- Les Amis de Freinet
Le mouvement Freinet au quotidien
Des praticiens témoignent
- Éditions du Liogan
photo de couverture: Guy Goupil
Classe d'Hervé Moullé, École publique Bizu
(classe unique)
53290 Beaumont-Pied-de-Boeuf France
Édité par Éditions du Liogan, 6 rue
Beaumarchais, 29200 Brest
Imprimé par Cloître, St-Thonan, 29200 Brest.
Dépôt légal: 3ème trimestre 1997
© Amis de Freinet.
N° I.S.B.N.: 2-908463-30-X
Avertissement au lecteur
- Ceci n'est pas un livre au sens commun du terme.
Ce n'est pas une oeuvre littéraire, encore que, à
bien des égards, on pourrait peut-être le penser.
Ce n'est pas un livre d'histoire, bien qu'on y trouve
essentiellement la relation de faits authentiques répartis
dans le temps.
Ce n'est pas non plus la biographie d'un homme ou d'un couple, et
pourtant il apporte, incontestablement, un éclairage et des
éléments intéressants sur la vie de
Célestin et d'Élise Freinet.
Ce n'est pas non plus une suite d'autobiographies, bien que chacun
s'y décrive dans son passé et dans son
être.
Ce n'est pas un traité de pédagogie, et cependant,
tout au cours des témoignages, cet aspect est constamment
présent.
Ce n'est pas un ouvrage philosophique, mais on ne peut nier que
tout au long des récits, il existe une
référence explicite ou implicite à une
éthique, à des systèmes de pensée.
Ce n'est pas un essai de psychologie, alors que, sans arrêt,
chacun en décrit des aspects personnels.
Ce n'est pas une oeuvre d'universitaires, quoique, à bien
des égards il témoigne des recherches approfondies
et de l'implication réfléchie des enseignants en
expérience sur le terrain.
Ce n'est pas un appel politique, mais néanmoins il est la
démonstration d'une recherche permanente d'un changement
radical de la société.
Qu'est-ce donc alors?
C'est tout simplement un recueil de témoignages de
praticiens, sans doute unique, non seulement dans les annales du
Mouvement, mais aussi dans toute l'histoire de la Pédagogie
qui montre combien, 30 ans après la mort de Freinet, sont
vivantes et actuelles les idées du Mouvement de
l'École Moderne.
C'est la trace d'une mémoire, un «livre de vies»
ou plutôt de «signes de vies», signes parce
qu'à la fois significatifs et signifiants par leur fond,
leur forme, leur style et leur sensibilité que nous nous
devions de respecter scrupuleusement.
Remercions tous ceux qui ont répondu à l'appel des
«Amis de Freinet» (plus de cent).
Cet afflux de textes - librement écrits - nous a beaucoup
encouragés pour la réalisation de ce document.
L'importance des envois n'a pas permis de les publier tous en
entier. Il nous en a coûté de devoir rompre la
dynamique de la plupart d'entre eux. Et, il nous a paru important
de les organiser en fonction des différents thèmes
qui se sont imposés à nous au cours de leur
lecture.
On trouvera, en fin d'ouvrage, la liste des camarades ayant
apporté leur contribution. Il nous a semblé
intéressant de ne noter, dans la suite des textes, que les
initiales de leurs auteurs, à l'image même de notre
participation à ce Mouvement, le plus souvent totalement
gratuite et quasi-anonyme, fondue dans le creuset
coopératif.
Nous espérons que, telles qu'elles sont
présentées ainsi par thèmes, ces
«tranches de vies» pourront faire sentir ce que fut et
qu'est encore cet immense chantier de l'École Moderne et,
peut-être du passé rappelé, pourront
naître de nouveaux engagements d'avenir.
L'équipe de coordination.
Renée et Guy Goupil
Jeannette et Paul Le Bohec
Mimi et Émile Thomas
Pierre Yvin
N.B.: Nous avons fait appel à quelques centaines de
militants, bien entendu beaucoup d'autres auraient pu aussi
témoigner.
-
Souvenirs
- J'ai rencontré Célestin Freinet à Vence,
au cours des étés 1958 et 1959, où
j'étais venu passer des vacances en famille. J'étais
alors inspecteur départemental de l'enseignement
élémentaire, «inspecteur primaire» comme
on disait alors. J'ai participé à ce
moment-là au travail de volontaires qui s'affairaient
à la fabrication de «boîtes enseignantes».
C'était le moment où l'enseignement programmé
envahissait les médias et Freinet, toujours sensible aux
nouveautés, avait cherché à accommoder
l'enseignement programmé à sa pédagogie.
Mais je n'étais pas monté par hasard à
l'école Freinet. Avant de rencontrer l'homme et de
sympathiser avec lui, j'avais rencontré la pédagogie
dans les classes sundgauviennes au sud de l'Alsace, où
j'avais été nommé inspecteur en 1951.
Je viens en effet de l'enseignement de la philosophie, par mes
études universitaires et mes premiers pas dans
l'enseignement. Et c'est plus précisément la
psychologie, celle de Piaget et ses applications possibles
à l'enseignement, qui m'avait conduit à
préparer le concours de l'Inspection
élémentaire. Étaient venus, dans la
foulée, Claparède, Ferrière, Bovet, Dottrens,
Roller et autres Suisses et Français comme Roger Gal et
Gaston Mialaret, rencontrés dans l'Association de
Pédagogie Expérimentale de Langue
Française.
Ma nomination comme Inspecteur de l'enseignement
«primaire» va me plonger dans la pédagogie
concrète. Venant de ma classe de philosophie du
Lycée de Vesoul, j'ai passé deux ans à
observer les classes de la circonscription d'Altkirch qui m'avait
été confiée. Cette observation prudente et
féconde m'avait paru indispensable avant d'être plus
actif. Bien m'en a pris. Il me souvient d'un sujet de
conférence pédagogique que j'eus à traiter
tout au début de mes fonctions inspectorales: il s'agissait
de l'enseignement de la rédaction! Les maîtres
assemblés par une belle journée d'automne à
Ferrette, m'attendaient «au virage»! «Que
pensez-vous du texte libre? Faut-il préparer la
rédaction par une lecture? Faut-il donner un canevas etc...
Ma sympathie allait théoriquement à l'expression
libre. Mais je ne l'avais pas vu fonctionner. Par ailleurs,
inspecteur dans une circonscription alsacienne rurale, je
rencontrais dans les classes des élèves
enseignés en français, mais qui ne parlaient chez
eux que le dialecte alémanique. Mes réponses furent
prudentes: ma doctrine n'était pas faite... que chacun
essaye pour le mieux... les conseils viendront plus tard... Cette
confession d'incompétence en surprit plus d'un
habitués à plus de directivisme venant de la
hiérarchie. Je l'ai su par la suite.
Les années qui suivirent furent fécondes. J'ai eu la
chance de rencontrer, dans cette circonscription rurale où
j'avais le temps de «faire de la pédagogie», une
vingtaine de maîtres appartenant au mouvement Freinet ou,
tout simplement, s'essayant à sa pédagogie. Le
Haut-Rhin, dans les années cinquante, était un
département favorisé sur ce point par un inspecteur
d'Académie exceptionnel, Joseph Storck, qui avait
créé officiellement une «École
Freinet» dans les Mines de Potasse de la région de
Mulhouse. Par ailleurs, des maîtres chevronnés de ma
circonscription avaient été formés avant la
guerre de 39-45 par un directeur de l'école normale de
Colmar féru de méthodes actives,
M. Antraigue.
C'est pourquoi je fus à bonne école. J'observais et
j'admirais dans un certain nombre de classes de ma circonscription
une «méthode Freinet» de grande qualité.
L'organisation de la classe coopérative était
«alsacienne», c'est-à-dire, ne manquait pas de
rigueur. Ce qui ne nuisait pas, au contraire, à l'autonomie
d'écoliers attentifs, usant des fichiers et des B.T.,
manipulant le «Debrie» pour des projections
cinématographiques, imprimant, vendant le journal scolaire
dans le village, expédiant leur production, étudiant
le milieu, apportant en classe des trouvailles exceptionnelles
dont le maître avisé faisait le point de
départ d'une enquête. Il me souvient d'avoir
assisté à cette exploitation en plein hiver, alors
que tout était blanc et glacé, au fond du Sundgau.
Un élève avait apporté un corbeau mort et
gelé. Je me souviens encore avec émerveillement de
l'astuce qui conduisait ce maître à exploiter
l'incident en mettant son monde au travail-textes et dessin pour
les correspondants, mise en route d'une enquête sur les
corbeaux et les oiseaux migrateurs, recherche de documents dans le
fichier etc... Précisons qu'il s'agissait d'une
école à deux classes et de petits paysans d'un calme
«archaïque»!
Autre souvenir inoubliable. J'arrive dans une classe à
l'improviste, comme il était de coutume à cette
époque. Tout le monde est au travail, ici sur un fichier,
là à l'imprimerie, etc... Mais de maître,
point! «Où est M....? Monsieur l'Inspecteur, il est
malade, il a la grippe. Je monte à l'étage et je
suis reçu par Mme... «Mon mari est au lit... ce n'est
pas grave. Une lettre de demande d'absence est partie ce
matin»... Ici, l'autonomie des écoliers n'était
pas un thème de littérature.
Ainsi formé, j'étais mûr pour lire plus avant,
assister aux congrès, rencontrer Freinet lui-même
à Vence. Le cadre méditerranéen de Vence ne
ressemblait certes pas à «mes» écoles
alsaciennes. Mais la confiance attentive aux élèves
était la même. Le calme et la maîtrise de
l'enseignant, sa capacité d'écoute, son sens de
l'organisation tranquille, tout se ressemblait et, faut-il le
dire, étonnait le prof de philo que j'avais
été, exposant plus souvent qu'il faisait
travailler.
De ces rencontres fécondes sont issues des productions
universitaires qui, par la suite, m'ont fait connaître. Mon
premier livre, «L'enseignement du français à
l'école élémentaire» et mon second,
«Pour une pédagogie de l'étonnement»
m'apparaissent aujourd'hui comme des synthèses de ma
culture philosophique et de mon admiration pour les
méthodes «Freinet». Quelques articles
publiés à la demande de Freinet dans
l'éphémère revue qu'il avait
créée pour ces rencontres, «Techniques de
vie», avaient fait la transition. Et je suis fier,
aujourd'hui, d'avoir été appelé à
présider le comité du centenaire.
Louis Legrand
La première fois que j'ai rencontré Freinet, c'est
en la personne de Bernard Blier dans le film «L'École
buissonnière». C'était à sa sortie sur
les écrans, en 1949. J'avais quatorze ans. La guerre
à peine éloignée de nous, sa cruauté
et ses privations, l'après-guerre avec les
révélations des horreurs du nazisme, l'injustice
sociale vécue par le fils de manoeuvre que j'étais,
tout cela nourrissait en moi une révolte d'adolescent qui
restait sans réponses.
Ce film m'apportait une image de générosité,
d'enthousiasme et d'espoir, de lutte aussi, à laquelle
j'adhérais profondément et qui m'ouvrait un horizon
possible.
La deuxième fois que je rencontrai Freinet, ce fut, cinq
ans plus tard par trois numéros de
«L'Éducateur». J'étais en classe de
formation professionnelle à l'École Normale de
Grenoble, et nous avions fait moisson de catalogues et de
spécimens au cours d'une journée d'information
proposée par les éditeurs scolaires. Ces trois
revues furent tout ce que je gardais de la pile de papier
ramenée à l'E.N. et je les ai encore. Je les ai lues
après avoir feuilleté et mis tout le reste à
la poubelle parce que c'étaient les seules qui parlaient
vrai, d'une école non séparée du reste de la
vie, d'enfants en chair et en os et non de joyeux bambins, qui
donnaient à entendre que faire la classe cela pouvait
être davantage que donner leçons et exercices.
L'émotion vécue à la projection de
«L'École Buissonnière» trouvait son
prolongement au moment où j'étais à quelques
mois de ma première rentrée d'instituteur.
Enfin, la vraie rencontre de Freinet et d'Élise, je devais
la faire au Congrès de Nantes, aux vacances de Pâques
en 1957. Mais déjà, entre le film, les trois revues
à couverture rose et le courrier, le chemin s'était
élargi: après une première année de
classe en poste double, un abonnement à
«L'Éducateur» dont la couverture était
devenue beige, un journal scolaire tiré à la pierre
humide puis au limographe, nous avions maintenant l'imprimerie,
des correspondants, des fichiers et ce premier congrès
allait nous permettre de donner des visages aux noms qui signaient
les articles et les outils.
Aller tout simplement dire bonjour et serrer la main à
Freinet et Élise fut une démarche qui nous sembla
évidente et facile. Leur demander s'il serait possible de
venir à l'École Freinet pendant l'été
ne posa aucun problème. Ce qui s'impose à mon
souvenir de ce premier contact, c'est la simplicité et
l'authenticité, la chaleur sobre et vraie de l'accueil que
donnaient ces personnes déjà célèbres
aux instituteurs balbutiants que nous étions.
S'imposent en même temps tous les visages alors
associés à des noms, qui étaient là,
avec le projet de vivre la classe autrement, de donner, ensemble,
davantage de réalité à des rêves qui,
avait-on appris dans nos livres, remontaient à Socrate ou
Montaigne, à Rousseau et qui encore...?
Spontanément, en laissant venir de ma mémoire les
mots de ce témoignage, il me semble que j'ai
évoqué les trois aspects de ce qui me lie à
Freinet, de ce que je lui dois et qui a structuré ma vie
d'instituteur et de citoyen: un idéal, des outils et des
techniques de travail pour l'approcher et des hommes, des
collègues, des camarades pour inventer, construire,
perfectionner cette approche.
Un idéal: j'ai peu de compétences pour philosopher
et disserter de pédagogie. Et puis il est devenu difficile
aujourd'hui de parler de l'École avec les mots qu'elle
inscrit parfois à son fronton: Liberté,
Égalité, Fraternité... tant la
démagogie a investi l'espace politique. Alors, cet
idéal, je le dirai seulement à travers cette
citation par laquelle Freinet termine le «Dits de
Mathieu» qu'il intitule «Les Faux-monnayeurs de
l'Esprit»: «Dans un monde qui impose ses pratiques
d'ersatz et de contrefaçon, saurons-nous être assez
logiquement humains pour redonner leur primauté à
ces actes fonctionnels que la scolastique a compliqués et
dévalués, et qui s'appellent: sentir, créer,
comprendre, se socialiser, vivre et aimer?»
Il ne dit pas: nous saurons, nous vaincrons... mais seulement:
saurons-nous...? Il ne dit pas: saurai-je? mais: saurons-nous...?
Il ne parle pas d'avoir ; il parle d'être. Il associe ces
mots si souvent contradictoires: logiquement, humains ; il associe
autant de coeur que de raison.
Il dit enfin que cela, nous aurons à le vivre non pas dans
un contexte choisi, mais dans ce monde mercantile, d'ersatz et de
contrefaçon, ici et maintenant.
Bien sûr, il faudrait ajouter que la scolastique n'est pas
la seule destructrice des valeurs qu'il nous faut reconstruire et
Freinet le savait bien: les structures socio-économiques
pèsent lourd. Mais la scolastique est bien
déjà une pratique au service d'un pouvoir.
Des techniques de travail et des outils: on voit, dans le film
initiateur, cette scène où Blier / Freinet dit,
à peu près, à ses élèves,
d'entrée de jeu: écrivez ce que vous voulez, et
n'obtient qu'une série de répétitions ou de
banalités. C'est à l'École Moderne que j'ai
compris qu'il ne suffisait pas d'avoir en tête beaucoup de
belles idées pour changer quelque chose: on ne pose pas des
idées généreuses sur le coin d'un bureau pour
les prendre à pleines mains... Un fichier autocorrectif,
oui ; un matériel d'imprimerie, oui. Et alors il peut se
passer, concrètement, quelque chose de
différent.
Je me souviens que Freinet citait souvent un auteur dont le nom
m'échappe tout de suite: «Les paroles qui ne sont que
des paroles ne sont pas loin d'être des mensonges».
Alors, il a fait de nous des chercheurs: nous avons peiné
sur des fiches de travail, sur des projets de B.T., sur des plans
de maquettes, etc...
Je me souviens avec grande émotion de ce moment où,
un été à l'École de Vence, Freinet
vint vers quelques-uns d'entre nous avec, à la main, une
petite boîte en contreplaqué, faite de deux parties
qui s'emboîtaient et dans lesquelles tournaient deux axes de
bois: c'était le prototype d'une boîte enseignante
qu'il venait de faire fabriquer par le menuisier de la C.E.L. On
parlait alors d'enseignement programmé comme de la nouvelle
panacée et Freinet pensait que cela pouvait nous aider,
comme une extension de ce que nous faisions déjà
avec nos fiches-guides pour le travail individualisé.
Alors, il cherchait comment donner forme à cette
idée: avec la petite boîte, l'idée
était devenue outil ; nous allions pouvoir essayer dans nos
classes puisque nous sommes, cet été-là,
quelques-uns à être repartis vers nos écoles
avec une ou deux boîtes prototypes!
Je ne crois pas utile de faire la liste de ces outils et
techniques que nous devons à Freinet et à ses
camarades: on en trouve les descriptions et modes d'emploi en
d'autres ouvrages.
Mais Freinet savait aussi que leur mise en oeuvre
nécessitait des conditions de travail, de crédits,
d'espace et d'effectifs hors desquelles on allait à
l'échec. L'appel aux 25 élèves par classe du
Congrès d'Aix-en-Provence en avril 1955 en est la preuve.
Pourquoi sur cet aspect des choses avons-nous si peu
progressé? Cette question reste entière pour moi,
d'autant plus que Freinet nous avait, par son exemple,
montré qu'il n'avait pas dissocié sa démarche
pédagogique d'une démarche syndicale.
Restent les hommes, les travailleurs, les camarades, les
compagnons: quel mot garder?
Aujourd'hui encore je reviens à Freinet chaque fois que je
me retrouve à écouter des amis qui travaillent
encore en classe, pour le sens de la question qu'ils posent et
celui de la réponse que je pourrais, peut-être,
proposer. Et chaque fois, aussitôt, c'est un nom ou
plusieurs qui s'ajoutent: les noms de ceux et celles, avec qui,
dans les chantiers, les rencontres et les stages, nous avions
déjà affronté des questions de ce type,
envisagé des réponses.
Avant d'arriver au Congrès de Nantes en 1957, j'avais
déjà mon histoire, outre les noms de Freinet et
Élise, celui d'Alziary (Vieux Chemin des Sablettes, La
Seyne-sur-mer, Var...) qui nous avait proposé nos
correspondants: Robert et Gisèle Boucherie, à
Grateloup, Lot-et-Garonne. Celui de Roger Lallemand s'associait
aux fichiers.
Dans notre département, s'ajoutaient Raoul Faure, Henri
Guillard, Marthe Andrès...
Avec Nantes, la liste devenait impressionnante: les Gouzil,
René Daniel, Madeleine Porquet, Hortense Robic, Michel
Bertrand, Raymond Jardin, Claude Pons et Delbasty, Finelle et
Maurice Beaugrand à qui je dois d'avoir compris le
parallèle entre texte libre et calcul vivant. Et Paul Le
Bohec. Mais il écrit encore, là, en même temps
que moi.
A Boulouris, l'été de la même année, au
dernier stage d'initiation où Freinet et Élise
étaient présents, j'ajoutais encore Bernadin,
Raymond Fontvieille, Georges et Jackie Delobbe, Francis
Étienne.
Et j'en oublie ; je ne fais que prendre les noms qui reviennent
d'eux-mêmes. Avec un petit effort de mémoire, la
liste s'agrandirait... En y glissant quelques rappels des moments
ou des activités qui nous réunissaient, elle
prendrait facilement autant de place que ce que j'ai
déjà écrit.
Freinet sans Daniel, ce n'est plus Freinet
Freinet et Daniel sans les autres, ç'aurait
été une idée morte dans l'oeuf.
Freinet rassembleur d'hommes. Oui.
Merci Freinet!
Car c'est une chance extraordinaire que, depuis une quarantaine
d'années bientôt, j'ai pu, en parcourant la France et
quelques autres pays, associer en tant de régions, des
villes et des villages à des noms, à des travaux
partagés.
La richesse des souvenirs ne doit pourtant pas cacher que les neuf
ans de compagnonnage avec Freinet et les vingt-cinq années
de vie à l'École Moderne qui ont suivi sa
disparition, furent aussi traversés de conflits douloureux.
Nous n'étions tous, Freinet compris, que des hommes et des
femmes. C'est encore dans ce grand mouvement que j'ai appris la
distance et le recul nécessaires pour reprendre la lutte,
même quand on a mesuré que la difficulté
était encore plus grande qu'on ne l'avait vue. Même
quand la secousse avait laissé quelque
désillusion.
Pourvu que le mouvement continue. Parce que c'est celui de la
vie.
Michel Pellissier
-
État des lieux
- Pour bien saisir l'apport de Freinet, il faut avoir
présent à l'esprit l'état dans lequel se
trouvait l'école à son époque.
Mes élèves ne me donnaient guère de soucis
cette année-là. Ils travaillaient correctement,
habitués qu'ils étaient à cette belle
mécanique à laquelle ils s'exerçaient depuis
leur entrée à l'école:
«Debout! Assis! Bras croisés! Taisez-vous!
Écoutez la leçon! Écrivez! Répondez
à mes questions! C'est bien: dix! zéro! Vous
copierez dix fois le résumé! Untel! le verbe
«je bavarde en classe»! Rangez vos affaires!
Rangez-vous! Silence dans les rangs ou je vous fais rasseoir! Une!
Deux! Une! Deux!...»
Et dès la dislocation, le «Ouf!» de soulagement
qui sortait de toutes les poitrines. Il n'y a pas à dire,
ces trois heures qu'ils venaient de passer dans la cage officielle
et vantée ne faisaient pas partie de leur vie!
Imposée, ils la subissaient, se sachant incapables de
secouer ce joug, étrangers tout à fait à ces
activités anti-naturelles, l'acceptant puisqu'ils y
retrouvaient des enfants de leur âge, des compagnons de
jeux. Leur propre nature réapparaissait aussitôt que
le carcan disparaissait: à la récréation,
où forts et faibles se révélaient, à
la sortie où la poésie des chemins herbeux
ombragés d'arbres les accueillait et leur permettait de
flâner, de voir ou d'entendre réellement, bref! de
vivre enfin entre l'école et la maison, pour
eux-mêmes.
Jules Vandeputte
On voulait une discipline stricte où l'apparence du respect
pour le maître, même s'il était souvent
réel, comptait plus que la réalité
elle-même.
Alors, le temps scolaire se déroulait suivant un rituel
parfaitement établi dans la recherche d'une autorité
et d'une rigidité extrême par un «Emploi du
Temps» organisé et calligraphié par le
maître, vérifié et contresigné par
l'Inspecteur chargé de le faire respecter.
L'examen n'était d'ailleurs pas une plaisanterie: cinq
fautes entières en orthographe, c'était
l'élimination sans recours, quel que soit le total obtenu
à l'examen.
Quant à la grammaire, on allait chercher tant de finesses
que les maîtres et les inspecteurs eux-mêmes
tranchaient dans des sens différents et, parfois,
contradictoires, suivant les circonscriptions.
Les enseignants en retiraient une certaine philosophie mais,
aussi, une certaine organisation de leur travail que refuseraient
bien des jeunes aujourd'hui: en plus des études du soir
organisées bénévolement pour la
préparation de l'examen, le secrétariat de mairie,
rétribué, lui, était gardé pour faire
le poids face à la concurrence parce qu'on était
républicain et qu'il fallait défendre les
idées républicaines et les faire avancer.
Certains peuvent en sourire aujourd'hui, mais c'est ainsi que la
République et la Démocratie se sont imposées
et que l'École Publique a pris sa place, a
été reconnue et respectée. On ferait bien d'y
réfléchir.
Les instituteurs étaient conscients du rôle qu'ils
avaient à jouer au sein de la société. Et ils
savaient qu'ils avaient la seule responsabilité des seules
études que feraient l'immense majorité de leurs
élèves car, seuls, les riches, ou les
surdoués, par l'intermédiaire du difficile Concours
des Bourses Nationales, pourraient trouver place dans les
lycées ou, le plus souvent, dans les Cours
Complémentaires ou les Écoles Primaires
Supérieures.
L'examen des pourcentages des populations qui continuaient leurs
études à cette époque serait significatif: le
plus souvent, un ou deux élèves sur les 50
élèves de la classe. Et pas chaque année.
(...) Chaque instituteur travaillait pour soi, à la
recherche du petit «truc» pédagogique qui
éblouirait l'inspecteur lors de sa visite, au moins le
temps de lui attribuer une bonne note, note supérieure
à celle des copains afin qu'elle soit suffisante pour
décrocher la promotion au choix, seul moyen
d'accélérer le déroulement de la
carrière ou pour bien se placer dans le barème pour
décrocher le poste que l'on convoitait.
On avait la double satisfaction d'être reconnu par
l'Administration comme un bon maître et de recevoir une
gratification financière, une augmentation de salaire, ce
qui n'était pas, non plus, négligeable...
Guy Goupil
(...) Je ne détestais pas ces maîtres. Ils
étaient comme ça. On les acceptait. D'ailleurs, il
n'y avait que ce seul modèle en circulation. Il faut voir
d'où ils venaient. Ils avaient connu la guerre 14-18.
C'était des saints laïcs. Ils étaient
consciencieux, austères, irréprochables.
C'était des hommes de devoir. Jamais on n'avait pu en voir
un seul rire, ne serait-ce qu'une seule fois. Ils faisaient tout
ce qui se doit pour ne pas faillir à leur tâche
d'instructeurs de l'Instruction Publique.
Paul Le Bohec
Il a fallu toute la patience, toute la ténacité de
mon directeur d'école pour convaincre mes parents de me
laisser poursuivre mes études comme interne à
l'École Primaire Supérieure. Comme argument majeur,
il leur a dit qu'en travaillant bien, j'avais des chances de voir
ma demi-bourse se transformer en bourse entière. Ce qui
s'est révélé exact.
(...) Le breton était ma seule langue maternelle. Je ne
savais quasiment pas un mot de français à mon
arrivée à l'école, à huit ans. Pour
mes parents, au terme de chaque année scolaire, je ne
devais plus retourner à l'École Primaire
Supérieure. A chaque rentrée, il fallait donc que je
me «batte» pour obtenir le droit d'y aller. Et cela
s'est répété durant cinq années
jusqu'à ce que je réussisse à rentrer
à l'École Normale.
