également qu’au sein de la liste des acteurs, le nom de Maupi est encadré, peut-être est-ce pour lui rendre hommage car il est décédé juste après le tournage, en janvier 1949.
Mais, le plus remarquable est l’absence du nom de Freinet au générique. C’est d’ailleurs pourquoi il intenta un procès contre la production, procès qu’il gagna en imposant un nouveau générique dans lequel figurait son patronyme lié aux autres pionniers de la pédagogie nouvelle (voir ci-dessous). Seulement, la vie du film était déjà faite.

Ce film est dédié à
Madame Montessori, Italie
Messieurs Claparède, Suisse
Bakulé, Tchécoslovaquie
Decroly, Belgique
Freinet, France
Pionniers de l'Education Moderne
Le réalisateur, Jean-Paul Le Chanois :
Homme engagé politiquement, sa carrière de réalisateur s'amorce comme documentariste pour le Parti Communiste Français en 1936. Sous le pseudonyme de Jean-Paul Dreyfus, il fait la connaissance des frères Prévert, qui l'accepte au sein du groupe Octobre, union qui donnera Le Temps des cerises, un film pro-Front Populaire. Pendant la guerre, il travaille pourtant comme scénariste à la Continental, société allemande chapeautant le cinéma français d'Occupation, ce qui ne l'empêche pas de réaliser un superbe documentaire sur la Résistance dans le Vercors : Au cœur de l'orage. Après-guerre, sa filmographie s'oriente vers le mélodrame social. L'École buissonnière est une réussite.
Étant fidèle en amitié, on retrouve souvent autour de lui les mêmes acteurs et techniciens.
Le Chanois a de bonnes idées, mais on lui reproche souvent la vacuité de ses mises en scènes. Côté adaptations, il s'attelle aux monologues de Robert Lamoureux avec Pierre Véry et Marcel Aymé dans Papa, maman, la bonne et moi, qui, malgré une interprétation hors pair se fera éreinter par la critique. En 1957, il adapte pour Pathé Les Misérables. Pour lui cette superproduction est une sorte d'achèvement dans sa carrière. Le film est tourné aux Studios DEFA en Allemagne de l'Est et subit d'importantes coupes (le film durait initialement cinq heures). Il passera par le film de « capes et d'épées » avec Mandrin, bandit gentilhomme qu'interprète Georges Rivière et retrouvera Jean Gabin en faux-monnayeur dans Le Jardinier d'Argenteuil.
II obtint ainsi de grands succès populaires dans des films simples, de style traditionnel, souvent teintés d'humanisme. C’est ce style qui fit de lui une des cibles favorites de la critique issue de la Nouvelle Vague.
Il assura le plus souvent, en véritable créateur, l’adaptation, le scénario et les dialogues de la plupart des films qu’il réalisa et mit en scène.
L’acteur principal, Bernard Blier
Fils d'un biologiste de l’Institut Pasteur, Bernard Blier est né au cours d'une mission de ce dernier en Amérique du Sud en 1916. Rêvant de devenir comédien, il s'inscrit au cours de Raymond Rouleau et de Julien Bertheau, il est recalé à trois reprises à l'examen d'entrée au Conservatoire, avant d’être enfin admis, grâce aux encouragements de Louis Jouvet.
Déjà le cinéma le réclame: en 1937, il débute dans Trois, six, neuf de Raymond Rouleau et Gribouille de Marc Allégret. Au théâtre, on le voit dans Mailloche et l'Amant de paille. Marcel Carné lui confie le rôle de l'éclusier d'Hôtel du Nord, en 1938. La même année, il est de l'équipe d'Entrée des artistes aux côtés de Louis Jouvet. Pendant la guerre, démobilisé, il accumule les rôles de composition, à l'écran (le plus pittoresque étant celui du neveu ahuri de Marie-Martine, auquel Saturnin Fabre intime de tenir sa bougie... droite.) et à la scène (Mamouret, Mademoiselle de Panama). En 1947, il s'impose dans le rôle du pianiste paumé de Quai des Orfèvres, de H-G. Clouzot (de nouveau avec Jouvet). Ses prestations contrastées de Dédée d'Anvers (un mauvais garçon), Manèges (un mari minable) et l'École buissonnière, achèvent de lui valoir la notoriété. Dans les années 50, il continue à travailler avec Jean-Paul Le Chanois dans les films Sans laisser d'adresse, Agence matrimoniale, les Misérables, où il joue le rôle de Javert. Son physique attire l'attention des Italiens qui l'emploient habilement dans la Grande Guerre (M. Monicelli) et le Bossu de Rome (C. Lizzani). Il continuera par la suite à se partager entre la France et l'Italie, alternant avec aisance les rôles de grand bourgeois, de truand, de ganache et de cabot solennel. Michel Audiard et Jean Yanne le prennent comme mascotte dans presque tous leurs films.
Bernard Blier eut deux enfants : Brigitte et Bertrand, devenu romancier et cinéaste (il a dirigé son père dans Si j’étais un espion, Calmos et Buffet froid).
Bernard Blier a obtenu en 1973 le prix Balzac, au théâtre, pour son rôle dans le Faiseur.

