les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Réactions à la pédagogie Freinet
La totale nouveauté de la pédagogie Freinet ne pouvait que surprendre.
Quête fébrile à la bibliothèque de lEcole Normale: un ouvrage de Freinet, tout de même... Discussions avec mes camarades de promotion. Lun deux me prêta «Les techniques de lEcole moderne française», puis sintéressera lui aussi à la pédagogie Freinet. Demande auprès du Directeur en vue deffectuer un de mes stages en tutelle à lEcole du Pioulier. Refus: «Je vous ferai un cours de deux heures qui vous en apprendra davantage quun mois passé chez Freinet» (sic, hélas!).
Deux années dans la petite école élémentaire de Gairaut, à Nice, me firent comprendre combien il était facile de senraciner dans la population, si on décidait de simpliquer, et combien les enfants en tiraient alors partie. Une année à Tourrette-Levens dans une école de 250 écoliers, mais... avec la responsabilité dune classe unique composée exclusivement denfants maghrébins que les collègues ne voulaient pas..., confirma la découverte précédente. Ma plus grande satisfaction fut dobtenir des familles, en butte au racisme de lenvironnement, une marque de confiance - incroyable a priori: à la suite des visites que je fis auprès de chacune et du travail de lannée, jobtins que tous les enfants pussent quitter un mois leurs parents pour bénéficier dun séjour en classe de découverte... Ici encore, le mouvement Freinet mapporta un soutien extraordinaire: exposant les difficultés que je rencontrais auprès de la commune qui refusait de cofinancer la classe denvironnement, la solidarité financière des camarades au Congrès de Montpellier me permit de montrer à lI.D.E.N. que jétais vraiment déterminé à compenser la défaillance municipale par une quête publique... argumentée. Quelques jours plus tard, le préfet inscrivait doffice la dépense au budget de la commune...
Jacques Jourdanet
En 1968, 1es responsables désireux dassocier plus intimement des camarades dautres cantons à une rénovation pédagogique créent le Groupe Romand de lEcole Moderne (GREM). Une centaine denseignants préparèrent alors le premier Congrès suisse de lEcole moderne, doublé dune nouvelle exposition artistique où se déroulèrent de remarquables démonstrations des diverses techniques: imprimerie, limographe, monotypes. Lausanne était lidéal lieu de rencontres et les autorités locales très collaborantes.
Pourtant,dautres «patrons» surveillaient attentivement et avec plus ou moins de bienveillance ces enseignants quelque peu remuants et dérangeants.
Ce fut, dès lors, le prélude à des moments plus difficiles. En effet, la société, victime dun insolent progrès, se calfeutre, saffaiblit dans son confort matériel, se dirige vers la fracture sociale. La réussite à tout prix devient le leitmotiv à tous les niveaux et lécolier en pâtit. Les enfants plus lents, faibles ou rêveurs nont plus place en classe - en ont-ils jamais eu -? Lindividualisme, additionné de la folie de la compétition à tous niveaux, modifie les mentalités. En classe, le stress sinstalle, sournois et gagne même les enseignants découragés.
«Ils ne mouraient pas tous,
Mais tous étaient frappés», disait La Fontaine...
Comment sétonner, dès lors quau sein du GREM le militantisme se mit à fléchir?
Heureusement, des forces nouvelles arrivèrent de Suisse allemande, franchissant avec aise la barrière linguistique en apportant un souffle nouveau. Il faut dire que ces collègues avaient eu, auparavant, de nombreux contacts de travail avec le GREM. Ces jeunes impressionnent par leur attitude critique face à des groupes de pressions très nombreux dans leur région. Ils ne craignent ni le scepticisme, ni lhostilité officielle.
Ces dernières années, en coopération étroite avec les derniers du GREM - des filles surtout - ils organisent régulièrement des rencontres avec exposition, à Zurich, Berne, Genève ou Lausanne. En 1996, à Fribourg, ils y évoqueront la mémoire de Freinet.
