A l'Žpreuve de
la guerre
(1939-1940)
Un tournant douloureux et difficile
C'est un Freinet doublement dŽchirŽ qui aborde la
rentrŽe d'octobre 39. Pacifiste malgrŽ son antifascisme profond, il ne peut se
rŽsoudre ˆ vivre une deuxime fois la guerre. Pendant le cours d'ŽtŽ qui
rŽunissait ˆ Vence, du 30 juillet au 6 aožt, une centaine d'instituteurs, on a
abordŽ le problme de la paix et de la guerre: Freinet rejette ˆ la fois le
pacifisme intŽgral ˆ la Giono, coupŽ de la rŽalitŽ, et la politique louvoyante
du gouvernement depuis les accords de Munich. A son avis, le laisser-faire mne
droit au fascisme et il pense que l'URSS garde un r™le dŽterminant.
Mais le 23 aožt, c'est le pacte germano-soviŽtique et
nous savons par des tŽmoins prŽsents ˆ Vence ˆ ce moment (Max et Marie Cassy)
que Freinet l'a dŽsapprouvŽ fortement, ne pouvant admettre que l'on puisse
pactiser avec Hitler. Pourtant il refuse de signer toute dŽclaration publique
qui condamnerait ses amis communistes franais qui s'alignent sur Staline. Ce
double refus de l'alignement aveugle et de la trahison de ses frres se
retournera deux fois contre lui. Aprs son arrestation, en mars 40, des
personnalitŽs socialistes refuseront d'intercŽder pour le faire libŽrer puisqu'il
a refusŽ de se dŽsolidariser du PC. Aprs la guerre, c'est le parti communiste
qui rŽglera ses comptes avec lui.
Le premier Žditorial qu'il Žcrit, pour la rentrŽe
d'octobre 39, s'intitule ClartŽs dans la nuit. Rappelant l'ambiance fervente du cours
d'ŽtŽ de Vence, au dŽbut d'aožt, il dit : On aurait dit que planait dŽjˆ sur
ce cours la menace des graves ŽvŽnements que nous avons connus depuis. Chacun
cherchait sa voie en nous interrogeant avec anxiŽtŽ et les participants auront
certainement pensŽ longuement, ces temps-ci, ˆ cette soirŽe d'ardente
discussion sur le problme de la paix. Emouvante et comme solennelle aussi,
cette dernire soirŽe sur le terrain de jeux, o les petits Espagnols qui
allaient retourner dans leur pays se dŽcoupaient en fires silhouettes
clignotantes et lanaient vers le ciel leurs inoubliables chants d'espoir...
Nous avions bien dit ˆ nos amis : nous n'aurons pas
cette guerre que vous craignez et qu'on nous annonce. Et, forts de notre bon
sens et d'un attentif examen des conjonctures prŽsentes, nous justifiions notre
prophŽtie. Nous serions-nous trompŽs ?
Nous ne voulons pas encore le croire. La grande
tuerie n'est qu'ˆ moitiŽ dŽcha”nŽe. Les canons et les bombes n'ont pas encore
donnŽ leur grosse voix. Le monde hŽsite ˆ se suicider.
Le premier souci de Freinet est de prŽserver l'unitŽ
du mouvement dans sa pluralitŽ. Aprs avoir rappelŽ les problmes posŽs par la
mobilisation de nombreux militants et la moindre disponibilitŽ de beaucoup de
militantes, il ne veut rien renier des engagements passŽs:
Reste la question idŽologique. Nous n'avons
absolument rien ˆ en cacher. Nous avons toujours pensŽ que l'esprit Imprimerie
ˆ l'Ecole devait nŽcessairement baigner toute l'atmosphre dans laquelle
Žvoluent et se diffusent nos techniques. Il ne s'agit pas lˆ d'un esprit
partisan quelconque puisque nous avons toujours ralliŽ l'unanimitŽ des
adhŽrents de notre CoopŽrative qui, comme dans toute CoopŽrative, ont le loisir
d'appartenir aux organisations, sociales et politiques qui leur plaisent ou de
rester au contraire ˆ l'Žcart de toutes.
Freinet sent que le danger principal est la remise en
cause des progrs Žducatifs, rŽcemment acquis, au profit d'une restauration du
bourrage de cr‰ne qu'il a bien connu avant et pendant la guerre de 14. Il ajoute
donc : Il ne faut, en aucune faon, que les difficultŽs actuelles autorisent
le retour virulent de techniques condamnŽes par l'expŽrience et prŽtendant
annihiler les heureuses innovations de ces dernires annŽes. (...) On tentera
de nous dŽcourager en nous signifiant que, lorsque les hommes se battent,
toutes discussions pŽdagogiques deviennent futiles et superflues. Comme si on
voulait nous persuader que l'Žducation des jeunes gŽnŽrations en temps de
guerre est indiffŽrente ! Nous espŽrons bien qu'on n'a pas l'intention de
poursuivre une guerre d'extermination. Quand les combattants reviendront
prŽmaturŽment fatiguŽs et vieillis, ce seront ces enfants dont nous avons la
garde aujourd'hui qui devront reprendre le flambeau. Nous voulons qu'ils en soient
dignes.
L'objectif est donc de tenter de prŽserver au mieux
les enfants de toutes les consŽquences de la guerre. Dans cet esprit, Elise
Freinet inaugure une sŽrie d'articles intitulŽs: Conseils aux mamans en
temps de guerre pour sauvegarder la santŽ de l'enfant .
Sous les ciseaux de la censure
Comme un bon nombre d'abonnŽs sont mobilisŽs et
risquent de ne pas renouveler leur abonnement, la revue para”t avec une
pagination rŽduite et le prix est ramenŽ provisoirement de 40 ˆ 30 F. Les
amŽliorations envisagŽes pour La Gerbe sont ajournŽes. D'ailleurs Copain-Cop
a
cessŽ de para”tre, tout comme la revue belge Vers l'Ecole Active, et on est sans nouvelle de La Nouvelle Education et de Pour l'Žre
nouvelle.
Freinet n'ignore pas que l'obstacle majeur ˆ l'action
de son mouvement est la restriction de libertŽ dŽcoulant de l'Žtat de guerre,
notamment la censure. Grande malchance pour lui : le Quartier GŽnŽral du 15e
corps d'armŽe est fixŽ ˆ Vence. On devine les mesures particulires de sŽcuritŽ
que cela provoque. Parmi les officiers, souvent plus ou moins proches de
l'Action Franaise, certains n'ont pas oubliŽ une certaine affaire Freinet et
sont ˆ l'affžt du moindre indice. Ils y sont d'ailleurs encouragŽs par des
lettres anonymes dŽnonant tous les militants progressistes de la rŽgion.
Freinet est notamment accusŽ de continuer "d'expŽdier par la poste des
corbeilles entires de tracts et d'imprimŽs de propagande communiste ".
De leur c™tŽ, les rapports de police dŽpeignent
Freinet, tant™t comme un dangereux agitateur communiste, tant™t comme un
anarchiste depuis qu'il a crŽŽ sa propre Žcole dans un quartier peuplŽ
d'Espagnols, plus ou moins proches du mouvement anarchiste de leur pays.
