Les relations extŽrieures

 

Le syndicalisme enseignant

La rŽunification syndicale devrait mettre fin aux reproches faits ˆ la CEL qui comptait des adhŽrents des deux syndicats (FŽdŽration de l'Enseignement et Syndicat National). Maintenant c'est sa concurrence avec SUDEL, Žditeur pŽdagogique du syndicat unifiŽ, qui est sur la sellette. Le congrs d'Angers fait une proposition (EP 5, dŽc. 35): Si Sudel veut notre fichier scolaire coopŽratif, nous le lui cŽdons, mais ˆ condition que, par notre collaboration pŽdagogique nous soyons assurŽs que l'Ïuvre sera continuŽe dans le sens o nous l'avions commencŽe. Nous offrons de mme et aux mmes conditions notre collection, parue ou ˆ para”tre, de la Bibliothque de Travail, notre matŽriel d'imprimerie ˆ l'Žcole et notre organisation complte qui a si bien fait ses preuves. Mais lˆ, nous sommes plus intraitables encore sur la direction pŽdagogique. (...) Nos filiales groupent dans les dŽpartements tous ceux qui s'intŽressent ˆ la pŽdagogie et rares sont les rŽgions o quelque action vraiment efficace se fait jour en dehors de nous. Nous demandons que les syndicats unifiŽs reconnaissent dans les dŽpartements cette rŽalitŽ et acceptent, accueillent, reconnaissent notre filiale de la CoopŽrative comme le Groupe de Recherche PŽdagogique du Syndicat; que le Syndicat National ˆ son tour reconnaisse notre CoopŽrative comme son organisme de recherches pŽdagogiques travaillant librement dans sonsein, sur le terrain strictement pŽdagogique qui est le n™tre.

Les choses se passent en bonne harmonie dans certains dŽpartements (Indre-et L., Lot-et G.), mais certains tirent prŽtexte de tout: Freinet n'a-t-il pas ouvert une Žcole bourgeoise au prix de pension ŽlevŽ? (EP 6, p. 136). Pags constate (EP 12-13, p. 251) que la fusion CEL-SUDEL est impossible immŽdiatement, mais pourquoi ne pas prŽparer la collaboration? Mais SUDEL manÏuvre pour Žviter de s'engager et n'hŽsite pas ˆ exhumer des lettres anciennes pour embrouiller les nŽgociations (EP 14, p. 270). Le problme d'un accord CEL-SUDEL est lancŽ ˆ nouveau au congrs de Nice (EP 13, mai 37) sur la base de la libertŽ d'initiative pŽdagogique ˆ la CEL et de l'exploitation commerciale totale et exclusive ˆ SUDEL. Freinet rappelle que les propositions de la CEL sont dŽsintŽressŽes (EP 16, p. 278), que, dans beaucoup de sections dŽpartementales, les camarades imprimeurs animent la commission pŽdagogique du syndicat, que les confŽrences et exposition sont souvent organisŽes avec le patronage du SNI. Finalement, s'Žtablit un accord tacite que l'on pourrait qualifier de "bon voisinage" (EP 10, fŽv. 38, p. 203), on reste tout de mme loin de la coopŽration, ˆ plus forte raison d'une fusion ultŽrieure.

Sur la partie pŽdagogique de L'Ecole LibŽratrice, Jeanne Saint-Martin (Lot-et G.) souhaite rŽunir les rŽactions de collgues de classes enfantines et maternelles ˆ propos de textes qui ne correspond nullement aux pratiques (EP 17, juin 36, p. 345). Par contre, deux ans plus tard (EP 12, mars 38, p. 263), Freinet se rŽjouit de la publication dans la revue syndicale des articles de Baucomont favorables ˆ l'esprit de l'imprimerie ˆ l'Žcole.

 

Le Groupe Franais d'Education Nouvelle

Freinet Žcrit (EP 6, dŽc. 35, p. 122): Il n'est un secret pour personne que, si nous faisons ˆ la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle des griefs assez sŽrieux, nous sommes ˆ peu prs totalement d'accord avec le Groupe Franais d'Education Nouvelle et plus particulirement avec Mlle Flayol qui le dirige.  Dirige n'est tout ˆ fait vrai puisqu'elle n'est que secrŽtaire gŽnŽrale, alors que le prŽsident est Paul Langevin, mais il est certain que cette femme dynamique est la cheville ouvrire du GFEN et qu'une estime rŽciproque la rapproche de Freinet. C'est pourquoi ce dernier prŽconise un regroupement pŽdagogique : Nous ne le faisons point en nous demandant: "la CEL en tirera-t-elle profit?" mais en pensant: "le mouvement de pŽdagogie prolŽtarienne en bŽnŽficiera-t-il?" Sur son instigation, se crŽent des groupes locaux d'Education Nouvelle, fŽdŽrŽs au GFEN. Celui du Nord existait dŽjˆ, d'autres se mettent progressivement en place : Eure-et-Loir, Vosges, Deux-Svres, Sa™ne-et-Loire, Isre, Meurthe-et-Moselle, Calvados, Meuse, Charente-Inf., Oise. Les militants de la CEL s'y montrent souvent les plus actifs.

