- 20 ans de pratique en
méthode naturelle de mathématique
- par Monique Quertier
-
- Je suis sortie de l'école normale en 1968,
formée aux mathématiques modernes qui faisaient
- leurs premiers pas et qui me séduisaient et
persuadée que j'organiserai ma classe en classe
- coopérative. En effet lors de mon année de
formation professionnelle, j'ai eu la chance
- d'effectuer un stage d'un mois dans la classe de transition
d'un enseignant militant du
- mouvement Freinet.
- J'ai donc installé des techniques Freinet petit
à petit et ce dès ma première année
d'exercice,
- en commençant par le texte libre et le travail
individualisé avec plan de travail. Au fur et à
- mesure des années, j'ai introduit le reste :
correspondance, conseil, journal, entretien du
- matinÉ Ma méthode naturelle d'apprentissage se
construisait pour la langue, l'éveil
- (découverte du monde) mais pas pour les
mathématiques. Bien que dans ce domaine j'utilisais
- des livres écrits par des auteurs chercheurs : Picard,
Dienès, équipe Ermel ou Gema, mon
- enseignement était quand même très
dirigiste, c'est à dire que c'était moi qui
proposais la
- notion à étudier en fonction de mes objectifs.
- Deux événements ont contribué au
changement radical de ma pratique en mathématique : la
- rencontre avec Paul Le Bohec lors d'une animation
organisée par le groupe Freinet 93 à
- l'école normale du Bourget au début des
années 80 puis la lecture du document de Pierre
- Guérin « L'importance des représentations
mentales initiales dans un processus
- d'apprentissage » qui apportait des arguments confirmant
l'efficacité de la méthode.
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- Mes premiers pas
- Paul était venu à l'école normale du
Bourget pour nous parler de la méthode naturelle
- d'apprentissage appliquée aux mathématiques. Il
nous avait mis en situation de création
- mathématique et nous avons fait des maths à
partir des créations de chacun, librement, sans
- objectif défini à l'avance concernant la
découverte ou la maîtrise d'un concept
mathématique,
- sans référence à un programme ou à
une notion à apprendre. J'étais convaincue de la
- démarche : partir des textes libres
mathématiques individuels et les proposer au groupe qui les
- commente. J'étais décidée à
commencer dès mon retour en classe. Ce que j'ai fait mais
- comme je n'étais pas encore sûre des
résultats, j'ai fonctionné en création
mathématique
- seulement le samedi matin. Devant l'enthousiasme et le
réel plaisir de tous, moi y compris, je
- suis très vite passée à deux fois par
semaine. Mais je n'étais pas satisfaite : rien
n'était fini,
- nous n'arrivions pas à faire le lien, établir
une progression entre les créations, les enfants
- devaient attendre parfois quinze jours avant d'avoir une de
leurs créations au tableau et
- l'intérêt baissait. Après trois mois
d'essais, j'ai donc décidé de ne plus travailler
qu'en
- méthode naturelle de mathématique. Cela a
nécessité une organisation nouvelle de la classe,
- organisation qui s'est faite au fur et à mesure des
observations et des besoins.
- Je dois dire aussi que durant ma première année
d'expérimentation dans la méthode, j'ai
- échangé régulièrement avec Paul Le
Bohec : je lui envoyais mes compte-rendus de séances et
- lui faisait des commentaires en analysant de son oeil d'adulte
les créations des enfants pour
- déceler toutes les pistes mathématiques
possibles.
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- Organisation matérielle
- La classe était divisée en 4 groupes. Chaque
jour étaient traitées les créations d'un
groupe par
- une demi-classe : le premier jour, les groupes 1 et 3
travaillaient à partir des créations du
- groupe 1, le deuxième jour, les groupes 2 et 4
travaillaient à partir des créations du groupe 2,
- le troisième jour, les groupes 1 et 3 travaillaient
à partir des créations du groupe 3, le
- quatrième jour, les groupes 2 et 4 travaillaient
à partir des créations du groupe 4. Ce qui
- faisait que chaque enfant présentait au groupe, au
mieux, une création par semaine. Ce
- fonctionnement était le même pour les classes
à deux niveaux : un jour, les CP, le jour suivant
- les CE1.
- Les enfants qui travaillaient avec moi étaient
installés en arc de cercle devant le tableau et les
- enfants de l'autre demi-classe étaient répartis
dans l'espace classe avec un travail en
- autonomie : fichiers, exercices d'entraînements ou tout
autre travail prévu au contrat. La
- consigne pour eux étant le silence parfait.
- Chaque enfant préparait sa création sur un
carnet, quand il le voulait : il savait exactement le
- jour où il devait en présenter une. La consigne
était donnée une seule fois, le premier jour de
- l'année où j'organisais une séance de
créations : avec des lignes, des chiffres, des points, des
- signes, faites une création mathématique.
- Les créations étaient recopiées au
tableau (selon l'âge des enfants, par les enfants ou par
moi)
- juste avant la séance. Si un enfant avait plusieurs
créations dans son carnet, c'est lui qui
- choisissait celle à traiter. Il y avait par exemple 6
créations au tableau quand la classe était de
- 24 élèves.
