les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Lenfant, acteur de sa propre formation
En 1963 une visite de trois jours avec Freinet est programmée pour visiter à Milan, une dizaine décoles...
La première, cest lécole maternelle Montessori.
Freinet nous disait parfois: «cest une grande ancêtre».(Jamais, il na oublié de se référer aux anciens pédagogues, et il a fait publier sur les B.E.N.P., leurs biographies... elles sont encore à lire.
«Mais étant plus jeune quelle, cest comme si je montais sur ses épaules».
Un vrai palais dallé de marbre nous accueille, avec sur le sol, les formes des petits pieds en marbre de la couleur des classes.
Nous sommes frappés par le silence. Une école maternelle ça vit, ça piaille. Ici rien.
La salle est remplie de très jeunes enfants, tous assis en rangs de tables, et de leurs petites mains, ils enfilent un petit truc dans un machin, avec sérieux. Une jeune petite bonne sur trottine, en chaussons, entre les rangs. Allons-nous oser lui demander le pourquoi, le comment du silence? Freinet lui-même hésite.
«Oh! mais dit la jeune bonne sur, je ne leur parle jamais...»
Je conserve de cette visite une vision de frigidaire. Le décor de la pièce de réception est plastique - avec - sur la table, une grosse brioche. Elle lest peut-être elle aussi? Ces dames sont gentilles pourtant.
Ensuite, visite de lécole primaire. Les maîtres nous disent à voix basse: «Que vous avez de la chance, vous Français! vous êtes libres de votre méthode, dans vos classes».
Nous apprenons que lécole entière, de la Maternelle au Secondaire, appartient au Groupe des Puissantes Aciéries. Nous échangeons nos remarques avec Freinet. Il sen trouve une que je crois exacte: cest la constatation que nous venons dassister au préapprentissage des futurs ouvriers, qui, dès le jeune âge, sont conditionnés aux gestes dobéissance et dautomatisme des chaînes.
Cette visite à lécole Montessori ravivait en Freinet la hantise de voir sa pédagogie fossilisée.
Maria Montessori ne lavait-elle pas provoquée par elle-même, sans peut-être sen rendre compte, en instituant un «label Montessori» qui avait un code immuable, malgré le temps qui passait.
Freinet lui-même sest toujours refusé à une attitude semblable, jamais il na qualifié sa façon denseigner de méthode.
Une méthode se fige sous des règles trop rigides. Les techniques évoluent. A celui qui se les approprie, de ne pas en être esclave et naccepte pas dentraver lidéal qui le soutient.
Aucun mouvement humain ne peut être à labri des interrogations, ni des choix dorientation. Si, au long du temps et des courants sociaux, les idées quil propage sont encore porteuses despoir et daction, cest que ceux qui uvrent ont trouvé, ou retrouvé, les racines de lhomme.
Tel larbre, la condition est de ne pas scier le tronc en empêchant la sève de monter.
Nul au monde na le droit de priver un être de son épa-nouissement et de son élan de vie.
Paulette Quarante
Au cours de mes diverses expériences, cétait le contact avec Célestin Freinet, la théorie du tâtonnement expérimental, le concept travail-jeu, la méthode naturelle dapprentissage et surtout la technique du texte libre, qui vraiment mont fait comprendre, et vivre, comment en partant de lenfant, lui faisant confiance, lui permettant de sexprimer, se réaliser et créer, on pouvait atteindre les objectifs fondamentaux dune école qui, au lieu dimposer des connaissances, les suscite, au lieu de modeler de lextérieur, provoque le fleurissement intérieur de toutes les potentialités humaines.
Maria Amàlia Borges (Portugal)
La pédagogie Freinet ma ouvert de nouveaux horizons, elle ma révélé que lenfant, comme tout être vivant se développe surtout par son activité personnelle. Pour que lenfant développe ses aptitudes, il nest quun secret «faire agir lenfant, mobiliser son activité».
Léducateur doit être un «entraîneur», un guide un «éveilleur». Il oriente, stimule, il contrôle. Lattitude de léducateur est faite de compréhension, de calme, de confiance, dune certaine joie de vivre et de se retrouver ensemble.
Je rends hommage à Freinet. Grâce à ses techniques, jai su me préserver de toute sclérose scolastique. Je suis descendu de ma chaire-piédestal, jai ouvert les fenêtres, jai décroisé les bras, tout en enflammant lâme de lenfant et en réchauffant son cur.