Au congrs de la Ligue Internationale ˆ Cheltenham (G.B.), l'ŽtŽ 36, Freinet s'est acharnŽ ˆ opposer ˆ l'idŽalisme bien pensant de certains, son rŽalisme engagŽ (EP 1, oct. 36, p. 3): Nous ne croyons pas avoir perdu notre temps. Nous avons ŽtŽ aidŽs et renforcŽs dans cette besogne par l'autoritŽ calme et hardie du Professeur Wallon qui a su exprimer bien souvent, sous une forme plus intellectuelle, ce que nous sentions tre la vŽritŽ. Il participe ˆ une assemblŽe des membres franais prŽsents et propose que le bureau, composŽ de personnalitŽs parisiennes (les professeurs Langevin, Wallon et PiŽron, Mlle Flayol et Mme Hauser), soit renforcŽ par un comitŽ directeur composŽ de personnalitŽs pŽdagogiques (Hulin (Nord), Pichot (E-et-L) et Freinet pour le primaire,quatre du second degrŽ public et privŽ) et de reprŽsentants syndicaux et associatifs concernant l'Žducation. Mlle Flayol participe au congrs de l'Imprimerie ˆ l'Ecole o une motion encourage les militants ˆ entrer dans les groupes GFEN existants, ˆ en crŽer de nouveaux (EP 13, mai 37).

Changement de ton (EP 1, oct. 37, p. 1). Freinet, venu ˆ Paris participer en juillet 37 ˆ plusieurs manifestations, assiste ˆ une rŽunion des instances du GFEN:  J'ai eu - et je regrette d'y avoir ŽtŽ contraint - ˆ lutter contre toute l'organisation actuelle du Groupe Franais, trop exclusivement parisienne, donc trop bureaucratique, qui sous-estime la valeur et les possibilitŽs des nombreux camarades de province et qui n'a rien su faire jusqu'ˆ ce jour pour les faire travailler. Je l'ai affirmŽ avec la dernire Žnergie : ou bien le GFEN tiendra le plus grand compte de ces enthousiastes Žnergies  en se dŽcentralisant et en donnant ˆ la Province la part de direction et d'action qui lui revient, ou bien nos camarades se dŽsintŽresseront d'un groupement qui ne leur est point propre, dont ils ne se sentent pas les ouvriers essentiels, et cette fois le GFEN ne ressucitera pas. (...) Il y a dans nos sections un malentendu nŽ du fait qu'on sent la direction parisienne trop timide dans l'action. Nous ne pouvons piŽtiner. Pour un mouvement d'Žducation nouvelle, piŽtiner c'est reculer, c'est sombrer; l'avant-garde doit sans cesse, malgrŽ les obstacles, pousser hardiment, mme s'il faut pour cela dŽnoncer quelques protocoles ou nous sŽparer de certains ŽlŽments qui se faisait une autre idŽe du mouvement d'Žducation nouvelle. Nous le rŽpŽtons ici franchement: le Groupe Franais ne saurait tre pour nous un simple paravent. Ou bien il est l'organisateur attendu du mouvement, ou bien nous le laisserons mourir pour chercher ailleurs une nouvelle forme possible d'organisation nationale (mots soulignŽs par Freinet).

Moins peut-tre ˆ cause de la discussion de Paris que de l'Žcho qu'en donne Freinet dans son Žditorial, le GFEN rŽagit (compte rendu publiŽ dans EP 7, janv. 38, p. 137) en rappelant que, loin de s'tre inquiŽtŽs de l'activitŽ de Freinet et de son groupe, Mlle Flayol et M. Wallon l'en ont publiquement fŽlicitŽ. D'autres membres du GFEN ont dit le malaise suscitŽ par la rŽaction de Freinet. Ce dernier assure de sa fidŽlitŽ au GFEN (p. 138), mais si la cordialitŽ avec Mlle Flayol n'est jamais remise en question, le problme reste posŽ d'un mouvement dont les personnalitŽs universitaires qui le dirigent prŽfrent finalement quelques adhŽrents dociles et apathiques ˆ des militants dynamiques mais plus turbulents. C'est tout le sens du changement d'Žducation.

