- revivre
- Paul Le Bohec
-
- Nicolas Go m'a surpris quand, après avoir lu "Subir",
il m'a dit : "Maintenant, j'attends ton "Revivre". Ainsi
resserré en un seul mot, ce verbe m'a surpris. En effet,
j'avais déjà entrepris "Salir" et, pour
épuiser ce que mon esprit m'avait progressivement mis en
tête à propos de ce que cherche l'être humain,
je voyais vaguement pour la suite "revivre pour réparer" et
"revivre pour rejouir". Quoique déjà assez
solidement installé, c'était encore flou dans mon
esprit. En fait, sur le plan comptable, il ne s'agissait plus que
de dix verbes. Mais, à aucun moment, je n'avais
pensé à traiter de "revivre" tout seul. Aussi, je me
suis trouvé complètement à sec devant ce
solitaire. Il ne me disait rien et je n'avais rien à en
dire. J'ai pensé que, pour intégrer ce verbe dans le
onze de départ, quelques lignes allaient donc me suffire.
- Cependant, une fois de plus, sans m'avoir demandé mon
avis, mon esprit s'était déjà mis en marche.
Soudain, j'ai pensé que c'est sans doute une
nécessité pour l'être humain de relater les
événements dont il a été
témoin. Et cela pourrait remonter à la tribu
primitive. Il est évident que, pour survivre, le groupe
avait besoin que chacun de ses membres soit d'une extrême
vigilance pour repérer dans l'environnement tout ce qui
pouvait être menaçant ou favorable. Et il fallait
nécessairement le rapporter au groupe. C'est
peut-être aussi simple que cela. Et cela peut suffire
à expliquer l'origine de quantité de textes libres
écrits au C.P-C.E. sans qu'il y ait à chercher
quelque autre raison que ce soit pour en connaître les
sources. Voici, pris dans la série des textes de la classe
d'Hervé Moullé, à Beaumont-Pied-de-Boeuf
(Mayenne) :
- "Mon papa va prendre une nouvelle remorque et il va aller en
Suisse."
- "Ma mère a changé d'hôpital, il y a quatre
étages. Elle est au premier étage. Elle
connaît trois personnes."
- "Mercredi, l'Equipement est venu balayer le chemin. Jeudi
matin, ils sont venus tracer, puis ils ont goudronné."
- Ceci relève de l'information simple et tranquille. On a
besoin de le dire et on le dit, sans même se
préoccuper de savoir si ça intéresse qui que
ce soit;
- Dans la grisaille des jours, le moindre petit
événement a besoin d'être rapporté. On
a donc, en attendant, toujours ainsi quelque chose à dire
pour alimenter la pompe à textes. Mais en attendant quoi ?
Cependant, je me rends compte d'une chose : avant de
rédiger son texte, l'enfant a dû
nécessairement se le remettre en sa mémoire et donc,
le revivre, c'est-à-dire se resituer à ce
moment-là. C'est encore plus net dans les textes suivants :
- "Avec ma petite soeur, on s'est promené, on a
trouvé un chat et on a donné le chat à
Marilou."
- "Dimanche, j'ai eu une dent de tombée et Elina, ma
soeur, a une dent qui pousse."
- "Dimanche, à la maison, j'étais malade. Le
docteur est venu parce que j'ai vomi deux fois dans la même
journée. Le docteur était un remplaçant. Je
l'aime bien, mais il appuie sur le ventre et ça fait un peu
mal."
- Un pas en avant est accompli : l'auteur du texte est cette
fois également concerné. Et il a encore plus
nettement revécu l'événement avant de le
communiquer, comme il semble naturel à l'être humain
de le faire.
- Mais un pas de plus se trouve accompli dans certains textes :
- "Ma soeur est revenue, elle était partie à la
montagne. Elle m'a donné des CD. On va faire une boom. Elle
m'a manqué ma soeur."
