les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Une prise en compte de l’environnement


Pour une nouvelle architecture scolaire

A pédagogie nouvelle, architecture nouvelle.

Se référant à son expérience de militant, Freinet voulait nous faire prendre conscience que s’enfermer dans sa pédagogie, ignorer toutes les composantes de la Société concernées par l’école était un écueil à faire éviter absolument à tout enseignant s’engageant en Pédagogie Freinet. C’est ce qu’Elise Freinet confirme indirectement dans une circulaire du 29 octobre 1966: «il espérait que par les meilleurs éléments des cadres régionaux, des contacts pouvaient être utilement amorcés avec les intellectuels, les spécialistes de profession libérale, les artistes pour essayer de replacer l’école à un niveau culturel de recherche permanente et en recevoir des appuis. L’Association pour la Modernisation de l’Enseignement restait son grand espoir pour faire sortir les éducateurs d’Ecole Moderne de leur ghetto primaire».
Pourquoi avons-nous accueilli favorablement, dans l’Indre, cette idée d’Association élargie à des non-enseignants? Pourquoi en avons-nous créé une, pourquoi avons-nous créé une A.M.E? Avec le recul du temps, on peut dire que nous y sommes venus tout naturellement: c’était, en définitive, la suite très logique de ce que nous avions fait jusque là.
Nous avions, dans nos écoles, des rapports assez originaux pour l’époque avec un certain nombre de parents d’élèves, des rapports qui ne nous étaient d’ailleurs pas particuliers, que l’on retrouvait dans l’ensemble du Mouvement de l’Ecole Moderne. A propos des associations de parents d’élèves existant en cette période, Freinet écrivait: «ces assemblées où l’on ne discute rien de ce qui est essentiel!». En effet, on s’interdisait d’y parler de pédagogie. Nous, bien entendu, et bien que ce ne soit pas dans l’air du temps, nous en parlions de ce qui est l’essentiel avec les pères et les mères de nos élèves. Nous parlions des enfants, de la classe, de ce que l’on y faisait, des bases psychologiques, sociologiques, de notre manière de travailler. Parmi les parents qui nous comprenaient, qui appréciaient notre travail, un certain nombre sont venus tout naturellement nous rejoindre à l’A.M.E..
Une rencontre essentielle est celle que nous avons faite avec un architecte, frère d’une camarade du Groupe Départemental venu prendre part à nos travaux dès les premiers moments. Cet architecte, Robert Csali, qui devint notre Président, nous a très vite amenés à comprendre que si nous voulions être efficaces à l’extérieur de l’école, nous devions nous y comporter à l’exemple de ce que nous faisions dans nos classes. Nous ne devions pas nous épuiser en vaines discussions, nous contenter d’échafauder des projets que nous soumettrions à telle ou telle administration, à telle autorité.
Sa profession, sa volonté de dépasser nos tendances à ne pas trop avoir les pieds sur terre, nous entraînèrent à nous fixer en priorité vers la réalisation effective d’une école selon les critères que nous aurions, nous-mêmes, définis. Ainsi, en partant d’un cadre de vie adapté à la pratique d’une pédagogie telle que nous la concevions, espérions-nous faire évoluer les esprits.
Maintenant que nous avions décidé de sortir du rêve, pour aboutir au concret, il fallait trouver une solution qui nous permettrait de dépasser le mur des réglementations et de franchir tous les obstacles qu’inévitablement nous rencontrions. C’est Robert Csali qui sut saisir une opportunité que personne d’autre sans doute ne pouvait nous apporter.
La Caisse d’Allocations Familiales de l’Indre devait construire une classe dans une école maternelle lui appartenant et qu’elle mettait à la disposition de l’Education Nationale. Elle en confia la réalisation à Robert Csali. Il sut faire accepter par la Caisse, un projet conforme aux plans que nous avions établis en commun: grande salle commune avec sur deux parties latérales, espaces séparés par des cloisons avec point d’eau dans chacun pour servir d’atelier, mobilier facile à déplacer afin de permettre des groupes de travail. Ce ne serait qu’une classe. Mais ce serait un début qui nous permettrait, nous en avions la certitude, grâce à notre volonté commune, d’avancer dans ce que nous avions projeté.
La classe fut construite et, avec Robert Csali, nous eûmes l’immense satisfaction de voir réaliser en vrai ce que, jusqu’ici, nous n’avions rêvé que sur papier. Nous en étions heureux aussi pour Freinet: son initiative d’A.M.E. se révélait répondre à ce qu’il en attendait.
Bien sûr, nous l’avions tenu constamment informé de l’évolution de l’A.M.E. et des projets que nous entreprenions. Il nous écrivait en juin 1 966: «Merci pour vos papiers concernant votre initiative de classe-témoin. La conception de cette classe est très conforme aux souhaits de notre pédagogie avec salle de classe et ateliers annexes «.
Aujourd’hui, à part les retraités de la Modernisation de l’Enseignement que nous sommes devenus, qui peut comprendre le symbole que représente cette classe-témoin construite en marge des normes officielles? Qui peut savoir qu’elle existe parce qu’à l’origine de sa conception étaient les idées de Célestin Freinet? Qui peut penser à la somme d’enthousiasme qui a accompagné sa réalisation? Qui peut imaginer les batailles livrées par un architecte d’avant-garde, à la dose de persuasion dont il a su faire preuve pour innover dans un domaine où la tradition était une règle qu’il n’était pas facile de transgresser?
Oui, les choses vont lentement. Mais elles vont... Un jour peut-être, un enseignant, un architecte, un administrateur, des parents se poseront-ils des questions sur l’existence de cette classe, sur son non-conformisme. Est-il permis de rêver qu’elle soit un point de départ pour des réalisations nouvelles conçues dans l’esprit de celles que nous avions voulues et que nous n’avons pu faire aboutir. Ce serait le plus bel hommage que l’on pourrait rendre à Freinet, à Elise Freinet et à tous ceux qui les ont suivis sur les chemins de l’Ecole Moderne.
Marcel et Yvonne Jarry

