Pour un nouveau
Plan d'Etudes Franais
C'est l'appel que lance Freinet (EP 17, juin 36, p.
341) en Žcho au Plan d'Etudes qui vient de transformer les programmes de
l'enseignement primaire de Belgique. Il reprend longuement ce thme dans un
numŽro spŽcial (EP 2, oct. 36) portant le mme titre. Il cite des extraits
significatifs du plan belge o l'on note: place de l'entretien familier dans
l'apprentissage de la langue maternelle; l'enfant peut Žcrire spontanŽment ce
qu'il a ˆ dire; Žchanges de lettres avec d'autres Žcoles; encouragement ˆ la
rŽdaction et ˆ l'Ždition d'un petit journal; allŽgement du programme de
grammaire, assouplissement de l'emploi du temps; Žtude du milieu par
l'observation active; recommandation de l'imprimerie et du phonographe. On y
sent l'influence decrolyenne mais sans doute aussi celle des enseignants et
inspecteurs belges proches de Freinet.
Fort de ce prŽcŽdent, Freinet propose aux dŽputŽs du
Front Populaire la rŽdaction d'un plan d'Žtudes franais qui contiendrait en
plus: la suppression du Certificat d'Žtudes, remplacŽ par un carnet permanent
de scolaritŽ; la transformation du r™le des inspecteurs devenant animateurs
pŽdagogiques; la limitation des effectifs (mais aucun nombre n'est fixŽ); de
meilleures conditions d'espace et d'hygine des locaux scolaires; le
dŽveloppement du matŽriel collectif; la crŽation d'un rŽseau d'Žcoles
expŽrimentales, sous le contr™le d'un Bureau d'Žducation. On retrouve lˆ
certaines prŽoccupations du Front de l'Enfance, avortŽ quelques mois plus t™t.
Il revient sur le problme (EP 6, dŽc. 36, p. 125) en
se mŽfiant d'une rŽforme purement administrative : Le Plan d'Etudes Franais
sera une Ïuvre collective ou il ne sera pas. Et il lance, auprs des enfants ayant
quittŽ l'Žcole, une enqute sur
les apprentissages scolaires qui leur ont ŽtŽ les plus utiles, dans tous les
domaines : expression orale, Žcrite, lectures, calcul, histoire, gŽographie,
sciences, dessin, musique, gymnastique, travail manuel; utilitŽ du Certificat;
que faudrait-il ajouter et supprimer? comment organiser le travail. Mmes
questions aux parents. Pour les employeurs et dirigeants, ce questionnaire est
complŽtŽ par deux demandes : noter les notions ou activitŽs nŽgligŽes que
l'Žcole devrait offrir aux enfants; signaler les activitŽs jugŽes non
indispensables pour la vie et le travail. Il faut souligner cette prŽoccupation
(frŽquente chez Freinet) de consulter tous les intŽressŽs : jeunes, parents
mais aussi employeurs, alors qu'on se contente gŽnŽralement, dans les meilleurs
cas, de consulter le milieu enseignant. Des groupes de militants, comme celui
de l'Allier, travaillent sur un programme minimum de connaissances (EP 9, p.
189).
Nous avons dŽjˆ parlŽ de L'Ecole Nouvelle UnifiŽe de la GŽnŽralitŽ de Catalogne qui appuie dans le mme sens.
Manifestement, les idŽes pŽdagogiques de Freinet ont le vent en poupe.
Tellement que certains militants, tel Fragnaud (Charente-Inf.), mettent en
garde contre les opportunistes qui, pour se faire bien voir de
l'administration, feront simplement mine de changer. Freinet tente de les
rassurer : Les risques, dans ce sens, seront d'autant plus rŽduits que nous
nous lierons davantage avec les jeunes instituteurs qui, dans leur village,
cherchent moins, en gŽnŽral, le "tape ˆ l'Ïil" que l'aide pratique
que nous leur apportons . Et il ne tient pas ˆ
ralentir ˆ dessein la diffusion, nŽcessaire ˆ la vie de la CEL donc ˆ l'action
pŽdagogique. A ses yeux, le but n'est pas l'expansion ˆ tout prix, nŽanmoins la
vocation normale d'une minoritŽ d'idŽes est de devenir un jour majoritaire.
