Une histoire vraie, largement modifiée et
romancée
Pour le choix du sujet, Le Chanois, membre de la bande
à Prévert et du groupe Octobre, avait eu
connaissance de l'affaire Freinet en 1933. A quel moment se fait,
entre Le Chanois et Freinet, la rencontre qui donnera corps au
projet de film? Rien ne permet de le préciser. Toujours
est-il qu'Elise Freinet, qui termine alors son livre Naissance
d'une Pédagogie Populaire , rédige un synopsis
(payé 50 000F de 1948) pour servir de base au
scénario. La B.T. 100 L'Ecole Buissonnière
(22-1-1950) donne une idée de ce que pouvait être ce
synopsis. Pour des raisons d'unité de lieu et d'intrigue,
Le Chanois décide de regrouper dans un seul village ce qui
s'était passé à Bar-sur-Loup (l'innovation)
et à St-Paul (le conflit). C'est Saint-Jeannet, village
proche de Vence, qui est choisi comme cadre de la plupart des
scènes d'extérieur. Une des placettes est le lieu
principal: un décor transforme l'une des maisons en
école et un faux monument aux morts est ajouté au
bout de la place où les conseillers municipaux du film
joueront aux boules.
Il est probable qu'en Italie, un cinéaste
néo-réaliste aurait créé un film assez
proche de la véritable affaire de Saint-Paul. En France,
après la courte euphorie unitaire de la Libération,
suivie de la scission syndicale de 1947, la production d'un film
grand public contraint à des infléchissements
importants du sujet:
- une dépolitisation de l'histoire (ce n'est plus
l'affrontement politique entre l'Action Française et
l'instituteur "bolchevique", tout au plus une opposition sociale:
les nantis face aux gens du peuple),
- de ce fait, l'intrigue se ramène surtout à un
problème d'innovation pédagogique mal
acceptée par les traditionalistes de tous bords,
- une issue positive: si l'instituteur obtient la
réussite de tous ses élèves au certificat, il
pourra rester au village (Freinet n'avait pas eu ce choix à
la rentrée de Pâques 33, ses adversaires exigeaient
son départ immédiat et l'avaient obtenu),
- la polarisation sur un cas symbolique: celui d'Albert,
l'adolescent orphelin de guerre, considéré comme le
voyou du village,
- une folklorisation du milieu: le village provençal de
L'Ecole Buissonnière ressemble à ceux de Pagnol (Le
Chanois reprend d'ailleurs certains de ses acteurs habituels:
Delmont, Maupi, Poupon, Arius, Ardisson, Jenny Hélia),
- enfin, on greffe une petite intrigue sentimentale en deux
temps (la serveuse de l'auberge et l'institutrice des filles).
Néanmoins, on retrouve beaucoup
d'éléments de la réalité historique:
l'instituteur relevant d'une blessure de guerre, l'introduction de
la petite imprimerie, la première correspondance avec une
classe bretonne, la campagne diffamatoire, les pressions
exercées sur les parents pour qu'ils fassent la
grève scolaire, le rôle de l'antiquaire, fer de lance
de la cabale contre Freinet. Dans le détail, on
reconnaît des textes d'enfants souvent cités par
Freinet : la course d'escargots, le petit chat qui ne voulait pas
mourir, ou des allusions à des Dits de Mathieu. : prendre
la tête du peloton, le cheval qui n'a pas soif.
Observons que l'instituteur apparaît comme un novateur
isolé. A part son correspondant breton, aucun de ses
collègues ne semble échapper au traditionalisme et
la notion de mouvement pédagogique est totalement absente.
Certains ont cru voir l'origine du nom du héros, M.
Pascal, dans celui d'un instituteur varois, cité par Elise
(p. 54 de N.P.P.). J'en doute, car ce Joseph Pascal, à
l'inverse de son ami Alziary, avait refusé de se joindre en
1926 au mouvement qui naissait. On peut observer que les deux
instituteurs du film (Pascal et Arnaud) portent des noms qui sont
des prénoms. Il n'est pas impossible que celui d'Albert,
donné au personnage de l'adolescent, soit un hommage au
jeune Albert Belleudy, fusillé pour faits de
résistance en 1944, après avoir secondé
Freinet dans toutes les tâches de l'école Freinet
entre 1934 et 1939.