- Camille (8 ans) (30-01-04)
- C'était uniquement descriptif. On relatait les
circonstances de l'événement et la suite des
événements. Et puis, soudain, l'enfant s'introduit
dans le texte et communique son sentiment. Certes, parmi les
textes précédents, comme celui de la mère qui
avait changé d'hôpital, il y avait sans doute des
pensées accompagnatrices. Mais elles n'étaient pas
suffisamment fortes pour percer le mur du silence. Et puis, en ce
début d'année, dans cette classe unique-là,
orpheline de sa poignée de poètes partis au
collège, le nouveau style de réception des
productions ne s'est pas encore établi. Jusqu'où
peut-on aller dans l'audace de la communication ? Est-ce que l'on
ne va pas être obligé de refermer un peu
l'éventail. Est-ce qu'on n'est pas en droit de douter de
l'accueil qui pourrait être fait à la relation trop
directe d'un sentiment tel que celui de l'amour d'une mère.
Et pourtant, jusqu'à ce 30 janvier, la production a
été copieuse : matches de foot, animaux,
versifications, comptines, jeux de mots, événements,
malaises, maladies....Ca tourne bien et à un niveau
acceptable, mais va-t-on pouvoir prendre la tangente ? De toute
façon, il n'est pas question d'atteindre le niveau
d'écriture de Thalie de l'an dernier.
- Poème sauvage.
- Faites-moi danser sur un chant d'oiseau et de sanglots
- Faites-moi danser sur de la poésie de rire et de
ruissellerie
- Pourquoi m'a-ton choisie pour aller dans un jardin de nuages
- Pourquoi moi, pourquoi cette loi
- ....................................................................
- J'ai vagabondé dans un jardin de laine blanche
- J'ai ri dans des fêtes d'humeur et de joie.
-
- Cette première expression d'un sentiment de Camille
va-t-elle créer une brèche dans l'enceinte des
acceptations actuelles de la classe ? Est-ce un premier virage.
Est-ce l'amorce de l'accès à une nouvelle dimension
de l'écriture ? Vers où cette classe qui a pourtant
continué à bénéficier du même
coéfficient de liberté va-t-elle cette année
diriger ses pas ? Cette année-là sera-t-elle celle
des textes comiques, philosophiques, scientifiques, celle de la
création orale collective, des pièces de
théâtre, de la correspondance poussée, de la
recherche historique..? On ne le saura qu'à la fin de la
deuxième année. Tout est ouvert, tout peut encore
survenir. Et, c'est passionnant
- L'un des pas de côté qui, parmi tant d'autres,
pourrait maintenant être effectué se trouve
présent dans un autre texte, produit dans une autre classe
:
- "La nuit tombe, le soleil se couche. Les arbres s'endorment
sous leurs racines. Les chiens aboient pour annoncer leur coucher
du soir. Les branches aux boutons d'or se ferment au passage des
gens. Et dans les landes piquantes, elles se baissent une à
une. Pas un bruit. Le soleil tape les nuages d'une couleur
étonnante. Et enfin le soleil meurt à son tour.Et
mon coeur aussi.
- Jacques C.M.1.
- Mais ici, est-il seulement question de communiquer
après avoir revécu ? Non, il s'agit plutôt
d'une situation recomposée, sans doute à partir de
l'expérience forte d'un coucher de soleil. Mais la
situation n'est pas rapportée au niveau des faits. Les
participants au crépuscule agissent. Il y a une sorte
d'anthropologisation. Il semble que tout au long du texte court
une sensation qui n'est exprimée qu'à la fin. Dans
ces conditions, peut-on encore parler de "revivre". Sans doute,
mais c'est plutôt une reviviscence de sentiments. On ne
revit pas la scène, on l'éprouve à nouveau en
la faisant correspondre à la réalité intime.
Mais c'est une scène reconstituée,
réinventée. On glisse alors vers l'invention de
situations où le réel s'efface pour offrir toute
liberté à l'expression de soi.
- C'est alors toute la gamme de l'expression poétique qui
s'offre en balance continuelle avec les deux
réalités extérieure et intérieure. Une
sorte de tricotage. On se sert du texte libre pour relater ou pour
s'exprimer plus ou moins suivant l'état du moment et le
climat d'acceptation de la classe. On joue ou on fait mine de
jouer.
- Certains enfants sont conscients de l'artificialité de
la chose.
- "Le poème est avec le pétale qui lui tombe sur
la tête. Le poème est beau et doux. Le poème
est voyant.