Certains adversaires n'hŽsitent pas se faire l'Žcho de rumeurs selon lesquelles
"les b‰timents du Pioulier auraient ŽtŽ payŽs par des fonds de
l'ambassade d'URSS auprs de laquelle Freinet se rendrait, dit-on, frŽquemment ".
Mme s'il ne sait pas tout cela, Freinet, pour
sauvegarder l'essentiel, adopte ce qu'on pourrait appeler un profil bas. CŽdant
aux intimidations, il a supprimŽ du titre de sa revue l'adjectif ProlŽtarien, jugŽ provocateur dans le climat anticommuniste du moment (Daladier
vient de dissoudre le PC). Mais le changement de titre de dernire minute
oblige ˆ supprimer l'adjectif chaque fois que l'on parle de L'Educateur dans les colonnes du
premier numŽro. Les blancs insolites qui en rŽsultent ne sont que le prŽlude de
ceux qui vont se multiplier dans les numŽros suivants.
Dans un article censurŽ, chaque passage incriminŽ
(mot, ligne, pavŽ) est remplacŽ au dernier moment par un blanc, si bien que le
lecteur ne peut conna”tre les raisons qui ont motivŽ la censure. Par exemple,
en voyant que plusieurs lignes ont ŽtŽ supprimŽes dans les Žditoriaux de
Freinet (6 lignes, E 2, p. 20; 8 lignes, E 8, p. 116-117; 8 lignes, E 9, p.
129-130), on serait tentŽ de croire que, malgrŽ sa prudence, il s'est laissŽ
entra”ner ˆ exprimer des idŽes maintenant prohibŽes.
Pourtant on s'aperoit que les textes les plus
largement censurŽs sont typiquement pŽdagogiques, on peut mme dire
technologiques. Dans une sŽrie d'articles relatant un travail rŽalisŽ dans sa
classe, autour d'un texte libre sur la mort d'une jument, Yves Guet (Allier),
se fait censurer ˆ quatre reprises (une colonne et demie, E 4, p. 59; 20
lignes, E 5, p. 72; 24 lignes, E 9, p. 137; 6 lignes, E 10, p.148). Freinet en
donne par la suite l'explication : La censure a supprimŽ une fiche
documentaire de calcul sur le cheval. CensurŽe aussi la page de fiches
autocorrectives de grammaire, l'annonce de notre service de films. Nos
correspondants sont invitŽs ˆ Žviter dans leurs articles les sŽries de nombres,
les longues ŽnumŽrations qui sont censurŽes. De mme a ŽtŽ interdite la
publication des listes d'adresses des classes jumelŽes pour la correspondance
ou l'Žchange de journaux scolaires.
MalgrŽ cette mise en garde, d'autres articles sont
largement censurŽs, gŽnŽralement parce qu'ils devaient contenir des nombres:
l'un sur l'index de classement dŽcimal du fichier documentaire, d'autres de
Vovelle sur l'herbier o il indiquait les diagrammes des fleurs (nombre de
pŽtales, sŽpales, Žtamines), de Delaunay sur le fichier de calcul, tout comme
la liste des disques qui comportent chacun un matricule d'Ždition.
On atteint la bouffonnerie quand disparaissent sous la
censure certains mots des menus vŽgŽtariens d'Elise Freinet (E 5, p. 77-78) ou
les critiques formulŽes par le Docteur Carton contre la consommation de viande
(E 9, p. 145). Il est vrai que, pour dŽgožter d'en manger, cet hygiŽniste
utilise souvent le mot "cadavre"; sans doute ne fallait-il surtout
pas parler de cela en ce temps de (dr™le de) guerre. Dans le n¡ 10, un article
entier est censurŽ, il Žtait intitulŽ Des nouvelles aux mobilisŽs. On se perd en conjecture sur ce que pouvait contenir de si
sŽditieux un tel article.
Place, malgrŽ tout, ˆ la rŽflexion
MalgrŽ les fourches caudines de la censure, Freinet
tente au maximum d'assurer la continuitŽ de l'action et de la rŽflexion
Žducatives. Comme il ne reste plus que 8 petits rŽfugiŽs espagnols ˆ l'Ecole
Freinet, il propose d'accueillir d'autres enfants en dŽtresse en faisant appel
au parrainage des militants (E 2, oct. 39, p. 25). Il doit renouveler l'appel
au soutien financier, car sur 22 enfants hŽbergŽs, 12 seulement paient pension,
les autres Žtant ˆ la charge de la collectivitŽ (E 7, p. 96).
Sous le titre Les vraies raisons de nos succs, Freinet cite un inspecteur qui prŽtend, pour contester la nouvelle
pŽdagogie: L'Žducation n'est pas une science mais un art. Ce n'est pas avec
des techniques qu'on fait des chefs d'Ïuvre. Il n'y a pas de formule pour faire
la Joconde. Il suffit d'avoir du gŽnie. A dŽfaut de gŽnie, la foi opre des
miracles. Et votre Žcole en fournit, aprs l'exemple de BakulŽ, une Žclatante
dŽmonstration. Argument qui remettrait d'ailleurs
en question la validitŽ de tous les apprentissages scolaires traditionnels.
Freinet lui rŽpond longuement: Je prŽsente toujours notre groupe comme un
groupe d'instituteurs moyens, ayant beaucoup de bonne volontŽ et de dŽvouement
certes, animŽs par un idŽal de progrs - mais qui n'est justement pas, ˆ de
rares exceptions prs, un idŽal exclusivement pŽdagogique. (...) Nous
n'avons pas de gŽnie si ce n'est celui qui nous vient "d'une longue
patience". Et nous n'avons pas de foi! Je rattrape tout de suite cette
parole pour qu'on ne croie pas que notre activitŽ pŽdagogique cache alors
quelque but inavouable. Nous avons la mme foi que le menuisier qui fait son
travail avec gožt et conscience, qui est persuadŽ du sŽrieux de son activitŽ et
de l'intŽrt individuel et social qu'il a ˆ le faire de son mieux. (...)Pourquoi insistons-nous si longuement sur le sens ˆ donner ˆ
ce mot de foi? C'est que nous y voyons une des tendances les plus dangereuses
de la pŽdagogie que nous dŽnonons. On dit au jeune normalien sortant : tu es
nanti d'un sacerdoce. Il faudra travailler avec une foi inŽbranlable! Et on le
place dans des conditions telles qu'il se dŽgožte ˆ jamais de son mŽtier. (...)Nous ne marchons plus pour cette foi intŽressŽe qui abuse de
notre candeur et de notre dŽvouement. Nous voulons qu'on mette, ˆ la base de
l'organisation pŽdagogique franaise, l'ordre technique, l'installation
matŽrielle les mieux aptes ˆ la rŽalisation mŽthodique et sžre de notre idŽal.
Freinet fait ensuite Žtat de dŽclarations d'un
directeur de l'enseignement secondaire: Ces pionniers de l'Education
Nouvelle ont le dŽfaut d'tre des iconoclastes. Agents de rŽnovation, ils
commencent par tout dŽtruire. Ils rompent avec toutes les traditions
pŽdagogiques; ils font litire de tout le passŽ. Bien plus, ils sont rebelles ˆ
toute organisation. Ces grands tŽnors chantent leur air sans s'inquiŽter du
reste du chÏur. Ils sont fauteurs d'anarchie. Si leur nombre venait ˆ se
multiplier, quel flŽau et quelle menace!