Sans Célestin Freinet, ma pratique scolaire aurait été sans jus et sans grande réussite. Ces élèves qui ont fini leur scolarité dans mes classes à Rosport, en sont les témoins. Ils mont certifié que les techniques Freinet ont été pour eux un grand enrichissement pour leur carrière future.
Aloyse Steinmetz
A nous, les anciens compagnons de Freinet, la présentation et la réalisation dune pédagogie qui donne la parole aux enfants sont devenues une mission vitale. Pour nous, appartenir par delà les frontières, les pays, les langues, à une grande famille dhommes qui, non seulement professionnellement, mais aussi à des occasions personnelles sont présents lun pour lautre, est devenue une heureuse certitude. Grâce à Freinet, nous sommes unis et sécurisés dans une grande communauté qui poursuit un même but: créer pour nos enfants une société qui respecte leurs droits et leurs besoins, leur propre valeur et leur personnalité et leur donne la possibilité de devenir des hommes actifs responsables, libres, et ouverts à la critique.
Hans Jörg
Au point de vue pédagogique, Freinet nous a apporté beaucoup dans la pratique de la classe: mettre en confiance, faire confiance comme faisait Freinet avec chacun de nous.
Les relations avec nos élèves de fin détudes nétaient pas celles dun adulte avec des enfants, mais celles de personne à personne.
Nous avons pratiqué la pédagogie de la réussite au lieu de mettre laccent sur les échecs, nous nous sommes penchés sur les plus faibles ceux qui avaient le plus besoin de nous.
Camille et Yvette Février
Dans ma classe Freinet, je nétais plus responsable de la discipline. Mes gamines avaient compris que pour vivre en groupe il faut des règles. Et ces règles, cétaient les leurs. Cétaient elles qui les avaient élaborées au départ, puis modifiées quand elles le jugeaient nécessaire. Cétaient elles qui les faisaient respecter. Et ça change tout.
Juliette Moulineau
Ne pas admettre les évolutions récentes du système éducatif, au moins dans le discours, parfois dans les pratiques, serait de mauvais aloi. Na-t-on pas insisté ces dernières années sur la nécessité de se centrer sur lenfant, apprenant? Déjà en tant que pédagogue Freinet - il faut toujours quils ergotent ceux-là, cest bien connu: jamais contents! -. Je me demande pourquoi réduire lenfant à lapprenant. Et puis à discuter avec différents collègues, favorables par ailleurs à cette évolution, souvent on comprend vite ce qui nous sépare. Cest bien toute la distance entre lapprenant au sens strict et lenfant, considéré dans sa globalité, cest plus fondamentalement cette rupture philosophique dune portée considérable.
En pédagogie Freinet, lenfant - linfans «celui qui ne parle pas» - est appelé à sortir de la condition dans laquelle on lenferme depuis des millénaires, il peut parler, il parle.
Pierrick Descottes
Lexcellente formule du psychanalyste Alfred Adler «Eduquer, cest comprendre et encourager» se vérifie. Un des résultats de la pédagogie de lEcole Moderne française les plus caractéristiques, na pas manqué de toucher de nombreux cliniciens, pédopsychiatres et psychologues, à savoir sa valeur thérapeutique incontestable. Je men convaincrai au long de mon itinéraire, dans votre sillage Freinet et Elise.
Maurice Pigeon
Un pays ne peut évoluer que par ses conceptions nouvelles et originales, allant dans le sens de lépanouissement de lhomme. Il na rien à craindre de lavenir, si son action sexerce sur lenfant, ce ferment davenir, en le considérant comme un individu entier, avec sa personnalité propre, ses problèmes, et qui, telle une fleur, aspire à lépanouissement, au respect.
La pédagogie Freinet est valable pour tous les enfants et tous les maîtres en marche vers un nouveau devenir. Il suffit dapporter le désir dêtre utile à lenfance, de lui distribuer le bonheur auquel elle a droit, et de faire un grand pas dans ladaptation dun enseignement aux besoins actuels, réels des individus et des sociétés.
Abdelkader Bakhti
Quel bonheur nous apporte les enfants de nos classes!
Ils arrivent le matin, heureux darriver à lécole et lesprit vif, avec dix idées par minute. A peine sortis du car, les voilà qui racontent leur soirée et qui annoncent leurs projets tout en sexcusant parfois de navoir pu finir telle ou telle chose.
Après nos dix minutes de footing matinal, nous sommes prêts, les pieds au chaud dans les chaussons, à écouter et à regarder, autour de la grande table, dans lordre que le président de quinzaine fera respecter. La petite fille dà peine six ans et le pré-adolescent de dix auront les mêmes droits et les mêmes devoirs au sein du groupe coopératif.
