- risquer
- par Paul Le Bohec
-
- Voilà un verbe dont on peut difficilement contester
l'existence. Il remplit en effet les journaux et, tout
particulièrement, les journaux sportifs. Il se trouve
relié à "Exister" puisqu'il s'agit
généralement de se dégager de la masse en
réalisant des exploits. Et on peut même le raccorder
également à "Survivre" puisqu'on cherche à
laisser des traces dans les mémoires. Un coureur cycliste
qui avait failli gagner disait : "Dommage, je serais rentré
dans l'histoire". Et en ce temps de centenaire du Tour de France,
on fait revivre les figures de Blanc-Garin, Victor Fontan,
Pélissier, Leduc, Robic, Bobet... etc.
- C'est un peu ce qu'exprime Du Bellay qui se plaint de ne plus
éprouver :Cet honnête désir de
l'immortalité / Et cette honnête flamme au peuple non
commune " ...De la postérité, je n'ai plus de
souci"....
- Mais à côté du désir en fonction
des autres se place souvent, et plus fortement encore, le
désir selon soi. On veut se connaître, tutoyer ses
frontières, tester ses capacités de
résistance. C'est ici qu'il faut placer la phrase de Morin
: "L'être humain cherche toujours l'économie, mais il
n'a l'impression de vivre que dans l'excès". C'est ce qui
explique cette recherche constante de fortes sensations. Ian
Thorpe, le champion du monde de natation disait récemment :
" J'aime exposer mon organisme, le mettre en péril pour
voir jusqu'où je peux aller. Cette recherche de la limite,
cette quête du point de rupture ne concerne pas uniquement
la compétition." De leur côté, certains
acteurs de théâtre ne peuvent plus se priver de
l'angoisse du trac et flirtent chaque soir avec un possible
échec. Dans le film de Bresson : "Le Voleur", le personnage
principal n'en continue pas moins à s'introduire nuitamment
dans des habitations alors qu'il vient d'hériter d'une
immense fortune. Bref, il s'agit de se mettre volontairement en
danger, de risquer une blessure et même une mort physique ou
sociale pour s'éprouver. Inutile d'insister. Ceci est
amplement connu.
- Ce qui nous intéresse, c'est l'impact de ce verbe au
niveau de l'enseignement primaire. C'est surtout au niveau du
risque "social" qu'il se situe. Pour un enfant, la peur des peurs,
pour ne pas dire la terreur des terreurs, c'est de devenir le bouc
émissaire du groupe. Il semble que ce besoin d'un "en
dessous de tout" appartienne à tous les groupes humains. Le
danger d'être mis au ban de la société est si
grand pour les individus ou les groupes sociaux que certaines
communautés élaborent des institutions pour que la
majorité se trouve définitivement
protégée. C'est ainsi qu'en Inde, on a
créé la caste des Intouchables. Et, un peu partout,
il y a des exclus, des parias, des vilains petits canards sur
lesquels la troupe s'acharne.
- Chacun de nous se souvient du rôle que l'on faisait
jouer à certains de nos condisciples. Il suffisait d'un
petit rien pour que l'on devienne la risée de tous : un
détail physique, un nom un peu différent, une
mésaventure, des parents comme ceci, un frère comme
cela...Je me souviens de L. C. qui avait un pied bot, de "Feuille'
qui avait les oreilles en feuille de chou, de Mirasson qui
était lent ("Limaçon"), de C. au nom bitumeux, qu'on
appelait "Coltar". Ceux-là n'avaient pas
intérêt à la "ramener", sinon le groupe entier
aurait eu vite fait de les remettre "à leur place".
- Mais peut-on y faire quelque chose ? Oui. Assurément.
Dans notre groupe d'enfants, Pierrot, le plus jeune, qui nous
paraissait aussi le moins fûté, aurait pu facilement
devenir la victime émissaire. Mais, remarquablement
coordonné, c'était le meilleur joueur de foot ; il
savait marcher sur les mains et, aux palets, il était le
champion. Il n'avait donc rien à craindre. D'ailleurs, le
leader incontesté de la bande était très
créatif et, grâce à lui, tous les autres se
trouvaient trop engagés à égalité dans
les jeux pour se soucier d'une quelconque hiérarchie.