- Mais non; le poème ne peut avoir de pétale sur
la tête. Il n'est pas non plus beau et doux. Et il n'est pas
voyant.
- Mais c'est nous qui l'écrivons."
- Mélinda (9 ans)
- Puisque nous sommes ramenés au réel, abordons
maintenant ce texte oral qui inaugura une nouvelle technique : la
"poésie parlée". Sa caractéristique
essentielle, c'est le droit à des plages de silence. Alors
qu'en parlant on craint toujours de rester subitement
bloqué dans son émission, on a droit ici à
des pauses. Le silence est parfaitement licite puisqu'il est
inscrit dans la constitution.
- " Mon pouce saignait...pauvre pouce...ma mère
était partie, avec la voiture, chercher le lait, au
loin...et moi, j'étais tout seul dans le garage...et j'ai
coupé mon doigt avec mon couteau d'indien...j'étais
tout seul dans le garage...avec mon pouce qui saignait...tout seul
dans le garage...tout seul...malheureux"
- Lorsque Petit-Robin raconte cet événement qui
sort de l'ordinaire horizontal, il doit le revivre de A à
Z. Mais on sent qu'il le rétablit progressivement, morceau
par morceau, à la faveur des pauses. C'est une
reconstitution
- Cela fait penser à la phrase "et il revit la
scène"que l'on retrouve souvent dans des récits. Si
c'est un verbe au passé simple, il s'agit de revoir, de
l'extérieur. Mais si, comme ici, il est au présent,
il s'agit de revivre, de l'intérieur.
- Alors, me revient dans l'esprit cette idée du
tâtonnement de l'inconscient que j'avais cru pouvoir
repérer. En relisant les cinq centaines de textes de
"Rémi à la conquête du langage écrit"
(Odilon), j'ai vu peu à peu les choses se mettre en place.
Par exemple, la souris apparaît de plus en plus souvent. Et
cela se termine par la victoire sur le chat. Lorsqu'on apprend que
"Souris" est le surnom de l'enfant, on pense que le chat ne peut
alors représenter que le frère aîné.
Même chose pour l'idée de l'ombre. Elle
apparaît de temps en temps, légère,
mystérieuse, douce, chantante même, puis elle se
colore d'une légère inquiétude. Enfin, dans
une série de textes à suspense, le bandit qui en
avait pris la forme se trouve par deux fois définitivement
éliminé. Rien ne se trouve revécu là,
sinon une terreur datant de l'enfance qui se trouve ainsi
effacée parce que dite, sublimée sous forme d'un
roman policier utilisé par l'enfant pour tranférer
la peur à ses camarades. Et cette idée va se
préciser plus nettement encore dans le texte oral suivant :
- "Alors, le petit balai s'était marié avec la
bouteille. - La bouteille s'est cassée. - Alors, la
bouteille ne pouvait plus vivre. - Alors, le petit balai s'est
marié avec un autre balai. - L'autre balai s'est
cassé aussi. - Alors, la vache arriva se marier avec le
petit balai.- -Alors, la vache, elle se tua car elle en avait
marre du petit balai. - Et alors, le petit balai va chercher un
cochon. - -Alors, le cochon s'est marié avec le petit
balai. - Le petit balai se maria avec le cochon. - Alors, le
cochon ne voulait plus vivre avec le petit balai. - Le petit balai
se tua et alors, yen n'a plus de petit balai. - Et alors, le
cochon va se marier avec une autre vache. - Et alors, la vache et
le petit cochon faisaient toujours la bagarre. - Et alors, le
petit cochon prend les pattes de la vache. - Et la vache tombe. -
Et alors, la vache de ses cornes tue le petit cochon."