Synopsis
Un instituteur (M. Pascal) revient de guerre et arrive dans un village pour remplacer un instituteur qui prend sa retraite. Il amène avec lui des méthodes d’enseignement moderne dans un village encore très traditionnel (fort accent, les hommes jouent à la pétanque (cf. image du film), les femmes sont à la maison). Les villageois sont donc sceptiques face à cette pédagogie nouvelle, ouverte sur la découverte de la nature et l’expérience directe des choses, eux qui sont habitués au vieux système rigide du bourrage de crâne.

En dehors des enfants qui vont et qui viennent, il y a un cancre, Albert, qui a 15 ans et qui n’a toujours pas réussi son certificat d’études. Pour prouver le bien fondé de ses méthodes et garder son poste, le conseil municipal pose un ultimatum, M. Pascal doit faire en sorte que tous les élèves obtiennent leur certificat. Ce qu’ils font brillamment, y compris Albert.

Segmentation du film
Le film peut être découpé en 6 parties :
L’introduction. Cette partie est très courte, 2 minutes, mais elle est fondamentale. Il s’agit d’un bref récapitulatif de la vie du héros avant qu’il devienne instituteur, c’est-à-dire, sa vie lors de la première guerre mondiale. Pour cela, un texte défile sur fond d’images montrant l’arrivée en train du personnage principal (lire ci-dessous). Ces informations sont importantes puisque c’est après avoir vu et vécu une telle boucherie humaine qu’il a souhaité changer l’homme grâce à l’école, faire la révolution sociale en passant par les enfants, son « slogan » : “Voir dans l’enfant d’aujourd’hui l’homme de demain.”
Ceci est l’histoire d’un combattant
de la guerre 1914-18, qui en revint
avec l’espoir qu’elle serait la dernière.

Il était sorti de l’Ecole Normale
d’Instituteurs en Juillet 1914...
Sa première classe fut la bataille
de la Marne...

Pendant 4 ans il n’eut d’autres élèves
que les hommes qu’il commandait.

Grièvement blessé en 1918, il traîna
un an d’hôpital en hôpital,
n’ayant qu’une hâte et un désir:

exercer enfin son métier d’éducateur,
préparer une vie plus belle,
et tout recommencer avec les enfants,
car ils sont eux-mêmes
un commencement.

La scène d’exposition (17 min). M. Pascal arrive au village. On nous montre l’ambiance (populaire) ; on nous présente les personnages principaux. Ainsi, nous découvrons les éléments de l’histoire en même temps que l’instituteur.
M. Pascal et sa pédagogie (45 min). Petit à petit, nous prenons connaissance des méthodes modernes de l’instituteur, sa façon de travailler, ses relations avec les enfants.
Les critiques de certains villageois (30 min). Le réalisateur montre comment les nouvelles méthodes d’enseignement sont confrontées à des opinions réactionnaires.
La scène finale du certificat d’étude (10 min). C’est une scène essentielle. Il s’agit de la séquence que nous avons décidée d’analyser.
L’épilogue. L’histoire du film est vraie, mais romancée, la fin se veut donc belle et traditionnelle, l’institutrice et l’instituteur, qui étaient opposés au début, sont amoureux, les enfants réussissent leurs examens, autrement dit, tout va bien dans le meilleur des mondes.

Le film est placé dans un cadre. En effet, dans la séquence d’introduction nous voyons des enfants au bord d’un torrent, puis on les retrouve au village, inscrivant « Vive Boufartigue » sur la route pour encourager un cycliste lors d’une course.