- Donc, dans un premier temps, pour protéger et armer
chacun, on peut se soucier, comme il en a été
question à propos d'"Exister", de multiplier les occasions
de réussir. C'est ainsi que dans les classes qui utilisent
les "arbres de connaissances", chacun peut se rassurer en
consultant son blason. Pour l'enrichir, il lui a suffi de
créer un certain nombre de brevets qu'il a passé
devant la classe, devant le maître ou devant son
père. Et lorsqu'il en devient titulaire, il peut le faire
passer à d'autres, ce qui le met en position de dominant :
ainsi, au moins dans ce domaine, il a pris "la tête du
peloton." Et il peut très facilement récidiver. Dans
ces classes, chacun peut se constituer un semblable capital de
réussites puisqu'on peut passer des quantités de
brevets non-scolaires : faire tourner une toupie, compter
jusqu'à dix en arabe, tenir un balai en équilibre
sur son pied, faire des grimaces, savoir piquer une crise de nerfs
et se calmer!... Ainsi, si quelqu'un s'avise de peser sur le
plateau négatif de la balance, on peut immédiatement
placer sur l'autre plateau d'incontestables signes de valeur
personnelle. De plus, dans ces groupes, une excellente
atmosphère d'échange et de solidarité se
trouve très vite établie. Pas d'hésitation :
comme on veut beaucoup apprendre, on n'hésite pas à
se mettre sous la dépendance de celui qui sait.
- Chacun pouvant être ainsi rassuré sur
lui-même, il peut alors aller plus avant encore dans
l'audace. Mais, cette fois, en dehors de tout souci de
valorisation, d'acceptation ou de reconnaissance car il s'agit de
se laisser aller à suivre une autre tendance importante de
l'être : l'expérimentation. Dans une classe où
la pression des jugements a progressivement diminué, on
peut oser se risquer à se livrer à des
expériences insolites. Et c'est tout bénéfice
pour l'apprentissage parce que, comme le dit Popper, les
propositions et les conjectures les plus audacieuses sont les plus
intéressantes. En effet, elles secouent le groupe et
obligent chacun à remodeler ses
réprésentations mentales les plus solidement
constituées. Ce qui est tout bénéfice.
D'autant plus que l'auteur, profitant des réactions du
groupe, peut agrandir son idée ou la quitter pour
déboucher sur une piste que le groupe lui a permis
d'entrevoir et qu'il juge d'un intérêt
supérieur.
- C'est ainsi que, dans certaines classes de Cours Moyen,
certains élèves osent aborder le métalangage.
C'est pourtant très risqué parce que la critique
pourrait être virulente : "Vraiment, ça ressemble
à quoi ? C'est complèteement idiot, c'est
délirant, ça n'a aucun sens !"
- Sur le plan du français, on est allé
jusqu'à rédiger des textes à inversion :
inversion du sens de lecture : "li tiaté enu siof..." ; des
syllabes : "mar-mi-te, mi - te - mar, te-mi-mar..." ; des mots :
"la viande met la dame à cuire"- " la pointe enfonce le
menuisier dans le bois"... ; les expressions : "une femme en fer
forgé" - "une rampe à lunettes"...etc.
- Dans ces classes, non seulement, les auteurs ne courent aucun
risque d'être vilipendés pour leurs petites folies,
mais ils sont même appréciés pour
l'originalité de leur entreprise. Et que de progrès
en linguistique et en littérature se trouvent ainsi
accomplis à cette occasion parce que l'on s'ouvre à
la poésie et que l'on apprécie mieux alors les
productions de Prévert, de Pérec, du
surréalisme...
- Mais avec le "planning de lancement", nous disposons d'un
outil qui peut encore favoriser davantage les prises de risque.