- Il s'agit évidement d'une autre situation avec un tout
autre type d'enfant. Qu'est-ce qui se joue ou se rejoue en cette
circonstance ? Cet enfant de sept ans vient d'arriver dans ma
classe. Il s'est vite emparé des possibilités
d'expression. Il commence par exprimer tout d'abord, dans un
dessin, la haine qu'il porte à l'homme que je suis. Puis,
il s'investit dans la chorégraphie qui lui permet, lui, si
chétif, de diriger la classe entière et de
goûter à la jouissance de la puissance. Enfin, il se
met à travailler en se plongeant dans les fiches de calcul
que, par chance, il apprécie. Mais tout est loin
d'être réglé pour autant. Car il n'en finit
pas de se poser une question : quel crime a-t-il donc commis pour
se trouver ainsi exilé chez ses grands-parents, à
500 kilomètres de sa mère et de ses petites soeurs,
alors qu'il ne se sent coupable de rien ? Ses parents
étaient en train de divorcer. Et, chez certains enfants,
cette situation retentit souvent très fortement comme ce
garçon de six ans qui, de chagrin, après des
disputes parentales, avait tué en deux fois les quinze
poules du poulailler voisin (exactement comme dans le film si fort
de Bunuel "Los Olvidados" (Les oubliés).
- Que revit donc Christian dans son émission orale ? Rien
de réel évidemment, sinon, souterrainement, les
scènes familiales. Sans doute que, le matin, l'enfant
n'avait aucune intention précise quand il avait dit : "Le
petit balai s'est marié avec la vache". Tout le monde avait
ri, et, peut-être, l'enfant lui-même. Mais
l'après-midi, devant le magnétophone, c'est cette
longue suite de paroles qui est montée à la surface.
Comment comprendre cette transposition dans la fiction ? L'enfant
ne songe évidemment pas à restituer la situation
vécue. Il démarre avec un petit balai - un petit
balai !!! - Et le reste suit. Mais on sent bien que ce n'est que
la transposition d'une réalité. Le thème va
son chemin comme s'il était impossible de l'arrêter.
C'est qu'il faut aller jusqu'au bout. Il y a une sorte de
tâtonnement, plusieurs pistes se trouvent successivement
suivies avant qu'on en arrive enfin à la vraie solution :
le meurtre du petit cochon. Là, ça s'arrête
définitivement. Mais qui était ce petit cochon ?.
- En cette occurrence, quelque chose a bien été
revécu lors de le communication au groupe. Cependant, il
est évident que l'enfant ne pouvait en venir à la
réalité des faits. Mais s'est-il
déterminé à prendre le chemin de la fiction
pour exprimer ce qui lui pesait si fort ? J'en doute beaucoup. Il
a démarré et, peu à peu, silence après
silence, il en est venu à cette solution qui devait d'une
certaine façon le satisfaire puisqu'il s'est
arrêté aussitôt après. En communicant
son drame personnel au groupe, il a fait son travail de
rapporteur. C'est maintenant au groupe de s'en
démêler. Evidemment, il n'y a eu aucune
réaction immédiate. Mais si quelque chose s'est
retrouvé repris quelque part, je n'ai pas su le
repérer. D'autant plus que moi, membre important du groupe,
j'avais été saisi par l'intensité de ce qui
avait été ainsi communiqué. Heureusement que,
dans cette classe, on pouvait se sentir autorisé à
transposer tout ce que l'on voulait dans la fiction.
- - Cependant, est-ce qu'en cette circonstance on ne sort pas du
verbe "revivre" pour aborder le verbe "réparer" ? Aucune
importance : comme je l'ai d'ailleurs signalé dès le
début, ce serait trop simpliste de prétendre
à toujours nettement catégoriser les choses. Les
distinctions ne sont jamais nettes. Le sens des verbes se
recouvrent fréquemment. Et nous sommes souvent dans
l'indécis -
-
- Mais, par hasard, alors que je travaille sur "revivre", je me
trouve en situation d'interroger un adulte qui vient de
découvrir avec ravissement l'album de photos de sa famille.
"Qu'est-ce qui te plaît à ce point ? - Eh! bien cela
me permets de boucher quelques trous de mon enfance. C'est comme
si je rentrais en possession de nouvelles pièces du puzzle
qui vont me permettre de donner encore plus de cohérence
à certaines parties de ma vie. Ce sont des documents
précieux pour moi - Tu cherches à retrouver des
plaisirs disparus ? -Pas du tout, c'est pour mieux revivre dans
mon esprit certains moments de mon enfance - Revivre ? -Oui
revivre, mieux me représenter, être au plus
prêt de ce qu'a été la réalité."
