- hommage à Gilbert
- par Madeleine Guérin
-
- Je connais Gilbert par son compagnonnage avec mon époux
Pierre Guérin. Compagnonnage très fort basé
sur un très grand respect mutuel : je ne les ai jamais
entendus se tutoyer. Compagnonnage qui a débuté au
début des années 50 et qui leur a permis de
créer avec Raymond Dufour de l’Oise (dont le fils Sylvain
est parmi nous) et de développer le groupe audiovisuel de
l’Ecole Moderne.
- Ensemble, ils ont utilisé et valorisé les
enregistrements réalisés par ce groupe dans la
production d’outils documentaires sonores pour les classes, tels
que la BTson. Production qui a duré de 1960 à 1995
et qui nécessitait non seulement le travail du son mais qui
a amené Gilbert à partir enregistrer lui-même
Henri Laborit ou Joël de Rosnay, par exemple.
- Quand je suis arrivée en 1992, Gilbert,
déjà à la retraite, ne travaillait plus
à la rue de Chanteloup mais Pierre passait souvent par la
rue Parmentier pour solliciter ses conseils et avoir recours
à son ingéniosité et à ses talents de
technicien. Aucune panne d’aucun appareil ne pouvait lui
résister.
- Si le travail du groupe audiovisuel du Mouvement Freinet a
pris de l’ampleur, c’est bien grâce à Gilbert. Et
c’est au nom de tous ces compagnons des quatre coins de la France
que je viens le remercier. Le groupe a vieilli. Ses membres ne
sont plus trop nombreux. Souvent à peu près de
l’âge de Gilbert. Ils n’ont pas pu venir. J’essaie
d’être leur porte-parole.
- Dès le début des années 50, face à
une technologie du son dont la nouveauté les
enthousiasmait, mais les dépassait un peu, tous ces
enseignants avaient vu l’intérêt du
magnétophone dans leur classe. C’est Gilbert qui leur en a
dévoilé les clés et qui leur a permis d’en
tirer parti.
- Déjà, il leur a fabriqué un
magnétophone adapté aux classes, un appareil robuste
qui permettait aux enfants d’enregistrer eux-mêmes et de
monter eux-mêmes leurs propres enregistrements.
C’était le Parisonor que Gilbert a fabriqué jusqu’en
1969.Un modèle multistandard. C’est ainsi qu’a pu se
réaliser la correspondance sonore scolaire. J’ai entendu
des pionniers de l’enregistrement sonore scolaire parler de
Gilbert Paris avec le même respect que des chasseurs de sons
utilisaient pour parler de Stefan Kudelski, le Suisse qui a
créé le Nagra à peu près à la
même époque.
- Je crois que Gilbert a aimé travailler avec ces
enseignants et avec Célestin Freinet. Célestin
Freinet qu’il admirait beaucoup. Mais tous ces enseignants ont
apprécié le travail avec lui.
- Et si des compagnons comme Georges Bellot et Jacques Brunet
ont pratiqué avec succès la radio avec leurs
collégiens et lycéens, ils ont toujours loué
Gilbert pour son aide compétente, efficace et rigoureuse.
- Chaque année, il y avait quelque part un stage de
formation aux techniques audiovisuelles. Et lorsque les
collègues, chez eux, désiraient former de nouveaux
adeptes à leurs méthodes, ils faisaient appel
à Gilbert pour animer un stage régional. Avec les
cours de Gilbert et le travail pratique d’enregistrement et de
montage, chaque stagiaire repartait en mesure d’enregistrer avec
ses élèves et de leur faire réaliser un
montage. Ses conseils étaient toujours très
avisés et très pédagogiques. Il ne donnait
pas un mode d’emploi, il donnait à comprendre tous les
paramètres du son.
- Joseph Portier et Pierre Chaillou se souviennent qu’il
prenait un bout de bande magnétique sur laquelle ils
venaient d’enregistrer, il la trempait dans une décoction
bizarre : liquide acheté en pharmacie (ils ont un peu
oublié leur cours car ils ne se souviennent plus du nom du
produit) mélangé à du fer pulvérulent.
Ils voyaient apparaître sur la bande les pistes avec les
effets de l’enregistrement : des rayures noires qui montraient
l’endroit de concentration de la matière magnétique.
- Christian et Marie-Jo Blosseville gardent le souvenir de sa
grande stature et de sa blouse dans les couloirs pendant les
rencontres audiovisuelles qui pouvaient se trouver dans n’importe
quelle ville de France.
- Un jour, (Pierre Chaillou ne se souvient plus où)
Gilbert déambulait ainsi avec, sous le bras, un
porte-documents d’où dépassait une poignée de
parapluie. Dans le porte-document, il y avait un mini-K7 et la
poignée de parapluie était en fait un micro. Il
venait d’enregistrer en ville les paroles des passants, les jeux
des enfants… avec un matériel qu’il avait lui-même
perfectionné : en augmentant le diamètre du
cabestan, il accélérait le déroulement de la
bande pour obtenir une qualité de son mieux adaptée
à la parole. C’était le mini-K7
amélioré, aussi pratique dans une classe pour
enregistrer au-dehors que pour sonoriser une salle de spectacle et
que les enfants pouvaient emporter à la maison lorsqu’ils
voulaient interviewer leurs parents.
- Gilbert était un compagnon, efficace, inventif et
rigoureux. Dans les stages, comme dans tout son travail. Mais
toujours avec son humour dont il ne se départissait jamais.
A Pierre Chaillou (actuellement nonagénaire) qui,
après un montage d’un entretien qu’il fallait rendre concis
pour l’édition, était allé
récupérer dans les parties éliminées
des éléments jugés sans importance pour les
rajouter afin de mieux retenir l’attention de l’auditeur, Gilbert
a lancé : « Tu as de bons restes, toi ! »
- Toi aussi, Gilbert, avec le patrimoine sonore que tu as
contribué à réunir, tu nous lègues de
bons restes. Nous essayons de les sauvegarder.
-
- Madeleine Guérin