Puis, dans la dernière séquence, nous retrouvons le torrent, au bord duquel se promènent l’institutrice et l’instituteur, et les enfants, qui écrivent sur la route « Vive M. Pascal ».

L'École buissonnière : comment ?
 
Les personnages
L’instituteur
 
Observons que l'instituteur apparaît comme un novateur isolé. À part son correspondant breton, aucun de ses collègues ne semble échapper au traditionalisme et la notion de mouvement pédagogique est totalement absente. Ce qui ne l’empêche pas de s’en sortir haut la main. D’ailleurs, certains connaisseurs critiquent cette facilité. Les attitudes de Bernard Blier laissent croire à une facilité déconcertante de l'enseignant mettant en place l'organisation de la classe: mains dans les poches, il semble très à l'aise dans une situation qui demanderait beaucoup de concentration.
Les femmes
Observons aussi, dans le film, l'attitude des femmes, percevant mieux que les hommes, les transformations opérées dans le comportement des enfants par l'action de M. Pascal. Elles prennent plus massivement et plus énergiquement position en sa faveur au moment du conflit.
D’ailleurs, dans les années cinquante, les magazines féminins diffusent largement la critique de l’éducation autoritaire traditionnelle pour prôner des rapports de confiance avec les enfants et les enquêtes montrent que l’évolution se fait d’abord à l’initiative des mères.
On peut noter dans le paysage cinématographique français entre 1940 et 144 un renversement du rapport personnages-acteurs masculins / féminins. Le cinéma d’avant-guerre privilégiait les premiers rôles masculins, alors que le cinéma d’occupation va mettre plus souvent des femmes aux commandes, comme, par exemple, Jean Stelli dans Le Voile bleu ou Robert Péguy dans Les ailes blanche (1942). Jean-Paul Le Chanois nous montre des femmes au foyer, travaillant à laver le linge ou faire la cuisine tandis que les hommes sont artisans. Il s’agit là d’un point de vue très traditionnel, fidèle au milieu dans lequel se déroule le film, Le Chanois n’a pas dérogé à la tradition et à la réalité dans un souci féministe. En 1950, dans La belle que voilà avec Michèle Morgan, il aborda plus concrètement le travail des femmes et son évolution et les changements qui en découlent depuis la guerre.
Les enfants

Après l’innocence quelque peu surfaite, made in Hollywood, des années 30 à 50 puis la cruauté démoniaque des années 60-70 (par exemple, Le village des damnés de Wolf Rilla), l’image de l’enfant des années 80 au cinéma est celle d’une perpétuelle quête (comme celle de Momo dans La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez). En revanche, le néo-réalisme italien, dans lequel l’enfance a été l’un des thèmes privilégié, parle différemment des enfants. En effet, les jeunes héros du néo-réalisme italien représentent davantage l’enfance « quelconque », comme dans Le voleur de bicyclette de Vittorio De Sica.

L’École buissonnière n’est pas un film sur l’enfance, mais sur une pédagogie. Le réalisateur ne centre pas sur les enfants comme le fit Truffaut sur Antoine Doinel. Cependant, il nous montre comment étaient vus les jeunes à l’époque et ce qui pouvait être changé à cet égard.

Les enfants dans l’École buissonnière
Au début du film, on nous montre des enfants plutôt « sauvages », ou du moins dissipés, rêveurs (cf. images du film), plus manuels qu’intellectuels, faisant des bêtises, se bagarrant, n’aimant pas l’école. Par exemple, dans la séquence d’introduction, les enfants sont au bord du torrent, ils se salissent, se mouillent au risque d’être malades, ensuite on les voit écrire sur la route en faisant des fautes d’orthographe.

Quelques temps après, lors de leur première rentrée avec M. Pascal, alors que ce dernier leur demande d’écrire, les rédactions sont très courtes, pas plus d’un à deux phrases. Autrement dit, il y a du travail à faire avec ses enfants pour les intéresser puis pour les instruire.
Petit à petit, nous percevons les progrès de chacun, les progrès dans leur attention, leur participation (ils lèvent le doigt et sont très volontaires, cf. image du film), leur écriture, etc. Enfin, au terme de l’année scolaire, tous les élèves en âge à passer le certificat d’études, l’obtiennent, chose inespérée au début de l’année. On nous montre alors des enfants intéressés et intéressants, pleins de bonnes initiatives et de bon vouloir.

