- entendre sous cet angle
- par Paul Le Bohec
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- Je me suis souvent demandé en méthode naturelle
de mathématique:
- -Qu'est-ce qui serait possible auquel on ne pense pas?
- Et j'attendais que des expérimentateurs, des ouvreurs
de pistes agrandissent nos horizons. Mais non, espoir vain, il
faut que nous nous en remettions à nous-mêmes. Dans
mon optique, le rôle du maître, c'est de proposer
parfois un pas de plus. Mais je n'ai aucun écho de ces pas.
Alors que je suis persuadé qu'on pourrait aller beaucoup
plus loin dans la formation de mathématiciens.
- On cite à grand bruit le cas «extraordinaire»
d'enfants surdoués -qui ne sont souvent, en fait, que des
enfants surbachotés.- Je suis persuadé que sans
grand arroi, on pourrait de notre côté augmenter le
nombre de bons, non, d'heureux en math qui accéderaient
ainsi à la bémathitude. Que nous manque-t-il pour
cela? Une meilleure formation mathématique?
Peut-être, mais surtout une meilleure auto-formation,
co-formation pédagogique à coups
d'expériences communiquées et versées dans
notre creuset de recherche.
- J'en reviens toujours à Popper qui définit la
démarche des scientifiques par le recours constant à
des hypothèses audacieuses -les plus insolites sont les
meilleures parce qu'elles nous apprennent beaucoup plus.- Et c'est
la communauté de chercheurs qui, par sa critique, permet
d'établir un savoir provisoirement valable. Et nous, ne
sommes-nous pas une communauté de chercheurs
pédagogiques? Alors, essayons, ou plutôt, essayez,
parce que je ne travaille plus au niveau primaire.
- À l'occasion de recherche de références
pour mon bouquin «Le texte libre mathématique»,
(déjà traduit en allemand!), j'ai repris «le
rationalisme appliqué» de Bachelard. Et j'ai
trouvé des pages (de 83 à 99) qui avaient ravi tout
un cahier de roulement. Allez-y absolument voir: ça vous
enchantera de comprendre que «la somme des dromadaires
construits sur les deux côtés est égale au
dromadaire construit sur l'hypoténuse».
- Vous pourriez expérimenter mon idée que j'ai
dû me contenter d'expérimenter dans ma tête.
- Supposons que la question des angles se pose naturellement
dans une classe. Et elle se posera nécessairement parce que
toutes les droites ne sont pas parallèles. Alors pourquoi
ne pas se mettre dans l'esprit, mais seulement comme un possible
horizon, les cas d'égalité des triangles.
- Attention, danger! J'en vois déjà qui vont se
précipiter. Pourquoi pas? Là où nous en
sommes, il y a deux points à considérer. Nous sommes
en exploration sur les possibilités de notre
«nouvelle» pédagogie. Mais nous pouvons
l'être aussi sur la capacité d'apprentissage des
enfants. Le premier point implique un certain retrait du
maître. Le second, au contraire, postule une attitude de
légère proposition. Je me la suis parfois
autorisée, sans avoir jamais eu l'impression d'avoir eu
à pousser. C'est venu comme ça. On était
parfois si près que je me disais: -Et pourquoi pas? Qui
sait? Voyons voir!
- Et sans avoir eu à manipuler, à exploiter,
à vampiriser, à solliciter exagérément
la situation, j'ai pu vérifier ce qui était
parfaitement dans les cordes d'une moitié de mon CE2: les
additions de vecteurs, la relation de Chasles, les
coordonnées cartésiennes, les droites y=ax, les
puissances négatives de 2, les additions en binaireÉ J'en
avais conclu que ce n'était pas là des domaines
à négliger automatiquement mais à explorer
par d'autres enfants, d'autres maîtres, d'autres classes
pour qu'on établisse un premier pont de nos programmes
naturels. Il n'y a que l'intersubjectivité qui puisse nous
apporter une certaine assurance.
- Bon, je vous propose ma piste. «I got a dream.» Dans
ma tête j'ai vu une classe fonctionner. Voilà que les
enfants s'intéressent spontanément aux angles.
Évidemment ils les observent. Il y en a des aigus, des
obtus, des ouverts, des plus fermés, des plats, des droits,
etc. Mais quand un enfant dit: -Ces deux-là sont pareils,
ça fait tilt dans l'esprit du maître. -Qu'est-ce que
tu dis, Julie? -Ces deux-là sont pareils.
- Alors grosse discussion: comment savoir si c'est vrai qu'ils
sont pareils. Sur quel critère prendrons-nous la
décision de les reconnaître pour égaux? Et si
nous arrivons à en prendre une, nous aurons un outil de
plus d'exploration du réel.
- Pour l'instant, je pense que ma classe rêvée peut
s'installer dans la vôtre. Mais est-ce que la mienne va en
rester là? Non, je la vois qui commence à utiliser
ce nouvel instrument de pénétration du monde. Et
elle débouche sur des triangles. Il y en a de toutes
sortes: des petits, des penchés, des
équilibrésÉ Mais cette fois encore, un enfant
comparateur annonce: -Ces deux-là sont pareils.
- Le maître se précipite: -Est-ce que j'entends
bien, Julien?
- Là encore grosse discussion. Et on distingue vite les
égaux des semblables. Mais sur quels critères
déciderons-nous que certains sont égaux et d'autres
semblables?
- Bon, d'accord, ça peut arriver, ça peut advenir
chez vous aussi. Mais les 3 cas d'égalités, la
similitude? Là, je ne peux plus la rêver la classe.
C'est à vous de voir. Non, c'est à vous d'entendre
Juju qui dit: «Moi, je sais quand ils sont
égaux.» Si Juju est dans votre classe. Écoutez
les enfants sous cet angle. Non, entendez-les aussi sous cet
angle.
- Et vous sèmerez peut-être une graine de plus. Une
graine à fort pouvoir germinatif en attente de très
proches ou de lointains printemps.
- Paul Le Bohec Naturellement math n°8 mai
1992