Pendant douze à quinze ans, je n'ai jamais
bénéficié de vacances, ni petites, ni
grandes. C'était, du premier au dernier jour, le travail
à la ferme pour aider parents, frères et soeurs.
Comment ne pas imaginer, dans ces conditions, que j'étais
pressé de retourner à l'école et que j'aimais
cette école.
(...) Je me souviendrai toujours de cette flagrante injustice de
la part d'une enseignante de l'École Normale. Ce serait
trop long à expliquer. Mais le fait d'être
collé tous les dimanches, pendant quasiment tout le premier
trimestre de ma première année d'E.N, m'a
profondément marqué car je ne le méritais
pas. A partir de ce moment-là, je me suis dit que je
n'aurais sûrement jamais une telle attitude envers mes
futurs élèves.
(...) Dans mes deux premiers postes, à la campagne, j'ai
hérité d'un C. E. 1- C. E.2 - J'évitais donc
et le C.P. et la classe des grands, C.M.2 - Fin d'Études -
J'y ai certainement travaillé de façon très
classique avec préparation de fiches, de leçons
traditionnelles... comme j'avais vu faire à l'E.N. Du
travail sérieux, je pense... mais à sens unique,
tout partant du maître! Les relations avec les enfants
restaient cependant bonnes et le fait de parler breton semblait un
atout pour moi dans mes contacts avec les parents. Durant cette
période de l'occupation, puis de la Résistance, me
suis-je demandé si j'étais satisfait ou pas de mon
travail de classe? Je ne le crois pas. Mon esprit était
ailleurs. Fallait-il changer de méthode de travail? Je n'en
connaissais pas d'autre. Et personne pour m'aider. Cela a
duré ainsi 5 ou 6 ans avec des interruptions -
emprisonnement en 44 par les Allemands ; rappel dans
l'armée en 45 -.
Émile Thomas
L'école a été pour moi mon plus grand
plaisir. Je travaillais très bien et j'ai porté avec
fierté la croix «Au mérite» pour laquelle
ma mère se saignait de temps en temps d'un nouveau ruban
afin de l'accrocher à mon tablier. C'était pour moi
et surtout pour ma mère, la marque extérieure de ma
réussite. Je préférais la classe aux vacances
qui se passaient à la maison ou chez ma marraine à
garder les vaches en compagnie de mon frère.
(...) Après le stage de gymnastique d'un mois, à
Dinard, en juillet 45 (mes plus belles vacances!), je me
retrouvais donc institutrice, pas vraiment armée pour
«affronter «des gamins. Mais j'allais gagner ma vie,
soulageant ma mère et mon frère dont la paie
d'instituteur depuis 1941 avait fait bouillir la marmite.
Comme j'étais bonne en maths, j'espérais être
nommée dans un Cours Complémentaire. Hélas!
j'allais me retrouver en classe unique de garçons à
Portsall (devenu célèbre en 1978 avec le naufrage de
l'Amoco Cadiz et la marée noire du siècle.)
J'étais la treizième à remplacer
l'instituteur titulaire qui avait été
déporté et ne devait pas revenir. Je n'ai pas voulu
revendiquer le logement de l'école occupé par sa
femme, ses trois enfants et une grand-mère. Parce que je
faisais classe à l'école publique, personne n'a
voulu me louer une chambre dans le village. J'ai dû me
rabattre sur un hôtel.
J'avais seulement quatre élèves dont trois
n'étaient plus astreints à venir à
l'école, ayant dépassé l'âge de
l'obligation scolaire. Le quatrième était
l'aîné des deux garçons de l'institutrice des
filles qui gardait son plus jeune fils parce qu'elle
considérait que j'avais une classe de voyous (elle oubliait
que son fils aîné était l'un des quatre
voyous). Il est vrai que mon équipe était
atypique... A dégoûter le plus coriace des
enseignants!
Aucun matériel ; quelques vieux bouquins. Pas de
combustible pour le feu, des vitres cassées aux
fenêtres, des tables qui disparaissaient
mystérieusement (décision du maire pour
l'école catholique du bourg). Celui-ci devait
considérer qu'une seule table me suffisait ; c'était
des tables à quatre places - De la nautique à
enseigner (de l'hébreu pour moi!) - Et, pour couronner le
tout, les enfants de l'école privée qui comptait
plus de cent enfants et qui me criaient: «Skol an diaoul!
Skol an diaoul!» (École du diable!).
Je tombais de haut! Où était l'image idyllique que
j'avais gardée de mon école primaire. Si j'avais eu
de l'argent, je payais mon engagement décennal et adieu la
compagnie!
J'ai eu mon C.A.P, sûrement par sympathie de la Commission
devant ma situation: mes quatre chenapans ont refusé de
chanter et de faire de la gymnastique!
A la rentrée 46-47, je suis nommée dans un hameau du
Sud-Finistère. Si j'ai manqué d'élèves
la première année, je vais être bien servie
pour la deuxième: 68 enfants de 5 et 6 ans! Il est inutile
de dire qu'il n'y avait pas assez de bancs pour qu'ils puissent
tous s'asseoir. Encore une année où il m'a fallu
essayer de «garder la tête hors de l'eau.»
Je n'aurais plus, à la rentrée 47 que 42
élèves dans mon CP.
Mimi Thomas
Dans cette ambiance patoisante, j'eus tôt fait, moi aussi,
de comprendre et d'utiliser le patois. Nous étions
là pour enseigner le français, mais il faut bien
avouer que souvent nous nous régalions d'expressions comme:
«une poule qui s'épivardait dans la
poussière». Connaissez-vous plus expressif en
français? Et quand un petiot, tout joyeux nous
annonçait: «C'te nuit y'a un p'tit viau qu'est nessu,
l'est to bian, avec une lune su l'nai», c'est dans le
même langage, moitié patois, moitié
français, que l'entretien continuait.
[..] Après quatre années de guerre pendant
lesquelles, dans des conditions difficiles, la pédagogie ne
nous avait guère donné de satisfaction, Paul parlait
de changer de métier.
Bien qu'à l'E.N. de Nantes, on ne nous ait jamais
parlé de Freinet, on nous avait cependant ouvertes sur les
pédagogies Decroly, Montessori, les manuels scolaires
modernes, les classes maternelles où les petits
observaient, s'exprimaient, agissaient. De sorte qu'en arrivant en
Indre-et-Loire, en 41, j'avais été très
déçue par les méthodes vraiment
traditionnelles des jeunes collègues de mon entourage.
Quand, en octobre 45, après notre mutation à
St-Epain nous avons découvert chez un camarade de promo de
Paul, un début d'organisation coopérative et un
«Éducateur», ce fut la brèche qu'il nous
fallait.
Denise Poisson
C'était en 1937.
J'étais déjà très républicaine
de souche! Papa avait cru en Jaurès ; ma mère,
enfant en 1890, avait, avec sa maîtresse, pleuré de
sympathie, à voir son École laïque si pauvre,
si démunie à côté de l'école
privée plus bourgeoise et qui pouvait se payer une belle
distribution des prix...
Moi, j'héritais de ce ferment. J'avais pleuré quand
ma maîtresse m'avait appris que tous les pays du monde
n'étaient pas en république.
[..] Premiers remplacements: ma passion de l'école flambe.
Mais on me donne huit jours, tous les trois mois, payés
à la journée. Une offre me parvient: être
bibliothécaire à l'École Normale.
-«Mais, précise la Directrice, vous assurerez
l'internat.»
La mortification subie au Lycée (de bonnes études)
mais d'esprit bourgeois me revient à l'esprit.
L'année de philo, pour une vétille,
excédée par les remarques d'une pionne, j'avais
murmuré: «Zut». L'aréopage avait
frappé dur sur la valeur de mon travail: privation du prix
d'Excellence et du prix spécial de géographie, ma
fierté vis-à-vis de mes camarades mieux nantis de
bibliothèques et aidés par leurs parents magistrats
ou militaires... Et cela au profit d'une camarade même pas
nominée, mais fille d'un professeur
d'Université.
Même aujourd'hui, je n'ai pas accepté cette
injustice, ni l'humiliation de mes parents.
«Pionne!». A la stupéfaction de la Directrice, je
m'entends répondre:
-«Madame, j'ai trop souffert de la discipline pour la faire
aux autres!»
Paulette Quarante
Dans mon village de Cergy, en Saône-et-Loire, à
l'école, j'étais une «bonne
élève». Mais je ne supportais pas la discipline
imposée par la maîtresse qui ne laissait aucune
initiative, aucune liberté. Je travaillais rapidement et,
de ce fait, j'étais inoccupée sans même avoir
la permission de feuilleter un livre. J'utilisais alors mon temps
à faire des bêtises, des farces... La maîtresse
m'avait surnommée: «La bête
faramineuse.»
[..] Lancée dans l'enseignement en 1933, à dix-neuf
ans, sans aucune formation, avec de mauvais souvenirs de ma
période scolaire, j'ai miséré pendant cinq
années de suppléances en Saône-et-Loire. Je
n'avais pas choisi ce métier par vocation étant
orpheline de guerre, j'étais obligée de gagner ma
vie.
Madeleine Belperron
Au cours de ma scolarité primaire, les humiliations
étaient fréquentes: menace de retourner à la
maternelle avec les petits, mise «au cachot», mise au
piquet avec le bonnet d'âne, exposition qui se doublait du
défilé des autres élèves dont le
devoir était de lui faire honte, tours de cour
infligés aux pauvres victimes dans un accoutrement
vestimentaire ridicule sous les quolibets des bons
élèves... Je pense, en réfléchissant,
que cela a été un élément
déterminant de mon choix: «Je dirai non à
l'humiliation!»
Je pense aussi à mes deux premières années
d'enseignement où, par souci d'efficacité pour la
préparation du C.E.P, je pratiquais le bachotage
terriblement ennuyeux pour les enfants comme pour moi. Les
leçons de vocabulaire, la rédaction, les
problèmes, l'histoire, la géographie, les sciences
me demandaient des heures de préparation et une
dépense d'énergie inversement proportionnelle aux
résultats obtenus. Et je me disais: «Si c'est
ça l'enseignement?»
Renée Goupil
A ma sortie de l'École Normale, je pratiquais bien
évidemment la pédagogie qui m'avait
été enseignée. Assez vite, je pris conscience
que, ni les enfants, ni moi-même n'étions
passionnés par cette pédagogie conventionnelle.
C'était surtout flagrant lorsque l'emploi du temps
indiquait Rédaction! Le regard des élèves
témoignait de leur peu d'intérêt pour le sujet
inscrit au tableau, sujet que j'avais pourtant choisi avec soin
dans le «Mirande», recueil de sujets proposés au
C.E.P, l'année précédente. Le soir, à
mon tour, je trouvais long et fastidieux le moment de la
correction des quelques pages qu'ils avaient réussi
à écrire. Il me fallait changer quelque chose.
Pierre Legot
En 1933, ma mère était signataire avec 500 autres de
la protestation enseignante devant la révocation de
Freinet... Elle ne m'en a jamais parlé... mais son
intérêt sincère, constant pour les enfants -
de sa famille ou d'ailleurs - ses classes d'école de
campagne pleine d'activité joyeuse - j'y ai vécu
deux ans - la liberté étonnante qu'elle sut donner
à mon enfance, tout cela révèle que, sans
adhérer au mouvement constitué autour de Freinet,
elle vivait en elle, à sa façon, certains de ses
principes, de ses valeurs.
Maryvonne Conan
J'ai eu la chance... pédagogique de débuter par des
suppléances ; souvent par des suppléances de 15
jours, 3 semaines. J'ai donc vu en quatre ans bien des classes et
tous les cours. J'avais le Brevet Supérieur, donc une
formation uniquement théorique et idéale. Et,
dès le début, j'ai ressenti cette inquiétude
dont nous a parlé René Daniel. Pourquoi ces enfants
que j'observais à la récréation, à la
cantine, que j'avais l'occasion d'approcher en dehors de
l'école (puisque j'étais souvent logée chez
l'habitant) étaient-ils si différents en classe?
Pourquoi lisaient-ils si mal pour la plupart, ne comprenant pas ce
qu'ils lisaient? Pourquoi des enfants intelligents dans la vie
étaient-ils capables de dire ou d'écrire de telles
âneries en classe? Pourquoi ces résultats souvent
minables, ces gros retards scolaires? Pourquoi cet échec?
Pourquoi? Pourquoi?
Ginette Basset
Quand on n'a pas connu le(s) fondateur(s), qu'est-ce qui peut bien
amener à fréquenter, puis à s'engager dans le
Mouvement Freinet? On y vient d'abord parce qu'on ressent un
malaise, une frustration à exercer dans un système
qui nous demande d'appliquer ses directives, sans plus
d'état d'âme. Pourtant, à voir évoluer
les élèves devant soi, à observer leurs
réactions face à notre enseignement
prétendument neutre, on a bien vu que ça clochait,
que ça résistait, que trop souvent, on avait du mal
à faire mordre à l'hameçon. Et puis, on en
avait marre de cet épuisant et si peu gratifiant
régime du bâton et de la carotte. Et, malgré
tout, on est passionné par son travail. Passionné et
en questionnement. Mais pas sûr qu'à ce
régime-là, on le reste indéfiniment.
Pierrick Descottes
Recruté comme instituteur remplaçant, j'avais eu,
avant de devenir professeur de collège, un vécu de
plusieurs années d'enseignement tout à fait
traditionnel, même si très militant par d'autres
côtés jusqu'à ce que ma santé ne
m'oblige à y mettre un frein: encadrement de colonies de
vacances, secrétariat de mairie, création et
animation de foyer rural, puis de centre de loisirs, animation de
stages Francas... etc. Au plan pédagogique, mon travail me
laissait cependant de moins en moins satisfait.
Alex Lafosse
Avoir vingt ans, en 1961, avec la guerre d'Algérie en toile
de fond. Être en formation professionnelle sans enthousiasme
dans une École Normale où les stages
«classiques» d'un mois par trimestre dans des cours
uniques en ville se bornent à apprendre à singer de
braves maîtres d'application aux méthodes
rodées, infaillibles, ronronnantes. A l'horizon, un avenir
immédiat peu réjouissant avec en perspective une
nomination à la rentrée suivante dans un bled perdu
du Morbihan, dans une école à classe unique le plus
souvent, et puis, quelques trois mois plus tard, après
passage obligé du C.A.P, en route pour la gloire et la
pacification dans un autre bled, des Aurès,
celui-là.
Premières prises de conscience individuelles et
collectives. Premières luttes aussi, syndicales et
politiques. On discute beaucoup à vingt ans, et l'on
conteste tout ou presque, avec l'irrésistible envie de
refaire ce vieux monde, mais on hésite quand même
encore à s'engager. C'est le joyeux temps des utopies, des
refus et des révoltes ludiques. On écoute et on lit
beaucoup aussi, pour se forger des arguments et s'imprégner
de certitudes. Et avec, en urgence, toutes ces sollicitations
propres à la jeunesse, la passion et l'impatience de vivre
qui vous chevillent le corps et le coeur.
Henri Portier
Je ne dis pas la rencontre avec les Freinet, mais avec la
pédagogie Freinet puisque j'y suis venu en 68 après
la mort de C. Freinet. Je dois dire que le «terrain»
était en partie favorable: une ascendance franchement
libertaire et anarchisante par mes grands-parents paternels, un
vague désir de sortir des sentiers battus sur le plan
pédagogique: j'avais mis les élèves de ma
petite classe rurale à plusieurs cours en relation avec une
école du Jura, à propos de l'horlogerie. Nous avions
aussi une amorce de classe coopérative grâce à
la vente de produits de cueillette, tilleul de l'école,
pissenlits des prés voisins, culture de cactées.
Mais tout cela était bien diffus.
Germain Raoux
Après la Résistance que nous avons vécue dans
un petit village au pied du Mont Ventoux, comme enseignants et
secrétaire de mairie, la Libération est enfin
arrivée avec tous les espoirs qu'on pouvait attendre,
espoirs formulés dans le Programme du Conseil National de
la Résistance.
Nous avons été profondément
déçus par la façon dont les responsables
politiques et syndicaux que nous avons entendus ont
recommencé à intriguer pour s'emparer des leviers de
commande de leurs organisations respectives ; les problèmes
ne se discutaient pas en Assemblée Générale,
mais par des tractations dans les couloirs: de quoi
dégoûter les meilleures volontés.
Nommés à Vaison-la-Romaine à la
rentrée scolaire de 1945, nous avons été
surpris et choqués par l'individualisme des
collègues, chacun gardant jalousement ses trucs, ses
recettes qui plaisaient à l'inspecteur.
- Camille et Yvette Février
Nomination à Sainte-Pazanne, assez gros bourg en pays de
Retz. École à classe unique: Grande Section jusqu'au
Cours supérieur, 12 ans. Maire: hobereau d'esprit
quasi-féodal. Depuis 50 ans, aucun entretien des
bâtiments de l'école et de l'habitation. A peu
d'exception près, I'École ne saurait être que
le symbole insupportable de l'Etat républicain et
laïc. Le 14 Juillet? Un jour pareil comme les autres.
D'où d'énormes difficultés du point de vue
éducatif pour un débutant et relationnel
vis-à-vis de l'hostilité de l'environnement social.
En revanche, parents d'élèves sympathiques et
aidants.
Maurice Pigeon
A cette époque, cela faisait déjà cinq ans
que je travaillais dans des écoles publiques. La dictature
militaire était en pleine vigueur au Brésil et la
crise de l'Éducation aussi. Je suivais mes études
à l'Université le matin et je travaillais le soir,
de 19 à 22 heures 30, comme professeur de Portugais.
A la fin de ma première année de travail à
l'école, en 1.968, j'ai été
profondément déçue en constatant que,
malgré tous nos efforts, mes élèves, tout en
ayant appris par coeur les règles de grammaire, avaient
d'énormes difficultés pour exprimer et communiquer
leur pensée soit oralement, soit par écrit, ce qui,
évidemment, rendait difficile le plein exercice de leur
citoyenneté.
Cette constatation m'a poussée à chercher une
pratique pédagogique différente de la
traditionnelle. Petit à petit, j'ai commencé
à faire l'économie des leçons et des
exercices de grammaire et à les remplacer par des
activités qui créaient dans la salle de classe des
situations de communication où mes élèves
étaient incités à s'exprimer, oralement et
par écrit. Un climat plus vif de travail, un regard plus
attentif vers l'étude de la langue maternelle et des
rapports interpersonnels plus respectueux et solidaires
s'installaient, au fur et à mesure que les activités
d'expression et de communication - c'est ainsi que je les appelais
à l'époque - s'introduisaient comme pratique dans le
groupe.
Maria Lucia Dos Santos (Brésil).
Il m'arriva, après la deuxième guerre mondiale ce
qui arriva à Freinet après la première guerre
mondiale.
Je m'efforçais de trouver une orientation nouvelle de
retour de guerre et de captivité. Là, j'ai dû
subir les ruines et les désarrois devant le comportement
humain et j'éprouvais une profonde désillusion en
constatant que l'on avait, honteusement, abusé de nous,
jeunes hommes sans expérience. Avant tout, je me suis
décidé à contribuer au fait que la
génération montante ne soit plus
élevée dans un esprit de soumission, mais au
contraire, en personnes libres, conscientes et dans un esprit
responsable.
De 1934 à 1940, j'ai été élevé
dans un lycée belge et par un oncle, qui à cause de
sa lutte contre les nazis fut emporté dans le KZ de Dachau.
J'ai été élevé donc dans un esprit
où ces bases de l'éducation constituaient les buts
suprêmes. Ils y étaient vécus journellement ;
c'est pourquoi, après l'effondrement total de mes
modèles, je n'ai pas recherché en Amérique,
comme la plupart de nos instituteurs et professeurs qui imitaient
tout sans exception, avec une repoussante servilité, ce qui
pouvait en venir chez nous. Les événements
décevants de comportements et d'attitudes orgueilleux,
cyniques parfois et souvent inhumains de représentants d'un
monde soi-disant libre, où tout se décide selon la
devise: «what do you pay?», me choquèrent
tellement, que rien ne m'inclinait à espérer une
amélioration morale de notre chancelante
génération d'après-guerre. Les
prétendus idéaux de liberté, de respect de la
dignité humaine et de conduite morale étaient
souvent si éloignés des comportements réels
des représentants de ces idéaux, que je ne pouvais
accepter comme but digne d'aspiration d'un travail
d'éducation, cet esprit matérialiste et
boutiquier.
Même des recherches scientifiques, dans lesquelles
n'intervenaient le plus souvent que chiffres et pourcentages,
n'apportant que peu ou pas de considérations aux destins
particuliers et aux êtres vivants cachés
derrière ces statistiques, ne pouvaient servir de ligne de
conduite à mes propres décisions. Mon
éducation personnelle m'avait donné une autre vision
de travail scientifique pour le bien des hommes.
Hans Jorg (Allemagne)
J'ai fait les premiers pas de ma carrière dans une petite
école de campagne, école qui offrait l'image de
l'abandon et du délabrement, parce que la guerre avait
passé dans cette contrée et avait laissé ses
traces. Les villageois avaient été
évacués, la plupart des enfants avaient
été privés de l'instruction pendant plus de
quatre mois. Un jour, l'inspecteur d'école est venu. Grosse
émotion: la classe, les cahiers, les élèves!
L'inspecteur a interrogé, les enfants ont répondu,
pleins de bonne volonté. L'inspecteur est parti. Il m'a
rassuré: «La vocation n'est pas un avoir, pas un don
de fée. C'est le dévouement à une tâche
qu'on découvre de jour en jour plus large et plus profonde,
c'est un travail ardent. C'est en réalisant sa vocation
qu'on la fait naître.» Une semaine après, en
quittant la classe, un père m'a attendu au seuil de la
porte et m'a dit: «Monsieur, vous voulez trop bien faire,
mais en vous évertuant, vous oubliez que les enfants
doivent travailler et apprendre. Ayez de la patience!» Je
n'ai pas trouvé de réponse, j'ai souri au
père et je m'en suis allé... Et, à la maison,
ce jour-là, j'ai réfléchi aux paroles de ce
père. Est-ce que je connaissais vraiment ceux avec qui je
travaillais? Je connaissais les livres, les méthodes, les
outils à employer, mais l'enfant lui-même, dans sa
complexité et sa simplicité, j'étais loin de
le connaître. J'ai voulu que l'enfant assimile une
énorme quantité de connaissances, j'ai voulu
déverser dans les petites têtes curieuses et
remuantes de mes élèves un amas de notions à
coups de leçons données du haut de la chaire. C'est
pourquoi j'ai parlé, exposé, expliqué.
L'enfant a écouté, il s'est efforcé de
comprendre, mais au fil du temps, l'attention a diminué. Je
me suis rappelé l'expression de Rabelais: «l'enfant
n'est pas un vase qu'on emplit, mais un feu qu'on
allume».
A partir de ce moment je me suis tourné sans cesse vers
l'enfant, pour mieux le comprendre, découvrir ses dons et
ses déficiences, connaître la raison profonde de ses
actes. J'ai compris qu'il est vain et qu'il est même
dangereux de brûler les étapes. J'ai compris aussi
que les enfants aiment travailler, manipuler, construire. En un
mot, l'enfant veut être actif.
Après la classe, j'ai fait de petites promenades avec les
enfants. J'ai fait des observations bien curieuses: René,
un enfant timide, qui ne bougeait pas de place et n'ouvrait pas la
bouche en classe, avait complètement changé quand il
était dehors, dans la nature. Il sautait, courait, posait
des questions.
Aloyse Steinmetz (Luxembourg)
-
Le déclic
- Les textes que l'on vient de lire témoignaient de la
présence chez certains enseignants d'un malaise, d'un
mal-être, d'une déception, d'une frustration. Mais
aussi d'une attente secrète, parfois
désespérée: tout n'était-il pas
définitivement verrouillé? Par quel concours de
circonstances, la brèche a-t-elle pu se trouver
ouverte?
L'année 1965, la ville de Brest accueillait le
XXIème congrès de la pédagogie Freinet. Le
Mouvement algérien, structuré dès la
première année d'indépendance du pays,
était représenté à ce congrès
par une forte délégation d'une trentaine d'adeptes
conduite par notre regretté ami René Linarès
qui vient de nous quitter.
Je faisais partie de cette délégation et
c'était la première fois que j'assistais à un
congrès international, vrai chantier pédagogique
regroupant 1 500 participants: responsables, chercheurs de tous
âges, dans une chaude camaraderie d'entraide, de
découverte, éclairés par les couleurs de
nombreux dessins et peintures qui réjouissent les coeurs.
Les frontières qui séparaient toutes ces
délégations venues de plusieurs pays n'existaient
pas pour moi. Les communions se faisaient avec une humanité
plus vaste et plus diverse. J'éprouvais une impression
d'élargissement et de liberté dans un mouvement uni
composé de groupes riches de vie: une vraie chaleur
humaine.
C'est là, à ce congrès de Brest, avec sa
parfaite organisation, dont le mérite revient au groupe du
Finistère, que j'en ai eu la révélation.
Deux années de pratiques dans ma classe, un stage
d'initiation, allais-je apporter une contribution? C'était
très peu lors des travaux de commissions. Bien au
contraire, une occasion offerte à moi pour apprendre et
apprendre beaucoup.
Abdelkader Bakhti (Algérie)
C'est alors que la guerre étant terminée, j'ai
adhéré au S.N.I. et qu'aux réunions du groupe
des jeunes, j'ai entendu quelques camarades (Saillard - Fragnaud)
nous parler des Techniques Freinet avec un tel enthousiasme, une
telle chaleur que j'en étais remuée. On sentait que
cette pédagogie faisait partie d'eux-mêmes, qu'ils la
vivaient. Ce fut une révélation. J'ai demandé
l'autorisation de passer une journée dans la classe de
Saillard. J'y ai vu des enfants qui s'intéressaient au
travail sans rappel à l'ordre, répondaient,
vivaient.
Du fond de la classe, un enfant (peu doué m'a dit
Saillard), gravant du lino, est intervenu plusieurs fois au cours
de la mise au point du texte ; certains sont restés
volontairement à la récréation ; à
midi, plusieurs se sont exclamés:
«déjà»! La porte était ouverte sur
la cour ensoleillée et un enfant avait dit: «Oh! un
lézard». Instantanément la classe a
été vide. Mais le lézard n'avait pas attendu
et on s'est tranquillement remis au travail.
Ginette Basset
Delahaye m'avait prêté quelques brochures
éditées par le mouvement auquel il appartenait,
celui créé par Célestin Freinet et je pus,
dès cette époque, connaître les brochures
d'Éducation Nouvelle auxquelles je m'abonnai.