Jean Ribolzi
De retour à Neublans, la tête pleine de toutes ces nouvelles idées pédagogiques, nous commençons à pratiquer:. texte libre, atelier de peinture, journal scolaire écrit à la main en attendant limprimerie et nous commençons timidement les échanges. Parallèlement, Roland a écrit des articles concernant ces pratiques dans un journal local y insérant quelques textes libres denfants. Réactions immédiates des collègues de deux villages voisins qui mettent en garde les parents: quatre élèves quittent lécole! Nous demandons une inspection, celle-ci se déroule très bien et
nous pouvons continuer.
Madeleine Belperron
Jai encore en mémoire la réflexion de Sylvie, une élève de onze ans qui mavait connue en pédagogie traditionnelle. Deux ans plus tard, alors que je métais déjà bien engagée dans la pédagogie Freinet, elle mavoua: «Vous savez que vous avez drôlement changé, maîtresse». Eh oui! je la voyais avec un autre regard et cest fou ce que lon est capable de faire quand on vous regarde positivement ; car il sagit bien de faire. Cette expérience de Magny-Cours, avec le recul, na rien dextraordinaire en soi, mais nous avons réalisé quelque chose, avec dautres et, sans ces autres, sans Célestin Freinet, nous ne laurions pas fait.
Aujourdhui, je suis seule, Raymond est mort depuis quatre ans. Beaucoup damis du Mouvement ont également disparu: M.Beaugrand, ME Bertrand, M.Berteloot... Je suis heureuse de pouvoir les faire revivre maintenant.
A Raymond qui na pas entendu comme moi, le merveilleux témoignage de sa fille, à Célestin Freinet que jaurais tant aimé connaître et à tous mes amis, joffre ce bel hommage de Pascale adressé à ses parents: «Le plus beau cadeau que vous mavez offert, cest votre éducation dans lesprit et les principes de la Pédagogie Freinet»
Jacqueline Massicot
Dans la foulée de soixante-huit, je fus, heureusement, sollicité pour participer dans un Centre Régional de Formation à un passionnant travail déquipe. Au bout dune dizaine dannées la remontée du traditionalisme mamena cependant à me tourner vers lICEM, dans les rencontres nationales duquel je rencontrai des préoccupations proches des miennes chez des collègues tant du primaire que du secondaire. Ces échanges débouchèrent rapidement sur une véritable coopération au sein dun groupe de travail fondé en 1980.
Mais, face à un retour de plus en plus agressif de trop vieilles démarches, je me sentis tenu de me positionner clairement face à une hiérarchie nouvellement placée pour les promouvoir. Peut-être eussé-je pu le faire de façon plus discrète? Toujours est-il que, malgré un dossier professionnel jusque là tout à fait positif, lInspection Générale de ma spécialité et son relais régional ne cessèrent jamais plus de me poursuivre de leur sollicitude! A commencer - pour ne prendre quun exemple - par un transfert quelques jours après la rentrée, du poste dont jétais titulaire au Centre de formation de Professeurs dans un collège de quartier exposé, à 120 km de là et avec des élèves en difficulté... La Pédagogie Freinet avait commencé à transformer ma vie, pourrais-je plaisanter!
En fait, je ne regrette strictement rien. Au contraire, dirais-je même avec le recul. Remis en contact avec la réalité de la classe, je pus y expérimenter et en témoigner en pleine connaissance de cause. Et de façon beaucoup plus crédible que depuis un poste de formateur.
La plupart de mes anciens collègues du Centre peuvent se retrouver aujourdhui chefs détablissements ; jai, quant à moi, beaucoup plus apprécié la possibilité de continuer à travailler et témoigner librement dans des revues pédagogiques, syndicales, de spécialistes ou autres pour combattre, même sans gros résultat apparent, une conception tellement modélisée et expositive de lenseignement technologique quelle en paraît caricaturale.
En ce sens, la Pédagogie Freinet maura finalement bien apporté la liberté.
Même si, ô combien précieuse, maura été la présence constante des camarades: seul on na jamais raison contre tous et on ne saurait «tenir la distance».
Heureux néanmoins davoir pu éviter dappeler au secours, car convaincu que toute liberté a quelque part son prix.
Prix que dautres, à commencer par Freinet lui-même, ont dû payer nettement plus cher.
Liberté aussi dexplorer pleinement, dans des directions pour la plupart signalées par lui, des pistes souvent entrevues par lui. Et selon des démarches plus ou moins éprouvées par lui et ses premiers compagnons.
