les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Le déclic
Les textes que lon vient de lire témoignaient de la présence chez certains enseignants dun malaise, dun mal-être, dune déception, dune frustration. Mais aussi dune attente secrète, parfois désespérée: tout nétait-il pas définitivement verrouillé? Par quel concours de circonstances, la brèche a-t-elle pu se trouver ouverte?
Lannée 1965, la ville de Brest accueillait le XXIème congrès de la pédagogie Freinet. Le Mouvement algérien, structuré dès la première année dindépendance du pays, était représenté à ce congrès par une forte délégation dune trentaine dadeptes conduite par notre regretté ami René Linarès qui vient de nous quitter.
Je faisais partie de cette délégation et cétait la première fois que jassistais à un congrès international, vrai chantier pédagogique regroupant 1 500 participants: responsables, chercheurs de tous âges, dans une chaude camaraderie dentraide, de découverte, éclairés par les couleurs de nombreux dessins et peintures qui réjouissent les coeurs. Les frontières qui séparaient toutes ces délégations venues de plusieurs pays nexistaient pas pour moi. Les communions se faisaient avec une humanité plus vaste et plus diverse. Jéprouvais une impression délargissement et de liberté dans un mouvement uni composé de groupes riches de vie: une vraie chaleur humaine.
Cest là, à ce congrès de Brest, avec sa parfaite organisation, dont le mérite revient au groupe du Finistère, que jen ai eu la révélation.
Deux années de pratiques dans ma classe, un stage dinitiation, allais-je apporter une contribution? Cétait très peu lors des travaux de commissions. Bien au contraire, une occasion offerte à moi pour apprendre et apprendre beaucoup.
Abdelkader Bakhti (Algérie)
Cest alors que la guerre étant terminée, jai adhéré au S.N.I. et quaux réunions du groupe des jeunes, jai entendu quelques camarades (Saillard - Fragnaud) nous parler des Techniques Freinet avec un tel enthousiasme, une telle chaleur que jen étais remuée. On sentait que cette pédagogie faisait partie deux-mêmes, quils la vivaient. Ce fut une révélation. Jai demandé lautorisation de passer une journée dans la classe de Saillard. Jy ai vu des enfants qui sintéressaient au travail sans rappel à lordre, répondaient, vivaient.
Du fond de la classe, un enfant (peu doué ma dit Saillard), gravant du lino, est intervenu plusieurs fois au cours de la mise au point du texte ; certains sont restés volontairement à la récréation ; à midi, plusieurs se sont exclamés: «déjà»! La porte était ouverte sur la cour ensoleillée et un enfant avait dit: «Oh! un lézard». Instantanément la classe a été vide. Mais le lézard navait pas attendu et on sest tranquillement remis au travail.
Ginette Basset
Delahaye mavait prêté quelques brochures éditées par le mouvement auquel il appartenait, celui créé par Célestin Freinet et je pus, dès cette époque, connaître les brochures dÉducation Nouvelle auxquelles je mabonnai. Jétudiais la manière de travailler de Freinet dont le nom ne métait pas inconnu puisque, fréquentant la faculté des Lettres à Lille, lannée précédente, ce pédagogue nouveau style avait eu lhonneur de figurer dans le cours de pédagogie de Monsieur Gouhier.
Jules Vandeputte
1946. LE.N. du Vaucluse regroupe un ensemble hétéroclite de normaliens qui viennent pour la plupart de vivre loccupation, la guerre, la résistance. Ils sont issus du Vercors ou des Basses-Alpes - on ne disait pas encore Alpes de Haute Provence -. Jen fais, bien entendu, partie.
Linternat est soumis à un régime libéral et nous avons accès à diverses revues pédagogiques qui redémarrent, parmi lesquelles lÉducateur, avec sa couverture rose dont jai encore la nostalgie. Le contenu surtout tranche avec la pédagogie ambiante.
Miracle! Des maîtres se sont mis à lécoute des enfants et livrent là, tout de go, le résultat de leurs expériences quotidiennes et leurs réflexions dhumbles praticiens.
Juillet 46. Dans le droit fil de ce premier contact, je suis volontaire pour un stage à Cannes.
Cest donc dans la cour dune école primaire, à lombre dun micocoulier que, pour la première fois, je découvris Freinet éblouissant de simplicité, mettant au net au tableau noir un texte libre fraîchement éclos.
Mon adhésion date de cet instant. Elle fut profonde et totale, je dirais instinctive. Je lai mûrie et jai tâché de lui
rester fidèle tout au long de ma carrière et de ma vie.
Pierre Constant
Comment devient-on adepte de lÉcole Moderne? - Cest sous ce vocable quon désignait le Mouvement Freinet - Je crois quil faut un déclic car, faire ce choix, cest aborder un autre virage. Pour moi qui métais nourrie pendant un temps de ma jeunesse des écrits de Jean Jaurès,jai retrouvé dans Freinet la philosophie de Jaurès appliquée à léducation.
Lucienne Bonhoure
Dans un petit village du Var, le Thoronet, jai trouvé dans le grenier de lécole beaucoup de correspondances imprimées par les enfants et présentées en petits livrets qui séchangeaient entre écoles, régulièrement. Cétait Monsieur Alziary qui avait fait ce beau travail. Je lui ai aussitôt écrit ; je lui ai demandé des renseignements sur ce qui était tout nouveau pour moi. Il était très attaché à ce village et les habitants en avaient gardé un affectueux souvenir.
Jai donc fait ainsi la découverte de limprimerie à lécole, la correspondance scolaire. Jai été passionnée dès le départ.
Marie-Thérèse Cordero
Jai connu la pédagogie Freinet parce quun camarade de promo - E.N. de Mende 32-35 -, communiste comme moi, a assisté à Pâques 34 ou 35 au congrès de la Fédération Unitaire de lEnseignement, à Tours. Il a rapporté quelques brochures du stand de la C.E.L. Pour ma part, jy ai vu la rencontre de deux militantismes (communiste et pédagogique) qui avait tout pour plaire aux jeunes, même si le contenu de la pédagogie Freinet nous échappait en gros. Rien détonnant à ce que le Groupe de Jeunes Instits de la Lozère - ou plutôt une minorité - accepte la proposition de Biscarlet, secrétaire du Groupe après Berthet, de créer une équipe Ecole Moderne. Il ny avait autour de nous aucun «imprimeur».
Fergani François
Cest dans ce contexte, de lindividualisme des collègues, que nous avons été en contact avec des militants de lEcole Moderne. Freinet était venu à Avignon, mais nous avions manqué cette conférence. Peu de temps après, nous assistons à une démonstration de texte libre suivie de discussions, de débats menés par de jeunes collègues pleins dardeur, de fougue, daudace, denthousiasme.