A quoi Freinet rŽpond: Nous sommes
iconoclastes, certes, si iconoclastes signifie ennemis et destructeurs des
ic™nes et de toutes les croyances non fondŽes sur la science ni sur la raison.
Mais ne sommes-nous pas dans la pure tradition philosophique franaise en
posant comme but ˆ notre Žducation la victoire du bon sens et de la lumire sur
les tŽnbres des croyances ancestrales? Tout dŽtruire? Qu'avons-nous dŽtruit
dans nos classes? Nous disons au contraire: construire, mais en utilisant les
matŽriaux actuellement prŽparŽs, et nous en donnons l'exemple dans toutes nos
rŽalisations. Faire litire du passŽ? Non pas. Mais ne point s'encha”ner ˆ ce
passŽ... S'en servir pour aller de l'avant, tout comme devront se servir de nos
rŽalisations ceux qui viendront aprs nous pour aller plus loin que nous.
Rebelles ˆ toute organisation! Lˆ, nous retournons l'accusation et nous sommes
en mesure de prouver que ce qui caractŽrise l'Žducation traditionnelle c'est le
manque d'organisation, gŽnŽrateur d'anarchie; que nous prŽtendons apporter
l'ordre, la mŽthode, l'effort concertŽ au service de la communautŽ. Ne pas
s'inquiŽter du reste du chÏur! Qu'on trouve aujourd'hui un groupe pŽdagogique
aussi animŽ que le n™tre de collaboration fructueuse entre des milliers
d'Žcoles, entre des centaines de milliers d'enfants! (...) Nous le rŽpŽtons encore : nous n'avons pas de mŽthode fixe
et dŽfinie ˆ proposer pour votre salut. Nous sommes un groupe, d'une puissance
sans prŽcŽdent, d'instituteurs qui cherchent, sans aucun parti pris, l'amŽlioration,
l'amŽlioration de leurs conditions de travail et du rendement Žducatif de leurs
efforts. Techniciens, nous nous adjugeons le droit de discuter de nos
techniques, de juger avec nos connaissances de praticiens, les mŽthodes qu'on
nous a trop longtemps imposŽes. Et nous t‰chons de faire mieux, posŽment,
calmement, sans gestes ni paroles inutiles, sans rien dŽtruire brutalement
persuadŽs que nous sommes qu'il suffit d'aller de l'avant avec bon sens et
mesure, mais avec hardiesse aussi, pour laisser derrire soi se perdre
insensiblement dans la dŽsaffection et l'oubli, les formes dŽsutes d'activitŽ.
(E 7, janv. 40, p. 97 ˆ 100).
Dans les n¡ 10 (p. 155) et 11 (p. 173), Freinet se
livre ˆ une rŽflexion sur la vraie place du jeu en Žducation. Pour la premire fois, on lui voit opposer au jeu-haschich le
ludisme vital et l'activitŽ sociale fonctionnelle ˆ la mesure des enfants. On
retrouvera le niveau de ces rŽflexions (rupture ou continuitŽ avec les
traditions, place rŽelle du jeu dans l'Žducation) dans L'Education du
Travail,
l'ouvrage qu'il ne tardera pas ˆ concevoir.
Les journaux scolaires aussi sont soumis ˆ la censure
Alors que, si souvent, on conteste aux journaux
scolaires le statut de la presse, ils accdent, en temps de guerre, au droit
d'tre censurŽs comme ceux des grands. Dans le n¡1, p. 6, Freinet a rappelŽ: Il
y a la censure. Nous pensons que, avant reliure et expŽdition du journal
scolaire, il sera bon de soumettre un exemplaire ˆ la censure (s'adresser ˆ la
PrŽfecture). Si, comme nous le recommandons, on a fait grande attention aux
textes et aux phrases qui risquent de prter ˆ malentendu, aucune difficultŽ ne
devrait surgir de ce c™tŽ-lˆ. Le cas ŽchŽant, on supprimerait purement et
simplement les pages incriminŽes. GŽnŽralement, la
censure ne pose pas de gros problmes aux Žcoles, sinon que l'apposition d'un
cachet militaire incongru atteste parfois le contr™le.
Dans le n¡ 5 de L'Educateur, Freinet reproduit en gros caractres le conseil de l'Inspecteur
GŽnŽral PrŽvot d'adresser aux soldats les rŽcits collectifs - polycopiŽs ou,
mieux encore, imprimŽs et accompagnŽs de croquis - des faits divers les plus
saillants de la localitŽ . Il reprendra cet appel
en mars 40 (E 11, p. 169). Lui-mme avait pris l'initiative, ds le 20
septembre, de faire rŽdiger une lettre collective dactylographiŽe et tirŽe au
limographe: A nos grands camarades mobilisŽs .
Ensuite le titre devient A nos amis mobilisŽs (moins connotŽ socialement). A
qui est destinŽe cette feuille ? A tous les familiers de l'Žcole actuellement
sous les drapeaux: Žducateurs et employŽs de la coopŽrative, voisins du
Pioulier, jeunes qui avaient participŽ ˆ la construction des b‰timents et qui y
revenaient souvent.
Cette lettre hebdomadaire donne des nouvelles de
l'Žcole, des enfants (y compris Pouponne, le bŽbŽ d'Albert et Fifine, ‰gŽe d'un
an ˆ peine), ceux qui partent (notamment des enfants espagnols) et ceux qui
arrivent, l'organisation des travaux, l'Žtat des cultures et du temps. Quand
les mobilisŽs donnent ˆ leur tour de leurs nouvelles, la lettre collective
informe les autres. Il arrive aussi que des enfants espagnols revenus dans leur
pays Žcrivent : Alfonso nous dit (de Madrid) que lˆ-bas les gens n'ont ni
travail ni argent. Les maisons autour de lui sont dŽtruites et il n'a plus d'amis.
Il voit souvent Carmen et Rosario .
Le 28 octobre, s'y ajoute une feuille sur le travail
de la semaine qui prŽcise: Nous aurions voulu imprimer encore quelques
textes espagnols, mais nous craignons d'avoir des ennuis avec la censure .
MalgrŽ la prudence, ces ennuis ne tardent pas.
Qui veut noyer son chien...
Le 8 novembre, l'Žcole Freinet diffuse cette
information : Papa avait portŽ ˆ la censure le numŽro d'octobre de
"Pionniers". La censure de Nice a communiquŽ Pionniers ˆ la censure
de Marseille, et, hier, deux gendarmes de Vence sont venus nous aviser que la
publication de Pionniers est "formellement interdite". Nous ne
savons pas pourquoi. Les gendarmes ont saisi et emportŽ toutes les feuilles
imprimŽes en octobre. Le journal ne para”tra donc pas.
Nous continuerons ˆ faire notre livre imprimŽ et
nous assurerons les correspondances par lettres manuscrites rŽgulires des
enfants.
Que contenait donc de si sulfureux ce journal interdit
? Tous les textes en ont ŽtŽ conservŽs dans le livre de vie personnel des
enfants. En plus des lettres aux amis mobilisŽs, on n'y trouve que de petits
textes anecdotiques (jeux ou farces, Žtourderies ou maladresses), des
indications sur la saison et sur les sujets ŽtudiŽs en classe: l'Egypte, les
mouvements de la Terre, l'oxygne.
