les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
------------------------------------------------------

Un engagement politique


Tout n’était pas idyllique dans et autour de mes classes. J’ai, un jour, écrit ma révolte dans «l’Educateur» sous le titre «33 dans un F3». Est-ce que des adultes supporteraient de vivre tous les jours, à plus de 30 personnes dans un appartement de cette surface? Et que faire d’autre, s’il s’agit d’enfants, sinon de crier au scandale? Je me suis juré, ce jour-là, de ne jamais parler de Pédagogie Freinet, ni de présenter des réalisations d’enfants de mes classes sans dire que tout cela ne s’était pas fait dans la facilité. Et dans quelle encre devrais-je tremper ma plume, lorsque j’avais la charge de 55 ou 60 élèves pendant les trente heures hebdomadaires et durant trois ou quatre semaines parce que des collègues, souvent en congé, n’étaient pas remplacés? Et la souffrance des journées de tension, de 8h45 à 16h30, parce qu’il fallait aussi surveiller, chacun à son tour, une cantine très sonore? J’y ai gagné des insomnies très tenaces.
Notre temps et nos nuits, étaient dévorés par l’Amicale laïque et le Parti Communiste.
Nos enfants étaient livrés à eux-mêmes, pendant qu’à l’Ecole, j’organisais la journée de classe du lendemain, que Paul faisait à vélo le tour du canton pour une campagne d’abonnement aux B.T. et à «l’Educateur», que nous quêtions, de porte en porte, des signatures contre la loi Barangé et pour l’Appel de Stockholm. Et que de nuits passées à des entrées et au bar des bals de l’Amicale laïque, à des réunions de cellules, à des collages d’affiches dans les sept communes du canton, à des inscriptions de «Paix en Algérie» sur les routes, à des incitations à s’inscrire pour remplir des cars conduisant à des meetings contre cette guerre, à des accompagnements de candidats, à des réunions électorales...
Nous n’aurions pas voulu d’une vie vide, mais nous avons, comme beaucoup, croulé sous diverses tâches, plus ou moins souhaitées, l’une appelant l’autre. A certaine époque, Paul a fait des choix, privilégiant un moment le P.C., pour revenir prioritairement, au bout de quelques années, au militantisme pédagogique.
Tous les militants doivent se trouver confrontés un jour à cette situation. Ils s’engagent sur un fait précis, s’aperçoivent que tout est contingent et se trouvent en première ligne sur plusieurs fronts où ils rencontrent d’ailleurs les mêmes camarades: ceux qui n’acceptent pas la fatalité. C’est encore vrai aujourd’hui. Alors?
Sans doute, tout bonheur se paie. Or, sans prendre le temps de l’analyser, nous vivions le bonheur de toujours essayer de mettre nos actes en accord avec nos idées, dans un travail en commun avec les Freinet et tous ceux qu’ils nous avaient fait connaître.
Jeannette Le Bohec

J’ai connu Freinet. Son grand mérite, son génie, c’est d’avoir su créer et faire vivre un Mouvement pédagogique afin de diffuser sa pensée et ses techniques, Mouvement dans lequel j’ai trouvé ma place et des compagnons de route œuvrant dans la même direction. J’ai apprécié le souci de Freinet de vouloir une école publique, laïque, qui ne se limite pas à instruire, mais vise surtout à former des hommes en vue d’une société plus juste. Peuplée en partie, d’enfants de parents prolétaires (mot qui ne s’emploie plus) lesquels ne jouissent que de droits très limités et sont sans voix face aux puissants qui les emploient ; cette école doit avoir une mission libératrice. Pour cela, il faut la réformer, et Freinet, le révolutionnaire, appelle à y développer l’esprit critique des jeunes ; à leur apprendre à organiser leur travail ; à les entraîner à s’exprimer, à prendre la parole ; à soutenir une discussion. Les préparer ainsi à entrer, sans complexe, dans la vie active.
J’ai trouvé chez Freinet, des techniques et des outils favorisant le travail coopératif et rejetant la compétition entre élèves qui était la règle dans les classes.
J’ai trouvé chez lui, l’exemple d’une militance hors de l’école, aux côtés d’autres travailleurs. J’ai apprécié ses prises de positions: dans les syndicats, avec les paysans ; au moment de la guerre d’Espagne, dans la Résistance.
(...) De nos jours, les techniques modernes font leur entrée à l’Ecole, pour le meilleur ou pour le pire. Mais ce serait trahir la pensée de Freinet si on occultait de la pédagogie le message politique qui était le sien.
Henriette Moneyron