J'étudiais la manière de travailler de Freinet dont
le nom ne m'était pas inconnu puisque, fréquentant
la faculté des Lettres à Lille, l'année
précédente, ce pédagogue nouveau style avait
eu l'honneur de figurer dans le cours de pédagogie de
Monsieur Gouhier.
Ju. V.
1946. L'E.N. du Vaucluse regroupe un ensemble
hétéroclite de normaliens qui viennent pour la
plupart de vivre l'occupation, la guerre, la résistance.
Ils sont issus du Vercors ou des Basses-Alpes - on ne disait pas
encore Alpes de Haute Provence -. J'en fais, bien entendu,
partie.
L'internat est soumis à un régime libéral et
nous avons accès à diverses revues
pédagogiques qui redémarrent, parmi lesquelles
l'Éducateur, avec sa couverture rose dont j'ai encore la
nostalgie. Le contenu surtout tranche avec la pédagogie
ambiante.
Miracle! Des maîtres se sont mis à l'écoute
des enfants et livrent là, tout de go, le résultat
de leurs expériences quotidiennes et leurs
réflexions d'humbles praticiens.
Juillet 46. Dans le droit fil de ce premier contact, je suis
volontaire pour un stage à Cannes.
C'est donc dans la cour d'une école primaire, à
l'ombre d'un micocoulier que, pour la première fois, je
découvris Freinet éblouissant de simplicité,
mettant au net au tableau noir un texte libre fraîchement
éclos.
Mon adhésion date de cet instant. Elle fut profonde et
totale, je dirais instinctive. Je l'ai mûrie et j'ai
tâché de lui
rester fidèle tout au long de ma carrière et de ma
vie.
Pierre Constant.
Comment devient-on adepte de l'École Moderne? - C'est sous
ce vocable qu'on désignait le Mouvement Freinet - Je crois
qu'il faut un déclic car, faire ce choix, c'est aborder un
autre virage. Pour moi qui m'étais nourrie pendant un temps
de ma jeunesse des écrits de Jean Jaurès,j'ai
retrouvé dans Freinet la philosophie de Jaurès
appliquée à l'éducation.
Lucienne Bonhoure.
Dans un petit village du Var, le Thoronet, j'ai trouvé dans
le grenier de l'école beaucoup de correspondances
imprimées par les enfants et présentées en
petits livrets qui s'échangeaient entre écoles,
régulièrement. C'était Monsieur Alziary qui
avait fait ce beau travail. Je lui ai aussitôt écrit
; je lui ai demandé des renseignements sur ce qui
était tout nouveau pour moi. Il était très
attaché à ce village et les habitants en avaient
gardé un affectueux souvenir.
J'ai donc fait ainsi la découverte de l'imprimerie à
l'école, la correspondance scolaire. J'ai été
passionnée dès le départ.
Marie-Thérèse Cordero.
J'ai connu la pédagogie Freinet parce qu'un camarade de
promo - E.N. de Mende 32-35 -, communiste comme moi, a
assisté à Pâques 34 ou 35 au congrès de
la Fédération Unitaire de l'Enseignement, à
Tours. Il a rapporté quelques brochures du stand de la
C.E.L. Pour ma part, j'y ai vu la rencontre de deux militantismes
(communiste et pédagogique) qui avait tout pour plaire aux
jeunes, même si le contenu de la pédagogie Freinet
nous échappait en gros. Rien d'étonnant à ce
que le Groupe de Jeunes Instits de la Lozère - ou
plutôt une minorité - accepte la proposition de
Biscarlet, secrétaire du Groupe après Berthet, de
créer une équipe Ecole Moderne. Il n'y avait autour
de nous aucun «imprimeur».
Fergani François.
C'est dans ce contexte, de l'individualisme des collègues,
que nous avons été en contact avec des militants de
l'Ecole Moderne. Freinet était venu à Avignon, mais
nous avions manqué cette conférence. Peu de temps
après, nous assistons à une démonstration de
texte libre suivie de discussions, de débats menés
par de jeunes collègues pleins d'ardeur, de fougue,
d'audace, d'enthousiasme.
Nous nous renseignons et apprenons qu'il existe un groupe Freinet
dans le département du Vaucluse. Des réunions
auxquelles nous assistons sont organisées le jeudi. Nous
trouvons un milieu accueillant, compréhensif, une
solidarité que nous n'avions rencontrée nulle part
ailleurs.
Camille et Yvette Février.
Congrès de Nantes 1957! La maison de l'enfant, l'exposition
d'Art Enfantin... Le grand choc!
Comment de telles oeuvres pouvaient-elles naître dans des
classes alors que mes élèves faisaient de petits
croquis riquiquis au crayon? Ainsi, on pouvait donc leur confier
de la vraie peinture, de vrais pinceaux pour les laisser
créer des oeuvres majestueuses au tracé
maîtrisé, coloré, sensible. On pouvait donc
leur confier de la terre pour façonner, créer des
formes empreintes d'expression, dignes de Maîtres. Et
j'allais d'émerveillements en émerveillements: si
certains obtenaient de tels résultats, alors pourquoi pas
moi? Alors, j'ai ouvert la porte et assisté au
congrès.
Ce fut d'abord comme une bouffée d'air, l'atmosphère
chaleureuse des participants qui, tous, se tutoyaient,
déplaçaient les tables, prenaient la parole et
disaient leurs problèmes, proposaient des solutions et
puis, dans cette ruche bourdonnante, un animateur hors pair,
modeste, à l'écoute de tous qui accueillait les
nouveaux, répondait aux questions, encourageait les
hésitants, rassurait les inquiets, saluait les idées
des inventifs. C'était Freinet dont le nom ne nous
était pas inconnu. Et, ce jour-là, - je le reconnais
aujourd'hui - j'ai eu l'immense chance de faire la Rencontre qui a
fait basculer le sens et le cours de ma vie.
R.G.
Paul Le Bohec que je viens de rencontrer me parle de Freinet et me
propose une correspondance entre nos deux classes. Je trouve cette
idée bizarre et n'y donne pas suite. Comment aurais-je pu
alors imaginer que notre vie tout entière allait
s'organiser autour de ce nom qui allait, presque chaque jour,
revenir sur nos lèvres et toutes les joies que nous allions
connaître à être associés à une
grande oeuvre?
Freinet et Elise Freinet ont transformé nos existences et
donné à la mienne un relief qu'elle n'aurait jamais
eu sans eux.
En 1946, le pays revivait, l'élan était partout.
J'étais neuve dans le métier et vivant
désormais aux côtés d'un
«freinétiste» convaincu, il m'était
impossible de ne pas être portée par le flux
ambiant.
Jeunes, bouillants d'énergie, de rêve et de foi dans
l'avenir qui s'ouvrait, nous parlions de nos classes, tard le
soir, et évoquions d'exaltants paradis
pédagogiques.
Jeannette Le Bohec.
Tout a vraiment commencé quand j'ai lu, dans une quelconque
revue, un article sur les «textes de vie».
C'était certainement, souterrainement, dans cette revue
publiée par Vichy, une allusion au texte libre. Je me mis
immédiatement à le pratiquer ; peut-être, avec
le souci d'une amélioration des résultats scolaires.
Mais, très tôt, je fus surpris de la tonalité
affective des textes en particulier, de ceux d'un petit orphelin
de père qui témoignait gentiment de sa tendresse
pour sa mère.
Aussi, à la rentrée de 45, quand mon nouveau
directeur me passa le premier numéro de l'Educateur, je m'y
abonnai aussitôt. J'y retrouvais le texte libre dont j'avais
déjà une bonne pratique. Je m'émerveillais de
la simplicité d'une fiche sur la maison lacustre qui en
apprenait tout de suite beaucoup plus que le meilleur des
résumés à apprendre par coeur. Et, surtout,
Freinet disait: «Nous serons entre travailleurs, il n'y aura
pas de hiérarchie». Et moi qui avais vécu avec
l'expérience d'une fraternité heureuse, je ne
pouvais qu'être sensible à cette optique
d'égalité. Mais aussi de liberté, puisqu'il
n'était pas question de travailler selon des directives
impératives. Ce qui changeait de ce que nous avions pu
connaître, pendant de si longues années, à
l'école. En dehors de toute obligation administrative, nous
étions libres d'explorer les sujets que nous voulions. Et
la conception de l'enfant global était si nouvelle, et le
champ à explorer était si vaste que chacun pouvait,
suivant ses affinités, s'y choisir commodément une
utile place.
P. L.B.
1945-46. Je reviens de la guerre et doit accomplir une
année à la Norm' d'Avignon, réouverte en
octobre 45.
En février 46, invité par le S.N.I. et Madame
Cassetari, professeur au lycée Aubanel dont le mari est
mort en déportation, Freinet fait une causerie dans la
salle des fêtes de la mairie d'Avignon.
Plusieurs centaines d'instituteurs. A la fin de la réunion,
Freinet demande aux camarades intéressés de se
rassembler autour de la presse qui se trouve au fond de la salle -
celle de Roche de Simiane, Basses-Alpes. Nous nous retrouvons une
petite dizaine. Parmi les présents: Madame Cassetari et
Hélène, alors détachée à la
«sixième nouvelle» et qui allait partager ma
vie.
Nous discutons. Il faut quand même nous séparer!
Freinet a apporté deux valises de livres et de brochures.
Il désire les laisser en dépôt en Vaucluse.
Nous partons tous les deux pour la vieille Norm'. Les valises sont
pesantes. Je raccompagne Freinet, toujours à pied. Et me
voilà bombardé délégué
départemental de la C.E.L. car je garde les bouquins
à la Norm'.
André Gente.
Les circonstances ont fait que j'ai été
nommée près de Brest, lieu de rencontre des
pédagogues Freinet ; que mes enfants ayant un peu grandi,
je pouvais me libérer davantage ; enfin, ça a
été le déclic pour moi alors que, bien des
années auparavant, jeune instit', j'étais venue
à Quimper,
de la région de Morlaix, pour écouter Freinet.
Marie-Thérèse Le Tallec.
Une collègue institutrice m'avait passé, au milieu
d'autres papiers, peut-être sans le faire exprès - un
numéro de l'Educateur, petit format, à couverture
rose. Jeune institutrice, à l'affût de ce qui
pourrait m'aider sur le plan professionnel, je m'y suis
abonnée.
Marguerite Merklen.
Juillet 1937, fin de mon Ecole Normale à Parthenay et
rentrée dans mes foyers de Thouars où
résident mes parents.
Je vois un attroupement devant le théâtre ; je rentre
et je vois sur la scène un orateur, col ouvert, grands
cheveux, décontracté, qui captive les gens
présents, des instits, en majorité: c'était
Freinet dont je n'avais jamais entendu parler et qui expliquait
pourquoi les élèves ne réussissent pas
à l'école et ce qu'il fallait faire pour que
ça marche!
C'était mon problème et, sans doute, celui de
l'assistance.
Ce fut une illumination! une évidence ; mais oui, bien
sûr!
Jacques Guidez.
En septembre 61, je participe à mon premier stage Freinet.
Tout de suite, je me sens bien: les gens qui l'organisent sont des
instits comme nous, très sympas. Et on parle de choses
concrètes: texte libre, méthode naturelle de
lecture, correspondance, magnétophone,
coopérative.
Je repars gonflé à bloc et désireux
d'expérimenter.
Joseph Portier.
A Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique, dès 1938, le
collègue de la classe de garçons m'avait
proposé d'aller lui rentre visite. Arrivant plus de vingt
minutes après la sortie, je frappai à la porte. Pas
de réponse, mais j'entendais à l'intérieur
des voix, des coups de marteaux, je frappai plus fort et
ouvris.
Au fond de la salle, derrière une grande table posée
sur des tréteaux, Maurice Pigeon bricolait au milieu de
quelques grands garçons. Malgré son tableau noir et
des tables d'élèves, elle ressemblait davantage
à un atelier avec ses outils divers.
Et ces gamins, nullement pressés de s'en aller! Ils
continuaient tranquillement leur bricolage, faisant parfois appel
à l'aide de leur maître qui, maintenant, me montrait
leurs divers travaux.
Des dessins de tous genres. On dessinait beaucoup dans cette
classe ; on en réalisait même à la
linogravure, une technique que, jusque-là, j'ignorais.
Des rédactions originales, non sur des sujets
imposés, mais plutôt des récits personnels.
Chacun racontait ce qu'il voulait. Certains écrivaient
même de petits poèmes.
J'étais dépassée, admirative devant ces
résultats. Tout cela paraissait si simple, semblait se
faire si naturellement! Mais je ne me sentais pas en mesure de
suivre un tel exemple.
D.P.
Lors d'un stage à Gourin, au coeur de cette Bretagne
profonde, un camarade instituteur-remplaçant
m'emmène un jeudi dans une réunion
pédagogique non officielle. J'y découvre le
Mouvement Freinet dont personne ne m'a parlé à
l'Ecole Normale, pas plus que de n'importe quel autre mouvement
pédagogique, d'ailleurs. Chaleur et simplicité des
rapports et attitude envers l'enfant tout à fait nouvelle
pour moi. Fonctionnement coopératif de la classe et
comportement des élèves radicalement
différent de ce que j'avais pu voir ; et qui me rappelle
toutefois quelque chose de mon passé d'écolier:
j'apprendrai plus tard que j'avais eu la chance d'avoir deux
instits Freinet au C.P. et C.E.. Repas en commun et discussions
passionnantes avec des gens passionnés ; résultat:
j'adhère à l'ICEM et m'abonne à
l'Educateur.
H.P.
Tout a commencé à l'automne 1965. Débutant ma
quatrième année à l'Ecole Normale
d'Instituteurs de Nice, c'est-à-dire l'année de
formation professionnelle, j'étais gêné par le
décalage que je percevais entre les cours théoriques
ou les leçons pratiques et trois expériences que je
n'arrivais pas à oublier, bien qu'elles se fassent hors du
champ scolaire:
- quelques années de scoutisme laïque qui, à
travers les Eclaireurs de France, m'avaient
«sauvé» de la posture stérilisante
d'éternel «premier de la classe» en me faisant
vivre des valeurs absentes du monde scolaire, telles que l'esprit
d'initiative, la dialectique ou la prise de
responsabilités,
- au printemps 1965, un stage animé par les Centres
d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active par
lequel je découvris les aspects socio-constructivistes du
développement de l'enfant et l'importance de la prise en
compte des besoins et intérêts de ces derniers ;
- enfin, au mois d'août, la validation de ce stage en tant
qu'animateur de centre de vacances pour enfants:
authenticité et intensité de tranches de vie
à forte valeur éducative...
Cet automne-là, la prégnance des
leçons-modèles ne m'autorisait pas à
concevoir un enseignement véritablement centré sur
les enfants. Pire, je commençais à engranger les
algorithmes didactiques qui auraient pu me transformer en
instituteur-prestidigitateur classique, adaptant les
élèves à un savoir que l'on me demandait de
scolariser en «leçons / exercices», lorsque le
hasard me fit rencontrer Freinet dans un couloir d'Ecole Normale
et, plus précisément... dans une poubelle!
Rencontre exceptionnelle, à tous points de vue, en effet,
que ces quelques numéros de la revue L'Educateur aux
éditoriaux roboratifs signés par un certain
Freinet.
Et la lumière fut... Oui, enseigner autrement
n'était donc pas une utopie. Aussitôt, une dynamique
s'empara de moi, laquelle allait se transformer en une
véritable passion pour la recherche-action
pédagogique.
Jacques Jourdanet.
Un heureux hasard voulut qu'en 1946, au cours de ma formation
d'instituteur, j'ai rencontré un ancien officier
français qui, pour la première fois, nous informa
sur Freinet et son mouvement de pédagogie qui donne le
parole aux enfants.
Comme ces présentations recouvraient à la fois, la
tendance d'une pédagogie à partir de l'enfant
contenue dans «La pédagogie de la Réforme»
allemande et les nouvelles connaissances de la psychologie de
l'enfant, je décidais de me rapprocher de Freinet.
Côté langue, je n'avais pas de problème
à cause de mes longues études en Belgique.
Je me procurais les livres de Freinet et je constatais avec
surprise à quel point ses expériences dans les
écoles rurales des Alpes du Sud s'accordaient avec ce que
nous-mêmes vivions dans notre tâche quotidienne avec
des parents, des supérieurs laïcs et intellectuels,
des enfants.
H.J.
Il y a un demi-siècle, de jeunes enseignants suisses se
sentaient ainsi interpellés, face à des pratiques
scolaires par trop scolastiques et traditionnelles par un
maître venu de France avec ses élèves:
Célestin Freinet. C'était en mai 1952.
Imaginez l'événement dans le village de St-Prex, au
bord du Léman: des enfants qui, sans se connaître,
fraternisent et, bien vite, préparent un spectacle de
théâtre libre dans la salle villageoise.
Freinet était accompagné de sa fille Baloulette et
d'un collègue assistant très discret, Michel Edouard
Bertrand (M.E.B.).
Pour la première fois, ce n'était pas l'inspecteur
qui visitait ma classe, mais un maître d'école,
étranger par surcroît, qui parlait à mes
élèves comme s'il les eût connus depuis
longtemps. Il les aidait, les conseillait avec son
délicieux accent méridional qui joignait l'insolite
à l'utile.
Jean Ribolzi.(Suisse)
C'est en 1974 que j'ai connu la pédagogie Freinet en tant
qu'étudiant en Sciences de l'Education à
l'Université de Hambourg. Il s'agissait d'un cours de
travaux dirigés (T.D.) surchargé de 90 personnes
dont le sujet était: «La pédagogie Freinet
aujourd'hui». Il faut dire que ce n'était pas un
cours, mais un chantier! Le rôle de l'enseignant
était complètement effacé. C'est à
peine s'il nous avait donné une petite bibliographie. Nous
étions dans l'après-mai 68....
En tant que futur enseignant des langues, j'ai choisi ce cours,
car j'étais peu satisfait de mes études
linguistiques et de leur application très traditionnaliste
à l'enseignement des langues. Le T.D. ne m'apportait pas
tellement de réponse à mes questions ; il me faisait
m'en poser d'autres. Je me suis mis à lire les sources. A
la lecture de Freinet, j'entrevoyais une application possible en
classe de langue ; mais il me manquait une expérience
d'enseignement.
Gerald Schlemminger.
C'est en décembre 46 que je fis la connaissance de Freinet.
Il vint à Nantes à la demande de Maurice Pigeon,
directeur à la Turmelière et de Marcel Gouzil,
directeur du Château d'Aux.
Marcel Gouzil se soignait alors en Suisse et c'est sa femme,
Francine, qui tenait le rayon des livres, publications et
matériel. La réunion avait lieu à la Bourse
du Travail ; 5 à 600 personnes y assistaient: succès
inespéré.
Pour la première fois, je voyais la classe d'un
collègue au travail, en l'occurence, les
élèves de Joseph Fraud, instituteur à La
Turmelière. C'était une démonstration de
texte libre.
Ils étaient une douzaine d'enfants de 12 à 14 ans,
venus en car, et visiblement heureux d'être là, sur
la scène, et prêts au travail.
Ils ont écrit leurs textes, les ont lus avec aisance et ils
ont voté.
L'un d'eux faisait presque l'unanimité. Le garçon
racontait comment, la veille, on les avait
sélectionnés pour la présentation de ce
matin. Il disait sa joie d'avoir été choisi, une
véritable explosion de bonheur.
C'était simple, vivant, agréable à voir et
à entendre. J'étais enthousiasmée. A partir
de ce jour, le texte libre prit place dans ma classe. Et quelle
place!
Andrée Turpin.
Un jour, le facteur m'a apporté un journal scolaire
rédigé et imprimé par les enfants de
Hobscheid. J'ai lu avec un grand intérêt les textes
d'enfants: j'ai parcouru les pages locales avec les nouvelles de
la localité: mariages et naissances, petites nouvelles du
club de football et de la société des
sapeurs-pompiers. Sur la toute dernière page du journal,
j'ai lu un article sur l'imprimerie à l'école.
Instinctivement, le nom de Freinet m'est venu à la
mémoire, nom que j'avais entendu pour la première
fois, il faut l'avouer, lors de mon stage à Bellevue
(France). On avait parlé de cet instituteur de campagne, de
ses expériences et de son oeuvre et, depuis ce temps, le
nom de Freinet restait gravé dans ma mémoire. Le
journal des enfants de Hobscheid m'a de nouveau mis sur les traces
de l'imprimerie à l'école et de son grand
pionnier.
A.S.
J'arrive au collège de Cannes avec le sac à dos
orné du fanion ajiste et je prends place dans la file pour
m'annoncer. J'entends une voix à l'accent chantant:
- «Tiens! toi qui es ajiste, tu emmènes un groupe de
jeunes à l'Auberge de Jeunesse de la Croisette. Ici, il n'y
aura pas de place pour tout le monde.
Débrouillez-vous!»
Et voilà, je me sens à l'aise et en confiance, face
à ce couple visiblement éprouvé par la guerre
et qui nous accueille avec un bon sourire optimiste.
Que suis-je venue chercher?
J'avais à l'époque quitté ma classe pour
m'occuper de l'implantation des Francs Camarades dans les Vosges
afin de rassembler et protéger autant que possible des
gosses exposés à tous les dangers d'un pays
truffé d'engins de guerre, habitués aux bricolages
les plus saugrenus, au système D, aux bagarres, voire au
vol.
J'étais désespérée par la guerre
vécue chez moi, en zone interdite, par les nouvelles qui
nous arrivaient peu à peu des camps, des tortures, des
exécutions de masse... quel monde noir!
J'étais attelée avec l'énergie du
désespoir à une tâche difficile et je me
sentais bien seule. J'étais avide de perspectives positives
philosophiques plus que de techniques éducatives
précises. Le réconfort allait venir de la fusion des
deux dans une action dominée par la coopération
entre camarades décidés à donner le meilleur
d'eux-mêmes.
Yvonne Humm.
J'ai connu la pédagogie Freinet en 1965, lors d'un stage de
l'ICEM. J'avais alors 42 ans et «je tournais en rond»
dans ma classe. La routine me guettait. Je n'arrivais plus
à intéresser les enfants.
Ce stage m'a régénéré. Il m'a ouvert
l'esprit ; il m'a donné envie de communiquer davantage avec
mes collègues... et, surtout, il m'a rapproché des
enfants.
Je me suis attaché en particulier à l'expression.
J'ai voulu offrir à chacun son mode d'expression: le
dessin, la peinture avec les commentaires éventuels de
l'auteur, le texte libre, l'enregistrement au magnétophone,
l'entretien du matin. Je crois que c'est dans ce domaine de
l'expression que nous avons trouvé nos plus grandes joies,
les enfants et moi.
Grâce à Freinet, j'ai retrouvé du plaisir
à faire la classe et je l'en remercie.
Jacques Leroy.
Nommée à Allerey, je fis la connaissance de Roland,
celui qui devait être mon mari: ses hautes ambitions
pédagogiques, en particulier avec les enfants qui
mêlaient français et patois, m'étonnaient et
je souriais.
Mariés, nous sommes nommés en octobre 1938 dans le
Jura, département d'origine de Roland. La guerre arrive et,
pendant six années, je reste seule avec la petite classe
très chargée.
Retour de Roland qui reprend sa pédagogie traditionnelle.
En 1946, arrive à l'école la revue L'Educateur -
rose - de la pédagogie Freinet. C'était
l'émerveillement pour moi, à tous points de vue:
littéraire, scientifique, artistique. Nous nous abonnons et
nous nous inscrivons pour le prochain stage à Cannes. Ce
fut formidable: les élèves de l'école Freinet
nous ont fait découvrir le texte libre, l'imprimerie, la
peinture avec Elise Freinet... C'était la pédagogie
que je désirais!
M.Be.
J'ai eu cette chance inouïe de rencontrer Elise et C. Freinet
dès l'âge de 21 ans et d'avoir fait partie de leur
grande famille après avoir travaillé un an à
leur école.
Tous deux sont venus dans ma petite école de Saint-Cado
où véritablement j'ai pris mon envol en
découvrant la dimension de l'expression libre, la richesse
de tous les enfants, le sacré de l'existence
elle-même.
Je me suis construite à même le travail avec les
enfants avec cette impression d'être «dans le
coup» en frôlant tant de certitudes.
Une vie privilégiée, sommetoute, quand il s'agit de
toute une carrière faite d'enthousiasme, de
découvertes, d'étonnement et d'amitié.
Il m'arrive encore de promener les réalisations de trente
ans d'art enfantin en porte-parole de cette force contagieuse
porteuse d'authenticité.
Hortense Robic.
J'ai découvert Freinet et sa conception pédagogique
par pur hasard. En 1957, un Congrès Mondial de la FISE a eu
lieu à Varsovie. Dans le groupe francophone dont
j'étais guide et interprète se trouvaient deux
représentants de l'Ecole Moderne française: Paulette
Quarante et Fernand Déléam. C'étaient les
seuls participants qui avaient apporté des matériaux
pour monter une exposition: éditions C.E.L., dessins,
peintures, céramiques - oeuvres d'enfants - journaux
scolaires... etc.
En écoutant leurs enthousiastes narrations sur la vie de
leurs classes, j'ai décidé d'entreprendre une
expérience à l'école dont j'étais
directrice, à Otwock, banlieue de Varsovie.
Halina Semenowicz. (Pologne).
En 1971, sont édités dans l'Espagne du franquisme,
les premières références explicites sur
Freinet: «Les dits de Mathieu» et un reportage sur sa
pédagogie à l'hebdomadaire Triunfo signé d'un
grand animateur de cette pédagogie, Ferran Zurriaga.
A ce moment, j'étais un jeune étudiant de premier
cours universitaire de Philosophie, ex Lettres, à
Salamanca. Et je ne connaissais rien de Freinet. Un an
après, je trouvai en librairie ce livre et, pour moi,
c'était bien ce que Freinet racontait.
Je n'étais pas d'accord avec la dictature, ni avec
l'école autoritaire, et pas d'accord non plus avec la
colonisation culturelle et linguistique d'un pays de paysans et
pêcheurs, la Galice, mortifié par une très
grande émigration.
Ces deux documents me mettaient en route parce qu'il y avait
là, de façon intéressante, une autre
manière de faire l'école. Par fortune, à
Barcelone, l'éditeur Laia avait commencé à
sortir de petits livres de la Bibliothèque de l'Ecole que
j'avais commencé à lire. En 73, deux maîtres
de Valencia, Roser et Ismael, sont venus à Salamanca pour
faire un cours d'initiation à la pédagogie Freinet ;
on a fait des textes, de l'assemblée, du lino...
Anton Costa Rico. (Espagne).