Mais qu'importe au commandement militaire de rŽgion
(on n'avait tout de mme pas osŽ remonter jusqu'au gŽnŽralissime Gamelin, ni au
ministre de la Guerre), voici son avis: "MalgrŽ son texte d'apparence
enfantin, le journal pourrait cacher un moyen de correspondance secrte et doit
tre empchŽ de circuler ".
La mention de ces faits n'Žtait peut-tre pas inutile
pour rappeler que le rgne de l'arbitraire le plus bornŽ n'a pas commencŽ avec
l'invasion et le vote des pleins pouvoirs au marŽchal PŽtain. Certains
officiers Žtaient beaucoup plus prŽoccupŽs de pourchasser un fantasmatique
"ennemi intŽrieur" que de barrer la route aux rŽels envahisseurs qui
allaient bient™t dŽferler sur notre pays.
Regard sur le livre de vie des enfants
Un seul texte (du 27 septembre 39) montre le contexte
de l'Žpoque:
L'alerte.
Pour avertir de l'arrivŽe des avions ennemis, on
fait mugir la sirne. A Vence, les avions allemands ne sont pas venus, mais on
a quand mme donnŽ l'alerte. Il Žtait 10h; nous dormions tranquillement. Seules
Baloulette, Mireille et Claude Žtaient ŽveillŽs. Tout ˆ coup la sirne mugit ;
sa voix dŽsespŽrŽe montait, descendait, indŽfiniment. On aurait dit que toute
la nature avait peur. C'Žtait lugubre.
Les petits Espagnols pleuraient. Ils se souvenaient
des bombardements d'Espagne. Ils croyaient que les bombes allaient tomber.
Heureusement, papa et maman allaient d'un dortoir ˆ l'autre en disant : -
N'ayez pas peur, ce n'est qu'une alerte pour rire. Il y en avait qui dormaient ˆ poings fermŽs.
Les pages les plus significatives sont les lettres
hebdomadaires aux mobilisŽs que Freinet continue de tirer au limographe (la
dernire est datŽe du 6 mars) et les feuilles consacrŽes au travail de la
semaine, sans doute envoyŽes aux parents et aux correspondants par courrier. On
y voit l'Žvolution des sujets ŽtudiŽs, assez souvent proches des programmes
scolaires.
Les autres textes semblent montrer que les enfants
souffrent d'un certain confinement et, quand on les compare ˆ ceux des livres
de vie des annŽes prŽcŽdentes, on ressent par contraste l'influence du brassage
des idŽes gr‰ce ˆ la correspondance et ˆ l'Žchange des journaux scolaires,
l'importance de l'ouverture de l'Žcole sur son environnement social.
Observons qu'un texte de Marianne sur ses crises de
colre, imprimŽ le 18 janvier 40, est prolongŽ par une longue sŽrie de textes
o chaque enfant parle de sa propre colre (ou, s'il n'est pas colŽreux, de ses
autres dŽfauts). Le 19 fŽvrier, un texte de Serge et Michelle dŽcrit celle de
Freinet.
La colre de Papa
Lorsque Papa se met en colre, il ne crie pas comme
nous et ne tape pas du pied. Quand nous nous mettons en colre, c'est pour un
rien, mais Papa, c'est pour des choses importantes: par exemple quand, en
faisant des expŽriences, on casse quelque chose, ou comme un jour o on avait
par erreur jetŽ des archives ˆ la Cagne.
(on avait en effet l'habitude d'utiliser
comme dŽpotoir le bas de la falaise sous l'Žcole)
Lorsqu'il se met en colre, il dit: - Ah! coquin de sort! a ne semble pas
possible... Tu n'aurais pas pu faire attention!... Et comment t'es-tu
dŽbrouillŽ pour faire a?
Heureusement qu'il ne fait pas comme nous et qu'il
ne casse pas tout.
La colre de Papa n'est pas trs terrible.
Le livre de vie des enfants s'interrompt le samedi 16
mars avec l'habituelle page de synthse dactylographiŽe de la semaine et ne
reprend que le 1er avril. Cette interruption est logique si l'on se rappelle
que les congŽs scolaires commenaient alors une semaine avant P‰ques et se
terminaient une semaine aprs, soit pour 1940 du 17 au 31 mars (ce dernier
jour, est prŽvue ˆ Moulins l'AG statutaire de la CEL). Les enfants de l'Žcole
Freinet ne quittent pratiquement pas l'internat, en dehors de l'ŽtŽ. Mais, si
la vie communautaire continue, les activitŽs purement scolaires s'interrompent
comme dans toutes les Žcoles.
Une arrestation au Pioulier
Le premier texte Žcrit ˆ la rentrŽe de P‰ques, le 1er
avril, raconte le dŽpart de Papa . Il s'agit de
l'arrestation de Freinet, le 20 mars, et de son internement au camp de Saint-Maximin
(Var).
Papa est parti. Nous avons eu un trs grand chagrin
de le voir s'en aller. C'Žtait un vŽritable dŽsespoir pour tout le monde. Nous
ne voulons pas en parler maintenant. Nous en parlerons plus tard dans
l'histoire de notre Žcole.
Maintenant nous voulons simplement travailler avec
tout notre cÏur, avec tout notre courage. Papa nous a laissŽ l'Žcole et le
matŽriel. Cette Žcole, elle est ˆ nous tous. Nous savons nous instruire tout
seuls avec les fiches, l'imprimerie, les livres et toutes les questions que
nous pourrons poser ˆ MŽmŽ, ˆ Maman au moment du d”ner et des promenades.
Nous avons mis des responsables: Nicole qui est
grande et qui Žcrit bien Žcrira les textes au tableau. Toti qui est forte en
orthographe corrigera les fautes. Coco surveillera la composition. Serge
surveillera le tirage. Baloulette sera responsable de la discipline des heures
de classe. Pierrette fera le texte des petits. Jacquot sera responsable de
l'illustration. Henri prendra la direction des travaux de la campagne sous la
conduite d'Albert (il avait ŽtŽ mobilisŽ puis
libŽrŽ pour sa mauvaise vue). Chaque soir, Pierrette et Baloulette feront le
journal de la journŽe pour les Annales et pour Papa. Au travail !
Ce texte confirme la capacitŽ d'autonomie des enfants
chaque fois que Freinet devait s'absenter, mais la mise en retrait d'Elise par
rapport ˆ l'Žcole (alors qu'elle y intervenait souvent, notamment pour les
activitŽs artistiques) semble inspirŽe par sa prudence ˆ l'Žgard de
l'administration car elle sait que seul Freinet est le directeur en titre de
l'Žcole. On verra bient™t que cette prudence Žtait justifiŽe.
Hallali
administratif pour la fermeture de l'Žcole Freinet
Si l'on ne peut encore accŽder aux documents
administratifs concernant l'internement de Freinet en 1940-41, il en existe par
contre de trs explicites montrant comment l'administration s'est acharnŽe
contre l'Ecole Freinet aprs l'arrestation de son responsable et animateur
(dossier sur l'enseignement privŽ, cote 27788, aux Archives DŽpartementales des
Alpes-Maritimes).
o Ds le
17 avril, l'Inspecteur d'AcadŽmie de Nice enjoint ˆ Elise Freinet de fermer
immŽdiatement l'Žcole, par la lettre suivante:
Je suis informŽ que l'Ecole privŽe du Pioulier,
Commune de Vence, que dirigeait M.FREINET continue ˆ fonctionner sous votre
direction. Cette situation est irrŽgulire puisque vous n'avez jamais sollicitŽ
l'autorisation de prendre la succession de votre mari.