On le voit, il s’agit bien d’un itinéraire marqué par des rencontres avec des collègues dont l’engagement, bien souvent, dépasse le seul cadre de l’Ecole et de la pédagogie... Un engagement sur le terrain social, syndical et néo-politique, participant avec leurs moyens à la vie de notre société.
C’est aussi s’apercevoir que des «personnalités» que l’on apprécie, comme par exemple, Marti, chanteur occitan, ancien instituteur, ont fait à un moment de leur vie un bout de chemin avec le mouvement Freinet et que cela a marqué durablement leur vie, leur façon d’être, de penser.
C’est cela le mouvement Freinet: des idées, des pratiques et surtout des hommes et des femmes qui les font vivre, évoluer et qui fait qu’aujourd’hui elles sont toujours présentes et tout autant d’actualité qu’à l’époque où Célestin Freinet lui-même les défendait, les mettait en pratique...
Jean-Charles Huver

Pleinement conquis par mon premier Congrès d’Angers, j’ai vécu, ensuite, de plus près, la vie du Mouvement grâce à l’Educateur au contenu très riche: éditos de Freinet, débats internes, articles de camarades relatant leurs expériences dans la rubrique: «Comment je travaille dans ma classe».
Et comment ne pas être accroché par Freinet lorsqu’il propose pour les congrès suivants des thèmes fondamentaux tels que:
- «Par une éducation libératrice, nous préparons en l’enfant l’homme de demain» (Nancy: en 50). (N’est-ce pas là, la vraie finalité de sa pédagogie?)
ou
- «L’éducation veut l’intercompréhension internationale des peuples et la paix». (Montpellier: en 51).
C’est donc une époque très dynamique et très engagée du Mouvement où Freinet lance, en outre, le projet de charte d’unité du Mouvement C.E.L. qui sera adopté à ce congrès de Nancy (qui deviendra au congrès de PAU (68) la Charte de l’Ecole Moderne, après avoir été à peine remaniée).
J’aimerais rapporter ici, les paroles de Freinet en conclusion du Congrès de Nancy, en 1950:
«La C.E.L. est une grande fraternité dans le travail constructif au service du peuple».
«Fait unique en France, si ce n’est dans le monde, des milliers d’Educateurs de toutes tendances et de toutes les conditions participent depuis 25 ans à une des plus grandes entreprises coopératives de notre histoire pédagogique. Et leur unité n’est point faite de silence, d’abandon, mais de dynamisme et de loyauté au service d’une grande cause: la lutte sur tous les terrains pour que s’améliorent et s’humanisent nos conditions de travail, les conditions de travail et de vie de nos enfants, l’action hardie pour que les forces de réaction ne sabotent pas davantage, ne pervertissent ou ne détruisent les fleurs que nous tâchons de laisser éclore et s’épanouir, parce qu’elles portent la graine de notre bien le plus précieux: L’ENFANT».
Emile Thomas

Au cours d’une réunion-meeting pour la paix en Algérie d’enseignants de la F.E.N., organisée par la tendance «Ecole Emancipée», je retrouve avec joie les mêmes instits «Freinet», sauf un... Résultat: j’adhère aux Amis de l’E.E. et m’abonne à la revue «l’Ecole Emancipée». J’y apprends qu’on peut y conjuguer ensemble syndicalisme et anarchisme, et que cela donne l’anarcho-syndicalisme d’action directe, indépendant de tout pouvoir politique de droite comme de gauche, autogestionnaire et révolutionnaire. Et que cela a même marché un moment en Espagne pendant la guerre civile!
En cette année 62 décisive, me voilà presque rassuré sur la cohérence de mes engagements politique, pédagogique et syndical: je suis devenu un «anar-Freinet-Ecole émancipée». Ou du moins aspire à l’être...
Rentrée scolaire 1962, Université de Rennes où je commence des études universitaires, et bénéficie aussi du statut de sursitaire... Combats avec l’UNEF, toujours pour que cette anachronique guerre coloniale se termine rapidement, et découverte à la Fac des lettres du groupe surréaliste du «Bigarro littéraire» animé par Hervé Delabarre, Annie Lebrun, Jean-Pierre Guillon.
Et puis, avec Suzy désormais, qui rencontra Freinet dans son Ecole à Vence en 62, études et pionnicat, coupées par une année d’armée pas triste! Militantisme à l’Union des Anarcho-syndicalistes, avec formidable compagnonnage auprès d’instituteurs Freinet qui vont énormément m’apprendre, Emmanuel Mormiche et Jacques Métivier des Deux-Sèvres.
Emerveillement en 1966 en découvrant l’intelligence lumineuse de la pensée corrosive de l’Internationale Situationniste, sa critique radicale de la société de consommation de profits (marchande), des staliniens (même pékinois) et des marxistes-léninistes de tout poil, et de toutes les formes de l’aliénation gaullienne et capitaliste. Guy Debord, Mustapha Khayati, Raoul Vaneigem... un vrai régal dans cet appel à «transformons le monde... changeons la vie»!
Et bien sûr Mai 68, et cette fantastique et ludique libération de la parole et des mœurs. L’exutoire de bien des désirs, où le Noir et le Rouge des Libertaires se marièrent très joyeusement à Rennes, au grand désespoir des réactionnaires, culs bénits, politicards et bureaucrates de sévice!
Entendu, lors d’un meeting à St Nazaire, cette tonique déclaration d’un instituteur Freinet contre le dressage en éducation:
«Au gosse on lui apprend à dire:
A la maison d’abord:
- Oui papa, oui maman.
Puis à l’Ecole:
- Oui Monsieur, Oui Madame.
A la caserne:
- Oui mon adjudant.
Henri Portier