Alex Lafosse
Dans mon travail avec les étudiants de lEcole Normale, cest-à-dire avec les futurs «éducateurs du peuple», je mefforce de leur faire connaître la Pédagogie Freinet, aussi bien par des livres que par des rencontres avec des enseignants Freinet que j`organise (p.ex. en 1995, une excursion en Forêt Noire où existe un groupe Freinet très actif). En même temps, jessaie de leur démontrer la nécessité de lattitude envers les élèves, décrit ci-dessus par Célestin Freinet.
Ce dernier but est très difficile à atteindre. Les jeunes étudiants à 80% des étudiantes dailleurs sont issus pour la plupart dun milieu «bourgeois» et ont parcouru un Lycée traditionnel. Là, ils ont été formés dans la conscience davoir mérité leur succès scolaire par leur intelligence et leurs efforts, succès moyen dailleurs, parce que ceux avec un baccalauréat de qualité sen vont faire des études universitaires. Ils sont donc très «sages», très naïfs et imprégnés par lidée dapprendre au plus vite comment on dirige une classe «comme il faut». Finis les temps où jétais mise en cause par des étudiants impatients de changer lEcole, ni quoi que ce soit... Ceux et celles devant moi aujourdhui ont appris la leçon quil faut sadapter, se plier aux exigences si lon veut avoir un des postes très rares... Il y en a même qui men veulent lorsque que jessaie dorganiser un cours selon les méthodes Freinet, cest-à-dire lorsque je leur propose le choix dobjectifs de travail, ou des groupes ou des méthodes de travail... Tout ce qui nest pas nettement imposé, qui sent le risque dune décision personnelle, de la liberté, leur inspire peur, ou plutôt méfiance...
Ils se plient déjà avant quon le leur ait exigé. Et la pauvre vieille qui cherche à leur insinuer une autre attitude, à ébranler quelques-unes de leurs convictions, se sent bien des fois un peu seule parmi eux.
Ce nest donc jamais la majorité qui se laisse inspirer de cette autre conception du travail pédagogique, inspirée et initiée par Célestin Freinet il y a 75 ans. Mais quelques-uns, dans chaque promotion, commencent à s`y intéresser, «prennent feu» et cherchent activement le contact avec la Pédagogie Freinet. Jai toujours trouvé une possibilité pour ceux-là de faire un stage dans une classe Freinet, ou de participer à des rencontres, etc.
Les autres apprennent la Pédagogie Freinet par les livres, ou les minimalistes par les notes prises par leurs camarades et la récitent dans les examens. Et cela nest déjà pas mal, nest-ce pas?
Ingrid Dietrich
Comme beaucoup dautres, je nétais pas toujours daccord avec Freinet. Mais il prenait soin de nous donner la parole parce quil croyait à limportance de la confrontation des idées. Il mavait même confié la rubrique de lEducateur: «La part du maître». La plupart du temps, il acceptait tels quels mes articles, sans jamais les censurer et se réjouissant même des problèmes que, parfois, je posais. Il ne me demandait de reprendre que ceux qui nétaient pas directement compréhensibles.
Il avait été déçu et presque choqué dapprendre que moi, le fidèle des fidèles, je nimprimais plus, que je navais pas de journal scolaire et que je nutilisais pas la correspondance. - Après onze années de pratique! -. Il mexpliquait quil était daccord pour dire que la correspondance nétait pas faite pour lhistoire et la géographie, mais pour mieux se connaître. Moi, je pensais que, jusquà 9 ans, les activités de la pédagogie Freinet suffisaient largement pour cela, pour peu quon ait souci de développer les langages, ce que je mefforçais de faire dans des domaines inhabituels comme le parlé, le chant, la gymnastique et la mathématique. Mais lui, il avait plutôt une optique grande classe. Et il avait raison de penser quà ce moment-là, il fallait ouvrir les fenêtres sur le monde. Elise me comprenait mieux parce que je me trouvais davantage sur sa ligne. - Mais Freinet craignait que mes interventions ne dissuadent des camarades de ce niveau de pratiquer la correspondance, alors quil pensait quelle était accessible à tout le monde et que, par sa seule introduction, les choses sen trouveraient déjà considérablement et positivement changées.