Dans chaque domaine, iI s'agit de réaliser dix premiers
petits pas pour obtenir son brevet ( qui n'est en fait qu'un
certificat de démarrage ). La pression du dire est si forte
qu'en une demi-heure, les trois-quarts de la classe se sont
lancés. Et la découverte de la joie de parler ou de
chanter ou de "corporer" ou de...est telle que personne ne se
soucie plus de voir monter sa marque sur le panneau. Mais il reste
à se préoccuper de ceux qui n'ont pas osé se
lancer à improviser. Pour quelques-uns qui étaient
tout près du bord, il suffit d'une petite sollicitation
supplémentaire pour qu'ils basculent à leur tour.
Mais le pas à franchir est trop grand pour ceux qui
restent. Insister serait dangereux, car le blocage pourrait
être définitif. D'ailleurs, on peut faire confiance
à l'existence du besoin universel de dire. Dans une classe
expression-création, il trouvera nécessairement sa
voie.
- En maths, on peut aller encore beaucoup plus loin dans
l'audace car la loi du devoir signifier à tout prix n'est
pas aussi fortement inscrite dans les esprits que dans celle du
langage. Dans ce domaine, l'expression libre est moins
corsetée, elle est plus libre...libre.
- Voici, par exemple, Denis : en ce début d'année
scolaire, son problème principal, c'est la
difficulté de ses relations avec son père. A huit
ans, aîné de quatre, c'est toujours lui qui est
responsable et coupable de toutes les bêtises qui peuvent se
trouver faites. Certes, il pourrait lui aussi se servir de
l'écrit pour tenter de régler symboliquement cette
histoire de mauvaise relation. Mais, pour l'instant, ce n'est pas
sa voie. Puisqu'en création mathématique, on peut
absolument faire ce qu'on veut, il commence par noircir
rageusement des cases. (Pour exprimer le noir de sa vie ?). Et
puis, après plusieurs jours de défoulement, il peut
enfin voir que son carnet de créations comporte des
carreaux. Il se lance alors dans l'aventure des quadrillages. Il
fait glisser tous les noirs le long d'un des grands
côtés et il peut alors facilement calculer des aires
complémentaires de noir et de blanc. Il se passionne pour
cela jusqu'à en devenir la référence pour la
classe. Je pourrais alors le diriger vers le calcul des aires du
parallèlogramme, puis du triangle. Non, non, je
n'interviens pas, ce n'est pas comme cela que l'on apprend : on ne
reçoit pas, on conquiert. Et puis, je suis trop curieux de
savoir où il va maintenant diriger ses pas.
- - Hé là ! Paul, avec cette histoire de
gribouillage, est-ce que tu ne sors pas là du strict
domaine du verbe "risquer" ?
- - Mais quoi ! on a affaire à des êtres humains et
non à des robots pré-programmés ! Et un
être humain, c'est "une réunion de complications"
(V.H.). Il n'y a pas, il ne saurait y avoir de strict domaine.
- Ainsi, après s'être rageusement
défoulé en gribouillant son carnet, l'enfant en
vient à se glisser sereinement dans la mathématique.
Ayant toute liberté de créer ce qu'il voulait, il a
pu se risquer à utiliser cette discipline pour
régler, puis sublimer son problème en ayant recours
- pendant soixante-cinq jours ! - à ce
procédé de noircissement. Cependant que,
parallèlement, tranquillement, dans le reste de sa dizaine
de créations quotidiennes, des idées cheminaient et
se construisaient jour après jour en catimini, en attendant
patiemment ou même léthargiquement qu'il leur soit
porté attention.
- En méthode naturelle de maths, on n'a pas à se
soucier de paraître normal, bien au contraire. On peut
même se risquer à suivre ses tendances personnelles
même si, considérées isolément, elles
pourraient être susceptibles d'être affectées
d'un coefficient négatif. L"imaginative" qui a mille
idées originales en écrit peut, là aussi, se
permettre de suivre sa tendance irréaliste ; le
"copieur-agrandisseur" pille les autres, mais utilement puisqu'il
leur agrandit des perspectives ; l "ergoteur-né" critique
les solutions proposées par la classe et lui ouvre ainsi
des espaces complémentaires. Le "fantaisiste" se marre en
imaginant un losange droit d'un côté et courbe de
l'autre. Et qui l'empêchera de mettre en son étable,
vu le prix à ne pas payer, cette idée folle de
vecteurs qui vont à l'envers. Et le "manuel"traduit tout en
maquettes de carton.
