- Des articles dans Clarté
- Célestin Freinet, un
éducateur pour notre temps
- Michel Barré
-
- Henri Barbusse qui dirige cette revue proche du parti
communiste, en ouvre les colonnes à Freinet. Ce dernier y
publie neuf articles, échelonnés de janvier 1923
à juin 1925.
- Le premier article (n° 29, du 15 janvier 1923),
inspiré par son récent voyage en Allemagne, traite
des instituteurs allemands. Il y insiste sur l'école unique
qui réunit obligatoirement tous les enfants de 6 à
10 ans. Deux éléments importants : le conseil des
maîtres, doté de réels pouvoirs, et le conseil
des parents qui s'occupe des questions matérielles et
pédagogiques mais, par manque de confiance en eux, les
parents ne sont pas encore à la hauteur de leur
tâche. Freinet cite en exemple l'Etat de Hambourg qui s'est
donné pour but l'instruction de milliers d'ouvriers.
- Le second (n° 35, du 5 mai 23) évoque la morale
laïque. Après des considérations
générales sur la morale cléricale et le dogme
laïc nationaliste qui déboucha sur la guerre, il
conclut en se référant à John Dewey : Il
faut, si nous voulons que l'école contribue à la
moralité, que nous en fassions une "institution
réelle et vivante", car "la seule manière de se
préparer à une tâche sociale est d'être
engagé dans la vie sociale".
- Le troisième (n° 42, du 1er septembre 23) est
consacré à Pestalozzi, éducateur du peuple.
Freinet y insiste particulièrement sur le caractère
populaire de l'action du grand éducateur suisse.
- Les articles suivants portent le titre commun : Vers
l'école du prolétariat. Le quatrième (n°
47, du 15 nov. 23), donne un long compte rendu du congrès
de la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle à
Montreux. après avoir opposé cette "internationale"
très bourgeoise à L'Internationale de l'Enseignement
(prolongement de la syndicale et révolutionnaire
Fédération de l'Enseignement dont il est
adhérent).
- Congrès honnête, académique, où
l'on écoute sans passion, où l'on discute à
peine. Beaucoup de directeurs (d'écoles privées dont
les frais d'écolage interdisent l'accès aux enfants
des familles non privilégiées). Les instituteurs
sont totalement absents. Les pays pauvres,
désavantagés par le change, sont à peine
représentés, les Russes jugés trop
compromettants. M. Ferrière se fait timide toutes les fois
qu'il traite des relations entre l'école et la
société. (...) Un certain M. Wilson découvre
toute la misère capitaliste pour conclure : "Ne crions pas
contre le capitalisme. Faisons en sorte que la machine serve
vraiment au bonheur humain".
- Freinet rencontre le Dr Decroly, le grand pédagogue
belge, Cousinet, inspecteur français qui a introduit le
travail par groupes, le professeur genevois Baudouin,
spécialiste de la psychanalyse, Coué, le
créateur de la fameuse méthode d'autosuggestion, et
aussi le professeur Cizek, de Vienne, qui montre avec des
projections ce qu'on peut obtenir, en fait d'art et par la
liberté des enfants du peuple.
- Il est attentif aux expériences de Paul Geheeb dans son
école de l'Odenwald (Allemagne) : Une libre
communauté qui est surtout remarquable par la
réalisation d'un milieu social dont la perfection, au
milieu de la société capitaliste, n'est guère
explicable que par l'isolement. On y pratique les bains d'air,
corps nu (éducation sexuelle naturelle), le libre travail
aux champs et à l'école, et un enseignement en
rapport avec ce nouveau mode de vie. Mais il juge abusif le nombre
d'éducateurs (15 pour une quarantaine d'enfants). Aurait-on
même un gouvernement prolétarien tout
dévoué à l'enfance, il serait impossible de
recruter consciencieusement un nombre suffisant de maîtres.
(...)Il nous faut donc trouver une autre technique de
l'enseignement en commun. (...) Que sera cette technique? Au point
de vue discipline, c'est la libre communauté scolaire qui
libère l'enfant de l'adulte. (...) L'enfant peut beaucoup
apprendre de lui-même; il suffit de lui en donner
l'occasion. Il faut cependant que l'adulte intervienne au moment
voulu pour hâter le développement des enfants ou pour
prévenir leurs erreurs. (...) L'enseignement ainsi compris
devient une oeuvre infiniment délicate, qui demande
beaucoup de tact et une connaissance approfondie de l'enfant. Nous
aurons moins d'éducateurs (que les écoles nouvelles
citées) mais les éducateurs devront être
préparés minutieusement à leur métier.