Je nétais pas non plus daccord sur le fait quil fallait construire le savoir mathématique sur le réel, alors que je pensais, et que mes élèves mavaient conforté dans lidée, quil fallait dabord sen désengluer. Mais bien que fondamentalement opposé à cette idée, il nen avait pas moins publié le récit de mes premières expériences. Elise me disait:
- «Ici, tout le monde est contre toi. Et moi, je serais plutôt de leur coté. Mais, continue, tu pourrais avoir raison contre nous tous».
Mais si jai eu en grande partie raison, ce nest pas contre eux, mais avec eux, parce que javais appliqué leurs idées à lenseignement des mathématiques. Elise sétait dailleurs rapidement rangée à mon point de vue parce quelle sentait quon ne pouvait faire totalement confiance au seul calcul expérimental.
Même comportement de Freinet à propos de «Rémi à la conquête du langage écrit». Les premiers cahiers lavaient un peu inquiété. Mais il ne les en avait pas moins publiés. Lorsquil avait choisi comme thème du congrès dAnnecy: «Critique de lécole traditionnelle», nous avions été plusieurs à lui dire notre désaccord. Alors, il avait opté pour: «Les maladies scolaires». En cette occurence, nous avions eu tort, car cette critique était à faire, comme elle lest encore à faire maintenant. Ayant connu tout ce quil avait connu, il nhésitait pas à affronter la réalité en face. Nous, nous étions beaucoup plus timorés.
Paul Le Bohec
Freinet mappelait aussi «Viens ici, Paulette 40, fais-nous rire avec tes misères...»
Freinet paraît-il, navait découvert que je travaillais dur et sérieusement que sur le témoignage dElise! Cest en riant que je racontais «la dernière» de ma Directrice, ou de mon Inspecteur. Je disais cela - quy faire? - avec mon accent, nest-ce pas?
Alors les copains riaient aussi.
Donc, la «dernière» anicroche: dans mon vieux chalet sur le mur de ciment gris sale, il nous prend lidée de peindre une belle fresque à la peinture (en 1952, je crois). Arrive «Madame». Une exclamation: «Mais que faites-vous! sur le mur!!! Si lInspecteur des Bâtiments communaux arrive, vous vous rendez compte?» Moi: «Mais Madame, ça se lave... Elle, soulagée: «Ça se lave? Oh! alors, cest beau...»
Freinet ne restait pas sur notre beau rire. Il était déjà à imaginer les garde fous qui pouvaient nous faire conquérir peu à peu plus de liberté vis à vis des Corps Constitués.
Et celle de linspecteur, tout de noir vêtu, depuis son grand feutre, qui arrive, le dernier samedi du trimestre, ler avril - 3 mois de classe sans vacances, 6 heures par jour, 5 jours par semaine -. Section Enfantine CP - 56 enfants, entassés. Pas de femme de service pour accompagner les plus petits au «cabinet» au fond de la cour! Il fallait déranger 23 gamins quand «ça pressait».
Ma colère sétait déjà déchaînée contre le Conseil Municipal. «Faites-moi des bureaux à étages... Je mettrai plus denfants».
Le ton montait des deux côtés.
Poussée à bout, sur la page de Vie de notre journal, jécris:
«Laissez venir à moi les petits enfants...»
Nous sommes 56 et chaque enfant na que 0,94m2 de place... Tout de suite il gronde: «Vous osez mécrire cela sur votre journal public: vous savez que vous êtes tenue à lobligation de réserve...»
- «Mais Monsieur lInspecteur, si je ne lécris pas à vous, alors à qui..»
Imperturbable, mon chef hiérarchique compte mes zouaves et note sur mon rapport: «La maîtresse a retrouvé de meilleures conditions de fonctionnement: Présents 48!...
Paulette Quarante
Elles ont lâge dêtre grands-mères maintenant, mes élèves! Celles que je vois de temps en temps se sont bien débrouillées. Lune dentre elles est venue me voir cet été: elle est coiffeuse et esthéticienne.