Nous nous renseignons et apprenons quil existe un groupe Freinet dans le département du Vaucluse. Des réunions auxquelles nous assistons sont organisées le jeudi. Nous trouvons un milieu accueillant, compréhensif, une solidarité que nous navions rencontrée nulle part ailleurs.
Camille et Yvette Février
Congrès de Nantes 1957! La maison de lenfant, lexposition dArt Enfantin... Le grand choc!
Comment de telles uvres pouvaient-elles naître dans des classes alors que mes élèves faisaient de petits croquis riquiquis au crayon? Ainsi, on pouvait donc leur confier de la vraie peinture, de vrais pinceaux pour les laisser créer des uvres majestueuses au tracé maîtrisé, coloré, sensible. On pouvait donc leur confier de la terre pour façonner, créer des formes empreintes dexpression, dignes de Maîtres. Et jallais démerveillements en émerveillements: si certains obtenaient de tels résultats, alors pourquoi pas moi? Alors, jai ouvert la porte et assisté au congrès.
Ce fut dabord comme une bouffée dair, latmosphère chaleureuse des participants qui, tous, se tutoyaient, déplaçaient les tables, prenaient la parole et disaient leurs problèmes, proposaient des solutions et puis, dans cette ruche bourdonnante, un animateur hors pair, modeste, à lécoute de tous qui accueillait les nouveaux, répondait aux questions, encourageait les hésitants, rassurait les inquiets, saluait les idées des inventifs. Cétait Freinet dont le nom ne nous était pas inconnu. Et, ce jour-là, - je le reconnais aujourdhui - jai eu limmense chance de faire la Rencontre qui a fait basculer le sens et le cours de ma vie.
Renée Goupil
Paul Le Bohec que je viens de rencontrer me parle de Freinet et me propose une correspondance entre nos deux classes. Je trouve cette idée bizarre et ny donne pas suite. Comment aurais-je pu alors imaginer que notre vie tout entière allait sorganiser autour de ce nom qui allait, presque chaque jour, revenir sur nos lèvres et toutes les joies que nous allions connaître à être associés à une grande uvre?
Freinet et Elise Freinet ont transformé nos existences et donné à la mienne un relief quelle naurait jamais eu sans eux.
En 1946, le pays revivait, lélan était partout. Jétais neuve dans le métier et vivant désormais aux côtés dun «freinétiste» convaincu, il métait impossible de ne pas être portée par le flux ambiant.
Jeunes, bouillants dénergie, de rêve et de foi dans lavenir qui souvrait, nous parlions de nos classes, tard le soir, et évoquions dexaltants paradis pédagogiques.
Jeannette Le Bohec
Tout a vraiment commencé quand jai lu, dans une quelconque revue, un article sur les «textes de vie». Cétait certainement, souterrainement, dans cette revue publiée par Vichy, une allusion au texte libre. Je me mis immédiatement à le pratiquer ; peut-être, avec le souci dune amélioration des résultats scolaires. Mais, très tôt, je fus surpris de la tonalité affective des textes en particulier, de ceux dun petit orphelin de père qui témoignait gentiment de sa tendresse pour sa mère.
Aussi, à la rentrée de 45, quand mon nouveau directeur me passa le premier numéro de lEducateur, je my abonnai aussitôt. Jy retrouvais le texte libre dont javais déjà une bonne pratique. Je mémerveillais de la simplicité dune fiche sur la maison lacustre qui en apprenait tout de suite beaucoup plus que le meilleur des résumés à apprendre par cur. Et, surtout, Freinet disait: «Nous serons entre travailleurs, il ny aura pas de hiérarchie». Et moi qui avais vécu avec lexpérience dune fraternité heureuse, je ne pouvais quêtre sensible à cette optique dégalité. Mais aussi de liberté, puisquil nétait pas question de travailler selon des directives impératives. Ce qui changeait de ce que nous avions pu connaître, pendant de si longues années, à lécole. En dehors de toute obligation administrative, nous étions libres dexplorer les sujets que nous voulions. Et la conception de lenfant global était si nouvelle, et le champ à explorer était si vaste que chacun pouvait, suivant ses affinités, sy choisir commodément une utile place.
Paul Le Bohec
1945-46. Je reviens de la guerre et doit accomplir une année à la Norm dAvignon, réouverte en octobre 45.
En février 46, invité par le S.N.I. et Madame Cassetari, professeur au lycée Aubanel dont le mari est mort en déportation, Freinet fait une causerie dans la salle des fêtes de la mairie dAvignon.
Plusieurs centaines dinstituteurs. A la fin de la réunion, Freinet demande aux camarades intéressés de se rassembler autour de la presse qui se trouve au fond de la salle - celle de Roche de Simiane, Basses-Alpes. Nous nous retrouvons une petite dizaine. Parmi les présents: Madame Cassetari et Hélène, alors détachée à la «sixième nouvelle» et qui allait partager ma vie.
Nous discutons. Il faut quand même nous séparer! Freinet a apporté deux valises de livres et de brochures. Il désire les laisser en dépôt en Vaucluse. Nous partons tous les deux pour la vieille Norm. Les valises sont pesantes. Je raccompagne Freinet, toujours à pied. Et me voilà bombardé délégué départemental de la C.E.L. car je garde les bouquins à la Norm.
André Gente
Les circonstances ont fait que jai été nommée près de Brest, lieu de rencontre des pédagogues Freinet ; que mes enfants ayant un peu grandi, je pouvais me libérer davantage ; enfin, ça a été le déclic pour moi alors que, bien des années auparavant, jeune instit, jétais venue à Quimper, de la région de Morlaix, pour écouter Freinet.
Marie-Thérèse Le Tallec
Une collègue institutrice mavait passé, au milieu dautres papiers, peut-être sans le faire exprès - un numéro de lEducateur, petit format, à couverture rose. Jeune institutrice, à laffût de ce qui pourrait maider sur le plan professionnel, je my suis abonnée.
Marguerite Merklen
Juillet 1937, fin de mon Ecole Normale à Parthenay et rentrée dans mes foyers de Thouars où résident mes parents.
Je vois un attroupement devant le théâtre ; je rentre et je vois sur la scène un orateur, col ouvert, grands cheveux, décontracté, qui captive les gens présents, des instits, en majorité: cétait Freinet dont je navais jamais entendu parler et qui expliquait pourquoi les élèves ne réussissent pas à lécole et ce quil fallait faire pour que ça marche!
Cétait mon problème et, sans doute, celui de lassistance.
Ce fut une illumination! une évidence ; mais oui, bien sûr!