Fatigué de fournir à la société capitaliste d’obéissants soldats, de passifs consommateurs, de tristes S.D.F., d’honnêtes et riches entrepreneurs côtoyant des pauvres gens... le maître a rêvé d’une autre société, il a rompu définitivement avec l’ancien système éducatif et toutes ses petites inégalités. Même lorsque celui-ci se cache derrière ses multiples masques de rénovation: de beaux outils, de beaux exercices tout neufs, de nouvelles méthodes pour enseigner de façon moderne. Mais malheureusement ceci n’a toujours été que la reproduction des lois favorisant la sélection. C’est la loi soi-disant de sélection naturelle. Les forts seront toujours forts et les plus faibles n’ont pas de place.
La Pédagogie Freinet est née d’abord d’une idée, d’un concept de société. Elle résulte certainement d’une rupture avec la façon traditionnelle d’enseigner. Elle crée à l’école une microstructure, fondée sur des valeurs de partage du pouvoir et de coopération du savoir, basée sur une éthique qui ne subit plus les lois de sélection, mais soutenue par des lois inventées par les individus de groupe. Elle est fondée sur une philosophie qui cherche à dominer cette nature sauvage car elle sait que tout individu a des potentialités pour enrichir le groupe. La pédagogie Freinet est subversive, elle ne sera jamais normalisatrice, elle vient bouleverser l’ordre établi. En dépit des mots: idée, rêve, concept... c’est une pédagogie ancrée dans le concret. C’est à partir de l’idée que nous nous lancerons à la recherche d’une cohérence pratique-théorie, théorie-pratique.
Andréa Warmling (Brésil)

J’ai vécu 1968 dans un collège où «j’enseignais» le français. L’effervescence politique, syndicale, pédagogique de la période incita, au sein de l’institution scolaire, à des rencontres, des discussions, un désir d’une autre pédagogie... Et les années qui suivirent, virent la naissance de groupes plus ou moins formels, d’échanges sur la finalité de l’Ecole, les objectifs à préciser, les moyens pour y parvenir... Certains se tournèrent naturellement vers Freinet, vers celui qui écrivait en 1928 (n°18 «L’mprimerie à l’Ecole»), «qu’on n’isole pas les recherches pratiques du grand problème social, politique, économique et philosophique qu’est la recherche d’une méthode d’éducation populaire...».
Mais je fus sensible aussi aux tensions qui pouvaient exister dans l’ICEM, aux divergences parfois profondes et peut-être insuffisamment exprimées, discutées entre ceux, celles d’une part qui se concentraient sur les techniques de travail, et d’autre part les autres qui ne voulaient pas négliger l’ouverture sur l’extérieur, la société, double préoccupation dont Freinet fit si bien la synthèse.
Je me situais dans ces derniers en essayant d’animer avec d’autres une commission intitulée, avec un rien de naïveté: «Quelle société demain?», où les problèmes de paix, d’environnement, de relation au tiers monde, dans leurs liens avec le travail d’une classe, étaient appréhendés, discutés... Commission qui, avec des fortunes diverses, s’évanouit au bout de 10 ans.- Mais son existence entraîna des discussions fécondes surtout au niveau international...
Je me souviens particulièrement d’un atelier à la R.I.D.E.F. de Madrid, composé d’Allemands, de Suédois, de Brésiliens, d’Espagnols et de Français sur l’utilisation de l’énergie nucléaire, les caractéristiques d’organisation du monde qui en découlent, et en opposition les valeurs de démocratie, de coopération, de développement de sens critique inhérentes à la pédagogie Freinet... Nous l’avions inscrite, cette dualité, sur une immense banderole qui flotta un moment au-dessus de la R.I.D.E.F....
Je me plais à penser que Freinet n’eût pas désavoué cette commission.
Maryvonne Conan

(...) A cette époque, je suis déjà engagée dans la lutte pour l’instauration de la démocratie au Brésil ; la pensée de Freinet me donne plus de force et d’espoir pour résister au régime militaire, pour défendre une Ecole publique de qualité et propager la pédagogie Freinet dans les Ecoles publiques, les Ecoles communautaires et les Ecoles privées. Elle se transforme en une action politico-pédagogique dans mon engagement d’éducatrice et en tant que personne qui lutte pour des changements dans mon pays.
Fatima Morais