- Oh! attendez, voilà que le groupe se ligue contre
Mickaël qui prétend lui faire croire que son
opération (posée verticalement ) k i h+ k i h = 2552
est juste.
- C'est alors que se joue le jeu de la proie et du
prédateur. On lui dit :
- "h=1. Mais le 5 n'est pas possible parce que ce n'est pas un
nombre pair.
- - Mais si c'est possible parce que ce n'est pas h=1, mais h=6
; il y a une retenue.
- - Bon, mais comme i=2, 25 ce n'est pas possible parce que ce
n'est pas un nombre pair
- - Mais si parce que i, c'est : 7 et, là aussi, il y a
une retenue.
- - Peut-être, mais 25 dépasse 19 et les chiffres
ne peuvent aller que jusqu'à 9. - Ah ! oui, c'est vrai."
- Et Mickaël rit parce que, pendant un moment, il a su
défendre son hypothèse. Il était la proie qui
allait se trouver acculée, mais il a inventé un
premier subterfuge ; on a alors essayé de le coincer
à nouveau et il a trouvé une nouvelle
échappatoire. Ainsi, le jeu excitant se poursuit jusqu'au
moment il est bien obligé de rendre les armes. En attendant
qu'en une autre circonstance, il ne se trouve du côté
de ceux qui poursuivent. Tous ces jeux de prises successives de
risque développent évidemment l'intelligence des uns
et des autres, consolidant parallèlement les êtres et
les savoirs.
- Oui, mais Gaël, le "libertaire" dit : "Mais si k
était égal à 12 ?" Clameur
généralisée. "On n'a pas le droit de
dépasser 9" - Mais c'est un texte libre, si on se donnait
le droit ?" Vous imaginez la suite : on comprend alors qu'il est
nécessaire de bien établir la règle du jeu
mathématique en question avant de commencer;
- ( Et moi, je pense que, trop longuement conditionné au
système décimal, j'avais eu un mal fou à
accepter a et b pour représenter 10 et 11 dans le
système à base 12)
- Mais il y a une idée que j'ai mis du temps à
découvrir : il s'agit du dangereux risque de
réussir. Cela dépend du statut dans lequel on se
trouve placé. Voilà Julien, seul garçon parmi
trois filles. Très souvent, dans cette situation, la
mère a un faible pour le garçon. Mais la sienne est
débordée. Son mari souvent absent (marin) est, de
plus, régulièrement malade quand il est à la
maison. Et Julien ne bénéficie même pas du
statut de petit dernier puisqu'il y a une petite soeur
après lui. Aussi, doit-il faire son profit d'un statut
familial de "minable". Et, "cet âge étant sans
pitié", dans la cour et sur le chemin de l'école,
trop heureux de découvrir un plus tocard qu'eux, les autres
enfants ne lui ménagent pas les avanies..
- Cependant, dans un premier temps, comme dans cette classe on
dispose de l'expression libre, il n'a pas pu se retenir de dire
souterrainement son malheur. Et, en cette occurrence, une
première chose le surprend. Au lieu d'être
déconsidéré comme il s'y attendait à
cause de son très grand nombre de textes libres à
catastrophe : orages, naufrages, tremblements de terre, incendies,
déchirures, abandons...il en est reconnu comme le
spécialiste. Pour la classe, rien que de très normal
puisqu'il est libre lui aussi d'écrire ce qu'il veut. Oui,
mais pour lui, ça devient dangereux ! Est-ce qu'il ne va
pas devenir anormalement normal dans cette classe où chacun
se trouve trop rassuré sur lui-même pour avoir besoin
de descendre les autres. Est-ce qu'il ne va pas lui falloir
reconsidérer son statut de "nullard" qui, jusque-là,
lui collait à la peau et dont il s'en était, tant
bien que mal, et plutôt mal que bien, à peu
près accommodé ? Cependant, comme dans le domaine
"littéraire", chacun a sa spécialité, il ne
se trouve pas placé au-dessus des autres et peut donc
tranquillement continuer à ne pas se faire remarquer.