Je vous prie, en consŽquence, de fermer
immŽdiatement cette Žcole.
o Ds le
lendemain, celle-ci rŽpond, sur papier ˆ en-tte de la pension d'enfants tenue
par sa mre (Mme Vve Lagier-Bruno), dans les termes suivants:
Monsieur l'Inspecteur,
En rŽponse ˆ votre honorŽe du 17 avril, j'ai
l'honneur de vous informer que mes attributions actuelles sont exclusivement
d'ordre mŽnager pour ce qui regarde la pension d'enfants de ma mre Mme Vve
Lagier-Bruno, pension Žtrangre ˆ l'Ecole Freinet que dirigeait mon mari.
Ds l'internement de mon mari, j'ai Žcrit aux
parents d'Žlves que l'Ecole ne fonctionnait plus et de ce fait 6 enfants sont
partis. Certains parents ont rŽpondu que leurs enfants Žtant dans le midi pour
raison de santŽ, ils ne voyaient pas la nŽcessitŽ de les rappeler de sit™t.
Les locaux de l'Ecole sont restŽs ouverts et le
matŽriel autoŽducatif est restŽ ˆ la disposition des enfants. Je mets quiconque
au dŽfi de prouver que j'ai fait une seule heure de prŽsence dans ces locaux o
je n'ai jamais mis les pieds et mes protestations ˆ M. le Ministre de
l'Education Nationale font justement mention de l'Žtat d'abandon o se trouve
une Žcole qui fut le lieu de rencontre de tant de pŽdagogues de tous pays et de
toutes tendances philosophiques.
Croyez, Monsieur l'Inspecteur, que connaissant le
peu de bienveillance ˆ notre Žgard, je jugerai pour le moins imprudent de
m'octroyer des droits que je n'ai pas. Je n'ai pas mme usŽ de la possibilitŽ
qui m'Žtait faite de donner des leons particulires, dans le cadre des
rglements, comme je pourrais tre appelŽe ˆ le faire si mon temps devait tre
consacrŽ ˆ autre chose qu'ˆ la dŽfense de mon mari.
Veuillez agrŽer, Monsieur l'Inspecteur, l'assurance
de mes sentiments respectueux.
SignŽ: E. Freinet
L'allusion au ministre se rŽfre aux multiples
dŽmarches, appuyŽes par Langevin et Mlle Flayol, responsables du GFEN de
l'Žpoque, ainsi que par des personnalitŽs Žtrangres pour faire libŽrer
Freinet. Des responsables socialistes avaient Žgalement ŽtŽ sollicitŽs pour
intervenir auprs du gouvernement mais avaient refusŽ, ˆ cause du refus de
Freinet de condamner publiquement le pacte germano-soviŽtique.
o Le 19
avril, Elise Freinet adresse ˆ la directrice et au directeur des Žcoles
publiques de Vence une demande d'inscription de 10 filles de 10 ˆ 13 ans et de
9 garons de 5 ˆ 12 ans, ainsi que leur inscription ˆ la cantine (le quartier
du Pioulier Žtant trop ŽloignŽ des Žcoles pour que les enfants reviennent
manger ˆ midi). Le 22, l'I.A. transmet au PrŽfet ces informations. Le 23, le
Ministre transmet ˆ l'I.A. une lettre d'Elise Freinet faisant Žtat de
l'impossibilitŽ des Žcoles primaires de Vence d'accepter ses jeunes
pensionnaires.
o Le 26,
Elise rŽpond ˆ une note de l'I.A. (non prŽsente au dossier) qui lui demandait
des explications:
Monsieur l'Inspecteur,
En rŽponse ˆ votre note du 22 avril reue ce jour,
j'ai l'honneur de vous exposer les conditions exactes dans lesquelles se
trouvent les enfants qui frŽquentaient l'Ecole Freinet.
1¡ -
Les enfants actuellement
ici y sont venus pour deux raisons:
a) Pour suivre la mŽthode d'enseignement
Freinet.
b) Pour raison de santŽ: nŽcessitŽ de cure
d'air et de rŽgime alimentaire.
2¡ -
Au dŽpart de M.Freinet les parents ont ŽtŽ avisŽs par mes soins que
l'Žcole cessait de fonctionner mais que les locaux et le matŽriel
d'enseignement autoŽducatif resteraient ˆ la disposition des enfants.
7 enfants sont partis.
Pour les autres, les parents ont exprimŽ le dŽsir
que, la santŽ prŽvalant sur l'instruction, les enfants resteraient en attendant
le retour de M.Freinet auquel ils gardent une totale confiance.
3¡ - Jusqu'ici les enfants continuaient ˆ disposer
des locaux et du matŽriel, ˆ s'instruire comme il est possible de le faire
gr‰ce aux nombreux fichiers et aux bibliothques diverses dont les documents
sont classŽs, mobiles et suffisamment explicites. Les enfants exprimaient
chaque jour leur vie par l'imprimerie et ils envoyaient leur imprimŽ et les
questions qui les avaient embarrassŽs ˆ leur ma”tre qui est restŽ en liaison
permanente avec eux car ˆ ces Žchanges s'ajoutent des lettres personnelles
solutionnant des cas spŽciaux.
Ds que j'ai reu votre ordre, j'ai demandŽ ˆ Vence
s'il Žtait possible de recevoir les enfants et s'il existait une cantine
scolaire. La rŽponse fut: Il y a de la place pour les filles, pas pour les
garons et pas de cantine.
J'ai informŽ les parents de ce fait en spŽcifiant
que l'Žcole de Vence est ˆ 4 km et que l'aller et retour me semblait exagŽrŽ
pour certains enfants en voie d'amŽlioration physique.
4¡ -
Des difficultŽs d'Žloignement des Žcoles de Vence, de la santŽ des
enfants et de l'absence de cantine, il semblerait rŽsulter que:
- 12
enfants ne pourraient frŽquenter l'Žcole de Vence dans ces conditions
(suit
la liste des enfants avec leur ‰ge et les troubles ou dŽficiences qui ont
justifiŽ leur placement au Pioulier)
5¡ -
J'ai proposŽ aux parents d'enfants plus rŽsistants, avant de vous en
faire la demande, d'envoyer les enfants pour une demi-journŽe ˆ Vence de faon
que les enfants puissent rentrer ˆ midi pour suivre leur rŽgime alimentaire.
Ils bŽnŽficieraient ainsi de cours suivis et d'un certain contr™le car ce sont
des candidats au C.E.P. Ce serait le cas pour 4 Žlves
(suivent
leurs noms et ‰ges)
Il y a Žvidemment au domicile actuel des enfants
des possibilitŽs d'instruction:
a) Des locaux et du matŽriel Žducatif pourraient tre ˆ
leur disposition.
b) Trois adultes de la pension de
Mme Lagier-Bruno ayant des titres universitaires pourraient donner des leons
particulires dans le cadre des rglements.
c) Les enfants pourraient rester en
liaison avec leur ma”tre pour renseignements particuliers.