Au cours de ma scolarité primaire, j'avais vécu
moi-même, entre 1935 et 38, dans une classe Freinet, celle
de Josette Cornec à Daoulas (Finistère). Mais je
n'en savais rien. Et ce n'est qu'en 1948, alors que j'assistais en
tant que normalienne, à Quimper, à une
journée de formation-débat animée par Freinet
et quelques enseignants, que j'ai compris le sens de ces trois
années particulières passées à
l'école de Daoulas: le coin imprimerie, les Enfantines, les
«phrases libres», et, surtout, nos
«classes-promenades»... C'est là que j'ai
perçu la signification de ces souvenirs agréables,
mais singuliers, d'une période scolaire.
Là-dessus, un travail d'information pédagogique
d'analyse théorique de la pédagogie Freinet à
l'Ecole Normale.
Deux stages pratiques dans des classes Freinet au cours de mon
année professionnelle et la présence dans la
bibliothèque de l'E.N. du petit Educateur rose de
l'époque ont sans doute attiré mon attention sur
cette façon de travailler.
Marie-Louise Donval.
J'ai le souvenir du début de ma carrière, de mes
premières classes et d'y avoir utilisé les petites
revues Freinet, les Enfantines, les Gerbes sans parler du
limographe pour imprimer les fameux textes libres - Etait-ce un
legs discret de ma mère institutrice? - et
déjà, chez moi, un intérêt certain pour
la psychologie de l'enfant et la recherche pédagogique?
M.C.
J'ai connu la pédagogie Freinet dans une période de
ma vie professionnelle très active où j'étais
à la recherche de quelque chose de nouveau. A travers les
rencontres multiples avec des enseignants Freinet, en France et en
Allemagne, jeunes et âgés, j'ai ressenti cet esprit
innovateur, cette volonté de changer quelque chose qui
m'ont fascinée, et, en plus, je les ai trouvés
personnellement bien sympathiques.-
Ingrid Dietrich.(Allemagne).
Pendant l'occupation, j'ai été deux ans instituteur
à Arcachon. D'après le directeur et l'inspecteur, je
faisais bien la classe. Je ne voyais pas pourquoi j'aurais
changé. Après, je suis parti dans la Marne. Il y
avait un inspecteur primaire, Gloton ; il revenait d'un stalag qui
avait regroupé des intellectuels et des enseignants. Ils
avaient réalisé des bulletins pédagogiques.
Gloton en était l'un des animateurs. Dès son
arrivée dans la Marne, il a imposé des
réunions mensuelles par canton: «On travaillera le
matin, avec moi ou sans moi». Pas question de se
défiler... On y allait à bicyclette... On parlait
pédagogie. Je me suis aperçu que la classe que je
faisais bien à Arcachon ne marchait pas du tout dans ces
villages de la Marne. J'ai pris plaisir à aller à
ces journées. Un collègue m'a dit: «Tu ne
connais pas le texte libre?» - Il en avait parlé
à tout le monde, mais il avait senti qu'avec moi ça
pourrait accrocher. Il m'a expliqué le texte libre,
l'imprimerie. Ça a mis un an à mûrir. Entre
temps, Gloton était venu me voir. Il m'a dit que j'avais
des dispositions pour le travail en équipe, les
méthodes actives...
René Hourtic.
Au printemps 45, sur le journal, une annonce:
«Conférence de Célestin Freinet à
l'Opéra de Marseille».
Cet homme, col blanc ouvert, cheveux un peu longs, avec des
paroles simples, raconte sa lutte à St-Paul de Vence pour
défendre son école. Il lit un texte écrit par
les enfants «Le petit chat qui ne voulait pas
mourir».
Il a les yeux humides d'émotion. Moi aussi:
«Mais alors, les enfants peuvent ainsi témoigner?
prendre part à la classe avec le maître?»
Je ne l'ai jamais oublié.
Ce Freinet, je savais donc qui il était. Ça me
revient: je le savais, mais ce n'était pas par le biais de
la pédagogie.
1937, c'était l'année de Guernica. Et l'horreur des
bombes sur les populations civiles nous révoltait et nous
angoissait.
Un instituteur de Rousset, Monsieur Pourpe, nous parle de celui
qui, à Vence, avec les petits réfugiés
espagnols, construit sa propre école. Il nous montre une
petite presse de bois pour leur journal scolaire! Cette
volonté de lutte, de bâtir une Ecole avec des enfants
qui sortent de la guerre nous enthousiasme.
P.Q.
J'ai connu Freinet et Elise en 1933, à l'instigation de
Marcel Lallemand, frère de Roger,
poète-écrivain-polyglotte-architecte.
Méthode, techniques et imprimerie adoptés.
Marius Pourpe.
C'est grâce au CEMEA, à un stage de base très
certainement inoubliable, que j'ai lu «Les Dits de
Mathieu», puis «Naissance d'une pédagogie
populaire», que tout a commencé.
Puis, encore au CEMEA, lorsque pour les besoins des stages 16 / 18
ans d'insertion professionnelle et sociale, il a fallu passer de
la théorie à la pratique... deux années d'une
expérience qui décidera de l'avenir... l'Ecole
d'Educateurs où un enseignant m'encouragea à mener
à bien un travail sur la pédagogie Freinet avec,
à cette occasion, la rencontre de Colette et Jacques avec
qui je ferai ensuite deux classes de découverte.
Jean-Charles Huver.
1933. Je galère, accroché à ma classe,
à mes élèves. Un camarade d'Ecole Normale
m'informe qu'une exposition itinérante figure à
Nantes, à la Bourse du Travail. Visite le jeudi suivant:
journaux imprimés par les enfants, textes libres, fichiers,
nombreuses brochures, revues... Je me sens en phase avec la
philosophie sous-jacente, avec les techniques
présentées. Pour la première fois, je lis un
nom:
Freinet ; un sigle: C.E.L. Il me faut réfléchir.
M.P.
Au syndicat, nous sommes allés vers la tendance la plus
progressiste et, là, nous avons rencontré des
camarades plus anciens que nous qui nous ont impressionnés
par leur honnêteté, leur militantisme. Et, parmi eux,
il y avait René Daniel.
Pour la première fois, j'ai entendu parler de Freinet. Le
groupe qui existait avant la guerre s'était reformé
après les vicissitudes d'une période
troublée, l'occupation allemande. Je me souviens de cette
réunion dans la classe de René où il nous a
parlé de Freinet, d'expression libre, de dessin. Je le
revois debout devant nous, les mains serrées sur le rebord
d'une table, parlant de sa propre enfance et de son émotion
d'alors lorsqu'il fallait se lever pour répondre à
une question du maître et où son seul soutien
était une table semblable dont il serrait les bords de ses
doigts crispés ; parlant de ses propres
élèves dans des termes que je n'avais jamais
entendus, avec une sensibilité, un respect qui m'ont
marquée.
M.T.
Et c'est tout naturellement qu'un jour, Mimi et moi - car,
entre-temps, nous nous étions connus - nous irons à
une réunion pédagogique dans une petite école
rurale à 2 classes des Daniel, Madame Daniel ayant la
classe des petits et René, celle des grands. Un long
déplacement pour nous (d'abord à vélo, puis,
en car, et de nouveau à vélo!). Une journée
bien complète, mais qui nous marquera tant.
Quelle révélation pour nous! Nous y
découvrons l'imprimerie, le texte libre, le Livre de Vie,
les journaux scolaires, le fichier scolaire coopératif, les
dessins d'enfants si variés, le planning mural... etc.
Personnellement, je suis frappé par l'expression libre des
enfants, leur comportement, l'attitude aidante du maître,
l'atmosphère coopérative de la classe...
E.T.
Au cours d'une journée de formation, j'ai eu l'occasion de
visiter la classe d'André Féron qui pratiquait la
pédagogie Freinet et devait nous présenter ses
techniques. Plus effarouchée qu'intéressée
par cette remise en cause de ma pédagogie et l'importance
du travail à mettre en place, je n'ai pas donné
suite.
Nommés à Magny-Cours en 1963, nous découvrons
une imprimerie, la collection des BT, et des albums de
correspondance internationale laissés par Lucien et Suzanne
Jean-Baptiste, en poste de 1948 à 1958. Nous apprenons que
leur engagement pédagogique et politique leur a valu un
déplacement vers les années 30. Proches
collaborateurs de Freinet, ils ont contribué au
développement du Mouvement.
Suzanne et Elise avaient entretenu longtemps une correspondance
sur un choix de vie naturelle.
Malgré cela, nous n'avons pas cherché à les
contacter.
En 1966, à la mort de Célestin Freinet, le passage
du film «L'Ecole Buissonnière» et le débat
avec Paul Delbasty nous enthousiasment. Notre soif de militantisme
syndical et politique va pouvoir enfin s'étancher dans une
autre pédagogie.
Jacqueline Massicot.
La première curiosité me vint en lisant la vingtaine
de lignes consacrées à l'imprimerie à
l'école de Freinet, dans la partie du livre de philosophie
et de pédagogie - en dernière année
d'Institut Magistral - qui traitait des expériences
didactiques contemporaines.
«L'école d'aujourd'hui... est gérée par
les élèves sous la conduite du
maître-compagnon».
Ces paroles m'avaient impressionné. Ce
«compagnon» que l'auteur avait probablement extrait du
contexte en terme de discrimination négative -
C'était encore les années de la guerre froide -
avait au contraire suscité en moi curiosité et
désir.
Puis, à l'Université, plus rien.
Il m'a fallu entrer à l'école pour percevoir la
quotidiennité de la contradiction entre mon engagement
politique en dehors de l'école et mon rôle
traditionnel d'enseignant pareil à celui de mes
collègues qui, eux, ne se posaient sûrement pas le
problème d'un engagement social et politique à
l'extérieur.
Ce sentiment de contradiction et de vide s'accrut tellement que,
la seconde année, je réussis à choisir une
localité qui faisait partie de la circonscription
dirigée par une inspectrice que je savais être
exceptionnellement de gauche.
C'est ainsi que je participai, un jour, à une leçon
de mathématiques modernes organisée par le groupe
régional M.C.E. (Mouvement de Coopération Educative,
fondé en 1951.) à Udine, à une quarantaine de
kilomètres du lieu où je vivais et travaillais.
Je me trouvai alors au milieu d'une trentaine, et peut-être
plus, d'enseignants dont quelques bonnes soeurs, ce qui me
déconcertait par rapport à mes attentes.
L'impression fut très forte: je ne compris absolument rien
à la leçon.
Mais je ne me décourageai pas: j'avais trouvé les
continuateurs de cet instituteur français qui avait
introduit dans sa classe les valeurs sociales pour lesquelles je
militais. Et j'étais bien décidé à
saisir cette occasion...
Rinaldo Rizzi. (Italie).
Serait-il présomptueux de dire qu'il s'est agi pour moi
dans les années 60 d'une «rencontre» avec Freinet
plutôt que d'un éblouissement quelconque ou un coup
de foudre radical avec un «maître»?
Et plus qu'une «rencontre» avec Freinet - (outre durant
les séances de congrès je ne l'ai rencontré
que quelques minutes face à face en 1964, d'une rencontre
avec le mouvement Freinet, c'est-à-dire avec une foule de
personnalités d'enseignants
«frénétiques»? De la truculence d'un
Dufour ou d'un Yvin à la rigueur d'un Barré ou d'une
Lémery? Du délire poético-pédagogique
d'un Delbasty à la logique d'un Rinaldo Rizzi? Des
amitiés enfin avec des enseignants Freinet dans le monde
entier, par le biais de la FIMEM.
Sorti de l'école normale en 1959 avec sous le bras un cours
de pédagogie où Freinet prenait trois lignes, je me
suis retrouvé devant une classe rurale unique de 20 enfants
de 5 à 12 ans. J'ai coutume de dire que cela fut le
déclencheur pour moi. Tout ce qu'on m'avait appris ne
fonctionnait pas: les leçons en forme n'étaient pas
possibles, les cours collectifs et ex-cathedra non plus. C'est
d'abord dans les villages avoisinants que j'ai découvert
des instituteurs qui avaient expérimenté
l'imprimerie, la correspondance, l'individualisation et
résolu quelques-uns des problèmes que je rencontrais
puis c'est dans le mouvement Freinet belge francophone
«Education populaire» que des réponses de plus en
plus nombreuses ont été données à mes
inquiétudes et ont balisé mon travail par la suite.
Mon premier achat - avant le frigo familial! - fut l'imprimerie et
quelques numéros de la Bibliothèque de travail.
Je suis tombé littéralement amoureux de l'imprimerie
et j'ai réalisé avec les enfants toutes les formes
de journaux scolaires. A partir de 1982, je me suis peu à
peu tourné vers l'informatique, mais j'ai toujours
regretté l'apport social de l'imprimerie dans le travail.
Composer un texte tout seul était inconcevable. Lors de la
parution du journal, tous les enfants savaient déjà
ce qu'il contenait parce qu'ils avaient participé
concrètement à sa réalisation.
HenryLandroit. (Belgique)
C'était en janvier 1933. Jeune instituteur débutant
dans un village, je trouvai un jour dans ma boîte aux
lettres deux numéros de «L'Action
Française» apportés par un inconnu qui
signalait en rouge des articles de Charles Maurras. Celui-ci
clouait au pilori un nommé Célestin Freinet,
instituteur à Saint-Paul-de-Vence, pédagogue
hérétique des plus dangereux.
Un travail absorbant et les événements
internationaux me firent oublier cette polémique.
En novembre 1945, Célestin Freinet vint à Lausanne
pour présenter à une rencontre d'enseignants les
buts et les réalisations de son Ecole moderne. Que disait
alors ce dangereux révolutionnaire?
L'enfant doit pouvoir s'exprimer, se réaliser en classe...
A la sortie de l'école, il faut qu'il ait une instruction
suffisante, mais qu'il ait surtout gardé le goût de
s'instruire...
Le défaut de l'école actuelle, c'est
l'intellectualisation...
A l'école, l'enfant pose des questions...
Le maître aide l'enfant à se réaliser...
A l'issue de la conférence, chacun pouvait feuilleter les
journaux scolaires et les albums d'enfants. Ainsi, il existait des
classes où la vie coulait comme une source fraîche.
Serait-ce aussi possible dans la mienne?
Cachemaille Edouard. (Suisse).
Comment j'ai entendu parler de Freinet? Je ne m'en souviens pas,
peut-être en cours de philosophie mais, étant
normalien au lycée, avant le bac, c'est tout naturellement
que lisant des ouvrages politiques, j'en vins aux ouvrages
pédagogiques et ils y passèrent tous...
Un mercredi après-midi, je me rendis donc à une
réunion du groupe départemental de l'Ecole moderne -
pédagogie Freinet, sans doute à l'école
normale. Pour le lycéen que j'étais, c'était
une plongée, une immersion dans la pédagogie
pratique avec les mains pleines d'outils. Ce fut aussi le
rendez-vous avec des hommes et des femmes impressionnants dans le
sens où j'étais impressionné par leurs
paroles. Les livres que j'avais lus prenaient chair.
J'étais en plein dans la relation
maître-élève avec ces gens qui parlaient de
leur pratique. Je les ai trouvés inaccessibles au
départ car je ne me sentais pas capable de passer de
l'utopie de mes lectures à une mise en pratique avec des
outils et des techniques pour arriver à des fins qui sont
des pratiques sociales, une organisation de la
société. Et puis l'esprit coopératif aidant,
je devins un militant de la pédagogie de Freinet.
La rencontre avec Freinet fut donc livresque puis par
l'intermédiaire d'hommes qui l'incarnaient. Les lectures
dont «les dits de Mathieu» puis l'histoire de la
pédagogie populaire... m'ont fait rentrer d'un coup dans
une famille sociale, philosophique, politique que je ne quitterai
plus. Un syndicat, on y entre et on en sort ; un parti politique
aussi, de même pour une association. La pédagogie de
Freinet est au delà de ça. C'est une idée de
la société que je veux mettre en oeuvre chaque jour
avec les enfants dont j'ai la responsabilité mais aussi
avec toutes les personnes que je côtoie.
Hervé Moullé.
Septembre 1968, j'ai eu mon bac et je dois gagner ma vie...
J'ai entendu dire que l'on peut être instituteur avec le
bac, donc je dépose un dossier à l'Inspection
Académique de Lille et trois jours après, je
reçois ma première nomination: 3ème pratique.
Collège rattaché au Lycée Colbert,
Tourcoing.
Je dois commencer dans une dizaine de jours mais je sais pas
comment on fait l'école... Aussi je me renseigne
auprès d'une directrice d'école de la famille qui me
prend quelques jours en stage dans son CM2. Les seuls souvenirs de
ce stage sont le Procédé Lamartinière et:
«les 3èmes pratiques, ce sont des enfants de
l'âge du C.E.P mais qui ne l'auront jamais. Il faut se baser
sur la vie courante.»
Enfin! Je me présente au principal du collège qui me
dit: «Vous voyez ce terrain vague! Eh bien votre classe sera
là. En attendant, allez à Commines -
frontière belge -, dans la classe de Monsieur... - j'ai
malheureusement oublié son nom -, il a une 3ème
pratique et vous expliquera comment il travaille.»
J'y suis. L'accueil du Mr est excellent: «Tu regardes, tu
observes, tu me poses des questions. N'hésite
pas.»
Alors j'assiste. Je vois des enfants - grands - qui racontent, en
les lisant, chacun leur tour, ceux qui le veulent, des «tas
de trucs». Ensuite, ils votent pour choisir ce qu'ils
appellent un texte libre. Celui-ci est écrit au tableau
avec les fautes soulignées. Individuellement, chaque enfant
le recopie en essayant de le corriger puis quand un enfant pense
avoir terminé, il est corrigé - le texte -
collectivement, puis, recopié par chacun au propre dans le
cahier de français.
Plus tard, dans le cahier de mathématique, on cherche
combien il faudra de bois pour fabriquer des dessous de plat
carrés, combien de formica pour les recouvrir et combien de
languettes plastifiées pour mettre autour. Et combien
ça va coûter? J'entends parler de
périmètre, de surface, de prix de revient, de prix
de vente, de bénéfice, de coopérative...
Et après, tout le monde se lève. Certains fabriquent
les dessous de plat, d'autres écrivent des textes libres,
quelques-uns font du dessin libre, de la peinture libre, ceux qui
n'ont pas eu leur texte choisi le corrigent, le recopient, parfois
ils cherchent dans des revues des articles en rapport avec
ceux-ci... C'est super! C'est comme ça qu'on fait
l'école? Est-ce que pendant mon année de terminale
68 on a changé l'école? J'ai changé
l'école sans le savoir? Si ça continue, je vais
rester instituteur, je vais avoir la vocation!
Et tous les jours, pendant quinze jours, se déroule de
manière semblable cette classe bizarre où il n'y a
pas un seul manuel. Où on fait de la grammaire et de la
conjugaison d'après les fautes relevées dans les
textes. Où les mathématiques sont toujours
liées à la vie courante. Où on fait du
vocabulaire avec des journaux. Où des activités sont
libres mais «faites» quand même. C'est fou!
J'en parle à mon formateur. Il me dit: «Ce sont des
techniques Freinet. Ce monsieur est déjà mort, mais
nous sommes un certain nombre à nous en inspirer.»
Zut alors! C'est pas moi qui ai changé l'école en
mai? Ça fait rien, c'est bien quand même. Je ferai
pareil...
Et il va falloir s'y mettre, ma classe est construite. Me
voilà au collège.
Il est 8 heures. La cloche sonne. On n'a pas encore trouvé
ma clef, enfin ça y est, elle est là. Un groupe
d'enfants. 17 garçons et filles, bien rangés, attend
devant la porte. Bonjour! Nous entrons. Stupeur! Il n'y a pas de
tables. Juste un tableau au mur et devant, une estrade. Par terre,
des vieux journaux. Et des craies.
Monsieur le Principal me fait dire que les tables arriveront cet
après-midi et c'est tout!
On s'assied sur l'estrade ou par terre et on regarde les journaux.
On bavarde. «Comment tu t'appelles? Quel âge
as-tu?» «Et si on lisait les journaux?»
«D'accord.» Chacun choisit un article et le lit à
la classe. On vote et on en choisit un. On le relit. On ne
comprend pas tous les mots. Lesquels? On les explique.
Et si on allait jouer au ballon? Il n'y a pas de stade par ici? -
Non, mais on peut aller à la piscine.» On verra
ultérieurement. On fait des pliages. Merci les
C.E.M.E.A.!
Les tables et le bureau sont là. «Du
matériel?» «Non. C'est une création
tardive. Peut-être pour du fongible. On verra.» Il
faudra donc se débrouiller avec les moyens du bord.
Alors j'apporte ma collection de «Tout l'univers» et
quelques outils. Et j'applique ce que j'ai vu en stage...
Je discute de mon stage avec les collègues qui me disent:
«L'inspecteur a bien noté un instit' Daniel
Villebasse, mais c'est très dur à appliquer et il
faut avoir de l'expérience...»
Aujourd'hui, je reçois la visite de Monsieur le Conseiller
Pédagogique qui veut que je présente les enfants au
C.E.P. Il n'a passé que 10 mn dans la classe. Il n'est pas
d'accord avec ce qu'il a vu et me dit: «Encore heureux que
vous ne fassiez pas ces fameux textes libres où on
écrit au tableau avec des fautes.» Je le laisse
parler, j'ai appris que j'aurai une formation au C.A.P le jeudi et
qu'il reviendra me voir dans quelque temps.
Je continue donc comme avant, et je lis les textes officiels.
C'est grâce à ça que j'envoie, au grand dam du
principal, les enfants enquêter seuls dans les rues de
Tourcoing, comme en colonie.
Tout va bien... mais Monsieur le Conseiller revient... en pleine
séance de correction d'un texte libre au tableau, avec les
fautes!
«Les enfants, sortez dans la cour! J'ai besoin de discuter
avec votre maître.»
«Monsieur Courtois, votre carrière est
terminée! J'en fais une affaire personnelle!»
Cela fait environ quatre mois que je suis là dans cette
classe et huit jours après la visite, je reçois une
lettre... Je ne suis pas viré, c'est une nouvelle
nomination. Et, surprise, je vais remplacer Daniel Villebasse, le
«bien noté par l'inspecteur», qui va faire son
service militaire. Je soupçonne cet inspecteur, Monsieur
Bonnot, d'y être pour quelque chose. En effet, c'est un
Monsieur qui n'hésite pas à traverser la rue pour
serrer la main à un simple remplaçant, à
cette époque ce n'était pas courant et je crois
qu'actuellement aussi...
Les enfants, presque des adolescents, me disent au revoir. J'ai
mon premier cadeau. Un titulaire revient de l'armée, il va
prendre ma classe, il sourit quand je lui explique ce que je
faisais. Je bous intérieurement. Maigre consolation, j'ai
appris plus tard que les trois quarts de la classe ont
séché jusqu'à la fin de l'année
scolaire...
Me voici donc rue Neuve à Tourcoing - l'adresse
écrite sur «Chantiers» - dans la classe de
Daniel.
C'est une école formée de trois classes de
perfectionnement. Le directeur a les grands, Daniel les moyens et
sa femme les petits. Les deux Villebasse se réclament de
Freinet, le directeur n'en est pas loin.
Pendant trois semaines, en attendant son service militaire, je
suis stagiaire.
Je retrouve les textes libres, les dessins libres et les peintures
libres. Les textes libres sont classés en deux
catégories: les histoires vraies et les inventées
(les rêves).
Je découvre la valorisation des textes par l'imprimerie.
C'est génial! Il aurait fallu filmer ma tête quand
j'ai vu la première feuille imprimée, pire que celle
des gosses de «l'Ecole Buissonnière». J'admire le
«livre de vie».
J'apprends la linogravure et l'aluminium repoussé
(couvercles de yaourt).
Je vois progresser les dessins et peintures libres rien qu'avec
une séance hebdomadaire de critiques constructives:
pourquoi avons-nous choisi celui-ci plutôt qu'un autre?
J'achète et je vends le journal de l'école.
Je livre la correspondance de la classe à l'école
Blanche Porte à l'autre bout de Tourcoing.
Je me brûle avec le filicoupeur, ce qui fait bien rire les
enfants.
Je découvre le travail individualisé avec les bandes
enseignantes et les enfants qui ne copient pas directement le
corrigé.
Les trois semaines sont passées, Daniel part à
l'armée. Je continue sans problème majeur sa classe,
j'y introduis une seule nouveauté: la
télévision scolaire.
Et pourtant, on me l'avait bien dit: «Il faut d'abord faire
la classe traditionnelle.
Dictées-questions-problèmes»... Comme si
à travers ça, grâce à ça, on
peut mener les enfants dans des activités d'expression
libre. Stupide! Et on entend encore ça en 1996. La force
d'inertie est bien la force principale des enseignants...
L'année scolaire se termine. Ma première
année scolaire! Je crois que je ne ferai pas Sciences Eco,
je ne serai pas journaliste. C'était mon rêve. Je me
suis fait piéger.
C'est la faute à l'instit' de Commines. C'est la faute aux
Villebasse. C'est la faute, je pense, à l'inspecteur. C'est
la faute à Célestin. C'est aussi parce qu'on avait
vraiment besoin d'instits' à cette époque. Et merci
aussi à Monsieur Choisy le conseiller, il a voulu me punir,
grâce à lui j'ai pu compléter ma
formation.
En tout cas, ils m'ont fait découvrir ma vocation. Je ne
sais pas tout, encore. Mais ils m'ont fait comprendre que ce qu'on
ne connaît pas, on peut le découvrir et qu'on a le
droit de se tromper, à condition bien sûr, de se
remettre en cause...
Deux ans plus tard, à La Réunion, je participe
à la création d'un ICEM Réunion et ses
réunions hebdomadaires, à l'époque, où
par la coopération, par l'apport des uns et des autres, je
complète ma formation, avec les Saint-Marc, les Baum, les
Gaba et Louis Chenet,... et ceux dont j'ai oublié le
nom.
Christian Courtois
-
Un couple
- Un mouvement
Une nouvelle approche du travail
et de l'éducation
Les Freinet
- Simple et efficace, chaleureux et profondément humain,
Freinet, soutenu par Elise, est reconnu comme un leader naturel du
Mouvement.
Les joies ressenties à la suite de la venue de Freinet dans
ma classe où il était resté tout un
après-midi, s'entretenant avec nos petits pensionnaires qui
se pressaient autour de lui, buvant littéralement ses
paroles, sa chaleureuse présence, la simplicité de
son langage en parlant de nos bêtes, nos fleurs,
enchantaient ces jeunes enfants échoués dans notre
établissement à la suite de l'abandon des parents,
du danger moral auquel ils avaient été soustraits.
D'emblée, ils savaient qu'il les comprenait parce qu'il les
aimait.