La figuration enfantine
Le rôle clé d'Albert est confié à
Pierre Costes, un jeune acteur ayant dépassé
l'âge du rôle mais qui a su convaincre le
réalisateur en se présentant aux essais
habillé en écolier de l'ancien temps.
Pour les autres rôles d'enfants, on a fait appel
à des petits Niçois, habitués à la
figuration dans les studios de la Victorine, et à des
gamins remarqués au cours des repérages. Plusieurs
pensionnaires de l'école Freinet complétent la
distribution, tant pour la classe des garçons que pour
celle des filles. Le Chanois a trouvé plus commode, pour
les tournages en extérieur (à Saint-Jeannet ou au
bord du torrent), de loger les petits acteurs à
l'école Freinet. C'est Michel Bertrand qui accompagne et
encadre l'ensemble de ces enfants, élèves ou non de
l'école, en dehors des moments de tournage, de septembre
à novembre 1948.
Je me souviens d'une anecdote à ce sujet. Voyageant
dans un train de banlieue parisienne, à cette
époque, je découvre un titre de France-Soir parlant
d'une grève à l'école Freinet. Sans
être lecteur coutumier du journal, je l'achète,
intrigué. Il ne s'agit que d'un potin élevé,
non sans malignité, à la hauteur d'un fait divers.
Parce qu'on voulait leur imposer une alimentation sans sel
(préconisée par Elise Freinet), les petits acteurs
non élèves de l'école ont protesté et
menacé de faire la grève du tournage si on ne les
nourrissait pas comme chez eux. Ce qui est décidé
aussitôt, on le devine.
Les chansons du film sont enregistrées, non avec les
enfants figurants, mais avec les élèves d'un
instituteur musicien de l'école Fuon Cauda de Nice,
Camatte. Les enfants ont ainsi l'occasion de visiter le studio de
la Victorine, un jour du tournage de la scène du
certificat. Ils le racontent dans La Gerbe de janvier 1949.
La présence de Freinet à certains
tournages
Au cours de conversations en 1950-51, j'ai parfois
écouté Freinet ou Bertrand parler du tournage du
film. C'est pourtant dans une émission radiophonique de
variétés que, pour la première fois, j'avais
entendu avec surprise évoquer cette présence de
Freinet. Un soir d'octobre 1949, Jean Nohain annonce soudain: "
Comme c'est la rentrée des classes, j'ai invité un
instituteur, mais il n'est pas comme les autres puisque c'est
celui de L'Ecole Buissonnière ". En un éclair, je
me dis : Freinet n'est tout de même pas venu chez Jean
Nohain! A cette époque, la médiatisation à
outrance ne nous avait pas encore habitués à voir
des personnalités prêtes à n'importe quoi pour
figurer dans une émission à grande audience. Et
l'animateur continue intarissable: "Je suis heureux d'accueillir
celui que nous aurions tous aimé avoir comme maître
d'école, M. Bernard Blier !" (ouf!). Quand les
applaudissements de rigueur prennent fin, l'acteur enchaîne:
"Je veux préciser que je ne suis pas le véritable
instituteur de L'Ecole Buissonnière, car il existe et je le
connais, il s'appelle M. Freinet. Depuis bien des années,
il s'acharne à transformer la façon de faire
l'école, ce qui lui a valu des ennuis et beaucoup de
réussites." En quelques phrases sensibles, il raconte
l'affection spontanée des enfants pour Freinet. Cela se
remarquait au fait qu'il était immédiatement
entouré d'enfants, dès qu'il arrivait sur les lieux
de tournage. Par la suite, Blier citera souvent son rôle
d'instituteur parmi ceux, pourtant nombreux, qui l'ont
particulièrement marqué au cours de sa
féconde carrière d'acteur. Curieusement, dans une
interview de la fin de sa vie, il décrit Freinet comme un
stalinien sectaire. Peut-être ne gardait-il plus que le
souvenir du conflit juridique qui suivit et dans lequel le
stalinisme n'était pourtant pas du côté de
l'inspirateur du film.