 

La coopŽration scolaire

BarthŽlŽmy Profit, fondateur des coopŽratives scolaires, n'a jamais acceptŽ la crŽation de l'Office National des CoopŽratives qui les fŽdre maintenant, sous la houlette des CoopŽratives adultes de consommation. A propos d'un article de Profit paru dans Le Manuel gŽnŽral , Freinet Žcrit (EP 5, nov. 37, p. 95): Nous ne pouvons que rendre hommage ˆ ce souci permanent de m. Profit de prŽserver l'Žcole de la mercantilisation o risquent de l'Žgarer les mauvaises coopŽratives. Il n'en reste pas moins que nous sommes maintenant devant un fait: la CoopŽration scolaire s'est formidablement dŽveloppŽe et M. Profit n'a pas su ou n'a pas pu en rester l'animateur. C'est l'autre tendance qui a incontestablement gagnŽ du terrain. Que nous le dŽplorions ou non, nous sommes devant cette rŽalitŽ. Nous ne crions pas cependant pour cela ˆ la mort de la CoopŽration scolaire : la CoopŽrative n'est pas un but en soi; elle n'est qu'un moyen vers le travail communautaire. Et les coopŽratives qui se constituent un peu partout, mme si elles n'ont pas ˆ l'origine cette exclusive prŽoccupation pŽdagogique, peuvent par la suite Žvoluer si on sait leur fournir des activitŽs favorables.  Profit regrette que Freinet ne boude pas l'Office et considre  un peu cela comme une trahison. Freinet reproduit sa lettre (EP 7, janv. 38, p. 129) et rŽpond : Je n'ai pas, vis-ˆ-vis des coopŽratives adultes, la sainte horreur que manifeste M. Profit; je ne pense pas que la CoopŽration scolaire doive n'tre que la coopŽration des esprits et des cÏurs. Elle doit tre aussi la coopŽrative Žconomique, la bo”te ˆ sou, indispensable dans notre rŽgime; et elle s'apparente, de ce fait, aux coopŽratives adultes dont elle peut donc rechercher l'alliance.

Un an plus tard, le dŽbat rebondit (EP 11, mars 39, p. 262). Un des responsables de l'Office affirme que: La CoopŽrative scolaire ne sera jamais qu'une Ïuvre de l'Žcole, une annexe, en quelque sorte, de l'action du ma”tre et des Žlves. Profit refuse que l'on restreigne la portŽe de la C.S. et il lance un appel pour les CoopŽratives scolaires d'Education Nouvelle. Sans doute espre-t-il avoir le soutien de Freinet qui se mŽfie de l'Žvolution en cours (les anciennes coopŽs de son dŽpartement Žtaient trs Žducatives, alors que les plus rŽcentes, englobŽes dans l'Office glissent vers le commerce; lui-mme n'est jamais invitŽ au titre de la CEL aux rŽunions de la fŽdŽration dŽpartementale des coopŽratives, mais il s'y rend au titre de l'Union Paysanne qu'il anime avec son ami Laurenti). D'autre part (EP 14-15, avr. 39, p. 340), Fragnaud fait Žtat des pressions exercŽes sur les coopŽratives scolaires de Charente-Mme pour qu'elles adhrent ˆ l'Office, alors qu'elles restent fidles au fondateur que l'on dŽnigre impoliment, sans faire changer la position de ces C.S. NŽanmoins, contrairement ˆ ce que pourraient croire ceux qui voient Freinet en idŽologue du "tout ou rien", celui-ci refuse toute rupture : Est-ce une raison pour sŽparer aussi farouchement les deux tendances (...) nous ne le pensons pas. Les Žducateurs et les enfants s'arrteront difficilement sur la pente o ils seront ainsi engagŽs. Il y aura, peu ou prou, des dŽcisions ˆ prendre en commun, des fonds ˆ utiliser; on pensera bient™t ˆ un journal scolaire, ˆ l'imprimerie, aux Žchanges, ˆ la solidaritŽ, et peu ˆ peu, la coopŽrative sans large horizon du dŽbut, prendra tout son sens pŽdagogique nouveau. (...) Quand ma”tres et Žlves auront senti, pratiquement, dans les occasions courantes de la vie de l'Žcole, les bienfaits de la coopŽration, ils s'Žlveront ˆ cette conception plus intellectuelle prŽconisŽe par Profit et la coopŽrative Transformera alors l'Žcole. Cette conception diffŽrente du processus souhaitable de constitution et d'Žvolution des C.S. ne saurait impliquer l'approbation de certains abus signalŽs par Profit. Mais ce n'est pas le moment, croyons-nous, d'isoler ainsi idŽologiquement et pratiquement un mouvement qui doit imprŽgner et transformer l'Ecole Franaise. C'est au sein mme de cette Žcole que les CoopŽratives scolaires vŽritables doivent servir de modle et de flambeau.