Qu’est ce que cela signifie ?
Premièrement, cela montre la réussite de l’instituteur qui, avec ses techniques et sa pédagogie, est parvenu à instruire et éduquer les enfants. D’autres films font ainsi l’éloge d’un professeur exemplaire, on peut citer Le cercle des poètes disparus (1990) avec Robin Williams, Sister Act (1992) avec Whoopi Goldberg, ou encore Le sourire de Mona Lisa (2003) avec Julia Roberts, dans lesquels le professeur sort ses élèves de leurs problèmes grâce à des méthodes de travail originales, plus attractives et une ambiance plus chaleureuse.
Par ailleurs, cela met en valeur les enfants et prouve qu’on peut les traiter différemment, moins durement que ce qui était pratiqué à l’époque dans les écoles et que cela n’altère en rien, et même au contraire, leur apprentissage.
Un des principes de Freinet est de trouver une activité à chacun, que tous les élèves se sentent utiles. Par exemple, dans le film, M. Pascal demande à Albert de s’occuper du bois pour chauffer la classe, il devient donc le responsable du chauffage. Responsabiliser les enfants est un sujet qui revient dans plusieurs films, notamment dans La cage aux rossignols de Jean Dréville avec Noël Noël ou dans son remake, Les choristes. En effet, dans ces films, le surveillant nomme un élève « pupitre » et un autre, « garde-malade ».
 
Qui sont les jeunes acteurs ?
 
Le rôle clé d'Albert est confié à Pierre Costes. C’est un jeune acteur qui a dépassé l'âge du rôle mais a su convaincre le réalisateur en se présentant aux essais, habillé en écolier de l'ancien temps.
Pour les autres rôles d'enfants, on a fait appel à des petits niçois, habitués à la figuration dans les studios de la Victorine, et à des gamins remarqués au cours des repérages. Plusieurs enfants de l'école Freinet complètent la distribution, tant pour la classe des garçons que pour celle des filles. Le Chanois a trouvé plus commode, pour les tournages en extérieur (à Saint-Jeannet ou au bord du torrent), de loger les petits acteurs à l'école Freinet. C'est Michel Bertrand, instituteur à l’école, qui accompagne et encadre l'ensemble de ces enfants, élèves ou non de l'école, en dehors des moments de tournage, de septembre à novembre 1948.

Célestin Freinet a intenté un deuxième procès à la production, cette fois-ci au sujet du travail des enfants. D’après lui, les jeunes acteurs avaient été exploités pendant le tournage, mal payés… Ainsi, dans un article intitulé Contre l'exploitation par le cinéma des enfants acteurs, Freinet critique sévèrement les conditions de tournage (après un réveil à 5h30, départ en car à 6h pour le studio de la Victorine, attente sous la chaleur des projecteurs, le visage couvert de maquillage, répétition des scènes jusqu'à une quinzaine de fois).

Les rapports entre les personnages

Dans beaucoup de films sur les enfants, les adultes paraissent égoïstes, indifférents, violents, faibles et incapables de répondre aux besoins des enfants. C’est le cas dans Les 400 coups de Truffaut où les seuls rapports existants sont des rapports de force, mais aussi dans Zéro de conduite, dans lequel, tout au long, le monde des adultes et celui de l’enfance se croisent, mais ne se comprennent pas, ne fusionnent pas.
En revanche, dans l’École buissonnière, les rapports ne sont pas si mauvais et ils évoluent. Ainsi, au début, c’est plus un problème d’incompréhension entre les générations. Ce conflit entre générations était très présent dans le cinéma d’après-guerre car, d’un côté les jeunes commençaient à constituer un groupe social à part entière et, de l’autre, une crise de l’autorité paternelle se fit sentir à la Libération. On peut citer à ce propos, Rendez-vous de juillet en 1949 où Jacques Becker fait une description des difficultés de compréhension entre parents et enfants, ou encore Avant le déluge en 1954 où André Cayatte fait le portrait d’une jeunesse désespérée par la guerre froide et met en accusation les parents (Bernard Blier incarne le père).
Dans le film de Le Chanois, les relations enfants/adultes s’améliorent, alors que les relations entre les adultes se dégradent. En effet, pour leur travail scolaire, les enfants s’intéressent à la vie du village et aux métiers de ces habitants, et un nouveau lien se crée. Les artisans sont fiers d’expliquer leur métier, les parents aiment raconter leurs expériences, etc. En revanche, les adultes se divisent, d’un côté ceux qui soutiennent M. Pascal et sa pédagogie, de l’autre, les récalcitrants à la modernité de l’enseignement.
Malgré tout, à la fin, tout s’arrange, tout le monde soutient les enfants pour qu’ils réussissent à avoir leur certificat d’étude et que M. Pascal reste au village. Les réactionnaires ne sont plus à l’écran.
En appliquant la théorie des « trois modes de relation inter-personnages » on peut dire, suivant l’axe du savoir, que Monsieur Pascal, l’instituteur, est le « destinateur » et les élèves sont les « destinataires ». De plus, suivant l’axe de pouvoir, il y a l’instituteur comme « adjuvant » et les villageois qui représentent les « opposants ». Enfin, M. Pascal (sujet) désire intéresser ses élèves (objet).
L'École buissonnière fonctionne donc beaucoup au niveau des relations éducateurs-éduqués-milieu, un aspect important qui ne se dégage pas facilement d'un simple documentaire. Comment, en effet, ne pas être sensible au déferlement de la classe vers le milieu, les enfants questionnant pour leurs enquêtes tous les adultes du village.