Au cas o ces considŽrations humaines qui
concilieraient la santŽ des enfants et leur instruction ne seraient pas prises
en considŽration et o les Žlves devraient supporter et dans leur santŽ et
dans leur esprit les consŽquences d'une mesure arbitraire qui les dŽpasse, Mme
Lagier-Bruno me prie de vous transmettre l'adresse des parents d'Žlves avec
lesquels vous pourriez entrer en relations pour solutionner au mieux le
problme de l'Žducation de leur enfant.
Veuillez agrŽer, Monsieur l'Inspecteur,
l'expression de mes sentiments dŽvouŽs ˆ la cause de l'enfant.
Elise
Freinet
Est jointe une liste des adresses des familles de 11
enfants, situŽes dans toute la France et mme en AlgŽrie pour 2 d'entre
elles. Suit la liste de 6 enfants
sans famille, ˆ la charge de Mme Freinet; parmi eux, 2 Parisiens, 2 Espagnols,
un TchŽcoslovaque et un Suisse.
On est un peu surpris par cette argumentation qui
dŽpeint Freinet continuant de diriger, ˆ partir du camp d'internement (ˆ plus
de 100 km ˆ vol d'oiseau), le travail de chaque enfant de son Žcole. Nul doute
que les uns et les autres restent unis par la pensŽe, mais ce n'est pas un
argument susceptible d'inflŽchir un Inspecteur d'AcadŽmie convaincu de
l'influence pernicieuse de Freinet. Et l'on voit mal cet administrateur entrer
en contact avec des familles qui ont eu le tort ˆ ses yeux de faire jusque-lˆ
confiance ˆ un tel individu, et rechercher avec elles les meilleures conditions
de la scolaritŽ de leur enfant. La rŽaction ne se fait pas attendre.
o Le 27
avril, l'I.A. des Alpes-Maritimes Žcrit au Ministre de l'Education Nationale
cette lettre dont il adresse copie au PrŽfet de Nice:
Vous avez bien voulu, en date du 23 de ce mois, me
communiquer une lettre (que je
vous retourne ci-joint) de Madame Veuve LAGIER-BRUNO, PropriŽtaire d'une
Pension d'Enfants, au Quartier du Pioulier, ˆ Vence. ( cette lettre ne figure pas au dossier)
Cette dame vous signale que j'ai donnŽ l'ordre de
fermer l'Ecole libre tenue par Monsieur FREINET, qui Žtait annexŽe ˆ son
Internat et qu'elle ne peut envoyer les enfants dont elle a la garde aux Ecoles
Publiques de Vence, faute de place.
Je tiens ˆ vous donner, sur cette affaire, tous les
renseignements utiles.
-
I¡) InformŽ que
M.Freinet, Directeur de l'Ecole du Pioulier, avait ŽtŽ envoyŽ dans un camp de
concentration, j'Žcrivais, en plein accord avec M. le PrŽfet, le 17 Avril
courant, ˆ Madame FREINET, une lettre conue dans ces termes:
(suit copie de la lettre citŽe plus haut)
Le 18 Avril, Mme FREINET me rŽpondait par une
lettre dont ci-joint copie.
(voir plus haut)
Je tiens ˆ prŽciser que cette lettre ne m'a pas
paru de nature ˆ me faire revenir sur la dŽcision que j'avais prise.
J'estime, en effet, ou bien que l'Ecole de
M.FREINET est actuellement dirigŽe par Mme Freinet et c'est irrŽgulier, ou bien
cette Ecole, dans laquelle les Enfants, d'aprs l'expression de Mme FREINET
"continuent ˆ s'instruire selon les mŽthodes et la pensŽe de leur
Ma”tre" , n'est dirigŽe par personne et c'est encore plus irrŽgulier.
- 2¡) J'ai ŽtŽ
avisŽ, le 20 Avril courant que, le 19, Madame FREINET avait Žcrit au Directeur
et ˆ la Directrice des Ecoles Publiques de Vence, une lettre dont ci-joint
copie, leur demandant s'ils pourraient recevoir les Žlves de l'Internat de Mme
LAGIER. - J'ai aussit™t donnŽ l'ordre au Directeur et ˆ la Directrice de Vence
de recevoir ces enfants et toutes les dispositions nŽcessaires pour cela ont
ŽtŽ prises.
En rŽsumŽ, il est exact que j'ai donnŽ l'ordre de
fermer l'Ecole de M.FREINET ; il est inexact qu'il n'y ait pas de place aux
Ecoles Publiques de Vence pour recevoir les enfants hŽbergŽs dans l'Internat de
Mme LAGIER.
Dans ces conditions, j'ai Žcrit, le 22 Avril ˆ M.
le PrŽfet une lettre lui demandant, au cas o les enfants de l'Internat de Mme
LAGIER ne seraient pas envoyŽs aux Ecoles de Vence, de prendre toutes
dispositions utiles pour que soit fermŽ cet Internat. Il est en effet illŽgal
de tenir un Internat o des enfants soumis ˆ l'obligation scolaire ne sont pas
envoyŽs dans une Ecole rŽgulirement ouverte.
J'ajoute que j'ai tout lieu de croire que
l'Ecole de M.FREINET avait un caractre dangereux et qu'il serait fort
imprudent de se laisser entra”ner par Madame FREINET sur le terrain de la
procŽdure: les dŽmlŽs retentissants du mŽnage FREINET avec l'Administration
prouvent qu'il est sage d'user avec eux d'Žnergie. (soulignŽ par M.BarrŽ)
L'Inspecteur
d'AcadŽmie, J. Charvey
o Le 7
mai, arrtŽ du PrŽfet de Nice:
Article 1er-
Est et demeure fermŽe l'Ecole Primaire ŽlŽmentaire mixte, dirigŽe par M.
FREINET CŽlestin Baptistin en vertu de l'autorisation prŽfectorale n¡ 771 en
date du 31 octobre et sise ˆ Vence, quartier du Pioulier. Est Žgalement fermŽ l'Internat
attenant ˆ l'Ecole dirigŽ par Mme Vve LAGIER-BRUNO.
Article 2-
M. l'Inspecteur d'AcadŽmie est chargŽ de l'exŽcution du prŽsent arrtŽ.
o Le 11, Elise Freinet rŽpond au PrŽfet, en l'absence
de sa mre partie l'avant-veille ˆ Vallouise (H.A.) pour mettre sa maison de
campagne ˆ la disposition de l'autoritŽ militaire.
1- La
pension de Mme Vve Lagier-Bruno n'est pas un internat mais une pension recevant
des enfants de tous les ‰ges, tant au-dessous qu'au dessus de l'‰ge scolaire
comme l'attestent ses registres.
2-
Cette pension est dŽclarŽe depuis 5 ans au Registre du Commerce de
Grasse (n¡ 4754) et remplit ses
obligations commerciales vis-ˆ-vis de l'imp™t.
3-
Vues les circonstances actuelles
et l'ignorance o je me trouve pour quelques jours des dŽsirs de ma
mre, je vous prie, Monsieur le PrŽfet, dans ces jours tragiques (le 10, l'Allemagne vient d'attaquer en Belgique et aux Pays-Bas,
mais on ignore encore les consŽquences de cette offensive), de vouloir bien
considŽrer la Pension de Mme Vve Lagier-Bruno comme un lieu de refuge
prŽsentant pour les enfants actuels plus de garantie que n'en prŽsentent leurs
propres lieux de rŽsidence. En effet:
7
enfants sont Parisiens, 2 du Jura,
3 de la Seyne-sur Mer (Var), 1 de
Meurthe-et-Moselle, 2 d'AlgŽrie, 1 de Suisse et 1 de TchŽcoslovaquie.