L'annonce aux militants
Au début, l'atmosphère est au beau fixe. Dans
L'Educateur n°3 (1er nov. 48), Freinet écrit : Un
metteur en scène de talent, J.-P. Le Chanois, avait eu
connaisance, il y a quelques années, de nos
réalisations. Il avait compris tout de suite ce qu'elles
contenaient d'essentiel et de typique; cette
reconsidération profonde de notre éducation, que
nous voyons, nous, sur le plan de la pensée et de la vie de
l'enfant, il l'a conçue, lui, en images. L'idée du
film était née, d'un film qui ferait comprendre au
grand public ce qu'apporteraient de précieux et d'humain
les techniques dont nous avions prouvé la réussite
pédagogique. Le Chanois, metteur en scène, s'est
fait pédagogue. Il a lu nos livres et nos brochures,
médité L'Educateur et surtout les Dits de Mathieu;
il a cherché dans notre aventure pédagogique la
trame du film qu'on est en train de tourner aux environs de Vence
et aux studios de la Victorine à Nice.
Il ne s'agit certes pas du film technique dont nous
étudions et préparons la réalisation
prochaine, mais d'un film pour le grand public, qui doit parler
naturellement un langage différent de celui qui nous est
familier. Nous avons aidé de notre mieux pour que ce film
soit une réussite, c'est-à-dire qu'il fasse sentir
et comprendre aux parents d'élèves les vertus des
conceptions pédagogiques qui constituent un des grands
tournants historiques de l'éducation populaire.
Il ne nous appartient pas de présenter un jugement
prématuré de l'Ïuvre entreprise. Tout ce que nous
pouvons dire, c'est qu'il a été
réalisé avec ferveur par des hommes qui se sont
donnés profondément à leur Ïuvre, sans autre
souci que de la faire servir à l'éducation du
peuple.
Dans le n° 10 (15 fév. 49), Freinet
prévient à nouveau que ce film n'est point le film
de nos techniques qu'attendent les camarades (...) mais un film
destiné au grand public, que le metteur en scène a
quelque peu romancé naturellement et surtout qu'il a
dû dépouiller, au risque de le voir boycotter, des
éléments essentiels du drame : la
laïcité, la lutte cléricale et la basse
politique réactionnaire. (...) Le metteur en scène
s'est attaché surtout à montrer au public les
avantages psychiques et humains de nos techniques, ce
renouvellement, cette reconsidération de la
pédagogie sur la base des intérêts et des
besoins enfantins. Et il y a, à mon avis, parfaitement
réussi.
L'image de l'instituteur traditionnel dans le film
Quand il voit la version définitive du film, Freinet
est le premier à regretter l'image caricaturale
donnée du vieil instituteur, M. Arnaud, car il craint
qu'elle fasse réagir négativement certains
admirateurs des "hussards de la Troisième
République" alors qu'il veut montrer comment mieux mettre
réaliser leur idéal généreux. Il
rédige un texte où il critique que l'on ait
représenté le vieil instituteur d'une façon
un peu caricaturale et, à certains moments, un tantinet
ridicule. Je sais bien que ce qu'il peut y avoir de forcé
(...) est ensuite racheté par l'attitude courageuse du
vieux maître en face de la coalition anti-laïque, pour
la défense du pédagogue téméraire qui
bouscule la tradition et la routine. (...)
Si, un jour prochain, le film pouvait devenir un film
d'éducation, non soumis aux exigences insurmontables de la
distribution et de la vente, nous demanderions que disparaissent
quelques scènes que nous réprouvons et qui
n'ajoutent absolument rien au film que nous aimons. Mais nous
demanderions, par contre, que soient rétablis des passages
malencontreusement supprimés. Quand Pascal rencontre M.