Elle ma expliqué que, aller à lécole pour elle, ce nétait pas aller à lécole comme on lentend communément, cest-à-dire, aller à la corvée avec tous les ennuis qui peuvent sensuivre. Elle appréciait surtout nos sorties dans la nature. Puis elle a continué ses études et elle a constaté quelle en savait autant que les autres qui avaient peiné en vase clos. Elle ironise sur celles qui vont bosser. Elle, elle va soccuper de son commerce, surveiller son personnel, former des jeunes et conseiller ses clientes.
Il sagit dune forte personnalité et sa réussite nest pas due uniquement à lécole.
Dailleurs un cas isolé nest pas une preuve. «former en lenfant, lhomme de demain», aimait à répéter Freinet.
Il faudrait un sondage pour savoir si les anciens élèves des écoles Freinet ont été mieux formés que les autres.
Juliette Moulineau
Je voulais pouvoir appliquer intégralement la méthode Freinet et venir aussi en aide aux enfants en difficulté scolaire, souvent pour des problèmes familiaux: séparation des parents, jalousie entre frères et surs. Dans ce dernier cas, le signaler aux parents qui ne sen rendent pas compte et le déblocage se produit rapidement. Voici le cas précis dun élève: «Nous sommes 3 enfants, mon frère aîné est le préféré de mon père, ma petite sur la préférée de ma mère et moi de personne». Surprise des parents à qui jai signalé ce fait et qui se sont mieux occupés du 2ème enfant qui a aussitôt fait de rapides progrès et finalement obtenu un bac technique.
Autre blocage, une enfant de 12 ans, dintelligence normale, ne savait pas lire «parce quil ny avait pas datomes crochus entre elle et la maîtresse du C.P.». Le rattrapage a été très rapide.
Les élèves se plaisaient beaucoup dans ces classes, preuve apportée par beaucoup de parents: «On ny comprend rien! Avant, il ou elle, nattendait que les vacances et maintenant, il(ou elle, sennuie pendant les vacances et nattend que la rentrée avec impatience!»
Andrée Bertet
En route pour laventure. Je lentreprends avec prudence. Les parents invités prennent langue mensuellement avec moi depuis la rentrée doctobre 1933. Peu à peu ils acquièrent conscience de la nécessité dunir nos efforts comme de solliciter quelques amis extérieurs au sein dune Amicale Laïque. Dans un rapport de 1935, lInspecteur primaire, intéressé, note: «On assiste ici à une transformation spectaculaire dans la classe, non seulement en tant que bâtiment, grâce aux efforts des parents et des amicalistes, mais par le climat éducatif dont bénéficient les élèves».
(...) 1943 - 1944 - 1945: Personnalisation, individualisation, succèdent aux leçons exposées. Textes libres retravaillés en commun, poèmes, dessins libres, gravures, rien nétonnera plus quiconque. Ni les élèves, ni les parents régulièrement informés. Ni les artisans du bourg: maréchal-ferrant, sabotier, boulanger par exemple qui répondent aux enquêtes entreprises. Ni les employés de la gare, ceux du bureau de poste. Ni les anciens interrogés sur le folklore du pays de Retz, sur la demande du Ministère transmise par lInspection Académique. A la fin de lannée scolaire, aucun échec aux devoirs dexamens. Et surtout, le niveau de curiosité sest accru. Aux questions posées par certains coopérateurs, il a fallu des réponses. Doù des recherches sous formes multiples. Souvent, les réponses ont été satisfaisantes. Parfois, il faudra mettre en route des investigations plus approfondies. Chacun, dans ce cas, doit comprendre la nécessité dun délai, de persévérer.
Autre point satisfaisant, des parents denfants du cru, garçons et filles même, ont profité du bouleversement de nos effectifs pour faire inscrire leurs rejetons à lEcole Communale: adaptation sans problème.
1945: Il faut me rendre à lUniversité de Lyon, afin de soutenir le mémoire préparé, en vue du diplôme, sur un aspect de la pédagogie Freinet.
Titre: «Le dessin libre des enfants dans une classe Freinet». En fait, je mattache à prouver limportance capitale de la vie affective de lenfant, confronté à la vie dune classe. Accueil excellent. Le Prof. Jean Bourjade, Président du Jury, me suggère de préparer une thèse. Cétait le 5 décembre, javais repris, dès les premiers mois de cette année, un contact épistolaire avec Freinet et avec Elise. Lautorisation académique ma été accordée de me
rendre au Pioulier où lun et lautre sont revenus.