Pour l'abolition des devoirs ˆ la maison
Une rŽforme de l'emploi du temps (un aprs-midi de
plein air et un de loisirs dirigŽs chaque semaine) est expŽrimentŽe en 37-38
dans plusieurs dŽpartements, dont les Vosges et le Pas-de-Calais. Il se trouve
que j'y ai participŽ comme enfant, mais je n'ai pas eu l'occasion, comme les
Žlves des instituteurs proches de Freinet, de rŽpondre ˆ leur enqute. Les
enfants interrogŽs prŽfrent ces deux aprs-midi ˆ l'emploi du temps ordinaire,
notamment les activitŽs de plein air (dans l'ordre: jeux, rythmique avec
musique, leon de gymnastique, prŽparation au brevet sportif et marche). Pour
les loisirs (qu'on appellera ensuite "activitŽs", ce qui fait plus
sŽrieux), dans l'ordre: imprimerie, TSF, classe-promenade, lecture par le
ma”tre, correspondance interscolaire, rŽcolte de plantes mŽdicinales, travail
manuel, chant.
Freinet se rŽjouit de cette mesure (EP 5, nov. 37, p.
73), mais quelques militants le trouvent trop optimiste, car certains
instituteurs renforcent le travail ˆ la maison pour compenser les 6 heures
"perdues" pour le bourrage scolaire (EP 6, p. 97). Bien entendu, seul
un changement de pŽdagogie permettra l'application cohŽrente de la modification
d'horaire.
Il faut effectivement empcher la dŽnaturation du
changement. Les travailleurs ont obtenu la semaine de 40 heures. Freinet
revendique : Pour nos enfants, la semaine de trente heures et pour
cela on doit supprimer tout travail forcŽ ˆ la maison (EP 7, janv. 38, p. 121).
Dans le n¡ suivant, il publie une page des parents qui rappelle l'ancienne bataille syndicale des travailleurs pour
les trois 8 : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil et 8 heures de libertŽ.
Les enfants ont besoin de 10 heures de sommeil; aprs 6 heures de classe, il
leur faut se reposer l'esprit et non faire ˆ la maison d'interminables devoirs.
C'est lˆ le sens du progrs. Ce qu'il n'ajoute pas, c'est que le travail ˆ la
maison est la principale source d'inŽgalitŽ scolaire, car certains bŽnŽficient
de place et de calme, ainsi que de conseils, alors que d'autres n'ont mme pas
la possibilitŽ d'ouvrir le manuel sans qu'un petit frre intriguŽ n'y applique
ses mains sales.
En rŽalitŽ, il faudra attendre 1956 pour que soit
dŽcidŽe la suppression des devoirs du soir, si peu appliquŽe qu'elle devient ˆ
nouveau le thme d'une rŽforme prs de 40 ans plus tard. Quand la revendication
de Freinet atteindra ses 60 ans, pourra-t-on enfin certifier la disparition du
travail scolaire forcŽ ˆ la maison?
Pour la rŽforme du Certificat d'Žtudes
Freinet avait revendiquŽ sa disparition en tant
qu'examen. Hulin (Nord) avait prŽparŽ un rapport "documentŽ et
sŽrieux", parvenu trop tard pour tre discutŽ au congrs de Nice et qui
fera l'objet d'un n¡ spŽcial commun de Pour l'Ere Nouvelle (organe du Groupe Franais d'Education Nouvelle, le GFEN), de L'Ecole
Nouvelle (Groupe d'Žducation nouvelle du Nord) et L'Educateur
ProlŽtarien. En prŽambule, Freinet apporte sa
contribution au dŽbat (EP 16, mai 37, p. 283). Il fait marche arrire puisqu'il
envisage maintenant, non la suppression du Certificat (CEPE) mais sa
rŽorganisation, en tenant compte du nouveau projet de rŽorganisation de
l'enseignement (Jean Zay, 2 mars 37), prŽvoyant la prolongation de la
scolaritŽ. Il affirme: Le CEPE n'est pas un concours d'entrŽe au second
degrŽ mais le contr™le de base avant d'entrer dans le cycle d'orientation. Il sera simplement une attestation que
celui qui la possde a suivi rŽgulirement les cours d'enseignement primaire,
qu'il a acquis les connaissances et les techniques dont la possession para”t
nŽcessaire et indispensable dans la vie ˆ 12-13 ans. S'il en est ainsi, si
l'Žcole remplit bien son r™le, le CEPE devrait tre pratiquement donnŽ ˆ tous
les enfants. L'Žchec au CEPE montrerait seulement que le candidat n'a pas
suffisamment, pour diverses raisons, sociales, individuelles ou scolaires,
profitŽ de l'enseignement primaire. Des cours spŽciaux devraient tre instituŽs
pour leur permettre d'acquŽrir ce minimum indispensable. Aprs avoir ŽnumŽrŽ les contr™les ˆ prŽvoir, il conclut: Nous
devons nous en tenir aux acquisitions principales, qui ont toujours ŽtŽ le
domaine de l'Žcole primaire et rŽduire pratiquement ˆ ces matires le contr™le
opŽrŽ. Il ne s'agit pas d'avoir avec les enfants de cet ‰ge des ambitions
dŽmesurŽes. Nous avons appris ˆ nos Žlves ˆ lire couramment et intelligemment,
ˆ rŽdiger correctement et sans faute, ˆ calculer rapidement et sans erreur.
