- Ce que cherche l'être
humain.
- par Paul Le Bohec
-
- La société a cru pouvoir faire des
économies en se dispensant de créer des structures
d'enseignement à dimensions humaines ...et elle a
dépensé dix fois plus en policiers, gendarmes,
juges, prisons, gardiens, psychiâtres, hôpitaux car
elle a récolté incivilité, chahut,
délinquance, violence, conduites de fuite dans la maladie,
la drogue, le suicide...
- Que peut-on faire face à ce désastre
généralisé ? C'est, me semble-t-il,
essentiellement au niveau de l'école qu'il faudrait
reprendre les choses à la base et revoir entièrement
la copie.
- Il y a urgence et soutien à apporter à
personnes en danger. Et plus tôt on interviendra et plus on
sera efficace. Georges Mauco, un psychothérapeute disait :
"Je ne connais rien de plus émouvant que de voir un homme
de quarante-cinq ans se délivrer en sanglotant d'un
chagrin d'enfant qu'il n'avait jamais pu exprimer
jusque-là." Oui mais, s'il avait pu le faire, sous une
forme ou une autre, au cours même de son enfance, ce sont
trois ou quatre décennies de souffrance qui lui auraient
été épargnées !
- L'école peut avoir une grande influence. Dans un
premier temps, elle peut permettre la symbolisation de
problèmes par l'expression-création et
préparer éventuellement leur future sublimation.
J'aime la formule : "L'enfant dicte, l'adulte écrit". Ma
participation à plus de quatre cents co-biographies
d'adultes et la lecture, entre autres, de Freud, Cyrulnik,
Morin...etc. m'ont persuadé de la très grande
véracité de cette idée. Cependant, au niveau
du primaire, nous sommes placés à un moment
où l'enfance peut encore se remodeler. Et ce qui peut s'y
passer pourra avoir une influence importante, sinon
considérable, pour la suite de la vie. Je propose ici
d'examiner comment notre pédagogie peut aider les
êtres à partir de leurs données personnelles :
hérédité, événements,
incidents, accidents de l'enfance. Il ne s'agit pas de sortir de
notre rôle mais de faire simplement ce qui devrait
être l'essentiel de notre métier, c'est-à-dire
de permettre la conquête d'un maximum de langages que les
enfants pourraient utiliser à leur gré suivant leurs
besoins du moment et leur degré de sécurité.
- Pour avoir instauré très tôt dans ma
classe une dominante expression-création avec un certain
nombre d'enfants cognés par le vie, j'ai pu
vérifier qu'ils ne se privaient pas de le faire dès
que l'occasion leur en était donnée.
- Pour essayer de mettre un peu d'ordre dans l'examen de tout
ce qui a pu ou pourrait se réaliser, on peut s'appuyer sur
"ce que cherche fondamentalement l'être humain", à
savoir : "survivre, exister, risquer, régresser, montrer,
voir, subir, salir, revivre pour se réparer et pour
re-jouir" - (Tout en sachant bien évidemment, parce que
nous avons souvent été amenés à
prendre en compte la complexité, que chaque verbe est
rarement totalement séparable des autres.) -
- Ces verbes doivent correspondre à une certaine
réalité puisque, lorsque l'on pousse les choses, on
débouche sur : autoritarisme, racisme, conduites
suicidaires, mégalomanie, infantilisme, exhibitionnisme,
voyeurisme, perversion, masochisme, sadisme...C'est la preuve que
ces pulsions existent chez l'être humain. Mais, à
notre avis, l'un des rôles de l'école serait de les
circonscrire dans des limites acceptables et même de les
rendre bénéfiques pour tous. Voici ce qu'en dit
Freinet :
- "L'individu qui peut, par (des) moyens normaux conserver et
exalter sa puissance, ne reste pas sur le quai et n'a donc pas
à envisager des règles de vie anormales pour s'en
sortir.
- Il est malheureusement bien des cas où les conditions
physiologiques, l'attitude rejetante ou accaparante des
recours-barrières empêchent l'individu de se
réaliser selon ses vraies lignes de vie. Comme il ne veut
pas sombrer, il est contraint d'avoir recours à des
règles de vie erzatz.
- Si aucun recours sympathique ne l'aide ni le conseille, il en
est réduit à se livrer à une empirique
expérience tâtonnée qui, selon les
circonstances, peut l'entraîner aux pratiques les plus
maléfiques qui tendent malheureusement à s'ancrer
dans le comportement pour dégénérer en
indélibiles techniques de vie.
- Il appartient aux parents et aux éducateurs qui n'ont
pas su, ou pas pu éviter le refoulement, d'aider au moins
les enfants à s'orienter vers les règles de vie les
moins dangereuses, jusqu'à les conduire si possible vers
celles qui lui permettront encore de se libérer et de
retrouver la puissance....
- Sauf dans les cas exceptionnels, il est toujours possible de
faire monter les enfants...et d'autant plus facilement qu'ils sont
plus jeunes - dans cette hiérarchie des valeurs pour les
conduire vers la jouissance artistique qui est comme la
sublimation des auto-jouissances des degrés
inférieurs et, par delà la jouissance artistique,
jusqu'à l'expression et la réalisation artistique
qui sont l'exaltante envolée vers les sommets pour
retrouver les lignes de vie et reconquérir la puissance. "
- (Essai de psychologie sensible appliquée à
l'éducation p. 240. Editions de l'Ecole Moderne
Française. Cannes. 1950)
- - (Evidemment, dans le désert culturel immense de
l'école d'il y a soixante ans, l'art était pour les
Freinet l'un des premiers nouveaux territoires à offrir aux
enfants) -
- A mon avis, dans ce texte, il faut surtout s'arrêter
sur le mot "sublimation" qui justifie beaucoup de nos actions. Il
signifie, entre autres : "dérivation des instincts vers
des buts altruistes, spirituels". Par exemple, le "voyeurisme",
condamnable sur le plan sexuel (pédophilie), peut se
sublimer en observations scientifiques, en activités
littéraires, artistiques, photographiques,
cinématographiques.... ("Microcosmos"," les Oiseaux
migrateurs", "La planète singe"...). C'est un voyeurisme,
non seulement admis par la société, mais même
souvent récompensé (Prix Nobel, Césars,
Oscars...)
- A l'I.C.E.M., nous nous sommes souvent attachés
à observer le comportement de nos élèves pour
essayer de réagir de la façon la plus
adéquate possible. L'éthologie étant
précisément la science des comportements, nous
pouvons bénéficier de ses apports dans nos efforts
pour rééquilibrer les enfants afin qu'ils deviennent
disponibles pour la connaissance. C'est ainsi que nous pouvons
nous appuyer sur les ouvrages de Boris Cyrulnik ( "Un merveilleux
malheur" - Odile Jacob). Il cite, par exemple, un garçon
qui, enfant, avait été déporté
à Auschwitz et qui disait à peu près ceci :
"Il n'y a aucune situation, aussi catastrophique soit-elle, qui ne
puisse être tournée au positif." Il suffit de pouvoir
s'appuyer sur des "tuteurs de résilience" (De
résistance aux coups). "La résilience est le
processus qui permet à un développement de faire
face à tous les événements qui se
présentent." (Cyrulnik). Notre pédagogie qui s'est
toujours préoccupée de développements peut en
fournir un bon nombre. Nous allons essayer de les repérer
en considérant successivement différents aspects.