Jacques Guidez
En septembre 61, je participe à mon premier stage Freinet. Tout de suite, je me sens bien: les gens qui lorganisent sont des instits comme nous, très sympas. Et on parle de choses concrètes: texte libre, méthode naturelle de lecture, correspondance, magnétophone, coopérative.
Je repars gonflé à bloc et désireux dexpérimenter.
Joseph Portier
A Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique, dès 1938, le collègue de la classe de garçons mavait proposé daller lui rentre visite. Arrivant plus de vingt minutes après la sortie, je frappai à la porte. Pas de réponse, mais jentendais à lintérieur des voix, des coups de marteaux, je frappai plus fort et ouvris.
Au fond de la salle, derrière une grande table posée sur des tréteaux, Maurice Pigeon bricolait au milieu de quelques grands garçons. Malgré son tableau noir et des tables délèves, elle ressemblait davantage à un atelier avec ses outils divers.
Et ces gamins, nullement pressés de sen aller! Ils continuaient tranquillement leur bricolage, faisant parfois appel à laide de leur maître qui, maintenant, me montrait leurs divers travaux.
Des dessins de tous genres. On dessinait beaucoup dans cette classe ; on en réalisait même à la linogravure, une technique que, jusque-là, jignorais.
Des rédactions originales, non sur des sujets imposés, mais plutôt des récits personnels. Chacun racontait ce quil voulait. Certains écrivaient même de petits poèmes.
Jétais dépassée, admirative devant ces résultats. Tout cela paraissait si simple, semblait se faire si naturellement! Mais je ne me sentais pas en mesure de suivre un tel exemple.
Denise Poisson
Lors dun stage à Gourin, au cur de cette Bretagne profonde, un camarade instituteur-remplaçant memmène un jeudi dans une réunion pédagogique non officielle. Jy découvre le Mouvement Freinet dont personne ne ma parlé à lEcole Normale, pas plus que de nimporte quel autre mouvement pédagogique, dailleurs. Chaleur et simplicité des rapports et attitude envers lenfant tout à fait nouvelle pour moi. Fonctionnement coopératif de la classe et comportement des élèves radicalement différent de ce que javais pu voir ; et qui me rappelle toutefois quelque chose de mon passé décolier: japprendrai plus tard que javais eu la chance davoir deux instits Freinet au C.P. et C.E.. Repas en commun et discussions passionnantes avec des gens passionnés ; résultat: jadhère à lICEM et mabonne à lEducateur.
Henri Portier
Tout a commencé à lautomne 1965. Débutant ma quatrième année à lEcole Normale dInstituteurs de Nice, cest-à-dire lannée de formation professionnelle, jétais gêné par le décalage que je percevais entre les cours théoriques ou les leçons pratiques et trois expériences que je narrivais pas à oublier, bien quelles se fassent hors du champ scolaire:
- quelques années de scoutisme laïque qui, à travers les Eclaireurs de France, mavaient «sauvé» de la posture stérilisante déternel «premier de la classe» en me faisant vivre des valeurs absentes du monde scolaire, telles que lesprit dinitiative, la dialectique ou la prise de responsabilités,
- au printemps 1965, un stage animé par les Centres dEntraînement aux Méthodes dEducation Active par lequel je découvris les aspects socio-constructivistes du développement de lenfant et limportance de la prise en compte des besoins et intérêts de ces derniers ;
- enfin, au mois daoût, la validation de ce stage en tant quanimateur de centre de vacances pour enfants: authenticité et intensité de tranches de vie à forte valeur éducative...
Cet automne-là, la prégnance des leçons-modèles ne mautorisait pas à concevoir un enseignement véritablement centré sur les enfants. Pire, je commençais à engranger les algorithmes didactiques qui auraient pu me transformer en instituteur-prestidigitateur classique, adaptant les élèves à un savoir que lon me demandait de scolariser en «leçons / exercices», lorsque le hasard me fit rencontrer Freinet dans un couloir dEcole Normale et, plus précisément... dans une poubelle!
Rencontre exceptionnelle, à tous points de vue, en effet, que ces quelques numéros de la revue LEducateur aux éditoriaux roboratifs signés par un certain Freinet.
Et la lumière fut... Oui, enseigner autrement nétait donc pas une utopie. Aussitôt, une dynamique sempara de moi, laquelle allait se transformer en une véritable passion pour la recherche-action pédagogique.
Jacques Jourdanet
Un heureux hasard voulut quen 1946, au cours de ma formation dinstituteur, jai rencontré un ancien officier français qui, pour la première fois, nous informa sur Freinet et son mouvement de pédagogie qui donne le parole aux enfants.
Comme ces présentations recouvraient à la fois, la tendance dune pédagogie à partir de lenfant contenue dans «La pédagogie de la Réforme» allemande et les nouvelles connaissances de la psychologie de lenfant, je décidais de me rapprocher de Freinet. Côté langue, je navais pas de problème à cause de mes longues études en Belgique.
Je me procurais les livres de Freinet et je constatais avec surprise à quel point ses expériences dans les écoles rurales des Alpes du Sud saccordaient avec ce que nous-mêmes vivions dans notre tâche quotidienne avec des parents, des supérieurs laïcs et intellectuels, des enfants.
H.J.
Il y a un demi-siècle, de jeunes enseignants suisses se sentaient ainsi interpellés, face à des pratiques scolaires par trop scolastiques et traditionnelles par un maître venu de France avec ses élèves: Célestin Freinet. Cétait en mai 1952.
Imaginez lévénement dans le village de St-Prex, au bord du Léman: des enfants qui, sans se connaître, fraternisent et, bien vite, préparent un spectacle de théâtre libre dans la salle villageoise.
Freinet était accompagné de sa fille Baloulette et dun collègue assistant très discret, Michel Edouard Bertrand (M.E.B.).
Pour la première fois, ce nétait pas linspecteur qui visitait ma classe, mais un maître décole, étranger par surcroît, qui parlait à mes élèves comme sil les eût connus depuis longtemps. Il les aidait, les conseillait avec son délicieux accent méridional qui joignait linsolite à lutile.
Jean Ribolzi (Suisse)
Cest en 1974 que jai connu la pédagogie Freinet en tant quétudiant en Sciences de lEducation à lUniversité de Hambourg. Il sagissait dun cours de travaux dirigés (T.D.) surchargé de 90 personnes dont le sujet était: «La pédagogie Freinet aujourdhui». Il faut dire que ce nétait pas un cours, mais un chantier! Le rôle de lenseignant était complètement effacé. Cest à peine sil nous avait donné une petite bibliographie. Nous étions dans laprès-mai 68....