Maurice Pigeon
(...) Malgré leur apparente amabilité, nos collègues nappréciaient pas notre pédagogie. Cest ce que nous avons découvert lorsque lInspecteur dAcadémie et lInspecteur Primaire sont, ensemble, venus nous inspecter lun et lautre. Inspection sans problème, mais pourquoi? Dans son bureau, lInspecteur dAcadémie nous expliqua quune pétition des parents avait été envoyée par le maire au préfet, qui lavait transmise au recteur!
Il nous lut un passage de la pétition: «Mme Poisson apprend à ses élèves à reconnaître et à dessiner des mots avant de leur apprendre à former des lettres». Il estimait, comme nous, que les auteurs nen étaient pas seulement des parents.
Il nous soutenait, ne voulait nullement interdire notre pédagogie, na laissé aucune trace de cette affaire dans nos dossiers.
Cependant, face à la toute puissance politique du maire, il déclara ne pas être certain de toujours pouvoir nous protéger et nous conseilla de changer de poste.
On vint me demander de remplacer une maîtresse dapplication. Jexpliquais alors à la directrice de lE.N. que je pratiquais la pédagogie Freinet, que je suivais lexpression libre des enfants et que jexploitais leurs apports quand ils se présentaient ; que, par conséquent, je ne pouvais mastreindre à respecter les exigences des professeurs qui viendraient inspecter les normaliennes.
A ma stupéfaction, elle trouva cela très intéressant. Je neus pas de problèmes avec les profs, mais des accrochages avec les autres maîtresses dapplication lors de conférences pédagogiques. Mon travail ayant sans doute donné satisfaction, je suis devenue Maîtresse dApplication.(1)
Denise et Paul Poisson
(...) Après la visite dune exposition de peintures denfants où «lEcole Moderne» locale avait sa bonne part, une collègue disait: «Il faudrait dabord leur apprendre que les gens ont le nez au milieu de la figure et deux pieds pareils, pas lun plus long que lautre».
Un inspecteur voyant une imprimerie doccasion au fond de la classe: «Ah! vous imprimez? Avant dimprimer, il faudrait dabord apprendre à lire à vos élèves».
Marguerite Merklen
A la rentrée scolaire 1952-1953, jintroduis des techniques Freinet, dans mon CM2, à lécole de St Joachim. Cela dérangeait mon collègue directeur, mon Inspecteur.
Rapport dinspection, en avril 1953:
«Le maître se réclame de la méthode Freinet, cest pourquoi il na pas de journal de classe. A lavenir, Mr Yvin tiendra un journal de classe, ce qui lui facilitera la tâche, quoi quil pense.»
Mais oralement, il me lance. «Au lieu de faire de la politique, et du théâtre, faites votre classe».
En 1962, toujours le même Inspecteur, à la Baule.
«Il y a lieu de signaler que le maître sinspire des techniques utilisées par les partisans de lécole nouvelle: imprimerie, journal scolaire, textes libres, par exemple, il y a une coopérative, qui fonctionne régulièrement.»
(1) Institutrice(teur) qui participe à la formation des enseignants débutants.
Et là, il mencourage à faire ma demande pour le stage de Beaumont-sur-Oise (Classe denseignement spécial), il augmente ma note et ajoute, «là, vous pourrez faire votre cirque, avec votre imprimerie».
Pierre Yvin
Il y a deux ans, le 14 mai 1992, un bonheur inattendu me fut donné: celui de prendre conscience de quelle manière la Pédagogie Freinet peut sinscrire chez les enfants - ceux qui furent mes élèves à Codalet de 1957 à 1963 - et les aider à construire leur personnalité, au cours dune rencontre qui, lespace dun jour, 34 ans après, nous avait réunis. Je retrouvais le regard, les attitudes de lenfant dans ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui exprimaient à travers leurs souvenirs comment une imprégnation profonde était devenue technique de vie. Souvenirs communs à tous: lexpression libre, lorganisation coopérative du travail, le climat de la classe, mais à des niveaux différents, chacun ayant pris, dans le complexe mis en uvre, ce qui lui était nécessaire pour grandir, sépanouir, parfois en surmontant ses difficultés.
