- Lire, écrire, compter... parler !
- création orale
collective
- par Paul Le Bohec
-
- Voilà qu'officiellement, on prend enfin en compte le
parler. Selon toute vraisemblance, de nombreux didacticiens de la
parole vont se manifester. Certes, il faut aussi se
préoccuper de la parole fonctionnelle, mais ceux qui ont
commencé à travailler sur la pédagogie de la
parole s'aperçoivent qu'en fait, c'est tout l'être
qui se trouve concerné. Or la principale
caractéristique de la pédagogie Freinet, c'est la
prise en compte de la complexité, en voici un
témoignage.
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- Au sein de cette nouvelle prise en compte de l'oral, la
création orale collective devrait trouver sa juste place.
Voici en général comment ça se passe : un
événement fortuit a provoqué une
réaction ; ou bien, une parole a provoqué un moment
d'émotion, un fou-rire, une situation d'angoisse, une
phrase musicale...Le maître a noté cela sur son
cahier.
- A la fin de la semaine suivante, il relit ses notes à
la classe, lentement pour ménager des espaces de parole.
S'il y a réactions, additifs, commentaires... il les prend
à nouveau en note - à moins qu'il n'ait
branché son magnétophone - Chez lui, il
réordonne un peu le tout et le ressort de la même
façon à la fin de la semaine suivante. Et l'on
recommence tant que ça fonctionne. Ça peut tomber
à plat dès le début ou durer deux semaines,
deux mois, une année même.
- Quand ça s'arrête, on donne une forme
écrite définitive à la production. Et ce
n'est ni gauche, ni maladroit car c'est cette forme-là qui
convient à cette production-là : dialogue de
théâtre, poème, histoire, récit,
fantaisie, fatrasie etc. Elle s'incorpore au folklore de la classe
sans obligation de publication.
- Dans ce type de création, automatiquement originale
parce qu'en dehors de tout projet préliminaire qui
l'enserrerait, la classe connaît un maximum d'autonomie. Et,
de plus, dans cette activité, une dynamique se crée
et entraîne les plus réticents à s'exprimer
dans la sécurité d'un anonymat dû à la
rapidité des interventions.
- Voici, entre trente autres, quelques départs suivis
d'effets :
- - La mer a fait des dégâts. On va le dire aux
gendarmes (poème).
- - Bernard suspendu à un arbre par son pull-over
(récit).
- - Ce matin, une étoile nous a suivis (album).
- - La grive musicienne vient toujours sur le poteau. (chanson).
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- Les dominantes changent avec les années. Comme il
s'agit d'un CP-CE l, la relève est assurée. Mais
chaque CE 1est une personne différente.
- - Un CE 1, gentil parle du « cheval qui était
dans la mer ». Gilbert dit :
- "On dit cela doucement comme parlent les dames quand quelqu'un
est mort."
- - Un CE 1rigolard n'en finit pas de reprendre les aventures de
Galahouate et Disposi, personnages créés à
partir de Jean-Marie et Adrien, deux vieux célibataires
folkloriques des environs de l'école. Le seul changement de
noms a ouvert de grands espaces de liberté.
- - Un CE 1, par moments linguiste, invente le
"coupélacabache"? C'est du "'chinois".
- En fait, dans un environnement multilangues (breton, anglais,
italien, portugais des parents et grands-parents ), les enfants se
fabriquent un modèle scientifique.
- - Un CE 1. "fantastique" crée le voyage de la boule de
l'antenne ronde de Pleumeur-Bodou.....
-
- Voici un exemple de création collective orale :
- " Un matin, comme à l'habitude, je lis tout haut chacun
des textes libres de la classe. Dany a écrit qu'il a vu une
chapelle. Ce texte n'aurait pas attiré spécialement
l'attention si Alain n'avait pas dit : '"La chapelle de
Saint-Samson, c'est la chapelle des cinq chansons." La classe rit
et admire. A la fin de la semaine, presque toutes mes notes
laissent insensible ce CE l -là. Cependant, au niveau de la
chapelle, il subsiste un parfum de plaisir. Bon, allons ! Certes,
dans ma cervelle hédonique, j'aurais pu me réjouir
par avance de toutes les nouvelles chansons qu'ils allaient
créer. Mais, depuis longtemps, ils m'ont vacciné :
ils ne vont jamais là où on pourrait les attendre.
Ce sont eux qui commandent. Et le pauvre maître se contente
de suivre. Cette année-là, il y a Francis, un
garçon un peu handicapé, mais qui s'exprime assez
correctement. Et son jumeau Joël et Alain et tous les autres
et même certains CP déjà bien
éveillés.
- Paul Le Bohec La Mezière (35)
-
- Quelques extraits des productions des enfants
:
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- "La chapelle en ruine ne ressemble pas aux autres chapelles
parce qu'elle a été attaquée par la
tempête ; elle est un peu tordue et sa croix est
cassée.
- Elle a peut-être mille ans. Les années sont
passées, on ne sait plus les compter.
- Elle a de la chance de ne pas être morte.
-
- Elle ne bouge que pour les tremblements de terre, mais ils ne
sont pas encore arrivés en France. Elle est d'autrefois, la
chapelle : elle est du temps où les seigneurs allaient
à la chasse et priaient pour ne pas être tués
à la guerre. On n'était pas nés quand les
hommes d'avant nous l'ont faite.
-
- Elle est toute seule au milieu d'un pré et les vaches
viennent brouter autour. Au milieu des escaliers, il y a une porte
pour aller dans la tribune. Mais c'est dangereux : les planches
sont pourries. C'est la hiboutière : c'est là que
les hiboux dorment ; ils sont là, les hiboux. S'il n'y
avait que des pères hiboux, on dirait : le hiboutier. En
haut, il n'y a plus de corde pour sonner la cloche, Mais on entend
les hiboux chanter.
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- La chapelle de Saint-Samson, c'est la chapelle des cinq
chansons.
- Depuis, les maisons des seigneurs se sont
écroulées par le temps et la chapelle est
restée toute seule dans ses vieux champs nus. Elle ne
s'ennuie pas : les chevaux viennent la regarder ; eux, non plus,
ne s'ennuient pas. Les landes autour d'elle servaient aux
seigneurs pour qu'ils cuisent leur pain avec de l'ajonc. La
chapelle était riche : elle servait à cacher des
trésors dans les tombeaux. Ca ne sonne pas creux par
dessous parce qu'il y a peut-être un autre plancher. On
ouvre les tombeaux avec un bout de fer solide parce qu'ils sont en
granit rose. On descend dans les tombeaux par les marches et on
trouve des trésors comme dans celui de Roméo et
Juliette. Mais les seigneurs ont pris les trésors depuis
longtemps. Et ils sont partis loin.
-
- Ils dormaient avec leurs trésors dans des cabanes de
fleurs. Autrefois, il y avait des fleurs sur le toit de la
chapelle. Mais les oiseaux ont fait tomber les fleurs. Ils en
avaient le droit parce que c'était une chapelle
abandonnée. Ils avaient fait leur nid dans une vieille
chasuble. Ils venaient la voir pour qu'elle ne s'ennuie pas.
- Il y avait un petit ruisseau d'eau claire et bonne à
boire qui coulait sous un petit pont. Et, l'été, les
cochons y refroidissaient leur nez.
- Alain était triste comme les moulins du roi qu'on n'a
jamais vus. Mais elle, elle était comme une chapelle de
reine. "
- C.P.-C.E.l. de Trégastel (22)