La bande son du film :

Le leitmotiv musical du film, "J'ai lié ma botte", restera pendant des années le chant de ralliement des débuts de séances de congrès du Mouvement Freinet. En réalité, ce chant n'a pas été composé par l'auteur de la musique du film, Joseph Kosma (le complice des chansons de Prévert), mais par Francine Cockempot. L'explication: Le Chanois avait découvert cette chanson à l'école Freinet de Vence, au cours du tournage. Michel Bertrand, l'ayant découverte lors d'un stage, l'avait rapportée aux enfants de l'école.
Les chansons du film sont enregistrées, non avec les enfants figurants, mais avec les élèves d'un instituteur musicien de l'école Fuon Cauda de Nice, Camatte. Les enfants ont ainsi l'occasion de visiter le studio de la Victorine, un jour du tournage de la scène du certificat.
La mélodie de cette chanson, jouée par un orchestre, accompagne plusieurs scènes. Il y a aussi un morceau d’accordéon lors de la scène qui se déroule dans l’auberge. Il s’agit alors d’une musique qui semble appartenir à la narration, mais dont la source serait hors-champ.

La narration

Pour nous faire avancer dans l’histoire, Jean-Paul Le Chanois utilise à chaque fois des procédés différents. Ainsi, au début, il utilise le texte défilant pour nous informer sur le passé du héros, pour que l’on connaisse le contexte de son arrivée.

Ensuite, les informations concernant les personnages, nous sont fournies dans l’action, c’est un des villageois qui présente ses concitoyens au nouveau venu. Nous en savons donc autant que M. Pascal.
Puis, nous entendons en voix-off les pensées de M. Pascal, son sentiment par rapport à ce qu’il découvre. C’est le seul moment où nous savons ce qu’il pense en son for intérieur car le point de vue de la réalisation est extérieur, neutre. On nous montre les pour, les contre… à nous de juger.
Par ailleurs, à plusieurs reprises dans le film, une dame décrit ce qu’elle observe par la fenêtre à une autre femme qui est non-voyante. Ces passages nous apprennent peu de choses, ils montrent surtout que les faits et gestes de M. Pascal sont très observés puisque même une personne aveugle est au courant de ce qu’il fait. Il est « l’attraction du village », le sujet de conversation principal. C’est aussi une manière d’amener du contenu à l’action sans tourner une scène.

En revanche, les dialogues nous font beaucoup avancer dans l’histoire. Par exemple, lorsque les hommes au café discutent des « drôles » de méthodes de l’instituteur, ils nous apprennent par ce biais, quelles sont ces méthodes.
Une seule fois le réalisateur utilise le flash-back, c’est au moment de la découverte de l’imprimerie. Un enfant nous raconte après coup ce qu’ils ont fait. Nous entendons l’enfant et voyons des images qui correspondent à ses dires.