La Pédagogie Freinet implique, selon moi, une perception des différences sociales dans notre société et un intérêt vif pour les luttes dans le monde du travail.
Cette conscience sociale n’est pas tellement répandue parmi les enseignants Freinet en Allemagne. En tant que fonctionnaires, ils ne partagent point le risque du chômage, comme les pères et mères de leurs élèves. 3 millions de chômeurs en Allemagne, c’est là le chiffre inquiétant de cet hiver 1996. Il signifie des tensions, des conflits, de la tristesse, de la pauvreté camouflée dans beaucoup de familles.
Ne parlons pas de ceux qui vivent, mal acceptés à la marge de notre société, qui est renfermée sur ses propres problèmes - p.ex. causés par l’unification des «deux Allemagnes» -: les familles des travailleurs migrants,(surtout les familles turques, les réfugiés / asilés venus des quatre coins du monde, réémigrés de l’URSS (antérieure), de Pologne et de la Roumanie, qui sont d’origine allemande, mais qui sont très mal vus par «ceux en place»...
La misère de nos jours se dissimule, n’est plus si visible que pendant les années 30, où Freinet dénonça les conditions de vie misérables du milieu populaire. Mais elle est là, elle pèse sur les jeunes issus de couches sociales sous-priviligiées. Malheureusement, la conscience que la tâche pédagogique consiste aussi dans un travail pour améliorer la situation sociale de ces jeunes-là se dissipe.
Ingrid Dietrich

Pour moi, qui m’étais nourrie pendant un temps de ma jeunesse des écrits de Jaurès, j’ai retrouvé dans Freinet la philosophie de Jaurès appliquée à l’éducation, à la lecture de «l’Educateur» auquel je m’étais abonnée par hasard.
Lucienne Bonhoure

«Nous voudrions bien qu’on ne nous oblige pas à poser à l’entrée des Ecoles l’inscription que Dante lisait aux portes de l’enfer: «laissez ici toute espérance» protestait déjà Freinet en une révolte plus actuelle que jamais.
Symbolique en tout cas des défis politiques et sociaux relevés à l’époque par Freinet et ses compagnons.
Et qui, même si l’espoir peut aujourd’hui paraître bien tenu, méritent toujours d’être inlassablement poursuivis, comme la crise de notre société d’être inlassablement soignée de l’intérieur...
Sans compter qu’avoir raison contre le reste du monde est peut être un peu mégalo comme situation, réellement dangereux parfois, mais finalement pas si inconfortable en soi.
«En tous cas, nul n’en disconviendra, ne laisse pas d’être intellectuellement plutôt excitant!...»
Ainsi, après quarante ans de militantisme socio-éducatif, Freinet me libère encore.
Alex Lafosse

(...) J’aimerais pour terminer, évoquer les aspects politique et social que pouvait revêtir notre travail scolaire complètement révolutionné par les Techniques Freinet.
- «On ne fait pas boire le cheval qui n’a pas soif» disait et écrivait souvent Freinet. Merveilleuse métaphore qui s’avère constituer le pilier central de toute cette pédagogie moderne. Rien ne peut s’entreprendre et surtout se réussir sans motivation profonde. Dans nos classes, cette motivation se détectait à travers le texte libre qui découvrait les véritables centres d’intérêts des élèves. Débouché naturel de cette démarche: la soif de connaissances que le maître domestique pour conduire l’enfant à apprendre seul, cherchant la documentation nécessaire et se fixant des objectifs à sa portée, à long ou à court terme.
Cette démarche amènera, en contrepartie, le développement de l’esprit critique: ne rien accepter qui ne soit dûment vérifié, recoupé, le tout doublé par une méfiance sans faille vis-à-vis de la chose écrite - surtout celle qui ne procède que par affirmations. Ce qui est le cas des journaux. Aussi fabriquer un journal scolaire conduit naturellement à étayer cette méfiance. L’enfant qui le rédige voit combien il est facile de publier un texte qui peut n’être pas véridique.
Une autre facette de cet apport provient de l’apprentissage de la vie politique par la vie interne de la coopérative scolaire où l’on procède à des élections avec liste de candidats, campagne électorale portant sur la vie de la classe - projets mais aussi critiques -, vote à bulletins secrets. Se découvraient ainsi les rapports entre le politique et l’argent: problème des cotisations, budget concernant les projets...
Sur un autre plan, la connaissance de l’histoire politique au sens noble du terme, de l’histoire humaine de la communauté dans laquelle on vit s’avère vite indispensable. Connaissances complexes d’un terroir, d’une langue vernaculaire, de coutumes, de rapports humains.
L’aspect social se concrétise d’abord dans des sentiments d’appartenance à des groupes quasiment hiérarchisés: appartenance à la classe, à un mouvement d’éducation, à une sorte de fraternité extensible englobant des unités voisines, puis, par les correspondants, de plus en plus lointaines et universelles. Cette correspondance dont les liens dureront souvent au-delà du temps scolaire s’affirmeront par des rencontres, provoqueront une ouverture aux autres et au monde, facteur d’épanouissement et d’enrichissement culturels.
Ces sentiments d’appartenance, cette force découverte dans le rassemblement, nous pousseront vers les futures structures que sont les coopératives et les syndicats, nous aideront à découvrir, sur d’autres plans, les valeurs humanistes qui élèvent l’homme au-dessus de l’individu et l’aident à se réaliser.
La coopérative scolaire confortera ces apprentissages. A travers elle, le plus souvent, passeront les messages et les liens qui uniront les enfants d’un terroir aux enfants d’un autre terroir. En son sein, se développent fraternité et solidarité. Passent aussi, par son truchement, travaux, fêtes scolaires ou extra-scolaires. Ainsi se veut-elle et devient-elle facteur de créativité et socialisation.
Raymond Jardin