Je me permets de vous demander, Monsieur le PrŽfet,
si vous consentez ˆ cette mesure d'humanitŽ, de bien vouloir me le signifier
pour que je puisse donner aux parents toute tranquillitŽ ˆ ce sujet. Dans le
cas contraire, j'aviserai les familles au plus t™t.
o La
rŽponse du PrŽfet ne se trouve pas dans le dossier. Toujours est-il que le 14
mai, Elise Žcrit aux parents pour leur expliquer qu'en l'absence de sa mre
retenue dans les Hautes-Alpes, elle est obligŽe de leur demander de reprendre
les enfants au plus t™t. Le 15, le double de cette lettre est envoyŽ au PrŽfet.
Mais les ŽvŽnements vont vite. Le front des Ardennes
est enfoncŽ ˆ Sedan. On sait depuis 1870 que cela peut avoir de trs graves
consŽquences.
o Le 17
mai, l'I.A. dŽclare au PrŽfet que l'on pourrait accorder un dŽlai court pour la
remise des enfants aux familles.
o Le 22,
un militaire Žcrit au PrŽfet au sujet de son jeune beau-frre (10 ans),
pensionnaire ˆ Vence. Les parents qui habitaient ˆ la frontire luxembourgeoise
ne peuvent tre joints. Sa propre femme, sÏur de l'enfant, institutrice ˆ
Reims, a ŽtŽ ŽvacuŽe avec un groupe d'enfants en Bretagne et ne peut venir
chercher son petit frre. Il demande que cet enfant soit autorisŽ ˆ rester ˆ la
pension Lagier-Bruno en attendant que ses parents, s'ils vivent encore, ou sa
sÏur puissent s'occuper de lui.
Le PrŽfet accorde cette autorisation ˆ titre
individuel.
o Le 27
mai, le PrŽfet fixe au 15 juin le dŽlai de fermeture de la pension.
Sans possŽder de chronologie dŽtaillŽe, nous savons
que la santŽ de Freinet s'est gravement dŽtŽriorŽe ˆ cause de son incarcŽration
prolongŽe. Il a ŽtŽ transportŽ ˆ l'h™pital de Saint-Maximin.
Sur le plan national, les Žvnements s'accŽlrent. Le
11 juin, l'Italie fasciste assne "le coup de poignard dans le dos"
en dŽclarant la guerre ˆ la France, ce qui a une rŽpercussion immŽdiate dans la
rŽgion nioise. Le 14, c'est la chute de Paris. Le 17, PŽtain obtient les
pleins pouvoirs pour signer l'armistice. Les Italiens occupent une bande de la
partie Est de la France, de Nice ˆ la Savoie.
Pour nourrir les 12 enfants qui restent ˆ sa charge,
Elise, comme le confirment les tŽmoins de l'Žpoque, lave et repasse le linge
d'habitants de Vence.
L'administration va-t-elle au moins la laisser en
repos?
o Le 3
aožt, le PrŽfet Žcrit au commissaire spŽcial de Cannes:
Monsieur le Directeur de la Police d'Etat de Nice
m'a signalŽ, il y a quelque temps, que des numŽros clandestins du journal
communiste "Le Cri des Travailleurs" avaient ŽtŽ diffusŽs ˆ Nice.
Il m'informe aujourd'hui que le tirage de cet
hebdomadaire pourrait avoir ŽtŽ effectuŽ par certains ŽlŽments extrŽmistes de
la rŽgion de Vence, avec le concours de Mme FREINET, institutrice rŽvoquŽe en
raison de ses activitŽs politiques .
M.FREINET, son mari, Žgalement rŽvoquŽ pour les
mmes raisons, avait ouvert ˆ Vence une Žcole libre.
Il est actuellement internŽ mais sa femme a
continuŽ ˆ s'occuper de cette Žcole, situŽe au quartier du Pioulier ˆ Vence o
parmi les mŽtiers (sic) enseignŽs et pratiquŽs,
celui de l'imprimerie a la place la plus importante.
L'Ecole du Pioulier ainsi que l'internat qui lui
avait ŽtŽ annexŽ ont ŽtŽ fermŽs par arrtŽ prŽfectoral sur la proposition de M.
l'Inspecteur d'AcadŽmie.
Je vous prie de vouloir bien faire procŽder ˆ une
enqute ˆ l'effet d'Žtablir si l'Žcole et l'internat dont il s'agit continuent
ˆ fonctionner clandestinement et si l'atelier d'imprimerie de Mme FREINET ne
servirait pas ˆ l'impression de la feuille communiste dont quelques numŽros ont
ŽtŽ rŽpandus dans notre rŽgion.
Toutes mesures devront tre prises le cas ŽchŽant
pour mettre fin ˆ une entreprise qui constitue un vŽritable danger dans les
circonstances actuelles.
Vous ne manquerez pas de me tenir au courant de vos
investigations.
Est-il nŽcessaire de rappeler que ni Freinet ni Elise
n'ont jamais ŽtŽ rŽvoquŽs? L'administration est bien placŽe pour le savoir. De
plus, leurs idŽes politiques n'ont jamais ŽtŽ mises en avant officiellement
dans l'affaire de St-Paul, seulement des "imprudences" pŽdagogiques
ayant nui ˆ l'Žcole publique.
L'I.A. de Nice a reu copie de cette lettre et il y
rŽpond confidentiellement avant mme le rapport de police. La comparaison des
deux documents en dit plus long que tout autre commentaire.
o Le 10
aožt, l'I.A., J. Charvey, envoie le rapport suivant:
En rŽponse ˆ votre lettre du 3 aožt, relative ˆ
l'Ecole libre du Pioulier, dirigŽe par M. et Mme FREINET, instituteurs rŽvoquŽs
ˆ Vence (l'I.A. reprend servilement les termes
utilisŽs par le PrŽfet, alors qu'il est mieux placŽ que quiconque pour
conna”tre la vŽritŽ administrative), aprs une enqute discrte, j'ai pu
acquŽrir l'assurance que cette Žcole libre continue ˆ fonctionner, qu'elle a
encore des Žlves, notamment des pensionnaires. Ces Žlves sont, pour la
plupart des Espagnols.
Je n'ai pu savoir si l'on se sert encore du
matŽriel d'imprimerie. Je n'ai pas, en effet, cru prudent d'envoyer au Pioulier
M. l'Inspecteur Primaire et me suis informŽ auprs du personnel de Vence ˆ qui
je ne pouvais Žvidemment demander de pŽnŽtrer dans l'Žcole de M. et Mme
FREINET.