L’espace

L’histoire se déroule dans un seul village dont le nom n’est pas cité. En réalité, Célestin Freinet a travaillé dans plusieurs villages.
De ce village, on voit la place centrale où les hommes jouent à la pétanque, l’ école (intérieur et extérieur), l’intérieur de l’auberge-café, plusieurs intérieurs de maisons, la salle du conseil municipal, le salon de coiffure… De plus, nous voyons l’environnement proche du village, les abords du torrent et la route qui y mène.
Le réalisateur nous montre un village très traditionnel, voire assez folklorique. Ce village provençal de L'École buissonnière peut faire penser à ceux de Pagnol. D’ailleurs, Jean-Paul Le Chanois fait tourner certains acteurs habitués à travailler avec Pagnol: Delmont, Maupi, Poupon, Aquistapace, Arius, Ardisson.
Il est important de souligner l’absence d’église et de curé, c’est ce que certains détracteurs mirent en lumière pour montrer que ce film n’était pas réaliste mais tendancieux.

Le temps

L’histoire qui nous est racontée dure le temps d’une année scolaire. Le réalisateur s’est attaché à nous montrer des périodes importantes séparées par des ellipses.
L’histoire débute donc en septembre, il fait beau, les gens sont habillés légèrement et la lumière est dense, elle vient du haut, symbolisant un soleil rayonnant. Puis, le réalisateur nous montre les saisons qui passent. Ainsi, pour passer à l’hiver, non seulement les gens sont habillés plus chaudement, mais il y a aussi un mouvement de caméra qui monte pour nous montrer un ciel qui se voile et redescend sur des enfants en train de faire un bonhomme de neige. La lumière est plus faible. Ensuite, pour passer de l’hiver au printemps, on voit les enfants fêtant le carnaval autour d’un feu. Ces deux passages se font sur un fond musical en son-in, ce sont les enfants qui chantent.
Nous évoquions la lumière, il faut noter que les extérieurs de ce film furent tournés entièrement en décor naturel, il fallait donc jouer entre la lumière du jour et la lumière artificielle.

Un film « grand public » et non un documentaire sur la pédagogie Freinet:

Dans la revue du Mouvement Freinet L’Éducateur n° 10 datant du 5 février 1949, Freinet prévient que « ce film n'est point le film de nos techniques qu'attendent les camarades (...), mais un film destiné au grand public, que le metteur en scène a quelque peu romancé naturellement et surtout qu'il a dû dépouiller, au risque de le voir boycotter, des éléments essentiels du drame : la laïcité, la lutte cléricale et la basse politique réactionnaire. (...) Le metteur en scène s'est attaché surtout à montrer au public les avantages psychiques et humains de nos techniques, ce renouvellement, cette reconsidération de la pédagogie sur la base des intérêts et des besoins enfantins. Et il y a, à mon avis, parfaitement réussi. »

Ainsi, l’histoire est dépolitisée, ce n'est plus l'affrontement politique entre l'Action Française et l'instituteur "bolchevique", tout au plus une opposition sociale: les nantis face aux gens du peuple.
De ce fait, l'intrigue se ramène surtout à un problème d'innovation pédagogique mal acceptée par les traditionalistes de tous bords.
Par ailleurs, l’issue est positive: si l'instituteur obtient la réussite de tous ses élèves au certificat, et ce sera le cas, il pourra rester au village. Il faut savoir que Freinet n'avait pas eu ce choix à la rentrée de Pâques 33, ses adversaires voulaient son départ immédiat et l'avaient obtenu.
De plus, le film se polarise sur un cas symbolique: celui d'Albert, l’adolescent orphelin de guerre, considéré comme le voyou du village, mais qui, au fur et à mesure, se convertit en gentil garçon.
Enfin, on greffe à l’histoire une petite intrigue sentimentale en deux temps (la fille d’auberge et l’institutrice des filles). À ce propos, voici des propos de Raoul Faure, paru dans le bulletin des Amis de Freinet n°4 de décembre 1970 :

« Pourquoi cette histoire de baiser dans l'étable toute chaude de la senteur des vaches qui ruminent ? (…) parce que Le Chanois est un cinéaste qui aime la vie, les réalités et qui construit ses films pour que ceux-ci apportent avec eux une joie simple, bon enfant, mais joie profonde parce que... la vie étant la vie, il préfère chaque fois que le mot "fin" se projette sur l'écran laisser le spectateur dans l'euphorie d'une soirée agréable (ceux qui ont vu Mandrin savent bien qu’il ne finit pas sur la roue à Valence).

Il y a donc une petite histoire d'amour parce que comme le dit Anatole France dans "la Révolte des Anges" (…) où il est parlé d’Amour, ce qui plaira au lecteur, car une histoire sans Amour est comme boudin sans moutarde, c'est chose insipide".