En tant que futur enseignant des langues, jai choisi ce cours, car jétais peu satisfait de mes études linguistiques et de leur application très traditionnaliste à lenseignement des langues. Le T.D. ne mapportait pas tellement de réponse à mes questions ; il me faisait men poser dautres. Je me suis mis à lire les sources. A la lecture de Freinet, jentrevoyais une application possible en classe de langue ; mais il me manquait une expérience denseignement.
Gerald Schlemminger
Cest en décembre 46 que je fis la connaissance de Freinet. Il vint à Nantes à la demande de Maurice Pigeon, directeur à la Turmelière et de Marcel Gouzil, directeur du Château dAux.
Marcel Gouzil se soignait alors en Suisse et cest sa femme, Francine, qui tenait le rayon des livres, publications et matériel. La réunion avait lieu à la Bourse du Travail ; 5 à 600 personnes y assistaient: succès inespéré.
Pour la première fois, je voyais la classe dun collègue au travail, en loccurence, les élèves de Joseph Fraud, instituteur à La Turmelière. Cétait une démonstration de texte libre.
Ils étaient une douzaine denfants de 12 à 14 ans, venus en car, et visiblement heureux dêtre là, sur la scène, et prêts au travail.
Ils ont écrit leurs textes, les ont lus avec aisance et ils ont voté.
Lun deux faisait presque lunanimité. Le garçon racontait comment, la veille, on les avait sélectionnés pour la présentation de ce matin. Il disait sa joie davoir été choisi, une véritable explosion de bonheur.
Cétait simple, vivant, agréable à voir et à entendre. Jétais enthousiasmée. A partir de ce jour, le texte libre prit place dans ma classe. Et quelle place!
Andrée Turpin
Un jour, le facteur ma apporté un journal scolaire rédigé et imprimé par les enfants de Hobscheid. Jai lu avec un grand intérêt les textes denfants: jai parcouru les pages locales avec les nouvelles de la localité: mariages et naissances, petites nouvelles du club de football et de la société des sapeurs-pompiers. Sur la toute dernière page du journal, jai lu un article sur limprimerie à lécole. Instinctivement, le nom de Freinet mest venu à la mémoire, nom que javais entendu pour la première fois, il faut lavouer, lors de mon stage à Bellevue (France). On avait parlé de cet instituteur de campagne, de ses expériences et de son uvre et, depuis ce temps, le nom de Freinet restait gravé dans ma mémoire. Le journal des enfants de Hobscheid ma de nouveau mis sur les traces de limprimerie à lécole et de son grand pionnier.
Aloyse Steinmetz (Luxembourg)
Jarrive au collège de Cannes avec le sac à dos orné du fanion ajiste et je prends place dans la file pour mannoncer. Jentends une voix à laccent chantant:
- «Tiens! toi qui es ajiste, tu emmènes un groupe de jeunes à lAuberge de Jeunesse de la Croisette. Ici, il ny aura pas de place pour tout le monde. Débrouillez-vous!»
Et voilà, je me sens à laise et en confiance, face à ce couple visiblement éprouvé par la guerre et qui nous accueille avec un bon sourire optimiste.
Que suis-je venue chercher?
Javais à lépoque quitté ma classe pour moccuper de limplantation des Francs Camarades dans les Vosges afin de rassembler et protéger autant que possible des gosses exposés à tous les dangers dun pays truffé dengins de guerre, habitués aux bricolages les plus saugrenus, au système D, aux bagarres, voire au vol.
Jétais désespérée par la guerre vécue chez moi, en zone interdite, par les nouvelles qui nous arrivaient peu à peu des camps, des tortures, des exécutions de masse... quel monde noir!
Jétais attelée avec lénergie du désespoir à une tâche difficile et je me sentais bien seule. Jétais avide de perspectives positives philosophiques plus que de techniques éducatives précises. Le réconfort allait venir de la fusion des deux dans une action dominée par la coopération entre camarades décidés à donner le meilleur deux-mêmes.
Yvonne Humm
Jai connu la pédagogie Freinet en 1965, lors dun stage de lICEM. Javais alors 42 ans et «je tournais en rond» dans ma classe. La routine me guettait. Je narrivais plus à intéresser les enfants.
Ce stage ma régénéré. Il ma ouvert lesprit ; il ma donné envie de communiquer davantage avec mes collègues... et, surtout, il ma rapproché des enfants.
Je me suis attaché en particulier à lexpression. Jai voulu offrir à chacun son mode dexpression: le dessin, la peinture avec les commentaires éventuels de lauteur, le texte libre, lenregistrement au magnétophone, lentretien du matin. Je crois que cest dans ce domaine de lexpression que nous avons trouvé nos plus grandes joies, les enfants et moi.
Grâce à Freinet, jai retrouvé du plaisir à faire la classe et je len remercie.
Jacques Leroy
Nommée à Allerey, je fis la connaissance de Roland, celui qui devait être mon mari: ses hautes ambitions pédagogiques, en particulier avec les enfants qui mêlaient français et patois, métonnaient et je souriais.
Mariés, nous sommes nommés en octobre 1938 dans le Jura, département dorigine de Roland. La guerre arrive et, pendant six années, je reste seule avec la petite classe très chargée.
Retour de Roland qui reprend sa pédagogie traditionnelle. En 1946, arrive à lécole la revue LEducateur - rose - de la pédagogie Freinet. Cétait lémerveillement pour moi, à tous points de vue: littéraire, scientifique, artistique. Nous nous abonnons et nous nous inscrivons pour le prochain stage à Cannes. Ce fut formidable: les élèves de lécole Freinet nous ont fait découvrir le texte libre, limprimerie, la peinture avec Elise Freinet... Cétait la pédagogie que je désirais!
Madeleine Belperron
Jai eu cette chance inouïe de rencontrer Elise et C. Freinet dès lâge de 21 ans et davoir fait partie de leur grande famille après avoir travaillé un an à leur école.
Tous deux sont venus dans ma petite école de Saint-Cado où véritablement jai pris mon envol en découvrant la dimension de lexpression libre, la richesse de tous les enfants, le sacré de lexistence elle-même.
Je me suis construite à même le travail avec les enfants avec cette impression dêtre «dans le coup» en frôlant tant de certitudes.
Une vie privilégiée, sommetoute, quand il sagit de toute une carrière faite denthousiasme, de découvertes, détonnement et damitié.
Il marrive encore de promener les réalisations de trente ans dart enfantin en porte-parole de cette force contagieuse porteuse dauthenticité.