Arnaud dans la salle de classe puis qu'il s'en va avec Lise, le
vieil instituteur reste seul. Il fait alors, dans un silence
émouvant, le tour de la salle où il a tant
travaillé et que la retraite l'oblige à quitter. Il
s'asseoit un instant encore à la chaire qui ne fut pas pour
lui qu'un symbole, il examine une dernière fois les
tableaux que nous trouvons démodés et
dépassés, mais qui marquèrent en leur temps
ce souci de constante recherche pour une meilleure
éducation dont nous nous réclamons. Il s'imagine,
sur ces bancs aujourd'hui vides, les générations
d'enfants qu'il a préparés de son mieux à
être des hommes. Il se met à pleurer. (...) Puisse
cet hommage au Pascal de 1949 faire mieux comprendre aux
spectateurs du film L'Ecole Buissonnière le vrai
mérite des Arnaud de l'école laïque
française.
Il ne fait pas de doute que Freinet aurait volontiers
coupé la scène du baiser dans la grange et
laissé celle des adieux du vieil instituteur à sa
classe. Le Chanois a-t-il eu tort de couper au montage une
scène qu'il jugeait trop mélo? Sur le plan
cinématographique, il est difficile de trancher sans
pouvoir comparer les deux versions.
Un accueil largement favorable
Projeté en séance privée à Paris
en janvier 49, en présence de personnalités de
l'enseignement, le film est bien accueilli. Dès sa sortie
en salles, au mois de mars, il touche un large public par son ton
enjoué et généreux, se situant clairement du
côté des exclus. La scène du certificat,
où Albert parle de son approche vécue des droits de
l'homme, est un morceau de bravoure qui ne laisse personne
indifférent. Un film donnant une vision positive de
l'école, c'était et reste trop rare pour ne pas
être remarqué.
L'Ecole Buissonnière obtient le premier prix au
festival de Knokke-le-Zoute (Belgique), grâce,
paraît-il, au soutien de jurés catholiques qui
ignoraient le contexte français de guerre scolaire. Du
côté de l'Est, le film est primé au festival
de Karlovy Vary (Tchécoslovaquie). Sous le titre Passion
for life , il obtient aussi une récompense à New
York, ce qui ne surprendra pas ceux qui savent le triomphe
qu'avait fait auparavant La femme du boulanger de Pagnol.
Le Conseil du cinéma de l'O.N.U. accorde sans
réserves son patronage à ce film qui "illustre
d'excellente manière l'un des aspects de la
Déclaration universelle des Droits de l'Homme". Il faut
ajouter qu'en mai 49, une circulaire du Ministère belge de
l'Instruction Publique recommande vivement aux enseignants de voir
L'Ecole Buissonnière.
La critique française fait bon accueil au film.
André Bazin souligne, pour s'en réjouir, le style
épique dans cette manière de traiter les
problèmes d'éducation : Si l'épopée ne
s'est pas plus développée au cinéma, c'est
que ce genre est, en partie au moins, fondé sur une commune
croyance en ce qui est le bien et le mal. Dans une
société divisée comme la nôtre, il ne
peut plus y avoir que des films de propagande dès lors que
l'on touche aux problèmes sociaux. Ce n'est pas à
mon sens le moindre mérite du film de Le Chanois que
d'avoir traité d'une question d'actualité sociale en
sachant faire que tout spectateur, sans distinction d'opinion,
puisse librement être du côté du héros.
En revanche, une critique cléricale, signée
J.H., se situe clairement contre: Il y a trop d'intentions
visibles dans ce film pour qu'on ne soit pas inquiet de l'absence
totale de la religion ni même de l'aspect religieux. Ce
village (provençal!) n'a pas de prêtre, pas
d'église... Rien ne s'oppose ici à la morale
chrétienne ni à la religion, et pourtant cette
morale et cette religion sont superbement dédaignées
en éducation. Quelques images et quelques passages du
dialogue seraient à supprimer pour le film puisse passer
dans les salles familiales. Valeur morale : 4A/4C - STRICTEMENT
POUR ADULTES (après coupures)
Notons que si le cinéaste avait montré le
rôle réel du curé de St-Paul, cela aurait
créé un scandale bien plus grand que son absence
dans le film.