Alors que jusqu’ici on s’est débattu seul face à ses doutes et interrogations, on découvre, premier attrait déterminant, un groupe d’enseignants qui se posent assurément le même genre de questions et qui tentent ensemble d’y répondre. Premier soulagement, à l’instar de Freinet quand il entama ses premières correspondances avec le Breton R. Daniel, on ne se sent plus seul.
Cette rencontre, trop souvent fortuite, avec le Mouvement Freinet, aide tout de suite à déjouer l’imposture que l’on percevait sourdement depuis quelque temps. On comprend alors que toute éducation est profondément politique, que lorsqu’on nous demande d’instruire, d’appliquer des directives, sans état d’âme, on se retrouve en fait l’agent d’un système utilitariste où l’élève apprend à accepter, au mieux à s’adapter. Un système opaque qui reproduit et maintient l’ordre établi, en toute impunité, quand ce n’est pas avec le soutien de ceux qu’il aliène le plus. Au royaume des moutons, les veaux sont aveugles.
On découvre alors un mouvement pédagogique qui ose affirmer un projet politique, alternatif, profondément humaniste, qui prône une éducation à la citoyenneté fondée sur la coopération avec le souci continuel de mettre en cohérence fins et moyens.
Mais, au-delà, ce qui fait y adhérer durablement, c’est cette dimension de mouvement qui, sur la base de principes et d’un projet précis, a toujours cherché, cherche et cherchera toujours à avancer, par essence même. Aujourd’hui, je me sens avant tout acteur du Mouvement Freinet, je ne conçois pas celui-ci autrement qu’un lieu coopératif où l’on se défie de tous les dogmatismes, de toutes les tendances à l’inertie, même des sien(ne)s. Il pourra se prétendre comme tel aussi longtemps qu’il permettra à tout un chacun de discuter jusqu’à ses fondements sans chercher à exclure et continuera de nourrir ses réflexions de toutes les idées et critiques même les plus iconoclastes à son égard. Contre la propension de certains à se proclamer bon apôtre, clerc ou encore garant de la ligne, il s’élèvera toujours (du moins je l’espère) une voix pour dénoncer des tentatives de normalisation qui seraient suicidaires. Donnant l’exemple de moyens en cohérence avec les fins, le Mouvement se doit d’autoriser, en son sein, l’expression libre qu’il prône dans les classes.
Si depuis le début je parle de Mouvement Freinet et non de Célestin Freinet, outre le fait qu’en raison de mon âge j’ai rencontré le premier et non le deuxième, c’est bien aussi parce que je me sens co-auteur d’un projet en évolution constante et non le thuriféraire d’une doctrine fermée.
C’est justement tout le mérite de son (ses) fondateur(s) d’avoir suscité un élan collectif aussi durable. Et plus qu’un bilan qui pourrait vite tourner à l’hagiographie, avec solde de tous comptes, le Centenaire de la naissance de Freinet ne doit être qu’une étape dans l’histoire du Mouvement, une occasion privilégiée d’analyser les ressorts qui animent celui-ci.
Pierrick Descottes

Au printemps 74, j’entrai au Secrétariat National, porteur de l’idée d’un secrétariat plus ouvert à une vision et une gestion plus sociale et politique. Et le Mouvement passa de 841 inscrits de 74 aux 2551 de 76.
Je dois dire qu’en ces années, j’avais trouvé ma cohérence: mon engagement politique au sein du P.C.I. de Berlinguer et mon engagement novateur à l’Ecole et dans la Pédagogie Freinet italienne.
Dans mon école, à côté de l’emploi des Techniques Freinet traditionnelles: correspondance, imprimerie, journal, coopérative, j’avais suscité une ample implication des parents avec la constitution d’un «Comité d’Ecole» qui s’appuyait sur une large participation des parents eux-mêmes. Ce fut une première en Italie pour les Organismes Collégiaux avec l’entrée des parents à l’Ecole alors qu’ils étaient jusque-là soigneusement tenus à l’écart d’une quelconque participation à sa vie.
Mon action souvent contestée n’en laissa pas moins des traces. A la suite d’un travail tenace, le secrétariat national, jusque-là quasiment d’expression artisanale et familiale avec Dino Zanella, fut déplacé d’abord à Venise, puis à Brindisi et devint une représentation nationale consécutive à une élection.