D'ailleurs, cette histoire d’Amour est-elle si inutile... Elle crée un complexe chez Albert ce qui sera pour Pascal une difficulté de plus à surmonter pour réussir là où le Vieux Maître Arnaud a échoué. Puis n’est-ce pas cette petite histoire qui éveille la jalousie de la collègue. »

Un symbole :
Citons Michel Barré, un compagnon de Freinet :
L'École buissonnière n'est donc ni un documentaire ni un film pédagogique, mais aucun documentaire ultérieur montrant des moments de classe en pédagogie Freinet ne l'a jamais supplanté, même auprès des enseignants.
Ce film est même devenu un symbole pour le mouvement.
Citons aussi l’article d’André Lefeuvre dans le bulletin des Amis de Freinet n° 56 p 26 (décembre 1991)
« J'ai vu le film plusieurs fois, j'en connais la plupart des séquences, et pourtant, à chaque projection, je suis pris au piège de l'émotion, comme lors d'une première. Jean-Paul Le Chanois a travaillé en cinéaste qui a su construire un film de grande qualité. Il s'est attaché à présenter non un document mais une transposition artistique de la réalité. Il a été sensible à la vie, aux relations qui s'établissent dans la classe, au fil des jours, après l'arrivée du nouvel enseignant. Peu de spectateurs, avertis ou non en pédagogie Freinet, peuvent rester insensibles à cette atmosphère porteuse d'émotion qui se dégage de l'histoire filmée.
Je vais jusqu'à penser que ce film traduit, avec la force artistique nécessaire, les situations affectives qui sont toujours présentes dans les classes Freinet. Il montre combien cet affectif engendre la compréhension, le travail et même la réussite de chacun dans un groupe à l'écoute des besoins de chacun et de ses difficultés. »

En effet, on retrouve néanmoins beaucoup d'éléments de la réalité historique: l'instituteur relevant d'une blessure de guerre, l'introduction de la petite imprimerie, la première correspondance avec une classe bretonne, la campagne diffamatoire des villageois, les pressions exercées sur les parents pour qu'ils fassent la grève scolaire, le rôle de l'antiquaire, fer de lance de la cabale contre Freinet.
Dans le détail, les spécialistes peuvent reconnaître des textes d'enfants souvent cités par Freinet : la course d'escargots, le petit chat qui ne voulait pas mourir, ou des allusions à des Dits de Mathieu. : prendre la tête du peloton, le cheval qui n'a pas soif.

L'École buissonnière et les droits de l’homme
 
Nous avons choisi d’analyser l’avant-dernière séquence du film (d’après notre découpage). Elle dure dix minutes et trente deux secondes, elle se situe au bout d’une heure quarante.
C’est grâce à cette scène que le conseil du cinéma de l’ONU a accordé sans réserve son patronage à ce film qui « illustre d’excellente manière l’un des aspects de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ».

Résumé de la scène :

Il s’agit d’une séquence en temps réel.
Les élèves de M. Pascal passent l’oral de leur certificat d’études. De nombreux villageois, notamment des parents, sont présents car c’est sur la réussite des élèves que se joue la reconnaissance ou non du travail de M. Pascal. Chaque enfant passe devant plusieurs examinateurs. Arrive le tour d’Albert, c’est principalement sur sa prestation que repose le sort de M. Pascal car c’est la troisième fois qu’il tente d’avoir le certificat.

Scénographie

Toute la séquence se déroule dans un même lieu, une vaste salle aux murs dénudés.
La disposition des acteurs et des éléments du décor fait penser à la salle d’un tribunal : sur l’estrade, les examinateurs renvoient aux jurés ; derrière une barrière, M. Pascal fait penser à l’accusé, derrière sa barre, soutenu par le public de villageois (cf. image du film) ; entre les deux, les enfants, tels des avocats, défendent M. Pascal en répondant correctement aux questions. Cette métaphore du tribunal se ressent d’ailleurs dans les dialogues et le lexique utilisé. Ainsi on peut noter la réplique suivante « c’est sur les résultats qu’on juge », « vous avez de bons petits avocats », etc.