- Toutefois, toujours pour être comme les autres, il est
amené à "créer" sur le carnet de
mathématiques. Et, pour ne pas se distinguer, il dessine
n'importe quoi. Mais, évidemment, sa création se
trouve aussi portée au tableau. Et voilà que la
classe s'en empare et lui trouve des vertus imprévisibles.
L'enfant se trouve alors en grande difficulté : le fait de
se trouver valorisé en maths le perturbe grandement.
Jusque-là, il s'était à peu près
arrangé de son statut familial de "nullard". Mais, au bout
d'un bon nombre de réussites involontaires de ce type en
mathématique, il lui faut absolument reconsidérer sa
position. Il est écartelé : faut-il être ou ne
pas être l'affreux, le minable, le nul ? Pour lui, la seule
solution possible, c'est, à côté du monde
négatif de la maison, de se créer un deuxième
monde de l'excellence à l'école. Et comme les
parents n'en savent rien, c'est d'autant plus vivable que ses
pairs du C.E.2 qui lui ont peu à peu reconnu une valeur, le
défendent dans la cour et sur le chemin du retour à
la maison. Dans une classe où l'individu est pris en compte
dans sa globalité, chacun peut ainsi se découvrir
des talents qui ne demandaient qu'à se
révéler. Et, dans ce deuxième monde de
sécurité, l'enfant plus détendu a pu exprimer
au maximum des capacités intellectuelles que personne
n'aurait pu soupçonner, même pas lui-même.
C'est ainsi que l'on devient cygne.
- La même année, en "poésie parlée",
après avoir longtemps, longtemps hésité,
Fabien, un enfant d'une famille très dramatique, s'est un
jour décidé à oser risquer une parole
terrible. La voici, résumée :
- "J'étais au chaud, bien au chaud dans la neige. Mon
père est sorti avec une tranche. Il a creusé la
neige. Il m'a coupé la tête et je ne voyais plus
rien. Il m'a coupé la main et l'autre main et puis
après, c'était les deux pieds et je ne pouvais plus
bouger."
- Pour lui, énormément de choses changent
aussitôt sur le plan de l'écriture, de l'inspiration,
et même de l'orthographe. Mais, surtout, il devient le
meilleur "mathématicien" de la classe ! Comme quoi, on
croit parfois avoir affaire à des enfants opaques et ce ne
sont souvent que des enfants obstrués.
- On voit comme c'est complexe. Pour le maître, c'est
difficile parce qu'il ne sait pas trop comment agir juste. Il n'a
d'ailleurs pas à s'en préoccuper. Il doit
essentiellement se soucier de créer une structure
d'expression et d'accueil. Et c'est à peu près tout.
Souvent, c'est la classe rassurée sur elle-même qui
sait réagir juste. Cependant, parfois, le maître ne
doit pas hésiter à intervenir pour protéger
les plus menacés par un démolisseur
systématique qui doit alors se trouver une autre
façon de parler, plus bénéfique pour lui et
pour les autres.
- Voilà donc ce que la prise en considération du
verbe"risquer" nous a permis d'entrevoir : la
nécessité d'oser pour exister et pour apprendre et
la possibilité de l'instauration de techniques
pédagogiques plus efficaces.
- Mais, à nous les enseignants, Bachelard en dit beaucoup
plus :
- "Il faut rendre à la raison humaine sa fonction de
turbulence et d'agressivité. En effet, nous avions pris
trop vite nos premières expériences comme des
expériences fondamentales. Pour avancer, il a fallu quitter
les expériences acquises, aller contre les idées
régnantes.
- "Que faut-il sacrifier ? Nos grossières
sécurités pragmatiques ou bien les nouvelles
connaissances aléatoires et inutiles ? Pas
d'hésitation : il faut aller du côté où
l'on pense le plus, où l'on expérimente le plus
artificiellement, où les idées sont les plus
visqueuses, où la raison aime être en danger. Si,
dans une expérience, on ne joue pas sa raison, cette
expérience ne vaut pas la peine d'être
tentée."