Jany:
«Jai gardé un merveilleux souvenir de lécole primaire de Codalet, à tel point quen 1994 jai voulu nous regrouper lespace dun jour autour de notre institutrice. Quel bonheur de se retrouver 34 ans après! Les souvenirs ont refait surface et nous avons aussitôt recréé lambiance qui nous unissait.
Il ny avait pas de séparation entre la maison et lécole. Jétais libre de mexprimer librement sans aucune gêne, jallais au tableau, jexpliquais mes textes libres sans jamais ressentir de moquerie. Chacun sexprimait sans raillerie aucune de ses camarades, ce qui fut différent en 6ème.
Jétais motivée par les recherches et les exposés et jai gardé cette motivation dans ma vie professionnelle.
Une notion très importante aussi: celle de responsabilité. Nous étions responsables de notre travail, de limprimerie, des peintures, des fichiers, des fournitures scolaires. Jamais aucun vol. Chaque responsable avait la confiance de la classe.
Un souvenir très fort aussi: Michel avait de grosses difficultés en orthographe, mais dès linstant où il avait composé et imprimé un texte, il le photographiait sans aucune faute. Il était responsable de limprimerie.
Après mon entrée en 6ème, je revenais en classe pour me ressourcer.»
Jany Tesse, Codalet, secrétaire de mairie.
Ils revenaient tous: les «grands», partis en sixième ou en apprentissage, le samedi après-midi, sintégrant au travail, aidant à terminer les uvres, à ranger, à préparer la classe devenue classe unique, pour le moment si attendu et solennel de la réunion de la coopérative.
«Nous travaillions tous ensemble, il ny avait pas de compétition entre nous, mais vous permettiez à chacun daller le plus loin possible. Arlette nous aidait en peinture à chercher de belles teintes, lorsquon ne savait plus.
Je ne pensais pas quil nous serait possible de retrouver aussi vite cette atmosphère de classe, cette simplicité et de redevenir enfants.»
Monique Borneil, Montpellier, Professeur dArts Plastiques.
«Une pédagogie profondément humaine...
Vous avez su réveiller chez les enfants que nous étions lenvie de savoir, le plaisir de découvrir. Profondément attachée à cette pédagogie profondément humaine, vous faisiez de nous des enfants privilégiés.
Nous avons réussi dans des domaines variés. Certains, même, vous doivent leur métier. Je savais que je serais photographe: je faisais les photos en classe promenade.»
Franck Tellosa, Perpignan, Photographe
«Les enfants de maintenant, il faut tout leur apporter tout prêt.
Nous, nous allions arracher largile au bord de la rivière et nous allions chercher le sapin de Noël dans la montagne.»
Joseph Larrieu, Prades, Maçon et célibataire
«Jétais responsable de limprimerie, cétait mon travail, celui que je préférais.»
Michel Nicolau, Codalet, Agriculteur.
La lettre de Suzon, qui trop éloignée navait pas pu assister à la rencontre:
«Vous avez été une des figures emblématiques de mon enfance, vous mavez aidée à grandir, vous mavez donné lamour du travail. De vous, jai retenu par dessus tout et symboliquement votre sourire et le terme par lequel vous nous désigniez: «enfants». Telle était votre appellation favorite, non précédée de possessif et pourtant empreinte daffection.
Vous nous avez fait vivre le temps de lécole, non comme une corvée mais dans la sérénité.
Notre imprimerie, notre journal, nos poèmes, la part accordée à lexpression sous toutes ses formes, nous ont révélés à nous-mêmes, tout autant quils nous ont appris à déceler la beauté du monde et peut-être est-ce au nom de cette nostalgie ancienne et de lamour des mots que jai voulu, très tôt, devenir professeur de lettres.»
Suzon Casenobe, Savigny Le Temple, Professeur de lettres
«Aujourdhui, jai 47 ans et mes pensées souvent vont vers mon enfance. Née dans une famille de trois enfants, dun père ouvrier, travaillant dans les mines de fer de Faurinya et dEscaro et dune mère, bonne mère de famille, mais sans instruction ni culture, jétais une enfant qui errait dans les rues de mon village à la recherche de quelque chose.