ConformŽment ˆ mes lettres antŽrieures, je tiens ˆ
dŽclarer que l'Žcole du Pioulier doit tre fermŽe le plus t™t possible. Il
me semble mme que des sanctions devraient tre prises contre les personnes qui
la maintiennent ouverte malgrŽ les ordres reus (soulignŽ par moi, M.B.).
o Voici,
pour comparaison, le rapport envoyŽ le 13 aožt par le Commissaire divisionnaire
de Police SpŽciale de Cannes:
RŽfŽrence ˆ votre lettre du 3 aožt ŽcoulŽ,
concernant la diffusion clandestine du journal communiste "Le Cri des
Travailleurs". J'ai l'honneur de vous faire conna”tre que les
investigations discrtes de M. RADIGUET, Commissaire SpŽcial, Sous-Chef, ont
rŽvŽlŽ ce qui suit:
L'Ecole libre et l'internat de l'ex-Instituteur
FREINET, situŽs au quartier du Pioulier, ˆ trois kilomtres de l'agglomŽration
de Vence, ne fonctionnent plus.
Toutefois, cet Žtablissement, qui est maintenant
dŽnommŽ "Pension Lagier-Bruno" hŽberge encore quelques enfants (suivent noms, ‰ges et adresses de deux enfants)
Le premier serait conservŽ suivant une autorisation
provisoire de M. le PrŽfet des Alpes -Maritimes. Le second est gardŽ en
attendant de pouvoir le rapatrier en Suisse.
L'Žtablissement Lagier-Bruno abrite encore deux
autres enfants ‰gŽs de 13 ou 14 ans qui seraient sans famille. L'un, un garon,
s'occuperait de menus travaux de culture et l'autre, une fille, serait employŽe
comme aide de cuisine.
Etant donnŽ le but principal de l'enqute qui
consistait ˆ Žtablir si les exemplaires clandestins diffusŽs ne sortaient pas
de l'Ecole du Pioulier, M. RADIGUET s'est abstenu de toute action directe pour
ne pas donner l'Žveil. Il s'est bornŽ ˆ obtenir les renseignements ci-dessus
par personne interposŽe.
En ce qui concerne les feuilles, ce fonctionnaire
s'est rendu ˆ la Direction de la Police d'Etat de Nice, o il a demandŽ ˆ l'un
des fonctionnaires chargŽs de l'enqute de lui communiquer un des exemplaires
dŽcouverts dans cette ville.
Cette feuille prŽsentŽe, ˆ Nice, ˆ un technicien a
permis d'Žtablir les points suivants:
L'original a ŽtŽ tapŽ ˆ la machine ˆ Žcrire.
Les exemplaires diffusŽs ont ŽtŽ obtenus au
"multiplicateur"
L'original a ŽtŽ tapŽ par deux machines
diffŽrentes; le recto par une machine allemande et le verso par une machine
amŽricaine.
Il n'existe aucune similitude entre ces deux
frappes et une troisime que je me suis procurŽe et qui provient d'une machine
ˆ Žcrire de l'Žcole du Pioulier.
D'autre part, suivant un renseignement qui m'a ŽtŽ
communiquŽ, plusieurs machines ˆ Žcrire de marque allemande "Olympic" ou
"Albatros" se
trouveraient dans les locaux de la Bourse du Travail ˆ Nice.
Il est impossible de dire si d'autres machines se
trouvent au Pioulier et si cet Žtablissement possde un appareil de tirage;
seule une visite domiciliaire pourrait rŽpondre ˆ ces questions.
C'est d'ailleurs en prŽvision de cette visite (que
les circonstances peuvent rendre nŽcessaire) que M.Radiguet s'est abstenu de
toute action directe contre les occupants du "Pioulier".
En ce qui concerne cette Ecole, o il y a un
important matŽriel d'imprimerie, elle abrite, indŽpendamment du sieur FREINET
pre, le fils Žtant actuellement internŽ mais dont le retour prochain est
annoncŽ, sa femme, Madame FREINET et sa
belle-mre, Mme Veuve Bruno-Lagier.
(Suivent des remarques sur des individus
"suspects" ayant des contacts avec les personnes citŽes)
Ces quelques ŽlŽments douteux sont d'ailleurs
strictement surveillŽs.
En conformitŽ de vos instructions verbales, M.
RADIGUET procŽdera ˆ une perquisition au domicile, ˆ l'Ecole et dans
l'Imprimerie de FREINET.
Le COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE
ROSSI
Qui a bien pu annoncer le retour de Freinet qui ne
sera libŽrŽ en fait que 14 mois plus tard ? D'autre part, qui est cet homme
mentionnŽ comme Žtant son pre, dŽcŽdŽ d'aprs l'Žtat civil en 1939 ? Dans
L'Ecole Freinet, rŽserve d'enfants (p.302),
Elise Freinet fait allusion ˆ plusieurs perquisitions dans l'Žcole et le local
de la CEL mais sans les dater.
La dernire pice retrouvŽe dans le dossier Ecoles
privŽes des Archives date du 3 mars 1941. Il s'agit d'une note Žmanant du
gouvernement de Vichy.
o Communication de Monsieur le SecrŽtaire d'Etat ˆ
l'Education Nationale, du 1-2-1941, au sujet de l'offre faite par le sieur
Freinet, instituteur communiste actuellement internŽ ˆ Chibron (Var) de
mettre ˆ la disposition du gouvernement les locaux de l'internat qu'il
dirigeait ˆ Vence.
Transmis ˆ Monsieur le Sous-PrŽfet,, directeur du
Cabinet, comme affaire rentrant dans ses attributions. Cette proposition fait
suite ˆ la fermeture de l'Žcole du sieur Freinet dont le dossier a ŽtŽ conservŽ
par le Cabinet en aožt 1940.
A notre avis, la demande de M. Freinet ne saurait
tre prise en considŽration Žtant donnŽ ses opinions extrŽmistes.
Chibron est le troisime camp o Freinet a ŽtŽ
transfŽrŽ en novembre 40. Il ne s'y trouve d'ailleurs dŽjˆ plus, car en fŽvrier
il a ŽtŽ envoyŽ au camp de St-Sulpice (Tarn). Pour Žviter que son Žcole du
Pioulier ne soit rŽquisitionnŽe ou pillŽe, Freinet a peut-tre prŽfŽrŽ prendre
les devants en proposant une utilisation conforme ˆ la destination des locaux.
Il sait que, du fait de la dŽb‰cle, on cherche dans le Midi des lieux d'accueil
pour des enfants et peut-tre espre-t-il qu'on le libŽrerait pour diriger ce
centre d'accueil. C'est compter sans la hargne que suscite son nom dans
l'administration locale. Cette dernire est d'ailleurs responsable de l'Žchec
de toutes les tentatives de libŽration, car chaque fois que l'autoritŽ
centrale, saisie par des interventions de personnalitŽs, demande l'avis des
instances locales, celles-ci insistent sur le caractre Žminemment dangereux de
Freinet.
Elise quitte Vence pour les Hautes-Alpes
Afin de trouver une issue, Elise, qui a maintenant
rendu tous les enfants dont elle avait la charge, cde l'utilisation des locaux
du Pioulier ˆ une association pour l'accueil d'enfants tchŽcoslovaques rŽfugiŽs
en France. Le responsable avait connu Freinet dans des rŽunions internationales
d'Žducation, ce qui a facilitŽ l'arrangement. Aprs avoir mis ˆ l'abri des
archives prŽcieuses dans des malles envoyŽes chez la sÏur de Freinet, prs de
Gars, Elise part avec sa fille, le 6 avril 1941, rejoindre la maison de sa mre
ˆ Vallouise (Hautes-Alpes).