- "Que ferais-je en effet d'une expérience de plus qui
viendrait confirmer ce que je sais et, par conséquent, ce
que je suis. Toute découverte réelle
détermine une méthode nouvelle, elle doit ruiner une
pensée, l'imprudence est une méthode. Il n'y a que
l'imprudence qui peut avoir du succès. Il faut aller le
plus vite possible dans les régions de l'imprudence
intellectuelle. La connaissance a quitté les rives du
réel immédiat. "
- "L'être vivant se perfectionne dans la mesure où
il pense relier son point de vie fait d'un instant et d'un centre
à des durées et à des espaces plus grands."
- (Le surrationnalisme", repris dans "l'engagement rationaliste"
(P.U.F.-1972))
-
- Ah ! relier ses points de vie faits d'un instant et d'un
centre. Chez nous, l'être vivant devrait le pouvoir.
- Paul Le Bohec
-
-
Il est clair qu'à l'école, il ne saurait s'agir de
risque physique. risque socialGénéralement cela
surgit plus tard lorsque l'on cherche à tester ses limites
comme ce neveu qui se plaçait dans des situations
invraisemblables, sans doute pour éprouver de fortes
sensations. Il avait dormi dans la rimaye d'un glacier, dans une
grotte perdue dans la montagne, au sein d'une forêt
d'où il s'était échappé en hurlant de
frayeur, dans un ilôt à l'écart de la
côte où il avait failli perdre la vie parce que la
marée qu'il avait calculée faible était
restée forte. il n'avait pas pensé à
l'importance de la pression. Les vagues se ruaient sur lui en
hurlant comme des démons d'enfer. Il avait tenu bon, au
trois-quarts submergé en s'accrochant de tous ses bras et
de toutes ses mains à l'extrême pointe du rocher.
Cela l'avait calmé un moment mais il s'était
aventuré dans un autre ilôt où il avait
assisté à une sorte de complot de trafiquants qui
heureusement ne l'avait pas découvert. bref, il cherchait
toujours à se mettre en danger. Ce que trop de jeunes font
maintenant en consommant des drogues.
- Bref, cette tendance à l'audace existe bien, ainsi
d'ailleurs que la pusillanimité qui correspond au besoin de
survivre. Le mieux c'est de trouver un milieu entre ces deux
extrêmes. Là aussi, on peut sublimer cette tendance.
Il s'agit d'exister mais pour cela il faut parfois oser, non pas
la mort physique mais une sorte de mort sociale en se
démarquant du groupe et de ses jugements.
- En écrit, on risque des textes à la construction
insolite, à l'approche du franchissement d'un tabou,
à l'expérimentation, pour voir ce que ça
donne, au presque dévoilement de soi etc.
- "Les chaussures sont bleues, vertes, rouges. Les
dépoilues n'ont pas de couleur. Les apoiles sont bleues.
les apeaux sont jaunes. Les dépeaux n'ont pas de couleur.
(Sylvie C.E.2)
- Mes pensées.
- Oui.une feuille.moi, j'irais 5 fois. oh!
viens.flûte.vite.oh! tiens, ça m'énerve, alors
oh! c'est joil oui tout à l'heure, sûrement.toi
là. oui oui, aië !
- il dort, dis donc il est étonné. mange. c'est
bon? tous quand même 8 tu parles. un taureau eh oh, elle est
belle.
- accroche mieux s'il est nu, le le tape pas.le cheval. aïe
! il se lève, c'est fini. tu as dit quoi. c'est normal.
dans ton lit. aÏe ! oui. bien sûr.voilà.
- Gisèle (C.M.1)
- "Mots qui passent par la tête.
- Le tableau est noir que le soleil cherche. Le café fume
le tabac. Le calcul du dictionnaire sur la table du cahier. Il
parle des feutres, règle la trousse de la bande. Sylvie
planchée. La feuille est écrite et je me trompette.