Hortense Robic
Jai découvert Freinet et sa conception pédagogique par pur hasard. En 1957, un Congrès Mondial de la FISE a eu lieu à Varsovie. Dans le groupe francophone dont jétais guide et interprète se trouvaient deux représentants de lEcole Moderne française: Paulette Quarante et Fernand Déléam. Cétaient les seuls participants qui avaient apporté des matériaux pour monter une exposition: éditions C.E.L., dessins, peintures, céramiques - uvres denfants - journaux scolaires... etc.
En écoutant leurs enthousiastes narrations sur la vie de leurs classes, jai décidé dentreprendre une expérience à lécole dont jétais directrice, à Otwock, banlieue de Varsovie.
Halina Semenowicz (Pologne)
En 1971, sont édités dans lEspagne du franquisme, les premières références explicites sur Freinet: «Les dits de Mathieu» et un reportage sur sa pédagogie à lhebdomadaire Triunfo signé dun grand animateur de cette pédagogie, Ferran Zurriaga.
A ce moment, jétais un jeune étudiant de premier cours universitaire de Philosophie, ex Lettres, à Salamanca. Et je ne connaissais rien de Freinet. Un an après, je trouvai en librairie ce livre et, pour moi, cétait bien ce que Freinet racontait.
Je nétais pas daccord avec la dictature, ni avec lécole autoritaire, et pas daccord non plus avec la colonisation culturelle et linguistique dun pays de paysans et pêcheurs, la Galice, mortifié par une très grande émigration.
Ces deux documents me mettaient en route parce quil y avait là, de façon intéressante, une autre manière de faire lécole. Par fortune, à Barcelone, léditeur Laia avait commencé à sortir de petits livres de la Bibliothèque de lEcole que javais commencé à lire. En 73, deux maîtres de Valencia, Roser et Ismael, sont venus à Salamanca pour faire un cours dinitiation à la pédagogie Freinet ; on a fait des textes, de lassemblée, du lino...
Anton Costa Rico (Espagne)
Au cours de ma scolarité primaire, javais vécu moi-même, entre 1935 et 38, dans une classe Freinet, celle de Josette Cornec à Daoulas (Finistère). Mais je nen savais rien. Et ce nest quen 1948, alors que jassistais en tant que normalienne, à Quimper, à une journée de formation-débat animée par Freinet et quelques enseignants, que jai compris le sens de ces trois années particulières passées à lécole de Daoulas: le coin imprimerie, les Enfantines, les «phrases libres», et, surtout, nos «classes-promenades»... Cest là que jai perçu la signification de ces souvenirs agréables, mais singuliers, dune période scolaire.
Là-dessus, un travail dinformation pédagogique danalyse théorique de la pédagogie Freinet à lEcole Normale.
Deux stages pratiques dans des classes Freinet au cours de mon année professionnelle et la présence dans la bibliothèque de lE.N. du petit Educateur rose de lépoque ont sans doute attiré mon attention sur cette façon de travailler.
Marie-Louise Donval
Jai le souvenir du début de ma carrière, de mes premières classes et dy avoir utilisé les petites revues Freinet, les Enfantines, les Gerbes sans parler du limographe pour imprimer les fameux textes libres - Etait-ce un legs discret de ma mère institutrice? - et déjà, chez moi, un intérêt certain pour la psychologie de lenfant et la recherche pédagogique?
Maryvonne Conan
Jai connu la pédagogie Freinet dans une période de ma vie professionnelle très active où jétais à la recherche de quelque chose de nouveau. A travers les rencontres multiples avec des enseignants Freinet, en France et en Allemagne, jeunes et âgés, jai ressenti cet esprit innovateur, cette volonté de changer quelque chose qui mont fascinée, et, en plus, je les ai trouvés personnellement bien sympathiques.-
Ingrid Dietrich (Allemagne)
Pendant loccupation, jai été deux ans instituteur à Arcachon. Daprès le directeur et linspecteur, je faisais bien la classe. Je ne voyais pas pourquoi jaurais changé. Après, je suis parti dans la Marne. Il y avait un inspecteur primaire, Gloton ; il revenait dun stalag qui avait regroupé des intellectuels et des enseignants. Ils avaient réalisé des bulletins pédagogiques. Gloton en était lun des animateurs. Dès son arrivée dans la Marne, il a imposé des réunions mensuelles par canton: «On travaillera le matin, avec moi ou sans moi». Pas question de se défiler... On y allait à bicyclette... On parlait pédagogie. Je me suis aperçu que la classe que je faisais bien à Arcachon ne marchait pas du tout dans ces villages de la Marne. Jai pris plaisir à aller à ces journées. Un collègue ma dit: «Tu ne connais pas le texte libre?» - Il en avait parlé à tout le monde, mais il avait senti quavec moi ça pourrait accrocher. Il ma expliqué le texte libre, limprimerie. Ça a mis un an à mûrir. Entre temps, Gloton était venu me voir. Il ma dit que javais des dispositions pour le travail en équipe, les méthodes actives...
René Hourtic
Au printemps 45, sur le journal, une annonce: «Conférence de Célestin Freinet à lOpéra de Marseille».
Cet homme, col blanc ouvert, cheveux un peu longs, avec des paroles simples, raconte sa lutte à St-Paul de Vence pour défendre son école. Il lit un texte écrit par les enfants «Le petit chat qui ne voulait pas mourir».
Il a les yeux humides démotion. Moi aussi:
«Mais alors, les enfants peuvent ainsi témoigner? prendre part à la classe avec le maître?»
Je ne lai jamais oublié.
Ce Freinet, je savais donc qui il était. Ça me revient: je le savais, mais ce nétait pas par le biais de la pédagogie.
1937, cétait lannée de Guernica. Et lhorreur des bombes sur les populations civiles nous révoltait et nous angoissait.
Un instituteur de Rousset, Monsieur Pourpe, nous parle de celui qui, à Vence, avec les petits réfugiés espagnols, construit sa propre école. Il nous montre une petite presse de bois pour leur journal scolaire! Cette volonté de lutte, de bâtir une Ecole avec des enfants qui sortent de la guerre nous enthousiasme.
Paulette Quarante
Jai connu Freinet et Elise en 1933, à linstigation de Marcel Lallemand, frère de Roger, poète-écrivain-polyglotte-architecte.
Méthode, techniques et imprimerie adoptés.
Marius Pourpe
Cest grâce au CEMEA, à un stage de base très certainement inoubliable, que jai lu «Les Dits de Mathieu», puis «Naissance dune pédagogie populaire», que tout a commencé.
Puis, encore au CEMEA, lorsque pour les besoins des stages 16 / 18 ans dinsertion professionnelle et sociale, il a fallu passer de la théorie à la pratique... deux années dune expérience qui décidera de lavenir... lEcole dEducateurs où un enseignant mencouragea à mener à bien un travail sur la pédagogie Freinet avec, à cette occasion, la rencontre de Colette et Jacques avec qui je ferai ensuite deux classes de découverte.