- Et, parallèlement, une autre personne se plonge dans
d'anciennes lettres qu'elle vient de redécouvrir. Et c'est
spontanément qu'elle utilise, elle aussi, le verbe
"revivre"- "C'est fou comme les choses se remettent en place dans
mon esprit. Je revois avec précision les lieux et les
gens." Je vais m'arrêter un peu à cela. J'ai en effet
dans mon environnement des personnes qui ont relaté des
moments de leur vie d'enfant. Et le plus curieux, c'est que, une
fois transcrit sur le papier, elles n'ont plus envie d'y revenir.
Ca s'est complètement effacé de leur mémoire.
C'est ce que Simone de Beauvoir avait également
constaté avec surprise C'est comme si, après avoir
fait son rapport, le guetteur se trouvait en état de
vacuité en attendant d'aller se poster à un autre
moment de son existence qu'il était aussi
impérativement nécessaire de communiquer au monde.
La profusion de récits d'enfance est telle qu'il faut bien
reconnaître que c'est une tendance de l'être humain.
Il n'y a pas à chercher plus loin. D'ailleurs, la plupart
du temps, il ne s'agit que de tranquilles témoignages du
passé que l'on pourrait regrouper sous le titre :
"C'était ainsi."
- Pour une raison ou une autre, toute vie est
intéressante. C'est pourquoi chacun devrait pouvoir
bénéficier intensément de la rédaction
des circonstances de sa vie. Cependant, tout n'est pas perdu. Il
est possible de compenser ce manque, à peu de frais, et
sans trop de difficultés. Un jour, j'ai accompagné
un auteur de souvenirs d'enfance chez l'imprimeur qui lui a
gentiment dit : "Vous mettrez trois ans pour vendre ces mille
exemplaires." Mais, c'est en trois petits mois que tout s'est
trouvé liquidé. Que s'est-il donc passé ?
Tout simplement, les gens se sont précipités sur ce
livre parce qu'ils y ont retrouvé leur vie. Des paroles
comme : "C'était bien comme ça qu'on vivait"
représentait pour l'auteur le meilleur des compliments.
Pour trois mille personnes, quels moments de bonheur que ce livre
! Au noël suivant la publication, deux cousins se trouvaient
face à face, tenant caché derrière leur dos,
le cadeau qu'ils comptaient faire à l'autre. C'était
le livre. Et par la suite, pour l'auteur, que de longues
conversations au téléphone. "Ah! oui, c'est vrai, il
y avait ce marchand de bestiaux, et celui-ci et celle-là".
"Son père avait eu un accident"."J'avais oublié
qu'on se lavait dans une cuvette émaillée". "Moi
aussi, j'avais été quêteuse à
l'église" "C'est vrai qu'on tirait le diable par la queue,
mais on était quand même heureux dans notre nombreuse
famille." Jusque-là, dans cette zone rurale, personne ne
s'était avisé de parler de cela. On se pensait si
minuscule dans l'échelle sociale que jamais on n'aurait pu
imaginer que cette si petite vie pouvait intéresser qui que
ce soit. Et, en outre, à qui aurait pu venir l'idée
d'en écrire parce que les livres ne se situent jamais
à ce niveau d'aussi humbles détails. Et puis,
écrire un livre, ce n'est pas à la portée de
tout le monde. Il faut sûrement être
spécialement doué. Eh ! bien non, jusque-là,
l'auteur n'avait jamais pensé à écrire. Mais,
une personne, trop heureuse des bons souvenirs qu'elle avait
gardé de ses vacances à la campagne, chez ses
grands-parents, n'a pas pu s'empêcher, quoiqu'il puisse lui
en coûter d'en témoigner dans une feuille de chou
locale. Et c'est ainsi que, la vie d'inconnus, leur vraie vie,
humble peut-être, mais valable puisque faisant partie de
leur être, s'est trouvée portée à la
connaissance de tous.
- Il ne s'agissait pas de compenser, de rattraper, mais de
restituer telle quelle cette réalité. Cela explique
également le succès de beaucoup de romans d'enfance.
Car s'il est vrai qu'on a vécu en dehors de pays de
montagne ou de vigne ou de mer, on retrouve des échos des
moments que tout être humain doit vivre d'une manière
ou d'une autre. Il s'agit encore de se retrouver soi, mais
soi-même autre (ego-alter) dans des environnements
différents.