Le pinceau colle le chemisier vert Je pense au crayon de
réunion boîte. Françoise suce la queue du
chat. L'école écrit sur la feuille. Les rideaux
lumière joue le chat Mouchoir vert gris s'installe sur
l'escalier. A Paris je mange le voleur. Fridu est un
châtaignier. La télé sur le toit attend le
soleil. La planche croît au lit.La cendre têtue
poupée bleu blanc. Je vais attendre le gilet. Je me
refroidi du café.Un château trop court. Le cahier
recopié est tombé dans la poubelle. Un serpent sur
la chaise du cartable.
- (Christine - C.M.1)
- La Pédagogie Freinet permet ces explorations sans que
personne ne se sente en danger d'exclusion pour anormalité.
Les enfants apprennent à accepter plus large et à
être moins corsetés par la norme.Disons-le dès
maintenant : les créations, les attitudes les comportements
insolites peuvent constituer une provocation du groupe mais aussi
ils peuvent correspondent à un désir réel
d'aller voir de ce côté.
- Sur le plan oral, le champ est également largement
ouvert : invention de chinois, dialogue en japonais, jeu de
langue, expression osée, théâtre...(Nous avons
beaucoup de documents enregistrés). Mais il faut que
l'atmosphère soit créée pour que ces audaces
se manifestent.
- Même chose pour l'expression-création
chantée.
- Sur le plan du dessin, pourquoi on n'oserait pas sortir des
critères de réussites véhiculés par la
classe. Pourquoi pas un cheval-gribouillage, un bonhomme-triangle,
des virages qui se marient ?..On est libre ! (Voir : "Qu'ont-ils
fait du dessin ?)
- Sur le plan corporel, on peut avoir cent idées de
chorégraphies, de machines à plusieurs, de
franchissement d'un élastique à 10cm de hauteur, de
croisements de mains... on ose proposer de nouvelles idées,
ouvrir des pistes...sans être mortifié par
l'échec car il suffit souvent de corriger un peu
l'idée initiale pour que ça marche. Et on peut faire
tellement de propositions : faire obéir un cerceau,
accepter qu'il se dérobe, le prendre dans son
mouvement....( Idée riche à relancer).
- En maths ...- Oh! attention, ça c'est sérieux,
faut pas rigoler ! - Mais si il faut rigoler, oser l'insolite pour
provoquer, mais aussi parce que ça nous chatouillait. Seul
l'invraisemblable est intéressant (Popper). Et dans un
groupe de recherche, les défauts deviennt des
qualités. Joêlle n'explore rien à fond, chaque
jour, elle apporte une nouvelle création. Patrick
l'agrandisseur, la démultiplie. Ghislaine, la
gauchère affolée, en copie la moitié dans le
bon sens et l'autre moitié en sens contraire. Et la classe
l'admire parce qu'elle pose des problèmes difficiles
à la classe. Eric, l'ergoteur de service, prend toujours le
contrepied : " D'accord,3/8 dans ce sens-là, mais 5/8 dans
l'autre sens." Patrice, l'applicateur industriel, ramène
toujours tout à la réalité. Ginette, la
bricoleuse invente un dièdre qui tient debout... etc.
- On peut risquer des hypothèses mathématiques ou
scientifiques, s'accrocher à son idée et ne pas y
renoncer trop vite comme le recommande Popper, mais, après
avoir été un moment locomotive, accepter
tranquillement de n'être qu'un wagon coopéatf en
attendant d'ouvrir une autre piste parce que soudain, on a entrevu
une lumière. (Voir : "Le texte libre mathématique".-
Odilon ).
- Et discuter de l'organisation, prendre des engagements, des
responsabilités, écrire à des gens, proposer
des brevets, assumer un atelier, établir un projet, etc.
Comme X arrivée éteinte, écrasée par
ses malheurs, par la clochardise de sa mère qui peu
à peu revit s'exprime participe et décide et ce sera
étonnamment elle qui assumera la direction de la
présentation d'une prochaine séance de ...Et
correspondre envisager un voyage- échange, assurer la
publication d'un journal...suivre une expérience cdans la
durée.....s'approcher au plus près de la point se la
pyramide de sa parole nue...
- S'agit-il toujours du chapitre "risquer". De toute
façon, il s'agit des ouvertures de la P.F.