Jean-Charles Huver
1933. Je galère, accroché à ma classe, à mes élèves. Un camarade dEcole Normale minforme quune exposition itinérante figure à Nantes, à la Bourse du Travail. Visite le jeudi suivant: journaux imprimés par les enfants, textes libres, fichiers, nombreuses brochures, revues... Je me sens en phase avec la philosophie sous-jacente, avec les techniques présentées. Pour la première fois, je lis un nom:
Freinet ; un sigle: C.E.L. Il me faut réfléchir.
Maurice Pigeon
Au syndicat, nous sommes allés vers la tendance la plus progressiste et, là, nous avons rencontré des camarades plus anciens que nous qui nous ont impressionnés par leur honnêteté, leur militantisme. Et, parmi eux, il y avait René Daniel.
Pour la première fois, jai entendu parler de Freinet. Le groupe qui existait avant la guerre sétait reformé après les vicissitudes dune période troublée, loccupation allemande. Je me souviens de cette réunion dans la classe de René où il nous a parlé de Freinet, dexpression libre, de dessin. Je le revois debout devant nous, les mains serrées sur le rebord dune table, parlant de sa propre enfance et de son émotion dalors lorsquil fallait se lever pour répondre à une question du maître et où son seul soutien était une table semblable dont il serrait les bords de ses doigts crispés ; parlant de ses propres élèves dans des termes que je navais jamais entendus, avec une sensibilité, un respect qui mont marquée.
Mimi Thomas
Et cest tout naturellement quun jour, Mimi et moi - car, entre-temps, nous nous étions connus - nous irons à une réunion pédagogique dans une petite école rurale à 2 classes des Daniel, Madame Daniel ayant la classe des petits et René, celle des grands. Un long déplacement pour nous (dabord à vélo, puis, en car, et de nouveau à vélo!). Une journée bien complète, mais qui nous marquera tant.
Quelle révélation pour nous! Nous y découvrons limprimerie, le texte libre, le Livre de Vie, les journaux scolaires, le fichier scolaire coopératif, les dessins denfants si variés, le planning mural... etc.
Personnellement, je suis frappé par lexpression libre des enfants, leur comportement, lattitude aidante du maître, latmosphère coopérative de la classe...
Emile Thomas
Au cours dune journée de formation, jai eu loccasion de visiter la classe dAndré Féron qui pratiquait la pédagogie Freinet et devait nous présenter ses techniques. Plus effarouchée quintéressée par cette remise en cause de ma pédagogie et limportance du travail à mettre en place, je nai pas donné suite.
Nommés à Magny-Cours en 1963, nous découvrons une imprimerie, la collection des BT, et des albums de correspondance internationale laissés par Lucien et Suzanne Jean-Baptiste, en poste de 1948 à 1958. Nous apprenons que leur engagement pédagogique et politique leur a valu un déplacement vers les années 30. Proches collaborateurs de Freinet, ils ont contribué au développement du Mouvement.
Suzanne et Elise avaient entretenu longtemps une correspondance sur un choix de vie naturelle.
Malgré cela, nous navons pas cherché à les contacter.
En 1966, à la mort de Célestin Freinet, le passage du film «LEcole Buissonnière» et le débat avec Paul Delbasty nous enthousiasment. Notre soif de militantisme syndical et politique va pouvoir enfin sétancher dans une autre pédagogie.
Jacqueline Massicot
La première curiosité me vint en lisant la vingtaine de lignes consacrées à limprimerie à lécole de Freinet, dans la partie du livre de philosophie et de pédagogie - en dernière année dInstitut Magistral - qui traitait des expériences didactiques contemporaines.
«Lécole daujourdhui... est gérée par les élèves sous la conduite du maître-compagnon».
Ces paroles mavaient impressionné. Ce «compagnon» que lauteur avait probablement extrait du contexte en terme de discrimination négative - Cétait encore les années de la guerre froide - avait au contraire suscité en moi curiosité et désir.
Puis, à lUniversité, plus rien.
Il ma fallu entrer à lécole pour percevoir la quotidiennité de la contradiction entre mon engagement politique en dehors de lécole et mon rôle traditionnel denseignant pareil à celui de mes collègues qui, eux, ne se posaient sûrement pas le problème dun engagement social et politique à lextérieur.
Ce sentiment de contradiction et de vide saccrut tellement que, la seconde année, je réussis à choisir une localité qui faisait partie de la circonscription dirigée par une inspectrice que je savais être exceptionnellement de gauche.
Cest ainsi que je participai, un jour, à une leçon de mathématiques modernes organisée par le groupe régional M.C.E. (Mouvement de Coopération Educative, fondé en 1951.) à Udine, à une quarantaine de kilomètres du lieu où je vivais et travaillais.
Je me trouvai alors au milieu dune trentaine, et peut-être plus, denseignants dont quelques bonnes surs, ce qui me déconcertait par rapport à mes attentes.
Limpression fut très forte: je ne compris absolument rien à la leçon.
Mais je ne me décourageai pas: javais trouvé les continuateurs de cet instituteur français qui avait introduit dans sa classe les valeurs sociales pour lesquelles je militais. Et jétais bien décidé à saisir cette occasion...
Rinaldo Rizzi (Italie)
Serait-il présomptueux de dire quil sest agi pour moi dans les années 60 dune «rencontre» avec Freinet plutôt que dun éblouissement quelconque ou un coup de foudre radical avec un «maître»?
Et plus quune «rencontre» avec Freinet - (outre durant les séances de congrès je ne lai rencontré que quelques minutes face à face en 1964, dune rencontre avec le mouvement Freinet, cest-à-dire avec une foule de personnalités denseignants «frénétiques»? De la truculence dun Dufour ou dun Yvin à la rigueur dun Barré ou dune Lémery? Du délire poético-pédagogique dun Delbasty à la logique dun Rinaldo Rizzi? Des amitiés enfin avec des enseignants Freinet dans le monde entier, par le biais de la FIMEM.
Sorti de lécole normale en 1959 avec sous le bras un cours de pédagogie où Freinet prenait trois lignes, je me suis retrouvé devant une classe rurale unique de 20 enfants de 5 à 12 ans. Jai coutume de dire que cela fut le déclencheur pour moi. Tout ce quon mavait appris ne fonctionnait pas: les leçons en forme nétaient pas possibles, les cours collectifs et ex-cathedra non plus. Cest dabord dans les villages avoisinants que jai découvert des instituteurs qui avaient expérimenté limprimerie, la correspondance, lindividualisation et résolu quelques-uns des problèmes que je rencontrais puis cest dans le mouvement Freinet belge francophone «Education populaire» que des réponses de plus en plus nombreuses ont été données à mes inquiétudes et ont balisé mon travail par la suite. Mon premier achat - avant le frigo familial! - fut limprimerie et quelques numéros de la Bibliothèque de travail.