A l’école, je continuais en même temps à impliquer les collègues et les parents en implantant une Ecole expérimentale à «temps plein» malgré l’hostilité ouverte et la persécution d’un recteur d’Académie réactionnaire.
Les années 80 représentèrent pour moi le calme après la tempête. L’Ecole à temps plein de Pieris fut reconnue après des années de conflits et d’attaques de la Curie et du Rectorat.
On procéda aussi en 82 au déménagement du Secrétariat à Rome. Le Mouvement assumait alors la dimension institutionnelle, dépassant ainsi les résidus anti-institutionnels soixante-huitards.
De 87 à 90, je devins secrétaire national et détaché à l’association. Ce furent des années intenses d’animation et d’organisation du Mouvement sur tout le territoire. Je travaillais en particulier sur le Sud ou le M.C.E. était historiquement faible et totalement absent. Et les résultats affluèrent. J’étais convaincu que c’était précisément du Sud que pouvait venir une nouvelle stimulation du Mouvement par rapport au peu de souci d’une éducation globale du Nord.
Rinaldo Rizzi

La pédagogie Freinet s’inscrit dans une perspective sociale et politique. C’est un choix politique que je fais en favorisant la liberté d’expression, l’esprit critique, le goût du travail créateur, l’initiative des enfants, la coopération, I’ouverture de l’école.
Ce qu’aucune instruction officielle n’indique, et pour cause, c’est la dimension idéologique de l’expression libre. Quand nos techniques d’expression libre ne sont pas réduites à de simples marottes pédagogiques, elles portent en elles des germes qui peuvent être dangereux pour le pouvoir et les gens «bien pensants «.
Pour moi, comme pour Freinet, il ne peut y avoir de sujets tabous. Il est essentiel que les enfants puissent s’exprimer librement et à propos de tout. Ainsi, les sujets relatifs à la guerre, aux luttes sociales sont objet de discussion en classe. Chacun, dans cette confrontation, apprend à respecter l’autre, sans, pour autant, partager obligatoirement son point de vue.
Educateur engagé, je ne peux rester neutre. Je dois faire des choix en accord avec la Déclaration des Droits de l’Enfant sur laquelle se fonde mon action éducative. Je dois montrer mon attachement à la Démocratie, à la Paix, à la Justice sociale, à la libération économique de l’Homme, à l’Amitié entre les peuples...
Les textes suivants sont extraits du journal «NOosChantiers «de ma classe de perfectionnement de l’Ecole Paul Bert, à Saint-Nazaire:

GREVE Depuis le 1er mars, les mensuels sont en grève parce qu’ils veulent que leur patron augmente leurs salaires. Ils disent que les patrons sont des voleurs. Les mensuels et les ouvriers lock-outés défilent dans les rues. Qu’ils sont nombreux! Ils chantent et crient: «Des sous, Pinczon!
Bernard Hernandez

Manifestation Mercredi, 19 Févieir: 125 cars, 500 voitures, 9000 manifestants sont allés à Nantes.
Y. Legal

Manifestation Mardi après-midi, 6 d’entre nous étaient en classe. Tous les autres sont restés chez eux car une grande manifestation se déroulait dans la ville, en faveur des grévistes et des lock-outés. Quelques camaardes ont défilé avec leurs parents.

L’usine a fermé. Les policiers sont là. Du travail, crient les ouvriers. Du travail! Du travail!
Patrick Evin
(A propos de la grève des fonderies, à Penhoët, 1964).

Ce travail d’expression libre, bien éloigné, il est vrai, des programmes et instructions officielles, des préoccupations habituelles des enseignants, suscita l’indignation d’un inspecteur, pourtant «O.C.C.E.»
Voici un autre exemple, toujours de ma classe de Saint-Nazaire:

La paix est signée en Algérie Je suis content.
Claude.