Je viens d'Žvoquer L'Union Paysanne des Alpes-Maritimes. Ce sujet, ˆ lui seul, pourrait faire l'objet d'une recherche. Freinet aide ses amis paysans progressistes ˆ s'organiser. Il a suscitŽ en 36 la crŽation d'une coopŽrative du pain ˆ Saint-Jeannet. On comprend mieux son souci de ne pas couper la coopŽration scolaire des coopŽratives d'adultes, mme s'il aperoit toutes leurs insuffisances. Rappelons qu'il se prŽsente, Žgalement en 36, au Conseil gŽnŽral dans son canton natal de St-Auban, mais qu'il est dŽu du rŽsultat.

 

Autres ouvertures

L'ŽtŽ 37, Freinet a dŽployŽ  une activitŽ incroyable, liŽe aux manifestations parallles ˆ l'exposition internationale de Paris . Il participe ˆ au Congrs de Sociologie de l'enfance, organisŽ par Mme Lahy-Hollebecque et y fait deux interventions: Transformer l'Žcole en une sociŽtŽ d'enfants, par l'imprimerie ˆ l'Žcole  et Points de vue nouveaux sur le conte, ses possibilitŽs actuelles, son avenir. Le texte est publiŽ (EP 2, oct. 37, p. 42), il y Žvoque notamment les contes modernes dont il donnera des exemples dans La Gerbe. Il participe au Palais de la MutualitŽ au Congrs international de l'Žducation populaire dont il trouve l'atmosphre chaleureuse, alors qu'il ne rencontre au Congrs du Syndicat National que des instituteurs fonctionnaires. Un saut ˆ Bruxelles pour participer au congrs du mouvement belge de l'imprimerie ˆ l'Žcole. Il revient ˆ Gentilly intervenir au Congrs des jeunes instituteurs. Il mentionne le Congrs de l'Internationale de l'Enseignement  ˆ Issy-les-Moulineaux sans prŽciser s'il y Žtait. Enfin, il anime le 31 juillet, toujours ˆ Paris, la rencontre extraordinaire des adhŽrents de la CEL, sorte de petit congrs, avant de retourner ˆ Vence animer les stages d'aožt. Des vacances bien remplies.

C'est presque une chance que la Nouvelle Education n'ait pas souhaitŽ la prŽsence de la CEL dans son congrs de Paris (EP 16, mai 37, p. 281), sous prŽtexte que les collaborateurs n'avaient pas respectŽ prŽcŽdemment les rgles (fermetures des stands pendant les confŽrences) et, plut™t que de regretter la captation d'une partie de l'assistance, Mme GuŽritte Žvoque le problme des vols de documents "prŽcieux" que favorise cette indiscipline. Freinet rŽplique qu'il n'a jamais eu se plaindre de vols de documents tout aussi prŽcieux. Sans cacher la divergence des lignes d'action, il Žvite pourtant de rompre les ponts. Lisant sa rŽponse, Mme GuŽritte est vexŽe de voir son mouvement cataloguŽ dans le clan "bourgeois et bien pensant" et parle ˆ nouveau des vols (EP 3, oct. 37); Freinet rŽpond que, comme ˆ l'Žcole, c'est un climat de confiance qui Žvite les incidents.

La CEL n'est cependant pas ˆ l'abri du pillage. Le Journal des Instituteurs  annonce un Centre d'Žchanges scolaires  dont le protagoniste, Caruel, qui connait pourtant bien la CEL (ˆ laquelle il appartenait en 27, comme son beau-frre R. Daniel), n'hŽsite pas ˆ affirmer que: rien n'existait encore de ce genre. Cela provoque Žvidemment un tollŽ chez les militants et Caruel est amenŽ ˆ faire une mise au point: rien n'existait encore "pour la masse des instituteurs", mais il n'oublie pas les rŽalisations fŽcondes de l'Imprimerie ˆ l'Ecole. Freinet conteste en tout cas que le simple Žchange suffise ˆ transformer la pŽdagogie.

Freinet informe (EP 8, janv. 38, p. 156) d'une sŽrie de cours du jeudi de l'Office pŽdagogique de l'EsthŽtisme, animŽ par M. Horace Thivet. On y prŽsentera les courants pŽdagogiques nouveaux en Hollande, TchŽcoslovaquie, Suisse, Belgique, Etats-Unis, Espagne, URSS, puis la conception nouvelle de l'emploi du temps, la vie communautaire coopŽrative, le matŽriel scolaire.