Il faut oser laisser lenfant apprendre cest-à-dire prendre à lui le monde quon lui donne. Il faut lui proposer lenvironnement le plus riche, le plus varié et le plus complexe possible: des objets, des documents, des livres, des outils, de la technologie, de la place... et des techniques.
Alors, il va nous impressionner par ses capacités, ses inventions, son intelligence, sa rapidité et son envie de faire.
Pourquoi un enfant devrait-il sennuyer à lécole? Il passe dans son école une grande partie de sa vie, il y vit, il y grandit, il y apprend le monde des humains.
Combien de passions enfantines ont débouché sur des travaux dadultes!
Bien sûr, il ny a pas que Freinet a avoir pensé. De tout temps, on a philosophé sur le petit dhomme. Mais Célestin Freinet a accompagné sa pensée de pratiques, dinventions matérielles et celles-ci ont engendré sa pensée en retour.
Avec Célestin Freinet, je travaille, je bricole, jinvente, je teste, jaméliore et je suis fier. Je suis fier de ce sourire denfant que jaccompagne un bout de chemin et qui noubliera jamais.
Hervé Moullé
Jai essayé, ça na pas toujours bien marché, jai eu des déceptions- (à ce moment, je navais pas laide que vous pouvez avoir maintenant - mais pour rien au monde je naurais voulu revenir aux méthodes traditionnelles.
Parce que les techniques Freinet avaient apporté la réponse à mes questions.
Parce quelles font entrer la vie dans la classe.
Parce quelles permettent aux enfants de rester en classe tels quils sont au dehors.
Parce quelles ne laissent aucun enfant à la traîne, chacun y trouve la possibilité de réussir.
Parce quelles établissent entre lenfant et nous un lien damitié.
Parce quelles permettent lépanouissement complet de lenfant.
Parce quelles apportent beaucoup au maître en même temps quelles sont pour lui une source de joie et dépanouissement (en particulier, cest un plaisir de faire un C.P. et non plus une corvée).
Quand on a essayé et réussi, même partiellement, les techniques Freinet, il est impossible de ne pas être convaincu de leur supériorité.
Cest pourquoi nous les défendons parfois avec tant de chaleur.
Ginette Basset
Outre la prégnance dun bon sens populaire, et sans vouloir exagérer limportance de luvre de Rousseau dans la pensée de Célestin Freinet, il me semble incontournable de rapporter dabord bon nombre des préceptes de sa paidagôgia moderne à un fondement de morale humaniste. «Vivre est le métier que je veux lui apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera, jen conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre, il sera premièrement homme» dit Rousseau (Emile, 1). Mais comment se fait-il que cet art soit si difficile? Un art qui somme toute travaille une technique de vie ne porterait-t-il pas le nom, rendu par Socrate célèbre, de philosophie? Si philosopher cest chercher une sagesse pour vivre, cette tâche fut initialement recueillie dans lénigmatique oracle de Delphes: Connais-toi toi-même.
Cest précisément une tâche évacuée par lécole que Freinet appelle «traditionnelle», visant par ce concept tous les aspects dun conservatisme comptable qui «forme des serviteurs dociles aptes à servir une bourgeoisie cultivée, et usant encore des mêmes outils quelle sétait patiemment forgée». Pour Freinet, lEcole «moderne» est celle qui offre à chaque enfant une «puissante préparation à la vie prolétarienne», car éduquer, cest former des hommes, non des moutons, «former en lenfant lhomme de demain» dans une école «qui aidera les démocrates de demain à réaliser la société de leur rêve, doù sera exclue lexploitation de lhomme par lhomme» (Educateur n°9 1965). Pourtant lécole est tout sauf un lieu dendoctrinement précoce à une idéologie: traitez votre élève selon son âge, disait Rousseau, et Freinet en fera un postulat de sa méthode, «lenfant évoluant à son rythme». Car cette éducation moderne libératrice «doit être avant tout une ascension libre et créatrice».
Si Freinet nhésite pas à parler dune sagesse comme étant le but de toute bonne éducation, cette sagesse consiste à développer sa personnalité «au sein dune communauté rationnelle quil sert et qui le sert». On ne peut que reconnaître dans ce projet éducatif lesprit des Lumières, dont le philosophe Kant disait quil consistait en une volonté de saffranchir de «létat de tutelle». Et les étranges appels, multipliés par Freinet, à prendre en considération lexemplarité des sages tels que Jésus ou le Bouddha, doivent pourtant être compris comme incitation à la construction dune sagesse révolutionnaire. Ainsi apparaît le premier paradoxe de la pensée de Freinet: léducation à la vie ne saurait saccomplir sans une volonté daction combattante, parce que «la vie est révolutionnaire».