Je suis tombé littéralement amoureux de limprimerie et jai réalisé avec les enfants toutes les formes de journaux scolaires. A partir de 1982, je me suis peu à peu tourné vers linformatique, mais jai toujours regretté lapport social de limprimerie dans le travail. Composer un texte tout seul était inconcevable. Lors de la parution du journal, tous les enfants savaient déjà ce quil contenait parce quils avaient participé concrètement à sa réalisation.
HenryLandroit (Belgique)
Cétait en janvier 1933. Jeune instituteur débutant dans un village, je trouvai un jour dans ma boîte aux lettres deux numéros de «LAction Française» apportés par un inconnu qui signalait en rouge des articles de Charles Maurras. Celui-ci clouait au pilori un nommé Célestin Freinet, instituteur à Saint-Paul-de-Vence, pédagogue hérétique des plus dangereux.
Un travail absorbant et les événements internationaux me firent oublier cette polémique.
En novembre 1945, Célestin Freinet vint à Lausanne pour présenter à une rencontre denseignants les buts et les réalisations de son Ecole moderne. Que disait alors ce dangereux révolutionnaire?
Lenfant doit pouvoir sexprimer, se réaliser en classe... A la sortie de lécole, il faut quil ait une instruction suffisante, mais quil ait surtout gardé le goût de sinstruire...
Le défaut de lécole actuelle, cest lintellectualisation...
A lécole, lenfant pose des questions...
Le maître aide lenfant à se réaliser...
A lissue de la conférence, chacun pouvait feuilleter les journaux scolaires et les albums denfants. Ainsi, il existait des classes où la vie coulait comme une source fraîche. Serait-ce aussi possible dans la mienne?
Cachemaille Edouard (Suisse)
Comment jai entendu parler de Freinet? Je ne men souviens pas, peut-être en cours de philosophie mais, étant normalien au lycée, avant le bac, cest tout naturellement que lisant des ouvrages politiques, jen vins aux ouvrages pédagogiques et ils y passèrent tous...
Un mercredi après-midi, je me rendis donc à une réunion du groupe départemental de lEcole moderne - pédagogie Freinet, sans doute à lécole normale. Pour le lycéen que jétais, cétait une plongée, une immersion dans la pédagogie pratique avec les mains pleines doutils. Ce fut aussi le rendez-vous avec des hommes et des femmes impressionnants dans le sens où jétais impressionné par leurs paroles. Les livres que javais lus prenaient chair. Jétais en plein dans la relation maître-élève avec ces gens qui parlaient de leur pratique. Je les ai trouvés inaccessibles au départ car je ne me sentais pas capable de passer de lutopie de mes lectures à une mise en pratique avec des outils et des techniques pour arriver à des fins qui sont des pratiques sociales, une organisation de la société. Et puis lesprit coopératif aidant, je devins un militant de la pédagogie de Freinet.
La rencontre avec Freinet fut donc livresque puis par lintermédiaire dhommes qui lincarnaient. Les lectures dont «les dits de Mathieu» puis lhistoire de la pédagogie populaire... mont fait rentrer dun coup dans une famille sociale, philosophique, politique que je ne quitterai plus. Un syndicat, on y entre et on en sort ; un parti politique aussi, de même pour une association. La pédagogie de Freinet est au delà de ça. Cest une idée de la société que je veux mettre en uvre chaque jour avec les enfants dont jai la responsabilité mais aussi avec toutes les personnes que je côtoie.
Hervé Moullé
Septembre 1968, jai eu mon bac et je dois gagner ma vie...
Jai entendu dire que lon peut être instituteur avec le bac, donc je dépose un dossier à lInspection Académique de Lille et trois jours après, je reçois ma première nomination: 3ème pratique. Collège rattaché au Lycée Colbert, Tourcoing.
Je dois commencer dans une dizaine de jours mais je sais pas comment on fait lécole... Aussi je me renseigne auprès dune directrice décole de la famille qui me prend quelques jours en stage dans son CM2. Les seuls souvenirs de ce stage sont le Procédé Lamartinière et: «les 3èmes pratiques, ce sont des enfants de lâge du C.E.P mais qui ne lauront jamais. Il faut se baser sur la vie courante.»
Enfin! Je me présente au principal du collège qui me dit: «Vous voyez ce terrain vague! Eh bien votre classe sera là. En attendant, allez à Commines - frontière belge -, dans la classe de Monsieur... - jai malheureusement oublié son nom -, il a une 3ème pratique et vous expliquera comment il travaille.»
Jy suis. Laccueil du Mr est excellent: «Tu regardes, tu observes, tu me poses des questions. Nhésite pas.»
Alors jassiste. Je vois des enfants - grands - qui racontent, en les lisant, chacun leur tour, ceux qui le veulent, des «tas de trucs». Ensuite, ils votent pour choisir ce quils appellent un texte libre. Celui-ci est écrit au tableau avec les fautes soulignées. Individuellement, chaque enfant le recopie en essayant de le corriger puis quand un enfant pense avoir terminé, il est corrigé - le texte - collectivement, puis, recopié par chacun au propre dans le cahier de français.
Plus tard, dans le cahier de mathématique, on cherche combien il faudra de bois pour fabriquer des dessous de plat carrés, combien de formica pour les recouvrir et combien de languettes plastifiées pour mettre autour. Et combien ça va coûter? Jentends parler de périmètre, de surface, de prix de revient, de prix de vente, de bénéfice, de coopérative...
Et après, tout le monde se lève. Certains fabriquent les dessous de plat, dautres écrivent des textes libres, quelques-uns font du dessin libre, de la peinture libre, ceux qui nont pas eu leur texte choisi le corrigent, le recopient, parfois ils cherchent dans des revues des articles en rapport avec ceux-ci... Cest super! Cest comme ça quon fait lécole? Est-ce que pendant mon année de terminale 68 on a changé lécole? Jai changé lécole sans le savoir? Si ça continue, je vais rester instituteur, je vais avoir la vocation!
Et tous les jours, pendant quinze jours, se déroule de manière semblable cette classe bizarre où il ny a pas un seul manuel. Où on fait de la grammaire et de la conjugaison daprès les fautes relevées dans les textes. Où les mathématiques sont toujours liées à la vie courante. Où on fait du vocabulaire avec des journaux. Où des activités sont libres mais «faites» quand même. Cest fou!