- Mais la littérature n'est pas seule concernée.
En poussant un peu plus loin ma réflexion, je
m'aperçois que ce verbe qui ne me disait rien recouvre en
fait des quantités d'éléments incontournables
qui regardent également le cinéma, l'histoire, la
photographie, l'art, les archives...Et tout spécialement la
justice, car c'est tout un ensemble de magistrats, policiers,
avocats, témoins qui essaient alors de reconstituer la
vérité des faits.
- Evidemment, tout ceci ne nous concerne guère, nous,
maîtres du primaire. A ce niveau, je n'ai guère
connaissance de textes qui parlent de revivre l'enfance car elle
est si proche qu'il est difficile de prendre du recul. Je n'en ai
retrouvé qu'un seul :
- "Un jour, j'étais petit. J'étais allé
à l'école maternelle. J'avais quatre ans.
J'étais parti à la maison. J'avais rencontré
un camarade. Il m'avait dit : "Tu n'as pas peur ?-Si - Mais ma
soeur arriva. Elle me dit : "Reste-là "Je lui dis oui.
Alors je m'ennuyais. J'étais triste. Un monsieur m'amena
chez moi. Ma soeur n'arrivait pas. J'étais inquiet
après elle. J'avais peur. J'étais malheureux."
Jean-Yves (8 ans)
- Alors, qu'est-ce qui nous reste à faire? Nous n'avons
certainement pas à nous préoccuper de psychanalyse,
de psychothérapie; mais, une fois de plus, à nous
soucier seulement de créer un climat de communication ; les
enfants en faisant ce qu'ils veulent. Mais il est impossible de
terminer sur ce sujet sans présenter la si étonnante
"poésie parlée"de Francis. Le droit aux pauses
permet de voir comment, peu à peu, pas à pas,
silence après silence, ont pu surgir du fond de
l'être des paroles qui ne seraient pas remontées au
jour autrement.
- " Il faisait de la neige...Mon petit chat était
dehors...Je lui ai dit de rentrer, mais il n'a pas voulu....il
était tout blanc comme un bonhomme de neige...il m'a fait
peur...Je suis allé me cacher...Après, je me suis
enfoncé dans la neige...J'étais bien au chaud dans
la neige...Mon père est sorti avec une tranche...Il a
creusé la neige...Il m'a coupé la tête et je
ne pouvais plus parler...Il m'a cassé la main...puis,
c'était l'autre main et les deux pieds...Et je ne pouvais
plus bouger."
- Paul Le Bohec
-
-
Il ne s'agit pas de régression qui est souvent de l'ordre
de l'inconscient, mais de tentative de retour volontaire à
des situations anciennes. Parfois, on a l'impression que l'on
prend conscience d'être dans une impasse et on essaie de
revenir en arrière au moment où on a fait le pas de
côté qu'il ne fallait pas faire. Ce peut être
également parce que précisément, on n'a pas
fait le pas de côté qu'il fallait faire. Cela
marchait si bien qu'on a continué tout droit sans
s'apercevoir que le monde avait changé et qu'il
était tant de prendre un virage. Alors, on tend à
gommer tout ce qui a été produit d'inadéquat
pour repartir cette fois sur de bonnes nouvelles bases. Par
exemple, avec l'arrivée des maths modernes, on a mis du
temps à percevoir qu'on ne nous demandait plus de former
des calculateurs mais des mathématiciens, non seulement
parce que les calculatrices rendaient les compétences
beaucoup moins indispensables, mais parce que la survie exigeait
maintenant qu'on soit directement moins tributaire du réel.
Cependant, il fallait tout de même se préoccuper des
nombres mais dans une optique plus mathématicienne des
relations qui pouvaient exister entre eux. Bref, il fallait porter
davantage d'attention au monde trois des idées auquel ils
appartenaient et moins au monde un des objets où ils
n'étaient considérer que comme des "nombres de",
c'est-à-dire des quantités d'objets à
côté de nombres considérés comme des
opérateurs. On voit l'erreur possible du tout ou rien .
Bon, on abandonne les nombres. Non, il faut y revenir mais avec un
autre regard.