En 1968, un projet de construction scolaire à Magny-Cours vient d’être accepté officiellement par la Préfecture alors que les futurs utilisateurs n’avaient jamais été consultés sur sa conception.
Un appel téléphonique spontané au Maire et à l’architecte va tout déclencher. Des enseignants qui réclament autre chose qu’une HLM pédagogique, c’est intéressant pour un maire novateur tel que le fut Jean Bernigaud qui avait créé un circuit automobile à l’origine du fameux circuit actuel Nevers-Magny-Cours.
Robert et Raymonde Faulon nous ont alors rapporté les travaux de la commission architecture autour de J.Boris et G.Hirschler, au congrès de Grenoble en 1969. Parallèlement, Marcel et Yvonne Jarry de Châteauroux, nous ont mis en relation avec M.Csali, l’architecte qui a réalisé l’école maternelle de la Pingaudière sur le modèle de la classe-ateliers de Freinet.
François Mitterrand, président du Conseil Général, ami personnel convaincu du bien-fondé de la pédagogie Freinet, nous a apporté tout son soutien. Nous avons pu ainsi échanger à la fois au niveau de la région (stage régional de Grand-Pont) et aux congrès nationaux de Charleville (1970), Nice (1971) et Lille (l972) en présence des architectes. Après bien des discussions, bien des difficultés, avec opiniâtreté, ce groupe scolaire fut enfin réalisé en 1973 et inauguré en juin 1974, par François Mitterrand lui-même, en présence de Michel et Micheline Barré, Maurice Beaugrand et Pierre Guérin qui représentaient l’ICEM.
Je laisse aux articles de journaux de l’époque et aux nombreux témoignages de notre livre d’or, le soin de faire revivre cette période exaltante où l’on parlait si bien de Freinet.
Jacqueline Massicot