Il publie une rŽponse de H. Wallon( EP 17, p. 213) qui
ne souhaite pas la suppression du CEPE, mais pense que l'on pourrait envisager
des tests de contr™le (opŽrations, orthographe), un Žcrit o l'enfant
pourrait montrer son sens du concret, sa libertŽ d'imagination, ses capacitŽs
d'expression (problme, rŽcit, questions sur une
lecture). Il souhaite le maintien de l'oral ˆ valeur complŽmentaire et
rectificative d'aprs les travaux prŽsentŽs.
Le n¡ spŽcial annoncŽ (EP 18-19) traite en dŽtail de
tous les aspects et de toutes les disciplines scolaires. Il souligne le double
problme : contr™le d'acquisitions ou examen des aptitudes en vue de la
poursuite des Žtudes? Deux prŽoccupations dominantes : 1¡ Organiser un
examen sŽrieux quoique simple. 2¡ RŽduire le plus possible la fatigue des
candidats par une alternance convenable des Žpreuves, par la suppression de
toute attente inutile (pas de banquet interminable), par une organisation
matŽrielle parfaite. Ni une loterie, pour les candidats moyens, ni une simple
formalitŽ, ni une Žpreuve d'endurance pour les candidats, ni, enfin, une foire
aux mŽdailles quelque peu ridicule (les premiers du
canton).
Des Instructions Officielles nouvelles pour le 1er degrŽ
Les Instructions ministŽrielles des 23 mars, 11
juillet et 24 septembre 38 qui traitent du nouvel emploi du temps, mais
Žgalement du Cours SupŽrieur et de la classe de Fin d'Etudes Primaires
ElŽmentaires. Dans un article intitulŽ : Une Žtape, Freinet s'empresse d'en publier des extraits significatifs (EP 3,
nov. 38, p. 49) et ajoute: Nous ne saurions trop nous en rŽjouir. Et nous
tenons ˆ marquer notre satisfaction avant mme que les Žternels saboteurs aient
minimisŽ ce qu'il y a de hardi et de novateur dans ces Instructions pour
remettre en honneur ce qu'ils appellent la "continuitŽ" franaise,
pour sacrifier ˆ la lettre toujours servile, l'esprit que nous devons faire
triompher. Je ne sais si, comme l'affirment certains, je me satisfais
facilement. Mais je puis affirmer que si nous avions, dans l'histoire de
l'Žvolution scolaire franaise, quelques lustres aussi riches en innovations
hardies que ces deux dernires annŽes, il y aurait bient™t quelque chose de
changŽ dans l'Žducation franaise. (...)
Ces Instructions ministŽrielles sont pour nous plus
qu'un encouragement. Elles peuvent, elles doivent tre notre brŽviaire. Elles
nous donnent raison, presque totalement, sur presque tous les points du
programme, pour l'action tenace que nous avons menŽe depuis 15 ans. Elles
prouvent ˆ ceux qui redoutent parfois notre Žlan que nous sommes dans la bonne
voie, que nous y resterons et que l'avenir montrera la justesse de nos
conceptions.
Le r™le de l'avant-garde
Dans la suite du mme article, il Žcrit: Ah,
certes! c'est un r™le difficile que celui d'tre ˆ l'avant-garde, toujours. On
vous jette d'abord la pierre parce qu'on ne comprend pas votre action, parce
que, surtout, on redoute vos bousculades, parce qu'on craint Žgo•stement d'tre
dŽrangŽ dans ses habitudes.