Ce texte publié dans notre journal suscita la réaction d’un parent: - «Monsieur Yvin, vous faites de la politique!
- Oui, c’est la politique de votre général. «
Le parent d’élève était un commerçant, bien connu des milieux factieux.
Mon rôle est de sensibiliser les enfants à tous les problèmes de la vie, moi-même étant engagé dans la vie sociale.
«Nous préparons, non plus des dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s’organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d’efficience et de paix» C.Freinet au Congrès de Caen, 1962.
Ainsi, je ne saurais rabaisser Freinet à un rôle de technicien de la pédagogie. Techniques et activités ne suffisent pas à faire une pédagogie. Il n’est pas étonnant qu’elles aient été souvent dénaturées, destinées à un usage strictement scolaire, alors que ce n’était pas le but recherché. Elles ont été récupérées par certaines réformes qui ne les ont pas toujours utilisées à bon escient.
Il ne s’agit pas seulement d’une conception de l’éducation réservée au cadre scolaire, c’est une philosophie de la vie et des rapports sociaux qui défend les valeurs morales de:
- solidarité et d’entraide, et non concurrence, compétition, performance qui suscitent une émulation combattive et dominatrice.
- responsabilité et non soumission.
- réussite pour tous et non sélection, hiérarchisation.
- coopération et non violence pour régler les conflits.
Par son efficacité politique, la pédagogie Freinet vécue au quotidien, vise à créer les conditions d’une démocratie plus juste, plus fraternelle, permettant aux citoyens de gérer leur vie, d’autogérer la vie de leur cité, de leur région, de leur pays, leurs productions. «Ce n’est pas avec des hommes à genoux qu’on met la Démocratie debout.»
C. Freinet.
A quoi suis-je attaché?
A l’instituteur qui, à Bar-sur-Loup, jette les bases d’une éducation populaire qui reste à promouvoir.
Au militant révolutionnaire de Saint-Paul-de-Vence, en butte aux attaques de la réaction cléricale.
Au militant antifasciste et démocrate, qui héberge à l’Ecole de Vence, de nombreux enfants espagnols chassés par la guerre civile.
A celui qui ne renia jamais ses origines et qui consacra toute sa vie à l’enfance prolétarienne.
(...) A Bar-sur-Loup, Freinet écoute ses élèves raconter leurs histoires. Il écrit au tableau ce que disent les enfants. Ce sont les premiers textes libres. En donnant la parole à l’enfant, Freinet cherche à réaliser une autre éducation. Chaque après-midi, il prend la décision d’emmener ses enfants dans la nature. Tout le monde tire profit de cette sortie en plein air. C’est la naissance des enquêtes qui donnent l’occasion d’écrire des comptes rendus.
En octobre 1924, il introduit l’imprimerie à l’école. C’est l’outil qui centrera la pédagogie de Bar-sur-Loup, et au-delà, qui suscitera, d’année en année, un mouvement pédagogique populaire.
En même temps, dans la revue «Clarté», il écrit de nombreux articles: «L’école actuelle est fille et servante du capitalisme» ; «A l’ordre nouveau doit correspondre nécessairement une orientation nouvelle de l’école prolétarienne».
Pour Freinet, les techniques pédagogiques ne sont que les outils nécessaires à ce combat révolutionnaire. Mais c’est en plaçant l’expression libre au centre de l’éducation que Freinet opère le renversement des valeurs pédagogiques admises jusque là: «La base de l’éducation n’est plus recherchée dans les manuels qui préparent, la plupart du temps, l’asservissement de l’enfant à l’adulte, et plus spécialement à la classe qui, par les programmes et les crédits, dispose de l’enseignement.»
D’octobre à novembre 1925, la classe de Bar-sur-Loup échangera ses pages imprimées avec celles de la classe de Durand de Villeurbanne. De février à juillet 1926, les échanges continuent avec Primas. Mais, c’est surtout, à partir de mai 1926, qu’une correspondance régulière particulièrement riche s’instaure avec René Daniel instituteur à Trégunc-Saint-Philibert (Finistère). «C’est le début de toute une correspondance (lettres, textes, colis) qui, écrit René Daniel, «nous a permis de mettre dans les placards tous les manuels dont cette correspondance, ces échanges interscolaires nous fournissaient la matière.»
L’engagement de Freinet aux côtés des ouvriers et des paysans, pour des actions coopératives, des œuvres sociales au village, est le témoignage politique et social de son action qui se manifeste au niveau de la classe, par une idéologie nouvelle élaborée à partir d’outils et de pratiques, supports de l’expression libre, de l’analyse critique du milieu social.
A Saint-Paul de Vence, l’action de Freinet est marquée par les options dont il ne s’ éloignera jamais:
- la primauté de l’outil et des techniques pédagogiques
- la mise au point d’une pédagogie prolétarienne basée sur le respect de l’enfant, l’expression spontanée, la motivation de l’enfant, la coopération au sein du travail.
Si Freinet est en butte, à partir des années 1930-1931, aux persécutions du conservatisme virulent, ce n’est pas à cause de l’imprimerie, mais d’une conception de la liberté de l’expression et de l’apprentissage des responsabiblités, creuset de l’esprit démocratique.
Pour Freinet, l’école laïque, dégagée des brumes d’un enseignement traditionnel, doit préparer la démocratie. C’est pourquoi, s’engager dans la Pédagogie Freinet, c’est savoir lier sa pratique à des fondements philosophiques, psychologiques et sociaux.
Le 21 juin 1933, la répression politique et administrative s’abat sur Freinet qui, par ordre préfectoral, est déplacé d’office avec ce commentaire: «...Dans l’intérêt même de l’école laïque que vos agissements risquent de compromettre.» Il se met en congé de l’Education Nationale.
La répression s’abattra aussi sur d’autres camarades: Boyau, Leroux, Roger... et d’autres.
Devant les violences de l’extrême-droite qui l’ont contraint à quitter l’école publique de Saint-Paul de Vence, Célestin Freinet décide de ne pas capituler et, sur la colline du Pioulier à Vence, il entreprend la construction, de ses propres mains, de sa nouvelle école prolétarienne. Dès la rentrée de 1935, aidé d’Elise, sa compagne, il y accueille de ces enfants en danger: jeunes Juifs fuyant l’antisémitisme nazi, cas sociaux de la zone parisienne, puis petits réfugiés de la guerre d’Espagne.
L’Ecole Freinet devient aussi le point de rencontre de tous les compagnons de Freinet, de ceux qui, dans toutes les régions de France et de nombreux pays du monde, œuvraient à la transformation profonde de l’Ecole populaire et de l’Education.
Au cours de cette période, le Mouvement Freinet alliera toujours pédagogie et luttes syndicales et politiques.
En 1936, Freinet écrit:
«La défense de nos techniques, en France comme en Espagne, se fait sur deux fronts simultanément: sur le front pédagogique et scolaire, certes, et sur le front politique et social pour la défense vigoureuse des libertés démocratiques et prolétariennes. Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école, mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement pour l’action militante et restent en classe de paisibles conservateurs.» (Educateur N°l du ler octobre 1936).
Freinet consacrera toute sa vie à l’enfance prolétarienne et poursuivra son action pédagogique tout en continuant de lutter pour les conditions de travail à l’école, pour la défense des droits de l’enfant, de l’école laïque et de la paix.
Pierre Yvin