A Magny-Cours, les élèves ont choisi leur mobilier. Ils ont décidé entre eux de sa disposition dans les locaux. Chaque chose dans la salle a été mise en place selon la volonté commune. Comme c’est le cas pour ces animaux décoratifs, de fil de fer et de plâtre, qui siègent au milieu de la pièce, continuellement sous les yeux des élèves. Ils les ont réalisés eux-mêmes. Il faut dire que la création artistique occupe une grande place dans leurs activités.
Créer, prolonger les activités scolaires dans le journal, écrire aux correspondants dans d’autres écoles, ce sont autant de grands principes. Mais leur application est effective. L’attitude des enfants en témoigne. On ne voit pas cette atmosphère lourde des heures de cours qui n’en finissent pas de s’écouler.
Chacun s’active à son propre rythme. Mais personne n’ignore l’autre. C’est important. Le maître, lui, est discret, mais toujours présent. Effacé mais plus efficace, son rôle est délicat mais plus passionnant aussi. Dans cette architecture qui invite au travail individualisé, puis à des regroupements, il est démystifié. Ce n’est plus le maître qui dispense sa science. C’est le meneur d’un jeu dont l’enfant devine et assimile les règles selon ses moyens et son rythme.
Journal du Centre (29-01-74)

Fort d’une dizaine de classes fonctionnant depuis la Toussaint dernière, le groupe scolaire Jean-Bernigaud, de Magny-Cours, n’est pas une école comme les autres. Il est jeune, tout jeune, mais ça ne l’empêche pas du tout de faire preuve d’une maturité d’esprit qui apparaît à chaque instant. Dans la façon de travailler mais surtout dans la façon de vivre des élèves. Les trois écrivains, au tableau, se sont fort bien passés du maître pour faire le travail. Plus tard, après une ultime lecture, ils lui demanderont son avis. Mais pas avant.
Dans la classe, derrière eux, deux filles sagement assises écrivent, elles aussi. Toutes seules. Il faut entretenir les relations avec les correspondants d’autres écoles. La maîtresse est à côté, occupée avec une autre partie des élèves que l’on voit très affairés derrière la cloison vitrée. Autour d’elle, la pièce prend l’aspect d’une imprimerie. C’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine et très personnalisé. Dans une série d’idées, l’élève qui le désire choisit son sujet. Il écrit son texte quand il veut. Ensuite, tous les auteurs viennent soumettre leur écrit, dont la lecture est suivie d’un débat auquel toute la classe participe. Un vote intervient alors pour la sélection des textes qui seront publiés dans le journal scolaire.
D’une extrémité à l’autre de la chaîne, les élèves font tout. Chacun aura une part active dans un travail vraiment commun. Parce que chaque personnalité y a sa place de droit et de fait. Ecriture volontaire, textes libres, lettres aux correspondants (ils sont nombreux), nous sommes dans l’école moderne: celle de la pédagogie Freinet.
Journal du Centre (29-01-74)

L’Institut nivernais de l’école moderne nous écrit ce qui suit:
(...° Si au lieu de gravir les escaliers d’un groupe scolaire récent, de se perdre dans des couloirs qui n’en finissent pas à la recherche d’une quelconque classe numérotée, l’enfant retrouvait chaque matin un local à sa dimension, une véritable maison - sa maison d’école - qui, au lieu de l’emprisonner, lui ouvrirait directememt les portes sur la vie? Ne pensez-vous pas, alors, qu’il y aurait moins d’inadaptés et de «caractériels»?
Pensons à nous qui, adultes, avons déjà bien du mal à ne pas nous laisser traumatiser par ces ensembles inhumains, dans le cadre d’une urbanisation de plus en plus dévorante: c’est donc un sujet qui concerne non seulement les éducateurs et les architectes, les psychologues et les médecins, mais encore les parents d’élèves et tous ceux qui désirent le bonheur des enfants et leur adaptation à la vie moderne: utopie? impossibilité de financement?
«Architecture et pédagogie»,
thème de la conférence de vendredi à la mairie de Nevers