- La conclusion exclut cependant tout sectarisme : La Ligue sera
incapable d'obtenir la mise en pratique de principes dont elle
aura prôné la valeur. L'oeuvre de réalisation,
c'est à nous de l'entreprendre, grâce à notre
vivante Internationale. Mais nous aurons souvent à demander
conseil à cette Ligue pour l'Education Nouvelle et nous
trouverons, dans les livres et revues qui publient les travaux de
ses membres, quelques-uns des matériaux pour l'Ecole du
Prolétariat. Freinet est déjà tout entier
dans cette phrase : prendre son bien partout où il se
trouve afin de l'utiliser, souvent d'une façon
différente, dans une autre stratégie.
- Le cinquième article (n° 49, du 15 décembre
23) est consacré à la discipline nouvelle, à
la libre communauté scolaire et aux écoles de la
révolution. Freinet observe la volonté des
créateurs d'écoles nouvelles bourgeoises de les
installer en pleine nature : Pour nous, ce choix nous paraît
être une condamnation du système capitaliste. Il
confond un peu régime capitaliste et système
industriel, mais la critique est judicieuse : si un tel milieu est
incompatible avec la formation des enfants
privilégiés, pourquoi y laisse-t-on s'étioler
les autres? Des écoles d'esprit analogue - telles que les
écoles communautaires de Hambourg ou les écoles
nouvelles de Russie - ont pu vivre et prospérer dans un
milieu social régénéré par la
Révolution. Est-ce à dire que les écoles
futures doivent rechercher la vie fiévreuse des usines
plutôt que le calme des champs, des montagnes? Les
écoles seront de préférence dans des endroits
paisibles, mais vivants (forêts et jardins). (...) La
Révolution s'efforcera de placer l'enfant dans un milieu
non pas luxueux mais beau et harmonieux.
- Quant à l'éducation : Au monde nouveau devra
correspondre une nouvelle activité et on ne comprendrait
pas que, dans une société où le libre travail
sera roi, l'école s'en tint encore aux pratiques
désuètes d'autoritarisme et de servilité.
L'école nouvelle sera nécessairement l'école
de la liberté, (...) milieu basé sur la
liberté sociale et non sur la liberté
intégrale chère aux anarchistes.
- Parlant de l'expérience de Hambourg : Ces enfants,
livrés à eux-mêmes durant les journées
de crise révolutionnaires, ne furent pas toujours capables
de sortir seuls de l'anarchie. Mais, là surtout où
quelque adulte intelligent put les y aider, les bandes d'enfants
s'organisèrent spontanément et s'installèrent
dans des châteaux et des villas où ils
s'instruisirent en commun. Il est cependant probable que, dans
bien des cas, ces bandes n'auront pu franchir le stade
intermédiaire qui est le règne des meneurs. On
observe là déjà sa méfiance à
l'égard de l'utopie non directive. Pour lui, la
liberté fait partie des apprentissages sociaux. Il conclut
que la libre communauté scolaire sera la forme
révolutionnaire de l'école du prolétariat.
- L'article suivant (n° 60, du 1er juin 24),
intitulé La dernière étape de l'école
capitaliste dénonce l'accumulation des connaissances au
détriment de l'équilibre personnel et de l'harmonie
sociale.
- Le septième article (n° 62, du 1er juillet 24) est
consacré à l'école du travail. Faisant la
critique de la conception petite-bourgeoise et réformiste
de l'Ecole du travail allemande, il témoigne d'une
réelle connaissance de Kerchensteiner, Gauding et Blonsky
mais ne semble pas encore connaître les idées du
soviétique Pistrak. Freinet préconise d'abord pour
les enfants les travaux au sein de la nature (cultures,
élevages, construction d'abris primitifs, ébauches
d'industrie) car ils sont une création constante qui
développe l'intelligence et la raison, tout en
familiarisant avec les premières pratiques scolaires :
lire, écrire, compter, mesurer, peser, etc. (programme
très proche de Decroly). Mais il va plus loin : A mesure
qu'ils acquerront le sens de l'entraide et de la
sociabilité, les élèves accéderont
à un nouveau stade de l'éducation, celui de la
différenciation lente des métiers. (...) La
dernière étape sera la division actuelle du travail,
caractérisée par le machinisme. Mais un tel
enseignement ne devra pas être prématuré. Une
des suggestions de Freinet nous fait songer aux futurs tenants de
la Révolution culturelle chinoise : L'école doit
rester l'école du travail. Non pas exclusivement car nous
serons parfois en présence de chercheurs passionnés
pour les spéculations intellectuelles pures. Mais du moins
l'école devra garder cet autre correctif : être une
branche de la production. Que l'étudiant se livre aux
fantaisies intellectuelles qui lui plairont, mais pas avant de
s'être acquitté de ses premiers devoirs sociaux,
c'est-à-dire d'avoir contribué par son travail
à créer la richesse sociale.
- On le voit, avant même d'avoir transformé sa
propre classe, Freinet a déjà défini les
grands axes d'une autre pédagogie. Les deux articles
suivants se reliant à ses nouvelles initiatives
pédagogiques, nous en parlerons plus loin.
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