Freinet avait, on le sait, et comme la thèse de Georges Piaton l’a excellemment montré (1), lu Rabelais, Montaigne, Rousseau, les théoriciens de l’École Active, singulièrement Ferrière, qu’il connut bien et pour qui il ressentit d’emblée une vive admiration

«A travers les pages de l’École Active, le petit instituteur jusqu’ici désemparé sentait vivre ses propres intuitions ; il entrevoyait des pratiques inédites susceptibles de faciliter sa tâche. Sa solitude amère en était tout à coup illuminée d’espoir. En souvenir de cet appui moral, Freinet ne manquera pas, par la suite, au cours de sa carrière, de rendre hommage au génial initiateur qui fut, à cette période inquiète de sa vie, à l’écart de toute mystique, un père spirituel, un guide». (2)

Il devait aussi, lors du Congrès de Montreux en 1924, rencontrer Claparède, Bovet et Cousinet ; c’est d’abord d’eux comme, ensuite, de Meylan qu’il reçut des encouragements, les seuls qui lui eussent été prodigués pendant longtemps.
Néanmoins, s’ils le séduisirent dans la mesure où il retrouva chez eux ses propres aspirations, les uns et les autres ne manquèrent pas non plus de le décevoir car il perçut vite l’inapplicabilité de leurs propositions à l’École primaire rurale et l’impossibilité d’une simple transposition ; au terme des congrès, il était découragé car, écrit Elise, «l’image de sa petite classe dénudée et poussiéreuse s’impose à lui et lui serre le cœur». (3)
Il voyait aussi le contraste entre l’environnement socio-économique et socio-culturel des établissements qu’il visitait et celui de son école, entre les conditions onéreuses du fonctionnement de ceux-ci et les faibles ressources dont lui-même disposait. Et sans doute son admiration pour Pestalozzi procède-t-elle de ce que, pour sa part, celui-ci avait toujours destiné aux seuls sujets pauvres et malheureux les maisons qu’il avait successivement fondées. Enfin, formé dans le contexte polémique du début du XXème siècle, marqué par les auteurs socialistes, notamment Barbusse, associé aux activités de syndicats d’instituteurs, séduit par le marxisme et la révolution russe (4), il n’avait en outre ni les mêmes finalités ni les mêmes références politiques que les pédagogues suisses.
Cette situation spécifique fut, pour Freinet, un défi, qu’il voulut surmonter en imaginant des procédures neuves appropriées, à sa représentation des écoliers, aux buts qu’il s’était donnés et aux moyens dont il disposait: «Notre originalité, c’est d’avoir créé, expérimenté, diffusé des outils et des techniques de travail dont la pratique transforme profondément nos classes». (5)
C’est pour manifester une telle intention qu’il préféra la notion de «techniques» à celle de «méthodes active» que, n’en ignorant ni l’ambiguïté ni l’imprécision, il n’estimait guère ; et s’il a, vers les dernières années de sa vie, demandé qu’on employât aussi l’expression de «pédagogie Freinet», ce fut seulement pour montrer que l’explicitation doctrinale du sens de ses pratiques n’était néanmoins nullement étrangère à son dessein.
C’est pour ces raisons, pour la qualité globale de sa pensée, pour le rôle puissamment stimulateur qui fut le sien qu’il convient de considérer désormais Freinet comme un auteur classique en pédagogie et d’introduire à part entière son œuvre dans le champ de la recherche universitaire.
Guy Avanzini

(1) G. Platon. Ia pensée pédagogique de Célestin Freinet. Toulouse. Privat. 1974. 320 p.
(2) E. Freinet, Naissance d’une pédagogie populaire. p. 27
(3) E. Freinet. p. 30 (N. d’une P.P.)
(4) Lors de son voyage en Russie en 1925 et de sa rencontre avec Krouspskaia,. il fut enthousiasmé par les réalisatlons éducatives qu’il constata.
(5) C. Freinet. Pour l’Ecole du Peuple, p. 155