La nécessité de redresser une image
idéalisée de la réalité
Très vite, Freinet se rend compte qu'il faut mettre en
garde les jeunes enseignants contre une vision trop
édulcorée du combat pour un autre éducation.
Le film "n'est qu'un léger euphémisme" de la
véritable affaire de Saint-Paul. Il ne faut pas croire que
l'aventure se soit terminée simplement, romantiquement par
un succès au certificat d'études. Là est
l'unique et dangereuse invention du cinéaste pour nous,
éducateurs. Là est le piège tendu au
néophyte qui ne viendrait parmi nous que pour cueillir des
lauriers. Non, camarades, la lutte n'est pas terminée, car
la Société reste trop imparfaite pour nous
comprendre. Vous êtes assez initiés aux
réalités sociales pour laisser au scénario la
part romantique qui lui revient, cà et là : la
quelconque aventure sentimentale, le succès théatral
d'un candidat du Certificat d'études. Et Freinet conclut
qu'au-delà de l'émotion suscitée par le film,
il faut participer au combat coopératif (Ed 15-16-17, 1er
mai 49). Quelques mois plus tard, il ajoute : Nous nous sommes
naturellement préoccupés de "cette exploitation
pédagogique du film". (...) Nous avons édité
un programme passe-partout que nous mettons gratuitement à
la disposition de nos groupes.(...) Il faut, à l'occasion
du film, vendre le plus grand nombre possible de livres :Naissance
d'une Pédagogie Populaire, qui feront comprendre et
apprécier les idées que le film a semées. (Ed
4, 15 nov. 49).
Bataille autour d'un générique
Le film est produit par la Coopérative
Générale du Cinéma Français , ce
côté coopératif n'est pas pour déplaire
à Freinet. Un contrat lui attribue 8% des
bénéfices de la production, après
amortissement des frais de tournage, sommes qu'il a demandé
de verser au compte de son école. Il semble évident,
comme le laissent supposer des courriers de Le Chanois en
décembre 48 et du producteur en février 49, que le
nom de Freinet apparaîtra au générique.
Le film reçoit le visa 13658, le 30 mars 49, et
commence sa carrière commerciale. C'est alors qu'on
découvre que seule apparaît, vers la fin du
générique (la partie que les spectateurs ne lisent
jamais), une petite mention "Matériel scolaire et documents
de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne Techniques
Freinet". L'absence du nom de Freinet au générique
est d'autant plus durement ressentie que la plupart des
échos favorables au film le considérent comme une
pure fiction, sans rapport avec une quelconque
réalité. Ce qui n'est pas toujours l'effet de
l'ignorance, notamment dans certains organes communistes (voir Les
Lettres Françaises, puis plus tard L'Ecole et la Nation ).
L'Ecran français , proche du parti communiste, atteint le
comble en écrivant dans son n° du 1-2-49 : Le
récit de Le Chanois a le mérite d'être
inspiré par des faits authentiques. Il s'agit des
progrès scolaires et humains résultant de
l'application des méthodes pédagogiques "actives",
dites "méthodes Montessori". On peut comprendre la fureur
de Freinet quand on sait les critiques formulées à
l'époque contre le cléricalisme de Mme Montessori et
son ambiguïté à l'égard du fascisme
italien. C'est seulement en avril 1950 que seront
déclanchées les attaques publiques du PC contre
Freinet, par un article de J. Snyders dans La Nouvelle Critique
(n°15, p. 82). Néanmoins, quand on connaît les
liens qui unissent alors au parti Le Chanois et la
coopérative productrice, il est probable que les
hostilités commencent indirectement par le silence sur
Freinet au générique et dans la presse communiste.