J'aurais voulu dire le bonheur que j'ai eu de rencontrer cet homme
qui, pour moi, fut celui qui incarnait le mieux l'homme de la
tolérance, de la coopération et de la
fraternité internationale (...)
J'aurais tant et tant de faits à rappeler... Mais les mots
ne viennent pas sous ma plume ou restent au secret dans
mes petits tiroirs, tels des trésors.
Francine Gouzil
J'ai souvent pensé au Congrès de Brest en 1965,
durant lequel, en charge des activités des enfants des
congressistes, j'ai vu Freinet leur faire une visite, se pencher
sur leurs occupations, les questionner, répondre à
leurs questions, tout simplement, sans paternalisme: la relation
humaine dans sa plénitude!
Marie-Louise Donval.
Disposant d'un moment de liberté, je m'étais rendu
au stand de la documentation. A l'entrée de la salle, des
panneaux accrochés au mur attirèrent mon attention.
Il s'agissait des «Invariants pédagogiques». Sans
prêter attention à l'assistance présente, je
relevais des notes dans mon carnet quand, soudain, une main se
posa sur mon épaule. Me retournant soudainement, je me
trouvai face à face avec l'homme à
l'imperméable beige. Sa présence fit sur moi une
forte impression. Je ne savais quoi dire, je ne disais rien. J'eus
tout à coup un grand battement de coeur car je devinai que
j'étais face à Freinet, celui que je souhaitais tant
connaître. Avec le sourire, et d'une voix grave, il me
questionna sur ma formation, mes premières tentatives dans
ma classe. A la fin de l'entretien, il se dirigea vers une table
sur laquelle étaient disposés des documents, prit un
petit livret, une «B.E.M.», me la remit et me dit:
«Tu as du temps devant toi, mon petit, continue sur cette
voie, mais n'oublie pas qu'il faut aller lentement, mais
sûrement».
Il m'abandonna puis se dirigea vers le groupe qui l'at
tendait.
Ab. B.
Au Congrès de Nantes, en 1957, où nous sommes
allés aider à tenir un stand syndical,
installé dans un couloir, arrive vers nous un petit homme
à l'épaisse chevelure grisonnante qui parle avec un
fort accent méridional:
«Tu peux venir m'aider à porter cette table?»
C'est Freinet, pas du tout comme on se l'était
imaginé après l'étude de quelques-uns de ses
écrits à l'Ecole Normale, pas un ponte en cravate et
en costume comme tous ceux qu'on pouvait voir défiler sur
les estrades publiques, syndicales, politiques ou autres, portant
sur eux et avec eux, dans leur serviette de cuir, la
gravité de leur haute responsabilité, non, c'est un
homme tout simple, participant à toutes sortes de
tâches matérielles, à qui on s'adresse comme
à un bon copain, sans ostentation, ni respect formel.
La surprise au cours des séances plénières du
congrès est encore plus grande. Freinet souvent assis au
bord de la scène, les pieds ballants, invite les
participants à venir parler. Il décèle dans
la foule tous ceux qui en ont envie et les interpelle:
«Je te vois t'agiter, toi, là-bas...Tu as quelque
chose à nous dire... Viens un peu ici qu'on
t'écoute».
Et le camarade se déplace et prend la parole, sans
solennité, sans cérémonie, sans
formalité.
G. G.
En janvier 1945, Freinet vient me chercher à Laragne pour
diriger la classe des Grands et, pédagogiquement, le centre
de Gap créé pour les 85 élèves
victimes de la guerre.
Ma femme non-enseignante, mais participant aux activités,
dirige les quatre prisonniers allemands et cinq femmes de service.
Elle est économe, infirmière et monitrice.
Freinet dirige administrativement et me fait recevoir pendant huit
jours dans ma grande classe - la bibliothèque de 90
mètres carrés - cent cinquante enseignants, instits,
I.P., I.A..
Ce qu'il y a lieu de retenir, c'est le grand esprit d'initiative
de Freinet. Il se procure du mobilier scolaire et de la literie au
collège de Briançon, des fruits à Vallouise
et toute l'alimentation nécessaire. Il trouve des
poêles allemands, la chaudière et les radiateurs nous
ayant lâchés en plein hiver avec neige. Il fait
preuve d'un esprit d'organisation remarquable, aidé par
Elise.
Tous les deux, travailleurs infatigables sont durs pour eux et un
peu pour les autres.
Ma. P.
Je ne peux pas dissocier le souvenir de Freinet de celui d'Elise,
mais je les ai connus plus familièrement quand, en 1947,
Elise m'a demandé d'aller, pendant les mois de vacances,
assister au tournage de «L'Ecole Buissonnière».
Il se trouve que j'avais alors une équipe d'enfants un peu
habitués aux jeux dramatiques.
Et nous sommes donc partis, un soir, par le train, avons
voyagé toute la nuit et débarqué à
Nice, puis à Vence. Nous étions une douzaine, y
compris mes quatre enfants âgés de 4 à 12 ans.
Le tournage se déroulait à Saint-Jeannet et toutes
les matinées de travail, on venait nous chercher à
l'école du Pioulier, en jeep, le plus souvent, et nous
roulions très vite par les chemins étroits et
caillouteux.
Un de mes anciens élèves, maintenant
grand-père, se souvient avec émotion de ces
kilomètres parcourus aux côtés du grand acteur
disparu, Bernard Blier, alors tout jeune et juste
libéré de son camp d'Allemagne.
A chaque virage, beaucoup trop vite engagé, il
étendait le bras devant le buste du petit pour le
protéger, escamotant ainsi les secousses dangereuses... Le
petit - c'était toujours lui qui était choisi -
pense à ce geste de grand frère avec attendrissement
et, bien sûr, Bernard Blier ne s'est jamais douté
qu'il donnait, ces matins-là, une magnifique leçon
de sagesse et de générosité... avec les
noisettes qu'il tirait de ses poches.
Moi, j'étais aux côtés d'Elise, aussi, dans
notre jeep. Elle me confiait alors quelques pensées
émouvantes et des souvenirs à la fois très
chers et difficiles. Par exemple, celui qui avait motivé la
création de la jolie «Enfantines»: «Six
petits enfants allaient chercher des figues».
«Tu te souviens, me disait-elle, qu'à la fin de la
promenade, un de ces tout-petits se plaint d'un grand mal au
ventre parce qu'il avait mangé trop de figues chaudes. Eh!
bien, ce mal au coeur, c'était le mien. Voilà: le
matin, il était arrivé de Paris, un camarade
aquafortiste comme moi. Il me dit:
«Tu dois venir et me suivre à Paris. Notre meilleur
graveur est parti. Nous ne voyons que toi pour le
remplacer.»
Elise ajouta:
«Tu sais, Cécile, ce n'était pas ce petit
garçon trop gourmand qui était malade...
C'était moi... car j'avais répondu en tremblant au
camarade:
«Retourne à Paris ; moi, je reste avec
Freinet.»
Et j'avais rassemblé cinq ou six petits et j'étais
partie avec eux dans la campagne de Vence, comme on se
sauve.»
Un autre épisode a marqué pour moi la
personnalité de Freinet: j'avais amené d'Augmontel,
Cosette, une fillette de douze ans, remarquable en jeu dramatique.
On lui a donné aussitôt un petit rôle ; et on
la voit effectivement dans le film.
Chaque soir, quand l'équipe se disloquait - les enfants
(Freinet en avait amené de Marseille) et les dirigeants -
le jeune assistant du metteur en scène s'approchait de
Cosette et lui baisait le bout des doigts. Jugez de la
stupéfaction et presque de la honte de cette petite
paysanne plus habituée à soigner les cochons et les
vaches qu'à analyser la pratique du baise-main.
Le dernier soir, après les adieux aux acteurs, cet
assistant s'approcha de Cosette et lui proposa de l'amener
à Paris pour faire du théâtre.
Cosette a pâli sous cette offre et elle a reculé,
horrifiée à cette perspective et, s'approchant de
moi, elle me cria:
«Non, non, Madame! (Les enfants m'appelaient Madame comme on
dit maman ), non, Madame, ne me laissez pas partir...»
Et elle pleurait d'envisager ce départ insensé.
Le metteur en scène, désappointé, voulut sans
doute s'expliquer:
«Mais enfin, pourquoi? Pourquoi refuser de monter à
Paris où tout est si beau et si facile?»
Et Cosette, se serrant contre moi, bouleversée:
«Non, non, Madame, ne me laissez pas partir.
- Bien sûr que non, n'aie pas peur, je n'en ai pas le droit,
je ne suis pas ta maman. Je n'en ai pas la permission.»
Freinet était de plus en plus réjoui par cette
scène ; et il se tourna vers Cosette pour lui dire:
«Mais pourquoi tu ne veux pas aller à Paris?»
Alors Cosette, le regard noyé de larmes,
s'écria:
«Non, non, je ne veux pas partir parce que je me languirais
trop de mes vaches!»
C'est alors que Freinet éclata franchement de rire et,
radieux, s'écria:
«Tu vois, vous, les gens du cinéma, vous vous croyez
le nombril du monde et cette petite vous préfère ses
vaches. Ah! elle est bien bonne celle-là! Très bien,
Cosette, je te félicite, retourne à Augmontel, va
à l'école et, après, tu verras.»
En définitive, quel enseignement tirer de ces deux
anecdotes qui paraissent si anodines, surtout la
deuxième.
Pour ma part, la première me confirme ce que je pressentais
depuis toujours: Elise et Freinet formaient un couple très
uni, malgré les dissemblances apparentes. C'était un
couple d'amoureux, et qui le resta jusqu'à la fin. Celui
des deux qui était visé par le sort contraire
acceptait dignement en serrant les dents et c'est ce qui explique
le nombre et la puissance de leurs «inventions»
bouleversant l'enseignement primaire des enfants du peuple et la
réussite de leur Mouvement, malgré l'absence
d'argent, l'absence de tout soutien venu «d'en
haut».
Quant à la deuxième, elle me confirme que Freinet
était avant tout un homme ennemi des apparences, des
faux-semblants, des modes.
Il était droit, courageux dans ses opinions, très
bon, - bien sûr, les exemples ne manquent pas -, grand ami
des enfants, des pauvres, des mal-aimés ; il était
surtout un «croyant» de la terre, des saisons, des
arbres, des animaux, des sources, de la montagne... en un mot, il
était celui qui écrira: «Les Dits de
Mathieu».
Cécile Cauquil et sa fille Françoise.
C'est sur les marches de l'édifice où venait de se
prendre la photo de groupe que nous nous présentâmes
à lui. Freinet était la gentillesse, la
simplicité même. Je fus frappé par
l'intelligence de son grand front et par l'air de bonté de
son visage. Il était l'anti-hiérarchie, mais la
force qui émanait de sa personne en faisait, malgré
lui, un leader naturel.
Dans les plénières, Freinet, col de chemise
largement ouvert - alors que tous les instituteurs portaient la
cravate - parlait si simplement, si éloquemment et avec un
tel accent de conviction qu'on ne se lassait jamais de l'entendre
et de l'applaudir longuement, très longuement, tant nous
étions heureux des perspectives infinies qu'il nous
révélait.
J. L. B.
J'aimais la spontanéité de Freinet. Et
réciproquement, peut-être! Je retiendrai la
capacité de Freinet à partager les joies et les
soucis de chacun. Il connaissait le travail fait en classe, mais
aussi les autres activités des camarades.
Lors de la soirée inaugurale du Congrès
d'Aix-en-Provence, je le revois, assis sur la scène,
marchant, donnant les dernières nouvelles tout en saluant
les arrivants. Me lançant, avec sa bonhomie
coutumière et un large sourire:
«Alors, Gente, ça marche toujours ce basket?»
Je revois beaucoup de moments chaleureux, vécus à
Vence notamment où Prévert et Verdet venaient
parfois nous rejoindre.
A. G.
Après 28 h de voyage, je me suis retrouvée à
Paris que j'avais quitté en 1947. J'étais si
heureuse de me retrouver en France, après 11 ans, que
j'avais envie de chanter. L'autobus m'a emmenée à
l'INRP, rue d'Ulm, où était le centre du
congrès. A la conciergerie, j'attendais Freinet à
qui l'on avait téléphoné pour l'avertir de
mon arrivée. Bientôt, il était en face de moi.
Un homme de taille moyenne, bien bâti, visage
hâlé, les cheveux bruns commençant à
blanchir, une bouche généreuse sous une courte
moustache. Les yeux bruns très gais aux sourcils touffus
m'ont regardée amicalement avec un brin de
curiosité.
Il a pris mes mains entre les siennes, chaudes, fortes,
rassurantes, et avec un accent provençal, il m'a dit:
«Alors, vous voilà, Madame ma
correspondante!»
Il m'a demandé si j'étais fatiguée et, dans
ce cas, je pourrais me rendre à l'hôtel où une
chambre m'était réservée, car il devait
rester jusqu'à la fin du travail, à l'exposition de
l'Art Enfantin. J'ai répondu spontanément que je
préférais aider les copains. Je pense que ma
réponse lui a fait plaisir, car il m'a pris dans ses bras
comme quelqu'un de très proche et, depuis ce
moment-là, il n'y a plus eu de Madame Semenowicz mais, tout
simplement, Halina.
A Cannes, en fin juillet 62, Freinet m'a reçue cordialement
comme un membre de la famille. C'était midi. Après
le déjeuner, il avait un peu de travail au bureau et je me
reposais au jardin. Vers quatre heures, Freinet m'a
installée dans sa voiture et nous sommes partis vers Vence.
Pendant les deux semaines suivantes, je faisais avec Freinet ce
trajet, matin et soir, tous les jours, sauf le dimanche, et je ne
cessais pas d'admirer sa façon de conduire avec jeune
bravoure et mûre expérience. Ces voyages
étaient pour moi une inappréciable occasion de
discuter avec Freinet sur de multiples problèmes:
éducatifs, politiques, historiques, familiaux. Il suivait
assidument les changements qui s'accomplissaient dans tous les
domaines, et surtout en éducation. Il était au
courant de toutes les découvertes techniques,
audio-visuelles etc... et s'en servait largement pour sa
préparation des outils scolaires. (...)
A ce moment, il y avait une colonie d'enfants de 7 à 12 ans
et, pendant les repas que nous prenions avec eux, le matin et le
soir, je pouvais observer les relations de Freinet avec les
gosses. Ils l'appelaient Papa Freinet. Comme il savait
écouter les histoires, les plans et les voeux de ce petit
monde!
C'était d'ailleurs un trait caractéristique de sa
personnalité: il écoutait avec la même
attention et respect les paroles des jeunes enseignants, des
pédagogues expérimentés ou illustres, des
ouvriers, des paysans ou des enfants. Il n'essayait jamais
d'imposer ses opinions, mais plutôt d'éveiller la
réflexion chez ses interlocuteurs.
(...) Freinet se reposait d'une façon extraordinaire, il
s'endormait debout, le dos appuyé au tronc d'un arbre et,
après dix minutes, s'éveillait gai et prêt
à reprendre le travail.
Pour complèter le portrait de Freinet, il faut ajouter
qu'il était très laborieux. Se levant très
tôt le matin, il écrivait ses livres et ses
articles.
En élaborant la bibliographie «Célestin et
Elise Freinet -1920 - 1978» éditée par l'INRP
en 1986, j'ai trouvé les titres de 12 livres, 138 brochures
B.E.N.P, B.E.M. et 1540 articles.
(...) Ce qui me frappait le plus chez Freinet, c'est son ardeur
agissant comme un flambeau qui embrasait tous ceux qui
l'approchaient.
Et c'est comme ça qu'il restera toujours présent
dans ma vie.
H. S.
A la télé, les films sur l'instit' se
réclament de notre pédagogie et les
prétentieuses réformes de l'E.N. n'arrivent pas
à naître clairement, s'embrouillent parce qu'elles ne
sont pas naturelles.
Ah! le sourire de Freinet! S'il était là avec ses
jugements simples, clairs et tellement naturels,
réalistes.
Ja. Majurel.
Ceux qui l'ont connu gardent précieusement la
mémoire de l'homme qu'il était. Comment
oublieraient-ils tout ce dont ils sont redevables à sa
pensée, et aussi à son amitié? Ceux qu'il a
comme moi-même à plusieurs reprises accueillis tant
à Vence que lors des congrès annuels, conserveront
et transmettront le souvenir de cet homme dont la parole
était aussi belle par son intonation et son rythme que par
son style, dont la réflexion était aussi
étonnante par sa clarté que par sa
perspicacité, dont le regard était aussi remarquable
par sa bonté que par sa vivacité et dont la personne
était aussi respectable par sa chaleureuse
simplicité que par son prestige et son courage.
Guy Avanzini.
Comme tout être de forte conviction, il attirait. Dans la
vie, on flotte souvent sans bien savoir où se poser. Et
quand on rencontre quelqu'un qui semble vraiment savoir où
il veut aller, on lui emboîte volontiers le pas. Ce pourrait
être dangereux. Et cela l'a souvent été dans
l'histoire. Mais, en la circonstance, nous étions
tranquilles. Si nous avons participé à son combat,
c'est parce que c'était aussi le nôtre. Et lorsque
nous jetons maintenant un regard en arrière, nous n'avons
rien à regretter de ce qui s'est passé. D'autant
plus qu'il avait su se démarquer à temps des
dogmatismes.
C'était un «camarade» un peu plus
âgé, qui avait connu de grandes difficultés
dans la vie et avait donc une grande expérience. Mais
c'était un compagnon toujours accessible qui tendait
à nous faire croire que nous étions à son
niveau. Il disait même - et ce n'était pas par
coquetterie - qu'il n'était qu'un instituteur moyen et
qu'il voulait participer à l'élaboration de
matériel et de techniques pour des instituteurs moyens.
«J'ai toujours dit qu'il existe dans l'enseignement une
infime minorité d'éducateurs de race qui
réussissent mieux que nous avec nos techniques, et cela
avec une adaptation des anciennes méthodes ou tout
simplement sans méthode.
Ce n'est pas pour eux que nous parlons ou écrivons, mais
pour la masse des 99,5 % des instituteurs qui n'ont ni les
possibilités, ni les dons de ces éducateurs
d'élite. Pour cette masse, dont nous sommes, il nous
fallait trouver des principes, des outils et des techniques qui
leur permettent d'obtenir avec plus d'intérêt, et
donc avec moins de peine, un rendement plus efficace.»
(Lettre du 5 /11 /61.)
Mais Freinet n'était pas seul. Sans Elise, le Mouvement de
l'Ecole Moderne se serait-il développé aussi
harmonieusement? Elle était en relation dialogique avec
Freinet, c'est-à-dire: complémentaire,
contradictoire et opposée. Et c'est cette dialectique,
cette unité des contraires qui a permis au mouvement de se
développer.
Freinet était d'origine paysanne. Il était
essentiellement pragmatique. Il ne s'engageait jamais dans une
voie qui ne conduise à la concrétisation de l'action
et de l'efficience. Sa parole, son activité avaient
toujours pour fin un acte nécessaire et utile. Et c'est cet
engagement qui l'a rendu si grand.
Elise était fille d'enseignant. Elle appartenait à
la classe moyenne. Son horizon culturel était très
ouvert. C'était une intellectuelle et, plus encore, une
artiste.
Cette prédisposition ne l'empêchait d'ailleurs pas de
s'occuper des questions matérielles quand c'était
nécessaire.
Son champ principal d'activité était l'expression et
la créativité, cependant que Freinet
s'intéressait surtout à la communication, à
l'étude de l'environnement, à l'organisation
coopérative de la classe... Au cours des années, ils
sont restés par nature distincts l'un de l'autre. Mais ils
ont travaillé à une recherche de
vérité et d'efficacité en s'appuyant l'un sur
l'autre.
Edgar Morin dit qu'un tourbillon ne se crée et ne survit
qu'à la rencontre de deux flux de sens opposés.
Le Mouvement s'est construit au départ sur le
«tourbillon» du couple Freinet. Puis, il s'est agrandi
d'autres tourbillons sur les plans national et international.
Grâce à Elise, l'intensité, l'extension de
l'expérience, les magnifiques résultats obtenus en
art enfantin ont permis de confirmer la justesse de la
théorie de Freinet sur le tâtonnement
expérimental et sur l'apprentissage. Renforcés par
cette expérience réussie, nous avons poursuivi avec
encore plus de détermination nos recherches dans les autres
domaines.
Mais rien de ce qui précède ne s'est fait tout seul.
Pour toute autre personne qu'Elise, la difficulté serait
apparue insurmontable. Comment a-t-elle pu croire que,
malgré le vécu artistique médiocre des
enseignants de ce temps, il ait pu subsister chez certains quelque
lueur non encore éteinte? Durant notre scolarité, le
souci de l'art - et encore moins celui de l'art libre - n'existait
pas. Et c'était avec ces personnes en friche qu'il fallait
mener la bataille indispensable! On ne peut imaginer la somme des
initiatives qu'Elise a dû prendre. Son rôle
déterminant en cette affaire ne saurait souffrir aucune
contestation.
Mais sa fonction critique est plus difficile à cerner. Elle
a été le témoin constant de Freinet. Il
pouvait s'appuyer sur une critique de totale
sincérité. Après quoi, il se
déterminait en toute responsabilité.
Aussi, on ne saurait parler d'une pédagogie Elise à
côté d'une pédagogie Freinet, mais d'une
tendance Elise avec une dominante artistique.
Aujourd'hui, cette dimension que nous avons par trop
négligée, devrait reprendre davantage droit de
cité dans l'école et la société. Et
c'est le meilleur de ce que nous avons à offrir à
nos enfants et à nos adolescents dans notre époque
si déboussolée.
P. L. B.
Pendant une bonne partie des années 50, en compagnie de mon
ami Victor Pastorello (hélas! décédé),
grande figure varoise du syndicalisme et de la pédagogie
Freinet, parfois renforcé de la présence de
François Simian, j'ai assumé, chaque année,
la tâche de «commissaire aux comptes» de la C. E.
L.
Arrivés en milieu de matinée à Cannes, nous
nous rendions au Suquet où se trouvaient alors les locaux
de la C. E. L. - et la fameuse table!- et où nous
attendaient l'expert-comptable et Freinet.
Et là, comme aujourd'hui l'ordinateur débite les
données qu'on lui a fait engloutir, Freinet nous
dévoilait les secrets de la Coopérative: trop grande
abondance des stocks, déséquilibre des
résultats, ce qui rapportait (B. T., Educateur...), ce qui
coûtait (production de matériel
pédagogique...), nécessité d'emprunt, etc...
Tout était fiché dans sa tête et, en gros,
bien sûr, il connaissait les balances de chaque chapitre,
prévoyait avec justesse les rentrées et sorties
d'argent, l'évolution des ventes et de la production, bref,
se conduisait en parfait gestionnaire. Il s'agissait tout de
même d'une entreprise dont le chiffre d'affaires
débordait le milliard de francs de l'époque. A
méditer.
Lorsque nos camarades italiens pratiquant les techniques Freinet
décidèrent de tenir Congrès dans la petite
république de San Marino, nous jugeâmes, MmeJardin et
moi-même, opportun de nous y rendre. Le voyage s'accomplit
sous une pluie battante. A Savone, peu avant Gênes, sous un
véritable déluge, j'aperçois au bord d'un
trottoir,- oh! surprise!, Célestin Freinet soi-même!
Du coup, halte.
- «Que t'arrive-t-il? Que se passe-t-il?
- Nous venons d'avoir un accident de voiture, nous répond
Freinet.
- Grave?
- Pas pour les personnes. Mais la voiture nécessite un
passage chez le mécanicien et nous ne l'aurons pas avant
demain ou après demain.
- Que faire? Nous t'emmenons?
- Non. Nous retournerons, Baloule et moi, à Vence
dès que possible. Mais toi, tu vas à St Marin? Eh
bien! tu me remplaceras là-bas.»
Et voilà comment nous fûmes reçus à San
Marino avec honneurs et déférence, gratuitement
logés et très sollicités pendant tout le
séjour. Mais je dus me refendre de quelques discours
officiels. Et nos amis italiens, à l'évidence, ont
beaucoup perdu au change...
Raymond Jardin
Il n'est pas question de donner le vade-mecum du parfait disciple
de Freinet. Freinet ne fut jamais le gourou à la parole
indiscutable (...)
Au congrès qui suivit le décès de Freinet, le
président de la C.E.L. demanda la traditionnelle minute de
recueillement «après la perte d'un père que
Freinet avait été pour nous tous». Cela
m'agaça car, pour moi, Freinet n'a jamais été
un père, qu'il aurait pu être vu son âge ; il a
été l'aîné à l'écoute du
plus jeune qu'il encourageait à toujours pousser plus loin
sa réflexion, son action. Freinet, avec ses élans et
ses erreurs, dans sa pratique et ses convictions, menant une
permanente expérimentation et nous entraînant sur le
chemin où il allait en éclaireur, nous apprenait
à aiguiser notre attention, éveillant notre
lucidité, soutenant notre réflexion pour mener
à bien notre travail d'éducation, pour les enfants
de nos classes, mais aussi éducation de
nous-mêmes.
Freinet m'a aidé à être un instituteur lucide,
l'esprit toujours en éveil, praticien lucide en même
temps que citoyen lucide: citoyen, car il y eut toujours, avec
lui, le sens du collectif dans la solidarité.
Fernand Lecanu
En 1962, le premier congrès de Caen me donna l'occasion de
connaître Freinet. J'appréciai tout de suite sa
simplicité, son enthousiasme, ses relations avec les
congressistes, et je compris que l'esprit de sa pédagogie
correspondait à ce que je recherchais: ouvrir la classe sur
la vie, établir des relations adulte-enfants et non
maître-élèves. Dès lors, je m'investis
davantage dans les techniques qu'il préconisait. Ma
première vraie rencontre avec Freinet eut lieu en 1965, au
congrès de Brest. Ayant appris que j'exerçais alors
dans une classe de Transition, classes qui venaient d'être
créées, Freinet me rencontrant dans un couloir, me
prit par l'épaule et me demanda de venir parler avec lui.
Moment de surprise et aussi d'émotion: Freinet,
pédagogue connu dans le monde entier, s'adressait à
moi, jeune instituteur sans beaucoup d'expérience!
L'entretien porta sur la pédagogie de groupe que je
pratiquais, sur les difficultés que je rencontrais ; il me
donnait son avis, me conseillait, s'interrogeait sur la
pédagogie à mettre en oeuvre avec ces enfants
n'ayant pu, ou n'ayant voulu, entrer en classe de
sixième.
P. L.
Dès 1948, j'entrai en contact épistolaire avec
Freinet, que seul sa mort a interrompu. Nous discutions en toute
franchise de toutes les questions de politique, de religion, des
opinions humaines et professionnelles, des expériences.