Jen parle à mon formateur. Il me dit: «Ce sont des techniques Freinet. Ce monsieur est déjà mort, mais nous sommes un certain nombre à nous en inspirer.»
Zut alors! Cest pas moi qui ai changé lécole en mai? Ça fait rien, cest bien quand même. Je ferai pareil...
Et il va falloir sy mettre, ma classe est construite. Me voilà au collège.
Il est 8 heures. La cloche sonne. On na pas encore trouvé ma clef, enfin ça y est, elle est là. Un groupe denfants. 17 garçons et filles, bien rangés, attend devant la porte. Bonjour! Nous entrons. Stupeur! Il ny a pas de tables. Juste un tableau au mur et devant, une estrade. Par terre, des vieux journaux. Et des craies.
Monsieur le Principal me fait dire que les tables arriveront cet après-midi et cest tout!
On sassied sur lestrade ou par terre et on regarde les journaux. On bavarde. «Comment tu tappelles? Quel âge as-tu?» «Et si on lisait les journaux?» «Daccord.» Chacun choisit un article et le lit à la classe. On vote et on en choisit un. On le relit. On ne comprend pas tous les mots. Lesquels? On les explique.
Et si on allait jouer au ballon? Il ny a pas de stade par ici? - Non, mais on peut aller à la piscine.» On verra ultérieurement. On fait des pliages. Merci les C.E.M.E.A.!
Les tables et le bureau sont là. «Du matériel?» «Non. Cest une création tardive. Peut-être pour du fongible. On verra.» Il faudra donc se débrouiller avec les moyens du bord.
Alors japporte ma collection de «Tout lunivers» et quelques outils. Et japplique ce que jai vu en stage...
Je discute de mon stage avec les collègues qui me disent: «Linspecteur a bien noté un instit Daniel Villebasse, mais cest très dur à appliquer et il faut avoir de lexpérience...»
Aujourdhui, je reçois la visite de Monsieur le Conseiller Pédagogique qui veut que je présente les enfants au C.E.P. Il na passé que 10 mn dans la classe. Il nest pas daccord avec ce quil a vu et me dit: «Encore heureux que vous ne fassiez pas ces fameux textes libres où on écrit au tableau avec des fautes.» Je le laisse parler, jai appris que jaurai une formation au C.A.P le jeudi et quil reviendra me voir dans quelque temps.
Je continue donc comme avant, et je lis les textes officiels. Cest grâce à ça que jenvoie, au grand dam du principal, les enfants enquêter seuls dans les rues de Tourcoing, comme en colonie.
Tout va bien... mais Monsieur le Conseiller revient... en pleine séance de correction dun texte libre au tableau, avec les fautes!
«Les enfants, sortez dans la cour! Jai besoin de discuter avec votre maître.»
«Monsieur Courtois, votre carrière est terminée! Jen fais une affaire personnelle!»
Cela fait environ quatre mois que je suis là dans cette classe et huit jours après la visite, je reçois une lettre... Je ne suis pas viré, cest une nouvelle nomination. Et, surprise, je vais remplacer Daniel Villebasse, le «bien noté par linspecteur», qui va faire son service militaire. Je soupçonne cet inspecteur, Monsieur Bonnot, dy être pour quelque chose. En effet, cest un Monsieur qui nhésite pas à traverser la rue pour serrer la main à un simple remplaçant, à cette époque ce nétait pas courant et je crois quactuellement aussi...
Les enfants, presque des adolescents, me disent au revoir. Jai mon premier cadeau. Un titulaire revient de larmée, il va prendre ma classe, il sourit quand je lui explique ce que je faisais. Je bous intérieurement. Maigre consolation, jai appris plus tard que les trois quarts de la classe ont séché jusquà la fin de lannée scolaire...
Me voici donc rue Neuve à Tourcoing - ladresse écrite sur «Chantiers» - dans la classe de Daniel.
Cest une école formée de trois classes de perfectionnement. Le directeur a les grands, Daniel les moyens et sa femme les petits. Les deux Villebasse se réclament de Freinet, le directeur nen est pas loin.
Pendant trois semaines, en attendant son service militaire, je suis stagiaire.
Je retrouve les textes libres, les dessins libres et les peintures libres. Les textes libres sont classés en deux catégories: les histoires vraies et les inventées (les rêves).
Je découvre la valorisation des textes par limprimerie. Cest génial! Il aurait fallu filmer ma tête quand jai vu la première feuille imprimée, pire que celle des gosses de «lEcole Buissonnière». Jadmire le «livre de vie».
Japprends la linogravure et laluminium repoussé (couvercles de yaourt).
Je vois progresser les dessins et peintures libres rien quavec une séance hebdomadaire de critiques constructives: pourquoi avons-nous choisi celui-ci plutôt quun autre?
Jachète et je vends le journal de lécole.
Je livre la correspondance de la classe à lécole Blanche Porte à lautre bout de Tourcoing.
Je me brûle avec le filicoupeur, ce qui fait bien rire les enfants.
Je découvre le travail individualisé avec les bandes enseignantes et les enfants qui ne copient pas directement le corrigé.
Les trois semaines sont passées, Daniel part à larmée. Je continue sans problème majeur sa classe, jy introduis une seule nouveauté: la télévision scolaire.
Et pourtant, on me lavait bien dit: «Il faut dabord faire la classe traditionnelle. Dictées-questions-problèmes»... Comme si à travers ça, grâce à ça, on peut mener les enfants dans des activités dexpression libre. Stupide! Et on entend encore ça en 1996. La force dinertie est bien la force principale des enseignants...
Lannée scolaire se termine. Ma première année scolaire! Je crois que je ne ferai pas Sciences Eco, je ne serai pas journaliste. Cétait mon rêve. Je me suis fait piéger.
Cest la faute à linstit de Commines. Cest la faute aux Villebasse. Cest la faute, je pense, à linspecteur. Cest la faute à Célestin. Cest aussi parce quon avait vraiment besoin dinstits à cette époque. Et merci aussi à Monsieur Choisy le conseiller, il a voulu me punir, grâce à lui jai pu compléter ma formation.
En tout cas, ils mont fait découvrir ma vocation. Je ne sais pas tout, encore. Mais ils mont fait comprendre que ce quon ne connaît pas, on peut le découvrir et quon a le droit de se tromper, à condition bien sûr, de se remettre en cause...
Deux ans plus tard, à La Réunion, je participe à la création dun ICEM Réunion et ses réunions hebdomadaires, à lépoque, où par la coopération, par lapport des uns et des autres, je complète ma formation, avec les Saint-Marc, les Baum, les Gaba et Louis Chenet,... et ceux dont jai oublié le nom.
Christian Courtois