Je me promenais dans les bois, je parlais aux fleurs (1)et aux arbres, je suivais les rivières. Je ne me suis jamais souvenue de lécole maternelle.
A dix ans, je ne savais ni lire, ni écrire, ni apprendre par cur, devant ce tableau noir, je me sentais déjà frustrée. Puis à la rentrée suivante je suis allée à la «grande école».
Là, beaucoup de changements. Une nouvelle maîtresse ma accueillie et ma mise en confiance. Je passais des moments à jouer avec leau, dans lévier, qui était de marbre rouge, sans que la maîtresse crie ou me punisse. Cétait, je pense, sa façon à elle de mapprivoiser.
Puis jai découvert le dessin, la couleur et la peinture, les textes libres que lon pouvait raconter à toute la classe. Jécoutais attentivement et avec plaisir les poésies de Victor Hugo et dAppolinaire et japprécie de les relire aujourdhui.
Nous écrivions des textes, des poèmes pour notre journal «Le Canigou» que nous vendions dans le village. Il était imprimé par toute la classe et les dessins étaient faits par les auteurs du texte.
Cette façon de travailler ma permis dévoluer, de menrichir, daimer ce qui mentourait, dapprécier la musique, dêtre sensible à la beauté des choses et à la tristesse.
Je nai pas linstruction pour avoir des diplômes, mais jai une culture (2) qui ma permis de construire ma personnalité et que ma donnée avec beaucoup damour une institutrice qui avait choisi la Pédagogie Freinet.»
Arlette March, Aide-soignante à lhôpital de Prades
Lancienne correspondante de Monique Borneil - nous correspondions alors avec une classe de Saint-Joseph-les-Bans en Ardèche - nous a fait apporter par Monique, avec laquelle elle est toujours en relation, cette lettre pour le jour de notre rencontre:
«Il était une fois un maître et une maîtresse, qui, soucieux délargir lhorizon de leurs élèves, décidèrent de leur attribuer des correspondants.
La mienne sappelait Monique Borneil. Jai toujours conservé sa première lettre, vous allez savoir pourquoi.
Je trouvais que son nom brillait comme le soleil et jai
(1) Arlette dessinait toujours ce quelle appelait «des visages en fleur». Je viens de comprendre pourquoi puisque pour elle les fleurs avaient un visage.
(2) Freinet disait de certains enfants de lécole qui avaient dominé le handicap du départ: «Ils ont une culture, ils savent réfléchir, lire, choisir, juger. Ils sont formés pour la vie.»
vite compris que le soleil là-bas, cétait lor des abricots du Roussillon. Je me souviens quà chacune des lettres apportées par le facteur cétait la joie, le bonheur de lire, de découvrir cette nouvelle amie. Très vite nous sommes devenues amies et avons partagé nos secrets. Les colis de Noël, soigneusement préparés, venaient compléter notre joie en nous apportant des produits inconnus chez nous, comme le «touron» par exemple. Et puis sécrire na plus suffi.
Il a fallu se voir en vrai, se toucher, sentendre parler et rire. Alors jai fait le premier pas qui fut mon premier voyage.
Notre amitié na connu aucun heurt, elle sest élargie à nos maris, à nos enfants et à nos amis. Merci donc à ces instituteurs qui nous ont offert ce bonheur quest lamitié, parce quils avaient compris quen se tournant vers les autres, la richesse du cur irait grandissant. En ouvrant cette fenêtre sur le monde, ils nous ont donné le goût de laventure, de léchange, le bonheur quoi!
Mille fois merci.»
Annie Roux, la correspondante de Monique Borneil, conseillère déducation, le 9 mai 1994
Ces moments de la vie de notre classe qui furent pour nous une expérience unique et indélébile, faite de travail intense et motivé, de créations, denthousiasmes et de bonheurs partagés, exprimée par les enfants est un hommage à Freinet.
Sil nous a été possible de faire un bout de chemin sur cette «voie royale» quavec Elise, ils nous ont tracée, cest parce quils ont mis leur uvre à notre disposition au sein du chantier coopératif de lEcole Moderne, pour le partage du travail et de lamitié.
Thérèse Vigo