Quoique notre première rencontre n'eut lieu qu'en 1956 au
congrès de Bordeaux, je profitais très largement des
conseils de Freinet qui avait le même âge que mon
père.
H. J.
Le chemin du Pioulier tourne et vire pas mal entre les champs en
pente, d'oeillets et de roses. Michel, mon mari, conduisait
journellement autos et gros véhicules dans les rues de
Marseille. Pourtant, jamais je ne l'ai vu aussi saisi que quand
Freinet était au volant de sa 403 - Tournants,
carrefours... quel Fangio c'était!
- «Mais, Freinet? Comme vous y allez!
- Oh! répondait Freinet, je connais tous ces coins, tu sais
alors...»
(...) Freinet avait une vue profonde et juste de ces «fonds
secrets» de chacun, si différents, mais si
prometteurs.
Qui ne l'a pas vu, l'air de rien, dire à celui qui parlait
avec faconde: «Toi, là-bas, qui parles si bien des
choses, tu peux peut-être réunir ceux qui aimeraient
bien voir ta classe, tes inventions, tes
créations....»
Mais à celui qui arrivait les bras chargés de
feuilles des enfants, et d'outils de sa fabrication et de bandes
enregistrées....
- «Toi là-bas, qui te caches derrière le
pilier, avec tes richesses, si tu nous expliquais un peu..., sous
entendu: le pourquoi et le comment...».
J'ai toujours admiré cette incitation pleine d'attention,
et souvent avec un brin d'affectueux amusement. J'ai toujours
pensé que Freinet avait dans la queue de l'oeil, la
même malice que Brassens.
Cette considération que Freinet avait de l'autre nous
touchait. Son respect de toute vie, sa disponibilité
éclairaient propos et gestes... C'était bien au
delà de la substantifique moelle de la
pédagogie.
P. Q.
J'ai pratiqué un peu la correspondance et très
timidement. En 1952-1953, j'ai parlé à Freinet de
quelques contacts avec la Chine - la reconnaissance diplomatique
date de 1964 -. Peu de temps après, une circulaire
m'apprend que je suis responsable des contacts avec la Chine. Pas
moins!!
F.F.
J'observe que les Sciences de l'Education ont très souvent
redécouvert, avec leurs outils, leurs méthodes,
leurs mots un peu savants ce que les praticiens-chercheurs de
l'E.M. et de sa mouvance mettent en oeuvre quotidiennement dans
les classes depuis des décennies. Citons au hasard:
«la dictée à l'adulte!», fondement de la
méthode naturelle de la lecture / écriture ;
«la situation-problème», base de
l'appréhension expérimentale et
tâtonnée, par l'enfant, du complexe, autrement dit,
de la vie du réel ; «l'évaluation
formatrice!» qui fait appel à l'auto-correction,
l'auto-évaluation par l'enfant de son travail et de ses
acquis. Célestin Freinet, lui, osait théoriser dans
une langue populaire. Il abusait de la métaphore pour le
plus grand plaisir du lecteur, mais parfois, bien sûr, au
détriment de la rigueur de la démonstration ; il
appuyait toutes ses théories sur des observations que
chacun pouvait faire et sur sa pratique professionnelle
d'instituteur. Pire encore, plutôt que de tirer profit de
ses découvertes théoriques et techniques, il
consacrait une grande part de son énergie et de ses moyens
financiers à en faire bénéficier les autres
qui plus est, sous forme mutualiste et coopérative... Bref,
voilà bien quelqu'un qui n'entrait pas dans les
règles du jeu de la recherche universitaire. Et comme, de
surcroît, il était porteur d'un projet social et
politique l'amenant à dénoncer vigoureusement tout
ce qui lui semblait contraire au bien de l'enfant, il n'en fallut
pas plus pour que l'effet boomerang se fasse sentir...
N'ayant plus cours la dernière semaine de juin, je
continuai à m'imprégner concrètement de
l'esprit et des techniques Freinet à l'Ecole du Pioulier
où je fus rapidement mis en situation d'intervenant,
d'ailleurs. J'eus également le plaisir de rencontrer
Célestin Freinet qui m'accorda un entretien. Si trois
décennies ont rendu incertain le souvenir de la teneur de
l'échange, je me rappelle en revanche très
facilement l'homme chaleureux dont la simplicité
contrastait avec la grande richesse intérieure. J'avais
aussi été marqué par sa fatigue et ses
difficultés respiratoires. Mais j'étais surtout
heureux de savoir que cet échange allait être suivi
de nombreux autres, dès l'automne. C'est en tout cas sur
cette perspective que nous nous étions quittés.
Hélas, la Camarde en décidera tout autrement, le 8
octobre.
Jacques Jourdanet
Le 8 avril, mon fils est mort. Et là je voudrais insister
sur le côté humain inégalé de Freinet
et d'Elise. La pédagogie c'est une chose. Mais, dans
chacune de leurs lettres, ils trouvaient, le temps d'un paragraphe
très affectueux, le moyen de dire bonjour à ma
nièce, à M. Champagne, le maire, de parler du chat
de la maison, d'évoquer la personnalité de mon
frère... Et, bien sûr, à l'occasion de nos
deuils ou de nos ennuis, nous avons eu des lettres personnelles de
Freinet et d'Elise qui montraient un coeur formidable. C'est sans
doute ce qui m'a enchanté le plus chez Freinet et Elise, et
ce qui peut-être a marqué le plus les gens, cette
part d'affectif qui faisait de nous un mouvement très
particulier. C'est toute une époque. Pour moi cette
affectivité a joué un rôle
considérable. Ce qui n'a plus été le cas dans
les générations suivantes.
R. H.
Freinet aurait pu n'écrire que des livres, en autodidacte
de génie qu'il était, exposant dans un style
d'ailleurs excellent, où l'anecdote si proche parfois de la
parabole éclaire la pensée, ses observations,
déductions, généralisations. Il serait un des
nombreux théoriciens, et non des moindres, dont nous ne
savons pas faire fructifier l'héritage. Il a
préféré être maître-d'oeuvre,
chef d'études et chef d'atelier d'un vaste chantier de
pédagogie.
Il parlait, loin devant nous, en visionnaire, puis revenait vers
les infirmes que nous sommes, nous tendait une main secourable,
nous invitant à le rejoindre, et suscitant la
création, l'utilisation, l'amélioration, la
modification constante des outils de travail, leur adaptation
jamais achevée à un monde en perpétuelle
mutation.
Et des tâtonnements, des essais
répétés, des discussions, échanges, de
toute cette vie coopérative bouillonnante, naissaient
chaque jour des progrès.
Freinet nous a donné, en le motivant, le goût du
travail coopératif et de la vraie culture.
Il a tissé un réseau d'amitié dans le travail
(aller ensemble vers un but commun) entre des milliers d'enfants
et éducateurs du monde entier.
Peu d'hommes ont été, plus que Freinet,
fidèles à leur idéal. Il nous laisse un
héritage prestigieux. Pour terminer, je citerai Mr Vial:
«Freinet est mort. Il est des morts qui vivent, -
Intensément -».
(...) Nous nous garderons bien d'oublier, dans cette
évocation d'un grand disparu, Elise, sa compagne
courageuse, qui a accepté les tâches les plus
humbles, les besognes les plus pénibles, les plus
rebutantes, à l'Ecole Freinet et à la CEL pour que
vive et prospère la grande oeuvre entreprise, Elise,
l'artiste au coeur pur et exigeant, qui nous a initiés au
merveilleux de l'Art enfantin.
Une exposition artistique «Ecole moderne, Pédagogie
Freinet» est un phénomène unique dans
l'école populaire française et même mondiale ;
un sujet d'étonnement, d'incrédulité, un
éblouissement. C'est un chant d'espoir, d'amour, de
confiance en la vie et en l'homme que les servitudes d'une
société marâtre et trop contraignante n'ont
pas encore abêti.
Marie Cassy.
Je me suis souvent exprimé sur Freinet et je serais
incapable de résumer tout ce qu'il m'a apporté. Si
je ne devais retenir qu'un seul point, ce serait son appui
systématique sur le positif. Non pas un optimisme de
façade qui aurait mal cadré avec son bon sens
paysan, ni une autosuggestion volontariste répétant
que tout va bien, même quand on sent que tout va mal. Il
s'agissait pour lui de retrouver le seul socle solide sur lequel
on pourrait construire.
Je me souviens qu'à son école de Vence, tout jeune
enseignant sans expérience(dans aucune forme de
pédagogie, je devais faire face à des cas
particulièrement difficiles d'enfants dont le parcours
éducatif était déjà marqué
profondément par l'échec, la détresse ou le
rejet. Un optimisme de principe n'aurait pas tenu plusieurs jours
devant certaines réactions d'apathie ou
d'agressivité qui avaient de quoi désespérer
les meilleures volontés. Freinet ne nous servait jamais le
couplet de «l'amour des enfants», car il savait que
ça ne se décrète pas et que d'ailleurs
certains enfants sont tellement démolis qu'ils seraient
tentés de mordre ou de griffer la première main qui
se tend vers eux. Il essayait de nous faire comprendre que, dans
toute situation, on ne peut construire que sur le positif.
Il ne cherchait pas à nier ou à ignorer les aspects
négatifs, parfois aveuglants d'évidence, mais il
nous disait: «Ce qui est négatif, tu ne peux rien en
tirer, tout au plus éviter de l'aggraver. La seule chose
que tu puisses faire, c'est de rechercher quelques points
positifs, si ténus soient-ils, t'appuyer là-dessus
et travailler à les développer sans te
préoccuper d'autre chose, sans comparer à ce que tu
aurais souhaité obtenir. Et tu verras que, sur cette base,
tu pourras construire quelque chose qui s'amplifiera et
réduira progressivement la part du négatif. Tu seras
parfois surpris de résultats inattendus, mais de toute
façon tu n'as pas d'autre solution, alors n'attends pas,
laisse de côté tout a- priori, recherche ce qui reste
positif et construis dessus.»
Il faut reconnaître que, même devant des cas
très difficiles, cette démarche nous permettait
d'abord de ne pas désespérer nous-mêmes, de
découvrir des zones positives que nous n'avions pas
soupçonnées et de nous rendre compte
qu'effectivement, en construisant sur elles, nous parvenions
à des modifications de comportement, tant
caractériel qu'intellectuel et scolaire, au-delà
parfois de ce que nous aurions osé espérer. Certes,
il serait ridicule de laisser croire à des miracles, mais
tout simplement des jeunes se surprenaient à reprendre
courage et confiance en eux-mêmes. C'est cette
démarche vécue auprès de Freinet qui m'a
orienté vers les cas les plus difficiles dans ma
carrière d'instituteur spécialisé.
Je m'aperçus ensuite que cet appui sur le positif, si
faible paraisse-t-il par rapport au négatif qui le submerge
parfois, était pour Freinet bien plus qu'une attitude
éducative, mais une véritable technique de vie qui
lui avait permis de surmonter des épreuves dont on a peine
à mesurer l'ampleur: sa blessure de guerre dont seuls les
intimes savaient la profondeur, les autres l'oubliant devant le
dynamisme du «mutilé», l'affaire de Saint-Paul
où la violence avait atteint un degré incroyable, un
internement de 1940 dans l'arbitraire total, les attaques les plus
injustes de son parti dans les années 50. Chaque fois,
alors que tant d'injustice semblait s'acharner contre sa personne,
au lieu de se laisser engloutir ou de s'enliser à lutter
sur le terrain du négatif, il avait su retrouver les points
positifs sur lesquels il allait reconstruire, en repartant parfois
de presque rien.
On pourrait faire l'apologie de son courage. Je crois plus juste
de parler de la démarche réaliste qu'il semble avoir
acquise dans l'enfance. Alors que d'autres auraient
désespéré pour beaucoup moins, il a
trouvé chaque fois la force de repartir, non pas comme
auparavant, mais mieux et plus loin. Si je ne devais retenir
qu'une seule leçon de lui, je pense que ce serait
celle-là, car elle ne concerne pas seulement notre classe
mais toute notre vie.
Michel Barré.
Ce qui me sensibilisait particulièrement, c'était
l'engagement social de Freinet, indissociable de son engagement
pédagogique. J'avais été très
émue d'apprendre qu'il avait accueilli dans son
école de Vence des petits réfugiés de la
guerre d'Espagne. En effet, ayant dans mon enfance
accompagné ma mère, militante syndicale, à
des meetings pour le soutien à la République
espagnole, ce drame m'avait beaucoup marquée et il
était important pour moi que le couple Freinet ait
payé de sa personne pour sauver des enfants. Lors de mes
séjours ultérieurs à Vence, des conversations
avec les voisins d'origine espagnole me confirmèrent la
réalité profonde de cet engagement.
Freinet cherchait des volontaires pour encadrer la colonie de
vacances de Vence pour l'été 53. Cela me tentait et
Michel m'encouragea à poser ma candidature mais, comme
j'étais totalement inconnue, - je n'avais été
que l'une des nombreux congressistes de Rouen -, je lui avais
demandé d'écrire à Freinet. Ce qui me surprit
fut, en réponse, la responsabilité que ce dernier me
confia aussitôt. Des petits Parisiens devaient faire le
voyage de nuit et il me demanda de me charger de les prendre
auprès de leur famille et de les accompagner jusqu'à
Vence. Dès mon arrivée à l'école
Freinet, j'étais considérée par lui comme si
j'en faisais partie depuis toujours, au même titre que des
camarades plus chevronnés. On n'avait pas à faire
ses preuves avant d'être intégré, on
était immédiatement dans le bain au sein d'une
équipe.
Jamais je n'avais ressenti à ce point la confiance faite
d'emblée, une confiance qui provoquait aussi une
responsabilité que l'on n'aurait pas voulu trahir. Je crois
que cette confiance a priori qu'il témoignait aux enfants
comme aux adultes explique qu'un si grand nombre ait donné
sans compter le maximum de soi-même pour s'en montrer
digne.
Micheline Barré.
-
L'université Freinet
- Stages, congrès, réunions
départementales, commissions, chantiers divers FIMEM et
RIDEF constituent un véritable creuset où
s'élabore, bénévolement, un
considérable travail coopératif de recherche et
d'innovation pédagogique, et ce, par delà les
frontières.
Dans mon département des Deux-Sèvres, un groupe
départemental s'organise et va faire un travail
considérable, parfois rappelé à l'ordre par
Freinet qui n'aimait pas nous voir participer à d'autres
groupes. Je me rappelle des noms: Georges Doré, le
catalyseur, toujours calme, Emmanuel Mormiche, le
trésorier, Jacques Métivier, homme des certitudes,
Edmond Birocheau, etc... 50 camarades qui voulaient changer le
monde, vingt à trente ans d'un militantisme actif,
dévorant... Une réunion départementale par
mois, une régionale par trimestre, parfois loin, un
congrès par an, si possible... où on rallumait la
flamme, travail dans les commissions, dans les E.N., stages
annuels, «démonstration» dans nos classes ou dans
nos stages. Enfin le couronnement avec notre congrès
à Niort 1963, alors que Mormiche et Doré
étaient à la veille de la retraite. Personnellement,
j'avais amené ma classe en car pour travailler devant les
participants.
Ma «spécialité» les sciences où mes
élèves sont allés aussi loin que possible et
m'ont donné de grandes satisfactions, suffisamment pour me
faire oublier que je n'ai pas réussi à faire ce que
je voulais partout.
J. G.
Les rencontres audiovisuelles nous ont inculqué l'envie de
communiquer par tous les moyens possibles, l'envie de soigner la
présentation technique «la qualité radio»,
l'envie d'exprimer son point de vue et de faire des progrès
pour s'exprimer oralement de façon claire et dans toute la
vie même extra-scolaire, l'importance de la motivation pour
obtenir du meilleur travail, de l'affectivité dans
l'acquisition des notions, l'importance d'une imprégnation
lente, de l'intuition et aussi de n'avoir pas trop peur de se
lancer même si on commet des erreurs.
M. M.
Je remercie Freinet d'avoir créé la FIMEM faisant fi
des frontières et des nationalismes. Elle m'a permis de
rencontrer des éducateurs de tous les pays du Monde
sensibilisés aux idées de Freinet. Par la
correspondance internationale elle a permis aux enfants de
découvrir d'autres enfants de cultures différentes
et contribué à faire tomber bien des idées
fausses.
Henriette Moneyron.
A Vence, à partir de 53, je suis allé
régulièrement, moitié à Cannes,
moitié à Vence. Je me souviens de ces discussions le
soir sur la terrasse. C'était très riche. Le matin
les commissions et le C.A. Bernardin qui avait 10 B.T. en chantier
et des S.B.T. L'équipe Hélène Gente, Hortense
Robic, Madeleine Porquet... Chaque année, au congrès
ou à Vence, il y avait des personnalités qui
perçaient. En 51-52, les marionnettes, Brossard à
Nice. Les maquettes, Bernardin, la céramique sous
l'impulsion de Bertrand. Guérin, le magnéto, la
radio. C'est entre 45 et 60 que chacun a apporté son dada.
La Pédagogie Freinet a permis à chacun de faire bien
sa classe à partir de son dada. Et il la faisait bien parce
que c'était à partir de son dada. En 60, ça
partait dans tous les sens. C'était d'une très
grande richesse. Freinet portait les individualités au
pinacle, il en sortait tout ce qu'on pouvait en sortir par
enthousiasme et par pressurage intellectuel et physique.
Ce qu'il y avait de bien aussi à Vence, c'étaient
les nombreux visiteurs: on a vu Picasso, on a vu Prévert,
André Verdet, Matisse, Lurçat. Freinet faisait venir
Dottrens.
G. Delobbe - Mais aussi quel gaspillage de force et de talent dans
le Mouvement!
R.H.- Oui, mais dans un Mouvement qui ne recherche pas quelque
chose de nouveau, il n'y a pas d'usure! Dans un syndicat on peut
se permettre de ronronner... Mais là il fallait chaque
année trouver du nouveau pour faire avancer le Mouvement.
C'était un vrai Mouvement...tu y laisses forcément
des plumes.
R. H.
Je savais que je pourrais parler de mes tâtonnements, mes
réussites, mes échecs dans les réunions du
groupe départemental.
Pendant toute ma carrière, j'ai vécu pleinement et
avec un enthousiasme partagé avec ceux qui se retrouvaient
ainsi, quelquefois loin de la maison, ces jeudis où l'on
discutait, échangeait, où l'on s'enrichissait
mutuellement, où l'on sentait grandir cette amitié
née dans le travail, dans l'adhésion aux
idées de Freinet et d'Elise, dans le sentiment commun que
l'enfant est un être humain à part entière
avec toutes ses potentialités dont il enrichit les autres y
compris le maître.
Chaque printemps, nous prenions le chemin des congrès, tout
heureux de nous revoir avec les autres. Je n'avais pas le
sentiment de sacrifier mes vacances, ni d'être
«dangereuse» comme ont dit un jour des collègues
parce que nous utilisions nos vacances pour faire de la
pédagogie.
C'était un besoin et une satisfaction de nous retrouver
dans ces réunions de commissions où l'on
n'était pas toujours d'accord, sauf sur les grands
principes Freinet qui nous unissaient et sur le fait que nous
étions au service des enfants.
Je n'oublie pas les stages départementaux ou
régionaux dont j'ai toujours tiré
bénéfice pour mon travail et où j'ai toujours
essayé aussi d'apporter ma pierre, les nouvelles techniques
que j'ai introduites dans ma classe.
M. T.
En dehors de mes familles politique et sportive, et plus
intensément encore, j'ai appartenu à une
communauté fraternelle de praticiens-chercheurs
motivés par le désir de découvrir sans cesse
des solutions favorables aux enfants, en échafaudant des
théories immédiatement utilisables. En attendant,
évidemment, la prochaine remise en cause. Nous n'avions pas
passé les diplômes requis pour avoir le titre de
chercheurs, mais nous étions heureux d'appartenir à
l'Université Freinet, celle des praticiens qui
étaient obligés, pour être efficaces, de se
placer sous le paradigme de la complexité. Comme avait fait
Freinet dès le début. Ce qui n'était pas
encore le cas des chercheurs patentés qui devaient, avant
toute chose, déterminer soigneusement leur territoire de
recherche. Pour saisir la globalité dans son ensemble, nous
aurions été bien démunis si nous n'avions
constitué une communauté de recherche nombreuse et
homogène.
Nous avions de nombreuses occasions de nous rencontrer:
Congrès annuels où nous faisions le point du travail
de l'année, stages régionaux très
fréquentés, rencontres départementales
mensuelles, sans oublier les journées de Vence qui se
déroulaient chaque année. Tout cela à nos
frais bien entendu. Et, entre temps, des bulletins de commissions
et de nombreux cahiers de roulement circulaient sur les
thèmes les plus divers. C'était véritablement
une ruche en activité. Dans un esprit tout à fait
particulier: sentiment d'égalité, point de frime,
point de drague. Nous étions dans un monde
d'équilibre et de santé.
P. L. B.
L'Ecole de Vence était notre pôle.
Avant chaque rentrée, une cinquantaine d'enseignants
répondant à l'invitation de Freinet s'y retrouvaient
pour les journées d'études.
Nous installions notre tente sur une des plates-formes en terrasse
qui s'étageaient sous les bâtiments. Plus tard, ce
fut sur un terrain acheté par la C.E.L. et
aménagé en camping, au bas de la colline.
Ces journées avaient un charme différent de celui
des congrès. Le cercle était plus restreint, on s'y
trouvait en contact direct et répété avec
Freinet et nos amis. Les échanges y gagnaient en
densité. La magie de la Provence opérait sur nous,
gens du Nord, par les odeurs des pins, du thym, les chants des
cigales, des courtilières, par le soleil et la douceur
parfumée de la nuit, à la veillée, au
théâtre de plein air aménagé tout en
haut de la colline et peuplé, par les enfants de l'Ecole,
de hautes et originales statues blanches.
Pendant que l'équipe de cuisine préparait les repas
végétariens, d'autres groupes travaillaient aux
fichiers, aux livrets de lecture, aux boîtes enseignantes.
Freinet, débordant d'iniative, avait toujours quelques
aménagements ou quelques nouveautés à
proposer.
En fin d'après-midi, des groupes partaient en visite
à la C.E.L. à Cannes la Bocca, à la fondation
Maeght à St Paul de Vence ou au Musée d'Art Enfantin
de Coursegoules plein d'éblouissants chefs-d'oeuvres... Nos
enfants barbotaient dans la vieille piscine de l'Ecole.
C'était une vie hors du temps, une vie de bonheur faite de
travail et d'amitié sans ombre aucune, excepté au
moment de la douloureuse affaire Pons.
Que ne peut-on ressusciter de pareils moments pour les rendre plus
crédibles et pour en partager encore l'harmonie. Un
ressourcement incomparable avant le nouveau départ de la
rentrée. Départ qui, bien que se faisant toujours
dans l'élan d'un passionnant et permanent
réajustement de nos pratiques, n'en était pas moins,
pour beaucoup, le retour aux inévitables mesquineries du
monde ordinaire et aux dépenses d'énergie qui, bien
que librement et joyeusement consenties, nous amenaient, à
chaque fin de trimestre, au bord de l'épuisement
physique.
J. L. B.
Au congrès de Paris en 1958.
En montant à l'étage, j'ai vu des caisses, cartons,
des tas de dessins dans le hall et l'escalier. Dans une spacieuse
salle, un grand nombre d'enseignants jeunes et plus
âgés travaillaient au montage d'une exposition de
l'art enfantin en chantant, discutant, riant. Ça grouillait
dans un climat de joie et ferveur. Freinet m'a
présenté le responsable du groupe parisien,
organisateur de ce congrès, Raymond Fontvieille, qui
m'avait donné le plan du premier jour et m'a promis un
entretien plus long le lendemain. J'ai retrouvé Paulette
Quarante qui m'a embauchée dans son équipe en
m'expliquant ce que je pouvais faire. Freinet se promenait parmi
tout ce monde pour discuter un moment avec quelqu'un, plaisanter,
donner un conseil. Nous avons travaillé jusqu'à
l'aube avec une courte interruption pour casser la croûte et
vers trois heures du matin la grande exposition était
prête, les emballages portés dans un débarras,
la salle, l'escalier, le hall, balayés et tous ces espaces,
se sont transformés pendant une seule nuit en un monde
féérique de mille formes et couleurs
imaginées par les enfants.
Maintenant on pouvait se reposer. L'ouverture du congrès
était fixée à 10 heures.
Pendant les quatre jours de congrès, Freinet trouvait
encore plusieurs fois quelques instants pour répondre
à mes questions et discuter mes plans de popularisation de
sa conception pédagogique en Pologne.
Cette première rencontre directe avec le Mouvement de
l'Ecole Moderne et son créateur, m'avait permis de mieux
comprendre l'esprit profond de la conception pédagogique de
Freinet que la lecture de ses livres. Voilà que, plus de
mille enseignants de tout âge, qui la veille ont fini le
travail dans leur classe, arrivent par toutes les routes de
France, parfois avec leurs enfants et toujours avec des bagages
encombrants, des matériaux pour l'exposition, travaillant
joyeusement toute la nuit, apportant ce qu'il y a de mieux
à l'oeuvre commune.
Plus tard, en prenant part aux nombreux congrès de l'Ecole
Moderne Française, je retrouvais chaque fois le même,
joyeux, laborieux, et libre climat qui m'avait frappée
à Paris.
H. S.
Dans un stage qui avait été organisé à
Aoste avec la participation de notre ami Raoul Faure de Grenoble,
j'ai eu mes premiers contacts avec la Pédagogie Freinet:
textes libres, correspondance, cassettes, colis, journaux
scolaires, rencontres, c'est-à-dire des outils. Mais les
outils ne sont pas tout. C'est le contexte, l'ambiance, le respect
réciproque, la richesse intérieure de chacun, la
motivation qui vont permettre de travailler selon la pensée
de Freinet.
A la fin du stage, j'ai demandé à Raoul Faure,
l'adresse d'une école française pour correspondre
avec ma classe. «Je te donnerai l'adresse de l'école
Sanquer de Brest, ça marchera, j'en suis sûr.»
Et ça a marché merveilleusement: 5 années
d'échanges très intenses terminés «en
boule de neige» comme avait dit Emile Thomas, lorsque les
petits Brestois sont venus à Champdepraz et ensuite les
volontaires ont eu la joie de passer dix jours à Brest.
Quel enrichissement pour tout le monde!
J'ai raconté un épisode, mais ce qui a
été le plus important pour moi c'est d'avoir connu
le monde de la coopération, le travail de groupe, qui m'a
aidé dans mes rapports avec les autres dans beaucoup de
situations, dans l'Ecole et hors de l'Ecole, merci.