Devant l'insistance de Freinet, la société
productrice a finalement accepté le principe d'une
dédicace collective faisant suite au
générique :
Ce film est
dédié à
Madame
Montessori, Italie
Messieurs Claparède, Suisse
Bakulé, Tchécoslovaquie
Decroly, Belgique
Freinet, France
Pionniers de l'Education Moderne
Freinet n'est pas seul cité mais il se trouve en bonne
compagnie dans cette Europe de l'éducation où il
représente seul la France.
Hélas! les promesses ne sont pas tenues. Alors s'engage
une longue bataille juridique. Dans un article intitulé
Contre l'exploitation par le cinéma des enfants acteurs,
Freinet critique sévèrement les conditions de
tournage (après un réveil à 5h30,
départ en car à 6h pour le studio de la Victorine,
attente sous la chaleur des projecteurs, le visage couvert de
maquillage, répétition des scènes
jusqu'à une quinzaine de fois). Ces critiques concernent
malheureusement tous les tournages professionnels et auraient eu
davantage de poids si elles n'intervenaient si tard et ne se
concluaient par le reproche de la faible indemnisation (150 000F
de l'époque sur un budget total de 36 millions) pour
l'hébergement, la nourriture et la surveillance d'une
vingtaine d'enfants pendant 3 mois.
Au congrès de l'Ecole Moderne de Nancy, en avril 1950,
une motion exige le respect de la mention au
générique. D'autre part, une campagne auprès
des parlementaires s'inquiète des conditions de travail des
enfants dans les studios cinématographiques.
Il faut attendre un jugement du Tribunal Civil de la Seine (3e
chambre, 3e section) pour que, le 22 juin 1951, la
société productrice soit condamnée à
payer à Freinet 500.000F de dommages et
intérêts et à modifier le
générique comme convenu, sous astreinte de 10.000F
par jour de retard. Jugement confirmé par la Cour d'Appel
de Paris, le 7 mai 1952.
S'ensuit un combat pour faire vérifier l'application ou
les infractions. Le film a alors terminé sa première
exclusivité et c'est dans les petites villes que Freinet
demande à ses militants de faire constater par huissier la
non-modification de certaines copies, ce qui n'est pas toujours
aisé. Grâce à la vigilance des camarades de
l'ICEM, de tels constats sont établis à Montoire,
à Saint-Nazaire. Le producteur doit finalement se plier au
jugement.
Arrive le moment où le film disparaît des
circuits professionnels. Seules des cinémathèques
locales (de la Ligue de l'Enseignement, par exemple), puis celle
de l'ICEM, feront désormais circuler des copies en 16mm,
pas toujours dotées de la mention exigée au
générique. Actuellement, il est diffusé en
cassettes vidéo aux édition René
Château.
Un intérêt qui n'a pas disparu
L'Ecole Buissonnière n'est sûrement pas un film
pédagogique mais, curieusement, aucun documentaire
ultérieur montrant des moments de classe en
pédagogie Freinet ne l'a jamais supplanté,
même auprès des enseignants. C'est le pouvoir de la
fiction, menée avec talent, que de savoir mobiliser
l'émotion pour permettre ensuite la réflexion et la
remise en question. Le documentaire se contente de montrer, il ne
convainct que les convaincus.
L'Ecole Buissonnière fonctionne beaucoup au niveau des
relations éducateurs-éduqués-milieu, un
aspect important qui ne se dégage pas facilement d'un
simple documentaire. Comment, en effet, ne pas être sensible
au déferlement de la classe vers le milieu, les enfants
questionnant pour leurs enquêtes tous les adultes du
village. Observons aussi, dans le film, l'attitude des femmes,
percevant mieux que les hommes, les transformations
opérées dans le comportement des enfants par
l'action de M. Pascal. Elles prennent plus massivement et plus
énergiquement position en sa faveur au moment du conflit.
Plus de 40 ans après, on constate, non sans surprise,
que L'Ecole Buissonnière n'a pas perdu son impact et son
intérêt, pour autant qu'on n'y cherche pas ce que le
film n'a jamais prétendu montrer.