Freinet, lecteur de Rousseau, adopte une pensée humaniste qui fonde ses valeurs sur une ontologie vitaliste: «La vie est», lit-on dans Essai de psychologie sensible. Mais, communiste-libertaire, Freinet rend les «conservateurs» responsables de la grégarisation des hommes, de leur conformisme, de leur minorité, de leur écrasement, toutes négations de la vie opérées à des fins de rentabilité. Prendre en vue lélément de la vie, dans laction éducative, cest donc entrer en conflit avec le pouvoir répressif dont lEcole «traditionnelle», malgré ses vertus républicaines, est un appareil.
Centrer lécole sur lenfant, comme on dit aujourdhui, voilà une rouerie du pédagogisme libéral. Il na jamais été question, pour Freinet, dune solution pédagogique intra muros. Mouvement essentiellement pédagogique, lI.C.E.M. recommande cependant aux éducateurs de «militer dans tous les domaines pour une société nouvelle». De même, les discours didacticiens en vogue depuis les années 70 croyaient nous tromper en traitant abstraitement la question des savoirs, reproduisant la vieille division entre létude «intellectuelle» et le désir (ou le corps). Mais aujourdhui, la question se pose dune évacuation en règle des «contenus»: lécole dite de masse liquide allègrement le problème de léducation en se complaisant dans le simulacre de létude. Lidéologie didactique, loin davoir modernisé lapproche de léducation, sest enfermée dans le mépris des processus matériels de la vie. Or Freinet a toujours conçu la transmission des savoirs comme une production socialisée (ex: le texte libre), lenfant devenant centre de puissance dans un réseau de recherches et détudes qui proliférent par une appétissante pratique de la pensée.
Centrée sur lenfant, lEcole moderne doit être, pour Freinet, une éducation à la puissance par laffirmation de la vie. Toute la critique, souvent très polémique, de la scolastique réactionnaire procède chez Freinet du présupposé dun droit de la vie. Mais le paradoxe ici vient de ce que «droit de la vie» nimplique pas loi de la force. Affirmer son élan vital pourrait sembler supposer la restauration pédagogique dune sorte détat de nature où les enfants seraient au coude à coude, chacun sefforçant dimposer sa loi propre: lécole faite à la main dune élite, imposant sa domination.
Or, nous savons quelles sont les prémices dont part Célestin Freinet pour dénoncer lEcole traditionnelle inféodée à une idéologie dindustriels de la connaissance. Cest donc par un appel à reconnaître ce fait premier, la vie est mouvement et changement, que Freinet institue sa pédagogie sensible. Ce quil y a de révolutionnaire dans la pensée de Freinet, cest de nappuyer léducation ni sur des processus dinhibition-culpabilisation du désir dont la positivité est spécialement perverse, alimentant un goût éhonté de sa propre supériorité intellectuelle, ni sur une idéaliste croyance en quelque vertu de la non-directivité qui elle pourrait bien dégénérer en loi de la force. Léducation Freinet est un tâtonnement essentiellement aléatoire, articulant un désir dexpression et une libération organisée par des techniques évoluant en situation.
Ainsi, contrairement à ce quaffirme le triste Calliclès présenté par Platon dans Gorgias, la puissance ne se constitue pas en laissant jouer des passions qui écraseront les «faibles». Pour Freinet, la puissance est acquiescement aux forces de vie, et cela ne se peut que dans la vertu spécifiquement humaine du travail libérateur. Contrairement à Calliclès encore, au cur de la cité lhomme de Freinet ny vit pas pour asservir ses semblables en sinstaurant dominateur. Mais limpression joyeuse de puissance vient à chacun dans sa coopération effective à une uvre de vie sociale, par des activités consciemment voulues. Il y a un devenir-libre des hommes qui se cherche dabord dans le fait éducatif, à condition que cette éducation consiste strictement en «une ascension toujours accélérée au-dessus de lanimalité» (Essai de psychologie sensible).
Linquiétude humaine doit être conduite, et non laissée à larbitraire de ses affolements passionnels. Freinet conçoit léducateur comme celui qui rend possible lorganisation rationnelle dun milieu de travail coopératif où chacun pourra, avec les autres, produire des savoirs et développer la joie qui en découle, «promesse de son épanouissement».
Henri Go