M. L.
«La Pédagogie Freinet est par essence
internationale.»
Quand nous lisions, lors de la découverte de la
Pédagogie Freinet en 1976, ce dixième article de la
«Charte de l'Ecole Moderne» nous étions
étonnés, frappés, en même temps
attirés parce que nous-mêmes internationalistes
convaincus. Mais de l'autre côté nous ne croyions pas
cette petite expression «par essence» qui dit que sans
être internationale, la Pédagogie Freinet ne peut pas
exister.
Après avoir goûté un peu de cet
internationalisme au congrès de Caen en 1979, d'où
je rentrais avec beaucoup de souvenirs exceptionnels mais au fond
perturbé par tout ce que j'avais vu et
écouté, je participais pour la première fois
à une RIDEF à Louvain, Belgique, en 1984. Dans notre
premier journal du mouvement suisse de l'Ecole moderne
«Bindestrich / Trait d'union» N°1, janvier 1985),
je publiai le texte suivant:
«La RIDEF, ma première, était si
impressionnante, que j'aimerais la raconter. Je dois me
restreindre: dix jours de travail, de discussion, de rencontres,
cette multitude ne peut pas être communiquée ici. En
outre, il y avait 130 participants d'une vingtaine de pays...
Une discussion se met en marche. Quelle est notre contribution
à une éducation à la paix? On parle de
l'agression. De la considération de l'imaginaire chez
l'enfant, du travail dans ce domaine. Paul lance dans le rond:
«Qui peut tuer son père dans la fantaisie ne doit pas
le tuer en réalité.» A l'entrée, il y a
des camarades du Japon qui viennent d'arriver. Un d'eux prend la
parole pour parler comment on a traité l'expérience
d'Hiroshima et Nagasaki. Debout, j'écoute avec tension et
intérêt, pas du tout dérangé par les
traductions dans plusieurs sens. Personne ne quitte la perspective
pédagogique, personne ne parle de politique au sens strict
du mot, mais la discussion est si politique, si engagée, si
sérieuse. Diana qui dirige la discussion, se
préoccupe de l'horaire, la prochaine présentation
devrait bientôt commencer. La discussion pourrait continuer
longtemps, nous dépassons seulement peu l'horaire
prévu.
On annonce le professeur Pettersmann, Erasme et la
Pédagogie Freinet. Tension-détente! Pettersmann,
c'est Germain de la Bretagne. Il nous surprend avec un sketch,
plein d'esprit, simple, magnifique. L'atmosphère
sérieuse s'est dissoute d'un seul coup. Tout le monde
éclate de rire, soulagé. Battement de mains,
musique, danse, une fête. Elle va durer jusqu'à
l'aube. Les nuits belges sont plus courtes que les nuits
helvétiques.
Au journal mural, j'écris: «J'ai jamais vécu
une telle discussion dans ma vie, dans mes 32 ans et demi, si
concrète, si utopique, si internationale. 32 ans, c'est
plus de quatre fois le temps qui sépare ma date de
naissance de la fin de la guerre, que mes parents appellent
«de Chriëg». La soirée est pleine de
dialectique. Enfants dans la guerre dite conventionnelle, enfants
dans la guerre atomique, enfants dans notre paix guerrière,
tous sont présents dans la même discussion et
apportent ainsi une nouvelle dynamique dans le traitement du
problème de la paix. L'unité des trois P,
Pédagogique, Personnel, Politique, qui divergent si
souvent, qui voudrait y mettre une cale quelque part? Le
sérieux tourne en sérénité, les deux
sont les deux côtés de la monnaie. Il y a davantage
de dialectique qu'on pourrait raconter. Je m'en tiens là. A
cette unique soirée de la RIDEF, je retrouvais beaucoup de
ce que j'estime dans la Pédagogie Freinet en tant que
pédagogie et en tant que technique de vie.
Peter Steiger (Suisse)
... A l'Université de Saõ Paulo, j'ai eu l'occasion
de pratiquer, en tant qu'élève, les Techniques
Freinet et de lire «Pour une Ecole du peuple» et
«L'Education du travail». A ce moment-là, j'ai
senti que j'avais trouvé le chemin que depuis des
années je cherchais. Tout naturellement j'ai
démarré en Pédagogie Freinet et j'ai
commencé à participer aux réunions et aux
stages de Pédagogie Freinet, qui depuis 1972 se
réalisaient dans différentes institutions
liées à l'enseignement grâce à l'action
militante de Michel Launay.
En 1974, ayant bénéficié d'une bourse
d'étude du Gouvernement Français, pour
fréquenter, à l'Université Paul
Valéry-Montpellier III, un cours de formation
pédagogique pour des professeurs de Français-langue
étrangère, j'ai eu l'occasion de connaître le
travail du Mouvement Freinet en France. La nécessité
de mieux maîtriser les principes et les techniques de la
Pédagogie Freinet pour pouvoir, en tant que professeur de
portugais et de français, améliorer ma pratique
pédagogique, m'a menée à participer aux
activités du groupe départemental de
l'Hérault, à faire des stages dans les classes
Freinet, à lire les oeuvres de Freinet et les publications
de l'ICEM, à visiter l'Ecole Freinet de Vence, à
participer, en 1975, au SIM-Stage International
Méditerranéen-Pédagogie Freinet, au Portugal
et à soutenir, en janvier 1976, à
l'Université Paul Valéry, un mémoire de
maîtrise sur l'expression libre dans l'Ecole Moderne, qui a
été rédigé sous l'orientation de
Michel Launay, à partir des observations faites dans les
classes Freinet françaises et de mes propres
expériences avec mes élèves.
Ces expériences vécues pendant mon séjour en
France et l'aide apportée par les camarades du Mouvement
Freinet, spécialement par Jacqueline et Robert Majurel,
Jean-Claude et Lucette Tallon, René et Geneviève
Lafitte, ont fortement impulsé le processus de ma formation
en pédagogie Freinet. De retour à Saõ Paulo
en 1976, j'ai repris la pratique de la Pédagogie Freinet
dans l'enseignement public et les activités du groupe
Freinet de Saõ Paulo conduites par Rosa Maria Whitaker
Ferreira Sampaio et Maria Inez Cavalieri Cabral, ancienne
élève de Launay.
A cette époque là, la pensée
pédagogique de Célestin Freinet et la pratique de
pédagogie Freinet commençaient à être
connues au Brésil, grâce au travail diversifié
et enthousiaste mené par Michel Launay à
l'Université et en dehors d'elle, de 1972 à 1976.
Les réunions périodiques avec des groupes qui
manifestaient de l'intérêt à connaître
la Pédagogie Freinet, le stage de Pédagogie Freinet
réalisé en 1973 au Centro Educacional de Niteroi,
les projections suivies de débats du film «L'Ecole
Buissonnière» qui se sont multipliées dans
plusieurs villes du pays, le stage de Pédagogie Freinet,
animé par Roger et Josette Ueberschlag,
réalisé en 1974, au Centro Recursos Humanos e
Pesquisas Educacionais «Professor Laerte Ramos de
Carvalho», à Saõ Paulo, le cours de Michel
Edouard Bertrand en 1974,, à Saõ Paulo,
l'implantation de la Pédagogie Freinet faite par des
élèves de Launay, la thèse «De Rousseau
à Freinet», soutenue par Maria Inez Cavalieri Cabral
en 1975, à l'Université de Saõ Paulo,
publiée en 1978, le Stage de Pédagogie Freinet
animé par Claudine Capoul et Roger Ueberschlag,
réalisé en 1976, au Centro de Recursos Humanos Joao
Pinheiro, à Belo Horizonte, avec l'appui du
Ministère de l'Education et de la Culture, la fondation en
1976, du groupe Teatro Circo Alegria dos Pobres, coordonnée
par Béatriz Tragtenberg, ancienne élève de
Launay et Arturo Ciro Neto représentent seulement un petit
échantillon des activités déclenchées
par l'action militante de Michel Launay.
Les graines semées au Brésil par les camarades
français dans les années 70 ont germé et
fructifié. Au long de ces 24 ans, malgré toutes les
barrières imposées par la réalité
physique et sociale de ce pays, différents groupes Freinet
se sont formés dans les différentes régions
brésiliennes et les différentes institutions: Ecoles
primaires, secondaires, universités, centres de jeunesse,
crèches. La pensée de Freinet est de plus en plus
véhiculée dans les cours de formation
pédagogique, dans les congrès, dans les revues
d'éducation, dans les oeuvres pédagogiques
publiées récemment. La pratique de la
Pédagogie Freinet se répand aussi, mais un peu plus
lentement.
Maria Lucia Dos Santos (Brésil)
Les enseignants romands qui veulent pratiquer l'une ou l'autre des
techniques de l'Ecole Moderne se sont groupés dans la
«Guilde du travail» qui comptait en 1966 près de
deux cents membres.
Chaque printemps a lieu le congrès de l'Ecole Moderne. Je
me souviens de celui de Châlons-sur-Saône, en 1954.
Sur le perron ensoleillé d'une école, Freinet
exposait ses idées à un cercle de futurs
instituteurs et institutrices. Il parlait sans élever la
voix, simplement, avec une chaleur communicative.
Les ateliers, les échanges d'expériences, les
commissions, de mise au point des techniques, les visites des
expositions artistiques et technologiques occupaient les
journées. Le soir, les 800 congressistes, venus de France,
de Belgique, de Hollande, d'Allemagne, d'Italie, de Grèce,
de Suisse, d'Afrique du Nord, du Viet-Nam, se réunissaient
en séance plénière. Freinet prenait la parole
le dernier:
«L'intelligence, c'est la perméabilité à
l'expérience...
Ne jamais laisser un enfant sur le quai...
Il faut apporter ce brin de soleil dans notre classe...
Que l'éducateur progresse au lieu de se
scléroser...
Et nous voyant tous devant lui, il disait:
Cette grande amitié vaut tous les millions du
monde.»
Le congressiste rentre chez lui plein de courage pour reprendre sa
classe. Il a noté sur son carnet toutes les
nouveautés qu'il pourra réaliser avec ses
élèves. Il n'oublie pas le conseil de Freinet:
«Introduire une technique à la fois. Quand elle est
rôdée, passer à une autre.»
E. C. (Suisse.)
Extrait d'une lettre de Freinet à la guilde en 1952
...Je félicite d'abord votre président de tenir
tellement bon pour éviter qu'il y ait perversion au sein de
votre Guilde.
«Je veux dire pour éviter que la Guilde devienne une
association comme tant d'autres, où on entre en se faisant
inscrire et en payant une cotisation sans autre engagement
d'aucune sorte. Nous sommes en train de réagir, nous, parce
que justement notre mouvement était trop un groupe
d'affinités où on se retrouve simplement pour
profiter du travail des autres. Et nous remettons à
l'honneur, le plus possible, les véritables
travailleurs.
«Je ne manque jamais de dire aux camarades que si nous
existons, si notre mouvement a un rayonnement certain et une
influence sur la pédagogie française et même
internationale, ce n'est pas parce que nous avons fait de beaux
discours, mais parce que nous avons travaillé et
réalisé, ce que ne font pas en général
ceux qui savent si bien discuter.
J'ai lu toujours avec le même intérêt votre
beau bulletin. Vous ne pouvez que progresser parce que vous avez
su asseoir votre groupe sur la seule base solide et
définitive: le travail.
Nous avons été tellement saturés, comme nos
enfants d'ailleurs, d'explications, de théories, de
recommandations, que nous éprouvons comme un soulagement
reposant, le seul fait de faire enfin oeuvre utile et pratique, et
de nous sentir les coudes dans le travail.»
Transmis par J. Ribolzi.
Après 21 ans d'enseignement traditionnel, ma
première impression au stage de l'Ecole Moderne à
Thuir, Pyrénées Orientales, en 1962, c'est
l'émerveillement.
Le matin, à peine entrée dans la salle de travail
C.M.2-F.E., je suis éblouie par la profusion de travaux qui
tapissent les murs: peintures, lettres collectives... Que c'est
beau! Je ne me lasse pas de les admirer... J'écoute en
même temps avec stupéfaction, Fort, Paulhiès,
Nadeau, Delobbe, Fournès... qui commentent leur vie
à l'école, leur journal scolaire, la correspondance,
les voyages-échanges... Autant de mots nouveaux pour moi,
mais qui me ravissent à mesure que j'en saisis le sens et
la portée. Par moments, je me demande si je ne rêve
pas.
L'après-midi, aux ateliers, je participe à la
composition et au tirage d'un texte. Nouvelle surprise: les petits
caractères à l'envers, les blancs qui glissent entre
mes doigts maladroits, les composteurs qu'il faut tasser et bien
visser, l'encrage au rouleau, le tirage à la presse, et,
Oh! Merveille! Un texte imprimé! Je me dis: Pourrais-je
vraiment réaliser cela à l'école?
Un souvenir toujours présent, les veillées avec
Delbasty: celui-ci, toujours de bonne humeur, éloquent,
spirituel, enthousiaste, nous électrisant par moments, nous
captivant et nous détendant toujours. Merci, cher ami.
Françoise Marti (Andorre.)
En 1985, je publiai aux Editions Klett de Stuttgart,
«L'itinéraire de Célestin Freinet». Le
livre eut un tel succès, qu'il reparut par la suite en
plusieurs autres éditions. Il en fut de même avec la
traduction de 50 BTJ qui parurent aux Editions Cornelsen de
Berlin, plus spécialement destinées à l'Ecole
élémentaire.
Après ma nomination à l'Université de
Saarbruck, en 1962, j'organisais chaque semestre, soit un
séminaire, soit une conférence sur Freinet, ses
options pédagogiques et ses réalisations. La
proximité de la frontière française
favorisait les visites d'Ecoles pratiquant Freinet.
Parallèlement, je m'efforçais de réaliser les
exigences d'une pédagogie à partir de l'enfant dans
la pratique avec mes étudiants.
Nous continuions à participer aux congrès Freinet en
France et nous travaillions à rassembler tous les
enseignants intéressés par la Pédagogie
Freinet. Nous avons organisé deux congrès
internationaux avec des participants de 6 pays, regroupant plus de
600 enseignants et parents. Après l'introduction de
l'imprimerie dans plusieurs Ecoles de Saar, de
Baden-Würtemberg et de Rhénanie-Palatinat, nous avons
créé notre propre cercle de travail
«Arbeitskeis-Schuldruckerei-Deutsche Gruppe der
Freinet-Pädagogik» (A.K.S.) et réalisé
notre propre bulletin «Der Schuldrucker» - Les
imprimeurs - qui paraît depuis 32 ans
régulièrement.
En organisant des conférences et des séminaires avec
les syndicats d'enseignants et aux universités de
Stuttgart, Augsburg, Munich, Köln, Berlin, Bonn, Paderborn,
Heidelberg, Francfort, Wupertal, Siegen, Bielefeld, et Oldenburg,
je m'efforçais de sensibiliser, par la pratique de
différentes techniques Freinet, beaucoup d'enseignants et
de professeurs.
La prise en considératon des besoins et des droits de
l'enfant, de son originalité et de sa personnalité,
la valeur éducative du travail, le respect de sa
liberté d'expression, son éducation à la
critique et à la prise de responsabilité figuraient
toujours au premier plan.
Une exposition riche en outils de travail, en livres techniques,
en publications, et sur Freinet, ainsi que l'introduction
progressive de quelques techniques enthousiasmèrent
beaucoup d'éducateurs.
Partant de 50 militants actifs, notre groupe «Imprimerie
à l'Ecole» se développa en nombre de
participants, comptant aujourd'hui, plus de 400 éducateurs.
Cela peut paraître peu à un lecteur français ;
mais il faut savoir que plus de 90% des enseignants allemands
adhèrent à un syndicat et la participation au
Mouvement Freinet signifierait une seconde contribution
financière.
Le fait que plus d'instituteurs que les 400 à 500 actifs de
«Imprimerie à l'Ecole» et, qu'à partir de
1976, les coopératives pédagogiques allemandes
s'initient à la pratique des techniques Freinet, prouve
qu'en réalité j'ai, moi seul, procuré environ
1000 imprimeries aux Ecoles. En outre, plusieurs éditeurs
ont livré aux Ecoles au moins autant d'imprimeries et de
matériel Freinet et c'est aussi au dépôt de
matériel de Brême qu'en revient le mérite.
Aujourd'hui il n'existe plus en Allemagne une Ecole Normale, ni
Université où Freinet ne soit pas connu et
étudié, soit en cours soit en séminaires.
Freinet est considéré comme le pédagogue
français le plus connu et le plus significatif.
A l'occasion du 100ème anniversaire de sa naissance, nous
traduirons les deux volumes, parus en 1995, de ses
«Œuvres pédagogiques» publiés par
sa fille, et l'université de Kassel organisera un symposium
international en son honneur.
Nous espérons ainsi que davantage d'instituteurs et
d'éducateurs trouveront un accès direct à sa
pensée et à son action pédagogique, et qu'ils
ne seront plus orientés vers des interprétations
souvent tendancieuses.
H. J. (Allemagne.)
Je les aimais ces congrès Freinet. C'étaient des
moments de convivialité et d'activité joyeuse. Et
quelle profusion d'idées! J'en revenais plein d'allant pour
continuer et parfois innover à partir de ce que j'avais vu
et entendu. J'assistais aux réunions de notre groupe
départemental. Nous échangions nos
expériences. Si j'ai parfois donné, j'ai aussi
beaucoup reçu. Le besoin de communication qu'ont les
adeptes de Freinet, je l'ai conservé.
Juliette Moulineau.
Presque tous les ans, congrès, stages, maintenaient entre
nous une flamme et un dynamisme qui perdurent encore puisque,
même des années après la retraite, on se
réunit encore autour de Pierre Guérin pour produire
de la documentation. On va en Afrique appuyer les mouvements Ecole
Moderne et on trouve les collègues en activité dans
leurs rencontres de travail.
Tout cela m'a apporté énormément de
satisfaction sur le plan humain: les amitiés, le travail
réalisé ensemble.
J. P.
J'ai participé avec Roland à de nombreux stages et
j'ai vécu de nombreux congrès qui tous nous
enrichissaient pour notre vie professionnelle et personnelle.
Toutes les expériences de chacun étaient mises en
commun et discutées.
Au retour, nous nous efforcions de transmettre nos
découvertes à nos collègues. Temps
béni des petites classes de campagne où l'on se
retrouvait les jeudis avec les enfants qui travaillaient en
présence des adultes.
Ces rencontres conviviales permettaient à chacun
d'échanger, de s'enrichir. Nous nous retrouvions avec
plaisir même par mauvais temps, dans notre Jura neigeux et
ainsi, même sans téléphone, nous
n'étions pas isolés.
M. Be.
Premiers contacts: des réunions dans les classes avec des
enfants au travail, la présentation de réalisations
depuis le point de départ jusqu'à l'aboutissement ou
la limite posant un problème. J'ai constaté que la
discussion entre les adultes qui en découlait participait
de la même démarche que celle des enfants, à
savoir, recherche, confrontation, élaboration de nouvelles
pistes... Et j'avais, moi aussi, la possibilité d'apporter
ma petite pierre à cette structure
départementale.
M. L. D.
Une de mes impressions très forte remonte à la
Rencontre Internationale des Educateurs Freinet (RIDEF) au
Portugal à Lisbonne, peu après la révolution
des oeillets. Correspondance indéniable entre
l'effervescence du pays et celle des ateliers de discussion, de
création à la RIDEF. Venus du monde entier, des
éducateurs passionnés étaient réunis
là par la magie d'une recherche pédagogique!
Communication intense, bonheur et aussi violence des
débats. Entrée fracassante de la vie, des
problèmes de société dans les discussions. Je
me souviens de l'atelier femmes particulièrement
passionné où la brillance des femmes portugaises
atteignait celle des suédoises... Et tout ça,
c'était Freinet qui nous le permettait! Des liens forts se
tissaient. Des amitiés solides naissaient dont certaines
ont déjà 20 ans pour moi... C'est une
véritable éducation à la paix qui se vivait
là, faite du respect des différences, du
désir de la connaissance de l'autre... de la communication
internationale si chère à Freinet.
M. C.
En septembre 1957, j'ai participé, avec une
délégation de 10 enseignants français
à une visite-étude des Ecoles soviétiques -
pédagogie et organisation -.
Je préviens aussitôt Freinet pour qu'il me fixe le
matériel à emporter et à faire
connaître. Freinet me donne aussitôt quelques
indications et m'annonce qu'il envoie lui-même une
délégation composée de Fontvieille et Perriot
de Paris, invités par le Syndicat des Instituteurs de
Moscou.
Nous avons donc visité une vingtaine
d'établissements scolaires à travers la Russie:
Moscou, Léningrad, Alma-Ata. Au cours de ce périple
nous avons été reçus à Moscou à
l'Institut des sciences pédagogiques par le Ministre de
l'Instruction Publique et Alexis Léontiev,
spécialiste international sur ce sujet. Nous prenions la
parole librement. J'ai profité du prétexte
«Ecole des pionniers» où était mise en
valeur la recherche individuelle ou collective des connaissances,
toujours par des manières actives, pour montrer comment en
France on allait dans le même sens avec la Pédagogie
Freinet.
Sans intervenir, les Soviétiques ont paru
intéressés. Je ne fus contredit que par un
inspecteur français, Godier, qui prétexta que la
méthode Freinet apportait bruit et désordre.
C'était l'époque où Makarenko passait au
cinéma et on en parlait dans les conférences
officielles. Je fus donc écouté avec sympathie et le
Ministre me fit asseoir à côté de lui.
Au retour, j'ai fait à Freinet un compte-rendu copieux,
bien qu'il fût très déçu par
l'échec de sa propre délégation, il en fit
paraître une partie dans «Techniques de Vie».
Depuis, il nous a nommés avec Jeanne,
délégués pour le Loir-et-Cher et de 1959
à 1965 nous passions une partie de nos vacances à
Vence en compagnie de 7 ou 8 autres camarades. C'était une
vraie distraction, de la pédagogie dans la détente.
Quand Freinet n'était pas là, nous parlions avec des
personnalités de passage et nous abordions tous les sujets
qui se présentaient dans le désordre.
C'étaient des moments très riches.
De 1962 à 1965, pendant 3 ou 4 ans, Jeanne allait en
février passer une semaine à Vence pour
préparer avec Elise et Bertrand le congrès
artistique de Pâques. Elise a toujours gardé pour
Jeanne une grande confiance et c'était réciproque.
Je pense pouvoir en dire autant pour moi avec Freinet.
Henri Vrillon
En août 1964, je me rendais à Vence. Quelle
expédition pour moi de me rendre dans une région si
éloignée de la mienne, et si différente.
J'éprouvais, certes, une certaine fierté d'avoir
été invité par Freinet, pour venir travailler
avec lui et d'autres camarades, mais aussi une inquiétude:
Comment vont-ils me recevoir, Célestin et Elise?
A Vence, à ma descente du car, j'étais
étonné que les gens que je questionnais ne
connaissaient pas l'Ecole Freinet, cette prestigieuse Ecole, de
renommée internationale! Ecole qui avait déjà
un passé hors série...
A mon arrivée, je fus accueilli dans la cuisine par
Célestin Freinet et par Elise que je connaissais peu.
«Ah! te voilà Yvin!» dit Freinet.
Après les embrassades traditionnelles, il s'adresse
à Elise:
«Il vient de Loire-Atlantique, de chez Gouzil.»
J'eus le plaisir de découvrir l'Ecole.
Comment ne pas être ébloui par le cadre exceptionnel
de cette école! Admirablement située sur un coteau
en face de Vence, dans un lieu unique de verdure et de
fleurs...
Enfants du soleil et de l'eau, les enfants ont pu
bénéficier non seulement d'une méthode
scolaire, d'une pédagogie naturelle, mais d'une conception
de l'éducation à caractère
thérapeutique - régime alimentaire, naturisme - dans
une liberté de manoeuvre, qui favorisait une formation
humaine et culturelle. Cette école n'avait rien de commun
avec l'école habituelle, ni avec les maisons d'enfants, en
général plus luxueuses et plus bourgeoises.
Je suis resté en relation avec Freinet qui, dans son livre
«Boîtes enseignantes et Programmation» exposait
ses conceptions sur ces techniques et leur intégration dans
la Pédagogie Freinet.
- Le 20ème congrès d'Annecy, en 1964, est
consacré à ce sujet. -
Et Freinet crée le Centre International de la Programmation
auquel je participe.
A la commission des classes de perfectionnement, je
présente les bandes atelier de calcul que j'ai
réalisées avec mes élèves dans ma
classe à St-Nazaire, à l'Ecole Lamartine.
De 1961 à 1966, je réalise aussi des bandes de
français, des bandes documentaires d'exploitation de B.T.
ou autres documents à partir des questions posées
par les enfants et de leurs textes libres, des bandes
d'expérimentation et d'observation.
Dans une lettre du 3/03/65, Freinet m'écrit:
«Oui, tu as fait de très grands progrès pour la
programmation.»
Je suis revenu chez Freinet en 1965, toujours à propos des
bandes, mais aussi comme délégué
départemental, ainsi qu'en 1966.
Je participais à la mise au point des bandes de calcul. Je
regardais avec étonnement Freinet arriver vers nous, tenant
un cageot où se trouvaient des bandes que nous lui avions
fait parvenir - toutes celles que nous lui avions envoyées
n'y étaient pas -.
Freinet s'appliquait toujours à ce que le travail soit
accessible à la masse des instituteurs. Ainsi trouvait-il
que mes bandes d'atelier de calcul qui incitaient mes
élèves à sortir de la classe ne pourraient
être utilisées par l'ensemble des instituteurs.
Je ne pouvais pas comprendre son entêtement à
reproduire sur bandes des problèmes des fichiers:
Un berger a 35 moutons. Il en perd 8. Combien en reste-t-il?
Ce qui montre l'influence de son enfance de Gars (06).
Pierre Yvin.
Henriette et Pierre Fort nous ont amenés à
l'Espéranto qui nous a beaucoup servi, en particulier
durant la RIDEF polonaise de 1976 à Plock. A cette
époque s'était constituée la commission
ICEM-Espéranto qui a ensuite organisé
régulièrement des stages.
Malgré les efforts des militants espérantistes de
l'ICEM, nous n'avons pas été suivis pour une
utilisation plus importante qu'elle ne l'est de l'Espéranto
dans les RIDEF, un outil qui pourrait limiter les traductions et
éviterait, je crois, certaines tensions inhérentes
à ces traductions. Je n'oublie pas que des compagnons de la
première heure Boubou et Bourguignon, espérantistes
chevronnés, ont aidé Freinet à prendre
connaissance de pédagogues
«hors-frontières». Freinet s'était
d'ailleurs mis à l'Espéranto. Voir le
«document» du Nouvel Educateur N° 224: «Le
droit à la communication directe par
l'Espéranto» - Secteurs «Espéranto»
et «Amis de Freinet» -.