- Après la séance de travail sur les
créations qui durait au moins 3/4 d'heure mais qui pouvait
- durer plus longtemps selon l'intérêt, je
regroupais tous les enfants autour du tableau et ceux
- de la demi-classe qui avait travaillé avec moi
faisaient le bilan aux autres : ils racontaient
- quelles notions ils avaient travaillées et les
découvertes faites.
- Je prenais le temps pendant la récréation ou le
soir de faire le compte-rendu de la séance dans
- un cahier : d'un côté, les créations des
enfants et en face ce que nous en avions fait. A la suite,
- je listais toutes les notions mathématiques
abordées pendant la séance, notions que je pouvais
- cocher dans un tableau listant les notions du programme
officiel.
- Je préparais aussi une feuille d'exercices de math,
exercices choisis dans les livres du niveau
- de la classe et qui reprenaient les notions travaillées
pendant les séances et pour lesquelles les
- enfants avaient manifesté le plus
d'intérêt. C'était des feuilles
d'entraînement, les exercices
- étaient de difficulté croissante donc
prévus pour que chaque enfant de la classe puisse en faire
- une certaine partie. Ils n'étaient pas obligés
de tout remplir, ils pouvaient revenir sur des
- feuilles anciennes à tout moment. Pendant les moments
de travail individualisé, en général en
- début d'après-midi, j'étais disponible
pour aider ceux qui en avaient besoin.
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- Déroulement de la séance de travail sur les
créations
- Nous traitions les créations les unes après les
autres. Moi j'organisais le débat, les échanges,
- j'étais maître du bon fonctionnement du groupe
mais en aucun cas je ne donnais des solutions.
- (J'ai appris à me taire.) Les enfants observaient
d'abord la création, la décrivaient. En
- expliquant ce qu'ils voyaient, ils montraient aux autres leurs
savoirs, leurs connaissances
- mathématiques s'exprimaient. Chaque enfant était
confronté à la culture mathématique de
- l'autre, à ses représentations et pouvait
réagir. S'installait alors un vrai débat, chaque
- hypothèse énoncée devant
évidemment être justifiée. Il y avait une
véritable interaction entre
- l'individu et le groupe : le groupe discutait, commentait la
création d'un enfant, la faisait
- évoluer en proposant des pistes possibles de recherche
et ainsi pouvait-on arriver à la
- découverte d'un concept. Mon rôle à moi
à ce moment-là était de le nommer,
j'apportais le
- vocabulaire mathématique.
- Si un enfant contredisait une création, il devait
toujours justifier. Et l'on donnait toujours la
- parole à l'enfant « accusé d'avoir fait une
erreur » en l'aidant à expliquer sa démarche.
- Si je n'intervenais pas pour mettre le doigt sur une piste
possible ou pour donner une solution,
- par contre j'étais très attentive au groupe et
à tout ce qui se disait même en aparté :
j'entendais
- les « c'est commeÉ » et demandais toujours à
l'enfant de justifier sa comparaison, et les « et
- si onÉ. » pour pouvoir donner au groupe les moyens de
lancer une recherche.
- Les enfants pouvaient se déplacer librement pour aller
montrer ou faire au tableau (tableau
- rabaissé à leur niveau) et avaient à leur
disposition selon l'âge ardoises, cahiers, planchettes
- sous-mains avec des feuilles.
- Le temps passé sur chaque création était
variable, mais nous trouvions toujours quelque chose
- à dire sur chaque création. Certaines
provoquaient seulement un échange oral, d'autres nous
- entraînaient parfois dans une longue recherche. Toujours
nous donnions à la fin du traitement
- d'une création la parole à l'auteur qui nous
expliquait, s'il en avait envie ou s'il le pouvait, ce
- qui n'était pas toujours le cas, ses intentions.
- Au cours du débat autour des créations, chaque
enfant avait la possibilité de s'exprimer
- librement et ainsi être amené à faire
émerger ses représentations mentales initiales,
préalable
- indispensable à tout processus d'apprentissage.
- Ainsi, l'enfant proposait au groupe une création qui
était souvent la représentation d'un
- problème qu'il se posait. Avec la discussion, des
hypothèses étaient émises, ensuite
- contredites, justifiées, vérifiées.
L'enfant repartait avec une représentation modifiée.
La
- démarche individuelle de chacun était
respectée mais c'est le groupe qui faisait évoluer
la
- pensée de chacun.
- Pour résumer ce fonctionnement : expression personnelle
de l'enfant dans sa création
- mathématique qui reflète sa
représentation, présentation au groupe, ce qui
provoque un débat
- avec émission d'hypothèses et émergence
d'idées, retour à l'enfant qui va réinvestir
dans la
- création suivante. Par des propositions individuelles,
le groupe avançait et le groupe faisait
- avancer chaque enfant individuellement : en quelque sorte une
démarche collective/
- individuelle.
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- Intérêt du travail en demi-groupe
- Dans un groupe de 12 environ, la parole peut circuler
aisément sans gestion institutionnelle.