L’ambiance

« Spectateurs », « accusé » et « avocats » sont tendus. L’expression des visages montre le stress et l’anxiété de chacun. La tension est forte, le suspens nous tient en haleine.
C’est une épreuve pour tout le monde et, dans la manière de nous le montrer, on peut remarquer une métaphore sportive. Ainsi, au début de la scène, le coiffeur explique que les enfants ont passé l’écrit, « la demi-finale » et vont maintenant à l’oral. Puis, on voit M. Pascal qui transpire et s’éponge le front. Pour finir cette métaphore, on peut noter un « ravitaillement » lorsqu’un villageois donne à boire à M. Pascal.

Pour détendre l’atmosphère, Jean-Paul Le Chanois a intercalé quelques passages humoristiques, comme le tic d’un examinateur ou encore le « téléphone arabe » créé par les enfants, pour que le public entendent les questions (cf. images du film).


Un récapitulatif du film
Cette scène résume le thème principal du film, le conflit entre la vieille méthode d’enseignement et les manières modernes d’éducation de M. Pascal. Cette confrontation se retrouve lors de l’oral d’un enfant d’une autre classe qui récite un cours appris par cœur. Puis, nous retrouvons le sujet à l’occasion de l’oral d’Albert et d’un échange entre deux examinateurs. Un des « jurés » est très traditionaliste et conservateur et récuse les méthodes modernes, l’autre est pour une évolution de l’enseignement.

La bonne prestation des enfants prouve que les nouvelles méthodes sont bonnes.
Cette scène est donc une « plaidoirie » en faveur de la pédagogie moderne de Célestin Freinet. On y voit, par exemple, l’utilité d’une correspondance avec une classe bretonne. En effet, Albert est interrogé en géographie sur la Bretagne et, grâce aux courriers échangés avec les correspondants, il peut répondre aux questions.
Comme le dit très bien Albert, « il vaut mieux parler avec le cœur qu’avec la mémoire ». C’est ce qu’il va faire dans son intervention finale.

Le « sacre » d’Albert

Au fur et à mesure qu’Albert répond à ses examinateurs, il prend de l’assurance. D’abord bégayant, il devient de plus en plus à l’aise. Le montage nous montre des champs- contre-champs d’Albert et de son examinateur, intercalés avec des vues du public.
Puis vient le grand final lors de sa déclaration sur les Droits de l’Homme. Pour cela, sur un conseil gestuel de l’instituteur (montrant une connivence entre eux deux), Albert se lève et se tient face à ses examinateurs. Il est alors en position de domination car son examinateur reste assis. Il paraît très sûr de lui et maîtrise bien son sujet. Lors de ce monologue, le bruit de fond s’arrête, la caméra se fixe sur ce brillant défenseur des Droits de l’Homme.

Il cite texto les principaux passages de la Déclaration de 1789. Cette séquence est un écho à l’actualité de 1948 puisque la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme fut proclamée la même année que la réalisation du film.
À travers cette intervention, Albert met un terme au conflit qui divise depuis le début les personnages du film car il explique que ça ne fait pas longtemps qu’il connaît ses droits car on ne lui en avait jamais parler, sous entendu que, grâce à M. Pascal, il sait quels sont ses droits et ses devoirs et peut maintenant prendre sa vie en main.


Conclusion

Plus de 50 ans après, on constate que L’École buissonnière a toujours le même intérêt, « pour autant qu’on n’y cherche pas ce que le film n’a jamais prétendu montrer ! » En effet, ce film ne se veut pas novateur dans l’histoire du cinéma, il ne prétend pas non plus être purement réaliste. Dans ce film, Jean-Paul Le Chanois voulait montrer aux spectateurs qu’une autre école était possible, une école qui accordait plus d’attention aux enfants, plus d’écoute et de compréhension.
Cependant, son souhait était aussi de réaliser un film de divertissement avec un thème sérieux, certes, mais traité parfois avec humour et faisant appel aux émotions.


Bibliographie
BARRÉ, Michel, Célestin Freinet, Un éducateur pour notre temps, PEMF, 1995
Bulletins des Amis de Freinet, N° 4 et 13
BURCH, Noël, SELLIER, Geneviève, La drôle de guerre des sexes du cinéma (1930-1956), Nathan, coll. Fac cinéma, 1997, 400p
RENARD, Philippe, Jean-Paul Le Chanois, Dreamland Editeur, 2000, 127p
TULARD, Jean, Guide des films, Robert Laffont, 2002, 1110p
VALLET, François, L’image de l’enfant au cinéma, Éd du cerf, 1991, 204p