Et quand nos paradoxes sont devenus rŽalitŽs, nous
restons malgrŽ tout les empcheurs de danser en rond, ceux qui veulent encore
rŽaliser mieux, ceux qui vont de l'avant , les Žternels plerins de l'idŽe,
ceux aussi qui, toujours, reoivent les coups, endurent les dŽchirures parce
qu'ils restent les Pionniers dont le destin est d'ouvrir les chemins difficiles,
heureux - et c'est leur plus grande satisfaction - lorsqu'ils voient les masses
s'y engager, les Žlargir, les organiser pour en faire les voies royales de la
conqute et de la connaissance.
Nous avons voulu marquer tout particulirement
cette Žtape, qui compte dans l'histoire du mouvement. Nous ne tirerons point
vanitŽ des avantages obtenus dans lesquels nous ne voyons que des obligations
nouvelles, celles de travailler plus encore que par le passŽ pour faire face
aux dŽsirs et aux besoins des milliers d'instituteurs qui viennent ˆ nous,
parce que nous avons ouvert la voie et prŽparŽ matŽriellement le terrain; pour
continuer aussi nos recherches et nos rŽalisations afin d'aller plus avant
encore, vers la conqute dŽfinitive de notre idŽal.
Effectivement, de nombreux jeunes collgues se
tournent vers la CEL qui leur propose des outils et des techniques leur
permettant d'appliquer ces Instructions nouvelles.
Les pesanteurs n'ont pas disparu
Freinet cite (EP 5, dŽc. 38, p. 120) une rŽaction de
PH Gay dans le Manuel GŽnŽral. Celui-ci admet
que l'Etat impose les programmes, mais pas les mŽthodes et il conclut : L'Žducation
vit d'accommodements. Freinet riposte qu'il y a des
accommodements qui servent non pas les Žducateurs et les Žlves mais ceux qui
les exploitent (les Žditeurs de manuels).
Plus dŽcevante, cette rŽaction de L'Ecole
EmancipŽe du 15 janvier 39 qui publie une critique par QuŽlavoine des rŽcentes
incitations ministŽrielles : En dehors de la volontŽ concertŽe, voulue,
rŽflŽchie, ŽtudiŽe des techniciens, rien n'est possible et rien n'est
profitable. Autrement dit, on ne pourra commencer ˆ
bouger que lorsque tout le monde aura dŽcidŽ de changer. La position de Freinet
est diffŽrente: il reconna”t la lŽgitimitŽ et la nŽcessitŽ d'impulsions partant
du ministre, mais ne croit ˆ leur efficacitŽ que si elles sont relayŽes par
les praticiens les plus motivŽs, avec le soutien de l'administration, trop
souvent conservatrice. Heureusement le n¡ du 30 avril de L'Ecole EmancipŽe rŽajuste le tir prŽcŽdent en publiant un compte rendu par P.
Boissel du congrs de Grenoble de la CEL.
La scolaritŽ prolongŽe
La rŽforme prolonge la scolaritŽ jusqu'ˆ 14 ans, mais
le Certificat Žtant jusqu'alors passŽ ˆ 12 ans, il faut concevoir autrement la
pŽdagogie destinŽe aux jeunes qui restent ˆ l'Žcole primaire. Freinet propose
la suppression des cours magistraux, l'utilisation de ses techniques et du
travail documentaire (EP 3, oct. 37, p. 51).
Les Žditeurs se prŽcipitent pour publier de nouveaux manuels. Sans condamner le livre d'arithmŽtique (usage du calcul dans la vie pratique) de Chatelet et Condevaux (Bourrelier), il souhaite qu'il trouve place dans la bibliothque de travail de la classe et non dans chaque cartable. Quand le mme Žditeur, Bourrelier, publie un Cahier de PŽdagogie Moderne sur La prolongation de la ScolaritŽ, Freinet cite de nombreuses phrases allant dans le sens de ses propositions, mais constatant que les collaborateurs de l'ouvrage sont tous des officiels (Directeur de l'Enseignement, Inspecteur GŽnŽral et autres inspecteurs), il conclut : Collaboration impressionnante : tous les officiels de poids. C'est la force et le vice tout ˆ la fois de cette publication. Les officiels donnent des directives. Il reste aux Žducateurs ˆ se mettre techniquement en mesure de les appliquer et ils ne le peuvent qu'en travaillant coopŽrativement eux-mmes.