- Chacun pouvait dire et faire quand il en éprouvait le
besoin. Pas besoin d'attendre trop son
- tour de parole.
- Les enfants de l'autre demi-classe, contraints au silence mais
avec un travail à faire avaient le
- loisir d'écouter ce qui se passaient dans le groupe en
séance de créations et le fait d'être
- spectateurs muets faisaient d'eux des observateurs actifs :
ils étaient eux aussi en situation
- d'apprentissage. Bien souvent, j'ai retrouvé dans le
deuxième groupe des créations qui étaient
- les prolongements de créations du premier groupe.
- Ma position d'observatrice attentive me permettait dans un
groupe réduit de connaître bien
- chacun des éléments du groupe : je connaissais
le niveau et les compétences de chacun.
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- Les créations ou textes libres
mathématiques
- Les enfants les prévoyaient dans leur carnet quand ils
le souhaitaient, mais souvent, ils la
- préparaient très vite avant la séance.
- J'ai remarqué que pour les enfants qui marchaient bien,
il n'y avait pas forcément de lien
- entre leurs différentes créations. Par contre,
les enfants présentant quelques difficultés avaient
- plus tendance à rester longtemps sur une notion.
Stanley par exemple a proposé cinq fois de
- suite une histoire de courses avec additions de francs et
centimes, avec des erreurs de calcul.
- A chaque séance, tout le groupe avait manipulé
francs et centimes, Stanley aussi. Quand il a
- proposé une création différente,
après la séance, je l'ai pris à part et je
lui ai fait résoudre une
- addition de francs et centimes : il l'a fait sans erreur. De
lui-même il était passé à autre chose.
- Il avait eu la possibilité de rester le temps
nécessaire à la résolution de son
problème.
- De même Karine nous a proposé un certain nombre
de fois des listes de nombres avec des 70,
- 90, 80, 60 : elles ne savaient pas les lire ni les
écrire sous dictée.
- Les créations suivaient parfois des modes. Ainsi une
année, nous sommes restés presque un
- trimestre sur des problèmes de courses. Une autre
année, c'était des suites de nombres ou bien
- des symétries. Souvent la mode passait mais quand elle
durait trop, je me donnais le droit
- d'introduire une petite création différente sans
dire qu'elle était de moi. Si ça marchait, tant
- mieux. Sinon, on attendait que la mode passe.
- Mais les créations étaient suffisamment
variées pour que toutes les notions du programme
- soient abordées. Elles étaient aussi
suffisamment nombreuses pour permettre à chaque enfant
- d'avoir sous les yeux une situation qui corresponde à
une de ses difficultés à résoudre.
- L'accumulation des propositions dans une séance
permettait à chacun de s'investir sur le
- problème de son choix, en travaillant à son
niveau. Sur une même création, les enfants
- pouvaient travailler à des niveaux différents.
Par exemple, une création proposait une liste de
- nombres : 32 125 8 9 64 890.
- Des enfants ont lu les chiffres utilisés pour
construire les nombres. D'autres ont lu les
- nombres. D'autres ont classé ces nombres. D'autres ont
construit d'autres nombres (soixante
- quatre mille huit cent quatre-vingt-dix). Et enfin d'autres
ont voulu chercher à savoir s'ils
- pouvaient continuer la listeÉ
-
- La méthode naturelle de mathématique
favorise-t-elle les apprentissages ?
- Je suis maintenant à la retraite et j'ai pris du recul
par rapport à ma pratique de la méthode
- naturelle de mathématique. On me demande aussi de venir
en parler. Je me suis donc posé la
- question de savoir si mes élèves étaient
bien en situation d'apprentissage, si c'était bien la
- meilleure façon d'apprendre.
- Voici le résultat de mes réflexions :
- Apprendre, c'est comprendre, c'est penser.
- On ne pense pas à partir de l'information reçue
mais à partir de sa propre connaissance.
- L'information ne devient savoir que si elle est reliée
à notre propre connaissance.
- Dans un enseignement frontal, le message est reçu par
l'apprenant, la connaissance est ensuite
- testée dans un exercice d'application mais le transfert
n'agit pas forcément : la connaissance
- ne s'applique pas forcément à une autre
situation.
- On apprend à partir de ce que l'on sait
déjà.
- Il faut donc donner à l'enfant la possibilité
d'exprimer sa connaissance, la possibilité de faire
- émerger ses représentations mentales initiales.
Mettre l'enfant en situation d'expression
- création et favoriser la présentation au groupe.
- Ce ne peut être fait que dans une situation de
confiance, dans un lieu où la parole de chacun
- est reconnue. (classe coopérative)
- Apprendre, c'est penser, c'est transformer ce que l'on sait
déjà. Quand on fait agir les
- interactions dans un groupe, on fait travailler la
pensée, on pense, donc on apprend.
- Il semble donc que la méthode naturelle de
mathématique favorise bien les apprentissages.
-
- Documents annexes
- Page de mon cahier journal postparation
- Compte-rendu d'une séance de créations
- Feuille d'exercice d'entraînement
- La création de Sambo
- Histoire de la découverte du losange
- ...
- Monique Quertier avril 2007