M. T.
En 1937, chez ma soeur, je lisais «Vendredi»,
«Marianne» avec des signatures des écrivains
comme Jean Guéhenno. Très pacifiste et
internationaliste, j'avais réussi «l'atesto pri
Lernado», et monté avec les jeunes du village, un
groupe d'Espérantistes paysans. Quelle joie et quelle
fierté de faire quelque chose pour la paix des peuples!
P. Q.
Les problèmes de langue rencontrés à notre
1ère RIDEF, au Danemark (1972) nous ont conduits à
l'étude de l'espéranto, outil de communication
internationale. La commission I.C.E.M.-Espéranto organise
des échanges, des rencontres. Des relations amicales se
nouent par dessus les frontières.
D. P. P.
-
Autoformation - Coopération -
Coformation
- Une nouvelle approche du travail qui bouleverse les principes
établis.
Je garde pour toute la vie la découverte d'un nouveau
chemin pour tout le mouvement éducatif.
Je ne pourrais résumer, dans un si court espace, tout ce
que j'ai appris et compris, les enthousiasmes et les
révoltes qu'on y a vécus. Je dirais simplement, que
je garde pour toute la vie, comme le plus merveilleux élan
initiateur, la découverte de la justesse du chemin que tout
le mouvement éducatif doit suivre, notre propre
auto-éducation: la «dignification» du travail, en
le libérant du stigmate de la «servitude» comme
il est encore si naturel entre nous, pour, au contraire, le
transformer en réponse aux besoins non seulement physiques
mais aussi moraux et sociaux de l'homme et par conséquent
la «dignification» des personnes qui se réalisent
par un travail dignifiant et dignificateur.
Maria Isabel Pereira (Portugal)
Pour les maîtres, la Pédagogie Moderne a
été un élément de culture.
Véritables chercheurs perméables à la vie de
leurs classes, ils ont mesuré devant les enfants qui
montaient, la superficialité de leur propre culture. Aussi
ressentent-ils ce besoin de perfectionnement et de recherche. A
l'encontre de nombreux maîtres que nous ne blâmons
point, ces enseignants ont choisi. C'est en toute liberté
qu'ils se sont engagés au plein sens du terme. Ils ont
certainement dû lutter intérieurement, douter
peut-être, subir des épreuves mais qui n'ont point
engendré la moindre amertume.
En compensation, ils se sont enrichis de valeurs fondamentales
comme l'engagement, l'intégrité puis la
compétence. Après avoir tout donné, ils ont
gardé précieusement la jeunesse, le dynamisme et
enfin cette joie de vivre.
Ab. B.
Quand Célestin Freinet fit connaître ses
premières réflexions sur l'éducation et
apporta ses nouvelles solutions pédagogiques, il ne pensait
certainement pas qu'il provoquerait des modifications importantes
de comportement chez de nombreux enseignants.
Encore moins qu'un mouvement se propagerait pour développer
ses idées. Et pourtant!
Même les enseignants non adhérents au mouvement se
mirent aussi à réfléchir davantage sur leur
pratique pédagogique.
Je me souviens que le jour où je décidai d'utiliser
la Pédagogie Freinet, en somme de prendre en compte les
élèves avec leurs savoirs et leurs
compétences, je me suis senti soulagé de ne plus
être le seul détenteur du pouvoir et des
connaissances. De ce pouvoir qui s'appuyait sur des connaissances
institutionnalisées et figées. Les premières
situations qui établirent la vie coopérative
montrèrent combien les enfants pouvaient attacher
d'importance à leurs responsabilités. J'appris la
nécessité de la motivation pour permettre aux
élèves de découvrir leurs capacités et
de prendre davantage d'intérêt à leur travail.
Cette motivation dont Freinet faisait souvent état dans ses
écrits et ses discours, considérée à
son époque comme donnée négligeable, est
actuellement prise en compte par les chercheurs en
neuropsychologie pour un bon fonctionnement de cerveau. Freinet
prédicateur! non! Bon observateur!
Apprendre à échanger en commun, à trouver des
solutions devant des difficultés, à créer,
sont des démarches qui ne peuvent conduire qu'à la
formation de jeunes ouverts à la mise en place et à
la participation des démocraties du futur.
La pédagogie Freinet établit une telle demande
relationnelle qu'elle enrichit ses praticiens. A travers les
rencontres de travail, de réflexions, elle favorise la
rencontre d'amis, de chercheurs en quête de savoirs nouveaux
sur tout ce qui touche l'éducation et la
société. Rencontres d'amis proches ou lointains, la
Pédagogie Freinet n'a pas de frontières puisqu'elle
porte en elle le respect des cultures multiples des
différents pays du monde.
André Lefeuvre
Enfin il n'y avait plus de hiatus entre l'école et la vie.
On essayait de bâtir le travail sur les
intérêts et les questions des enfants, le
métier devenait passionnant. On y pensait tout le temps et
avec plaisir. On se retrouvait de temps en temps dans la classe
d'un camarade et on échangeait dans le groupe, nos
trouvailles, nos idées, nos problèmes. Ainsi chacun
s'appuyait sur les autres en essayant d'apporter aussi sa pierre.
Nous avions une bibliothèque coopérative et nous
nous tenions mutuellement au courant de ce qui s'écrivait:
non seulement les livres de Freinet mais bien d'autres.
J. P.
Qu'est-ce que j'ai finalement retenu de cette longue initiation
à la pédagogie Freinet?
Je peux désormais utiliser les techniques Freinet dans
toute situation d'apprentissage et de formation quel que soit le
niveau et l'âge des participants.
J'ai appris à poser, voire imposer le cadre pour assurer
une discipline de production, grâce à certaines
institutions comme le «quoi de neuf», le conseil, les
présidences de séances, le secrétariat,
etc...
J'ai également appris à écouter les
étudiants, à m'effacer en tant qu'intervenant,
à soutenir la prise en charge coopérative des
apprentissages.
J'ai appris à ancrer tout apprentissage autour d'une
production individuelle ou collective, à faire et à
faire faire une production publiable qui respecte les exigences
élémentaires du lecteur et de l'édition.
J'ai enfin appris que la communication et la production doivent
primer tout travail, l'apprentissage ne pouvant jamais être
l'objectif premier d'un cours, mais seulement le résultat
d'un processus de production.
Je crois, j'ai ainsi pu devenir un enseignant exigeant, tout en
gardant de l'humour et le plaisir de faire classe.
G. S.
J'ai compris qu'il pouvait y avoir des échanges
authentiques entre les membres d'un même corps de
métier sans qu'on ait recours à une autorité
supérieure infantilisante.
J'ai compris que l'erreur n'est pas une faute appelant une
sanction inhibitrice mais génératrice
d'amélioration et de réflexion créatrice.
J'ai compris que l'enfant n'était pas un sous-adulte
à dresser à l'image de l'homme et de la
société mais un être à part
entière, adulte responsable en devenir qu'il fallait
guider, épauler, soutenir dans ses trébuchements,
ses choix, ses difficultés, sans jugement de valeur et
qu'on pouvait lui faire confiance.
J'ai compris que l'expression libre était indispensable
à l'élaboration de la personnalité, à
la libération des tensions intérieures, qui,
lorsqu'elles sont apaisées contribuent à cimenter le
socle d'édification de chaque individualité, que
cette expression libre permettait l'éclosion d'oeuvres
littéraires artistiques, scientifiques, corporelles, dignes
de celles des adultes et je les ai reçues comme des
cadeaux.
J'ai compris que la culture n'appartenait pas à une
élite et n'existait pas que dans les musées et les
bibliothèques et les autres... en thèque, qu'elle
n'était pas statique mais évolutive, que chaque
individu, chaque groupe avait la sienne propre, que c'était
un devoir de la partager avec d'autres pour qu'il y ait
enrichissement réciproque.
J'ai compris aussi le véritable travail coopératif
qui se distinguait de la coopé-tiroir-caisse; cette
nouvelle coopérative gérait la vie de la classe:
travail, discipline, bilans individuels et collectifs, conflits
collectifs et mêmes personnels quand le degré de
communication le permettait. J'ai aussi appris à me
remettre en question face au groupe-classe.
J'ai compris et appris le partage, des connaissances,
désintéressé, généreux,
constructif du mouvement qui a assuré ma formation
continue, qui m'a fait réfléchir sur la discipline,
l'autorité, la hiérarchie, la responsabilité,
sur les
finalités de l'école de la société et
de la vie.
R. G.
Les discussions, les appels à la presse, les expositions,
les publications de la C.E.L. ont peu à peu renforcé
la portée de nos paroles, nous qui n'étions pourtant
qu'à la base, comme ne cessait de le dire Freinet, dans ce
slogan: pour être Ecole Moderne, il nous faut bien
être praticien, chercheur et militant. C'est un engagement
qui, s'il n'était pas toujours absolu, a bien meublé
notre temps, notre tête, nos coeurs et souvent ceux de nos
proches.
Freinet était, c'est sûr, un rassembleur d'hommes.
Personnellement, il ne m'a jamais dit: Fais ceci, ne fais pas
cela. Vous voyez? Ce «cherche un peu, c'est par
là», s'appliquait aussi à notre
pédagogie, à ce qu'il appelait aussi bizarrement nos
«techniques de vie». Il n'entravait pas notre
liberté de choisir, ni d'assumer notre choix.
Je savourais surtout l'enrichissement dû à toutes ces
voix qui se faisaient entendre, aux paroles, aux idées,
à la sensibilité qu'elles traduisaient. Cela ne
m'étonnait pas que Freinet dise souvent en parlant d'eux,
tous les camarades: «Ils sont mon laboratoire
vivant».
J'aimais en moi-même, visualiser tous ces dossiers, toutes
ces lettres, tous ces essais, qui sillonnaient les airs et
convergeaient vers Freinet, qui savait puiser, synthétiser,
propulser en action toutes ces énergies.
Qui n'a pas rencontré Freinet, même sur le parquet
reluisant de la C.E.L. modernisée, avec sous son bras, un
grand cageot de courrier national et international, noms modestes
ou grands noms des sciences humaines, auxquels il répondait
de sa plume? Le cageot de Freinet!
Ça ne s'invente pas, ça ne s'oublie pas.
J'ai plus écrit à Elise qu'à Freinet dans un
premier temps, très vite après le stage de 1946,
elle m'avait demandé de communiquer au petit Educateur
rose, mes essais réussis ou non aboutis que je faisais dans
ma «ruche», trop pleine d'enfants, mais vide de
commodité et de matériel.
Le premier article, je lui ai demandé d'en faire le plan!
Elle m'a fait prendre confiance et j'ai compris qu'en
écrivant on pouvait aider sans être aidé.
J'ai essayé, je ne savais pas que je pouvais le faire,
c'était cela aussi le brassage de camarades avec tous leurs
fonds secrets: la Communication.
Un jour un représentant d'une très renommée
Maison d'Edition de manuels scolaires, me trouve en classe, en
train de défaire un sympathique colis de correspondance
avec le val d'Aoste et d'épingler sous le panneau
«Géographie de l'Amitié» des petits
sachets de pain montagnard qu'on garde six mois, de fromage
«Fontina» fromage des vallées... des textes, des
photos de la Valpeline.
Il me dit: «Ah! Quand les instituteurs du mouvement Freinet
se décideront-ils à travailler pour nos
éditions. Vous seriez bien rémunérés
car vous faites avec vos B.T. un travail remarquable.»
«C'est que, je réponds, nous, nous le faisons sans
être payés!»
Au fil des rencontres, des congrès, je faisais connaissance
avec une démarche que j'ai trouvée passionnante.
C'est celle qu'avait pratiquée Freinet, dès la fin
de la guerre 1914. Faire participer les enfants à
l'acquisition des connaissances. Cela avait donné avec
l'aide de nombreux adhérents, la création
coopérative de notre C.E.L. qui éditait, entre autre
les Bibliothèques de Travail partant des recherches et
enquêtes des enfants elles revenaient enrichir les documents
«pour les enfants». Même à
l'extérieur, on reconnaissait que la C.E.L. n'avait
guère d'équivalent quant à la
générosité du but, à l'engagement
personnel des coopérateurs, et à la valeur
pédagogique des brochures éditées.
P. Q.
Que représente donc Freinet pour moi? Je le confirme: avant
tout, ce formidable mouvement coopératif qui lui a
survécu, fait unique dans l'histoire des grands
pédagogues. Un mouvement pédagogique d'une rare
richesse - je pense aussi à nos camarades hors
frontières de la F.I.M.E.M.. Aux antipodes du reproche
souvent entendu: les «Freinétiques»
constitueraient une chapelle. Car, très familier du monde
associatif, je puis dire que je n'ai jamais rencontré
autant d'ouverture, de respect des convictions de chacun,
combinés à une telle recherche de la critique
dialectique. Bien sûr, l'I.C.E.M. a des
spécificités. Elles découlent d'ailleurs, de
la personnalité de Freinet et des valeurs qu'il
défendait. Peut-être certains aspects pourraient-ils
alors être considérés comme étranges.
Pas pour moi qui pratiquais déjà ces bizarreries
avant 1966: préoccupations écologiques et
naturistes, végétarisme, culture biologique,
Espéranto, pacifisme engagé - résistant et
non bêlant... J'ai certes aussi adopté à
l'Ecole du Pioulier le «choc froid» dans la piscine, au
saut du lit, en toute saison. J'ai également quelques tics
de langage: en réalité ceux-ci recouvrent des
concepts forts que beaucoup, hors même du champ
pédagogique, se sont appropriés en oubliant ou
méconnaissant leur origine: art enfantin, expression libre,
tâtonnement expérimental, périodes sensibles,
travail individualisé....
Si la fraternité coopérative reste pour moi l'un des
traits fondamentaux de la pédagogie Freinet, c'est qu'elle
s'établit autant entre enfants, entre adultes, qu'entre
adultes et enfants. Jamais je n'ai ressenti de relations
hiérarchiques - de type paternaliste, par exemple - dans
l'I.C.E.M.. Les nouveaux y sont considérés
très sincèrement par les anciens comme des
égaux, riches de leurs potentialités. C'est ainsi
que dès ma première année d'enseignement, je
me retrouvai co-animateur de stages et que très vite je pus
participer à des chantiers de production d'outils. A moi de
traduire alors le même souci d'horizontalité dans ma
classe comme dans l'école.
Ce défi est-il plus difficile dans mes nouvelles fonctions?
Sur le fond, non, puisque je me fonde sur les mêmes
principes que ceux qui me guidaient en classe (droit des enfants,
droits de l'Homme, clarté des rôles, transparence,
empathie, rigueur...), principes que je trouve condensés
dans l'aphorisme spinoziste: «Ne pas rire, ne pas maudire, ne
pas désespérer mais comprendre.» Oui, en
revanche, sur la forme, car il m'aura fallu rechercher plus
isolément des techniques adéquates. Par exemple, je
double l'inspection d'école d'un audit dont la
méthodologie et la déontologie - gage de
liberté réciproque - me conduisent à offrir
à l'équipe - et à elle seule - un document
d'analyse systémique prolongé de pistes
d'évolution, lequel devient le point de départ d'une
réflexion en commun pouvant ou non déboucher sur des
décisions de l'équipe et une aide de ma part. Dans
de telles conditions, et comme en classe avec la nécessaire
prise en compte des limites de l'autocorrection, la confiance
n'est pas entravée par le contrôle. Il en
résulte une dynamique de progrès très
encourageante. Autre exemple, l'élaboration
coopérative par les enfants d'une «Charte des droits
des écoliers de la circonscription de Nice VIII». Ou
encore, la mise en oeuvre, dans la circonscription et au sein de
l'I.U.F.M., de «réseaux d'échanges de savoirs
pédagogiques», directement inspirés de mes
pratiques de classe Freinet et du mouvement de Claire
Hébert-Suffrin, compagnon de route de l'I.C.E.M..
Fin août, je terminai ma formation professionnelle initiale
parallèle et autonome par un stage d'une semaine
qu'organisait le groupe départemental de l'Hérault
de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne. J'y
découvris certes des techniques fort utiles mais surtout la
puissante efficacité d'une association coopérative,
l'authentique partage des idées, la
générosité et la simplicité des
praticiens accomplis. Je compris alors que la force de Freinet
avait été de créer un mouvement
égalitaire, d'esprit communautaire, animé par une
même éthique que chaque membre déclinait
différemment dans sa classe. J'appréciai
profondément la confiance généreuse faite aux
nouveaux venus, la richesse et la diversité des
témoignages, des réalisations.
Jacques Jourdanet
Comment se fait-il que moi, petit instituteur adjoint dans ma
presqu'île, j'ai pu accéder à des mondes qui
m'étaient si inconnus? Ce fut, tout d'abord, l'accès
à la radio avec le Concours du Meilleur Enregistrement
Sonore (C.I.M.E.S.). Grâce à Guérin et Dufour,
je m'étais initié à l'enregistrement
magnétophonique. Et mes élèves, profitant
à plein du climat de liberté que j'avais
instauré, exploraient hardiment tout le territoire de
l'oral et du chant. L'originalité de leurs productions
séduisait toujours le jury. Avec quelle attention, certains
soirs, nous écoutions le palmarès, ravis d'y voir
figurer tant de copains de la famille du B.E.T.A. (Bureau d'Etudes
des Techniques Audiovisuelles).
Puis ce fut le tournage, pour la télé, de notre
«Enfantines»: Jean-Marie Pen-Coat, créée
collectivement par mon C.P.-C.E.1. Que c'est bizarre, un
tournage!
Et enfin, baptême de l'air pour aller encadrer un stage
à Lévy, au Québec, avec Bambie Jugie, Delobbe
et Pellissier. J'y suis retourné trois fois avec Delbasty,
les Delobbe, Pellissier, Monthubert et Ueberschlag. Quelle
aventure étonnante! Des officiels de la pédagogie
auraient aimé y aller. Non, c'était nous, les
sans-grades, qui étions désirés!
A Freinet et Elise, j'avais régulièrement soumis,
pour critique, mes petites constructions théoriques. Si
bien que, bien plus tard, je me suis senti suffisamment
armé pour assurer des séminaires sur la
pédagogie Freinet dans de très nombreux pays. Mes
voyages ont été si nombreux et les relations ont
été si approfondies que je me suis aperçu
qu'il n'y avait plus ni instituteurs, ni professeurs, ni
inspecteurs, ni Allemands, Belges, Brésiliens, Canadiens,
Danois, Espagnols, Finlandais, Italiens, Russes... Mais seulement,
des êtres humains. J'ai vécu ces moments de joie
intense impossibles à rapporter. Ce n'était pas
seulement le partage des repas, la richesse des excursions
toujours accompagnées de camarades compétents, mais
les expériences pédagogiques en vraie grandeur
auxquelles les stagiaires participaient avec beaucoup
d'élan. Et, évidemment, le plaisir de voir
quelquefois subsister des traces de mon passage. Avec parfois,
même, la traduction et la publication de certains de mes
ouvrages.
Mais à l'intérieur de ma classe, j'ai vu
s'épanouir de nouvelles techniques et j'ai pu
expérimenter avec succès de nouvelles formes
d'expression et de création dont j'envoyais les
résultats à Elise qui m'encourageait et les publiait
très souvent. Elle avait accompagné nos premiers pas
en se montrant suffisamment exigeante pour que l'on ne se
satisfît pas à bon compte de
l'à-peu-près. Il fallait respecter les enfants et
croire en leurs possibilités. Il fallait s'ingénier
à créer les conditions de la libre expression sans
penser qu'il suffisait de se contenter de laisser faire. Non, il
fallait prendre ses responsabilités, et ne pas
hésiter à intervenir au départ pour mettre le
train sur les rails. Après quoi, il n'y avait plus
qu'à se retirer de plus en plus pour ne pas bloquer les
enfants par nos propres limitations. Nous n'avions plus
qu'à nous préoccuper du soutien logistique.
P. L. B.
A mesure que j'avais de bons résultats avec les nouvelles
pratiques, je sentais le désir et encore plus la
nécessité de les répandre, de partager avec
mes collègues le Bien que j'avais découvert. Je
prenais conscience que la coopération et la communication
devenaient indispensables! Et les graines ont produit une
très bonne récolte.
Les hommes et les femmes veulent pour leurs enfants une
école bien meilleure que celle qu'ils ont eue
eux-mêmes. Freinet leur a apporté l'espoir et la
démonstration pratique. C'est ainsi que les choses se sont
passées et ça continue. La contagion se fait par le
contact, le réseau augmente, résiste aux obstacles,
il devient de plus en plus fort, enrichi par les contributions de
la technologie. Freinet sera toujours actuel, réel comme la
vie même.
F. M. G.
Comme l'usage des anciens manuels scolaires d'avant 1945
étaient interdit, et des nouveaux n'existaient pas encore,
nous devions nous-mêmes réaliser des fichiers de
calcul, de lecture, d'orthographe des abécédaires,
pour la première année scolaire et quelques
fascicules pour les autres disciplines. Tout à fait dans
l'esprit Freinet, nous étions quatre jeunes instituteurs
à nous rassembler et à mettre au point, ensemble,
tout moyen de travail pour des enfants de deux ou quatre
classes.
Les imprimés créés par Freinet - BTS-BTJ - et
ses fichiers de travail nous apportaient une abondance de
suggestions pour notre travail scolaire quotidien dans lequel nous
étions soutenus par d'anciens élèves, filles
et garçons. Un fructueux échange de
réflexions et une coopération authentique devait
ainsi naître entre maîtres et élèves. En
outre, ces pratiques pédagogiques répondaient tout
à fait aux présentations déjà
développées dans le mouvement de
«l'école du travail» de Georg Kerschensteiner et
de Peter Petersen, entre 1920 et 1933, et que Freinet connut tous,
lors de ses visites à Humburg-Altona (1922) et Leipzig
(1928). Ce qui manquait dans les écoles allemandes,
notamment à cause de leur trop forte dépendance de
l'administration scolaire, Freinet l'avait réalisé
avec ses adhérents dans la C.E.L., où étaient
produites, dans une très large mesure, des techniques de
travail pour toutes les disciplines et toutes les classes
d'âge. Une abondance inestimable de suggestions était
proposée à notre travail, adaptables à nos
propres conditions.
H. J.
Dans notre coin naquit un groupe Freinet second degré: les
idées de Freinet y circulaient et un véritable
tâtonnement expérimental en même temps que
beaucoup d'enthousiasme permirent l'essai de pratiques
pédagogiques, conciliables avec l'institution du second
degré: pédagogie de l'écoute, du respect de
l'adolescent, du déblocage des forces vives, recherche
d'outils de travail, réalisation de journaux,
correspondances à travers la France.
M. C.
(...) Le plan professionnel - mais peut-on le distraire du plan
personnel? - le plan professionnel se trouva bouleversé par
la rencontre avec Pastorello, puis Alziary, enfin Freinet. J'y ai
gagné une classe vivante, heureuse, ouverte sur le monde
extérieur - j'avais l'impression de mieux former mes
élèves aux futurs aléas de leur vie -, plus
facile à faire en fin de compte avec, évidemment, en
contrepartie, une énorme somme de travail: fichiers
à fabriquer, livres de base à lire, fichiers
auto-correctifs à perfectionner, réunions, fouilles
le jeudi avec des volontaires, voyages, théâtre,
etc... Les rapports enseignants-enseignés se
trouvèrent très profondément modifiés
et des amitiés durables s'établirent entre les
élèves et moi-même, amitiés qui
perdurent encore avec des hommes et des femmes qui, à
l'heure actuelle, ont plus de soixante ans.
Ce qui apparaît aussi comme remarquable reste le ciment
d'amitié qui naquit d'abord entre les maîtres proches
géographiquement, puis qui s'élargit à ceux
de régions plus lointaines pour même déborder
le cadre de la France. J'entretiens encore avec des
retraités de mon âge - j'ai 73 ans - des relations
épistolaires. C'est dire!...
Et puis ce furent les stages Freinet où nous encadrions des
instits désireux de s'initier aux techniques de
l'imprimerie à l'école, en particulier celui de
Boulouris, la présence dans ma classe de futurs enseignants
venus parfois de l'étranger, les conférences sur les
Techniques Freinet dont l'une m'entraîna à Lausanne,
en Suisse. Enfin la tenue, pendant toute une année, de la
rubrique pédagogique de l'Ecole Emancipée, rubrique
alors sous la responsabilité d'Hélène
Bernard, de Marseille.
R. J.
Célestin allait être le compagnon majeur avec lequel
j'ai compris ce qu'était l'Education, éducation,
enseignement des enfants, mais aussi éducation de soi, par
les contacts avec les enfants d'une part, et, d'autre part,
grâce aux rencontres avec des camarades participant aux
travaux de l'I.C.E.M..
Certains camarades ont surtout creusé dans des disciplines
différentes tout en maintenant la polyvalence des
techniques dans leur classe: l'un, curieux d'histoire, savait
emmener ses enfants vers la recherche ; l'autre de formation
plutôt scientifique, initiait de façon très
pointue ses élèves à l'observation, un autre
obtenait dans sa classe de superbes peintures. Mais tous donnaient
avant tout, la parole ou favorisaient les actions des enfants qui
leur étaient confiés.
F. L.
Pour moi, Freinet est comme un mariage qui chaque jour apporte
plus d'affinités et me procure ainsi des interrogations sur
les différences existantes dans les quelques vécus
de mon expérience, au Nord-Est du Brésil. La
richesse pédagogique et existentielle qu'apporte la
Pédagogie Freinet m'a apporté des joies grâce
aux possibilités acquises mais en même temps, je
constate la différence de notre histoire dans le temps et
dans l'espace. Mais je surmonte ces différences quand je
vis les principes de base de la Pédagogie Freinet:
liberté d'expression, coopération, tolérance,
respectant la démarche de chaque élève et de
chaque professeur en liant l'école et la vie, le changement
des habitudes avec une quête constante de nouvelles
expériences m'entretiennent en apprentissage continuel.
L'apprentissage avec les écoles de favelas a
été difficile et je me sentais faible devant les
difficultés en étant éloignée mais j'y
suis toujours retournée car je crois que le travail
avance.
Me sentir en processus d'apprentissage constant m'apprit comme
à Célestin Freinet et à ses amis que le
savoir n'est pas la propriété de quelques-uns mais
qu'il est à la portée de tous... Continuer mon
chemin et apprendre chaque jour de ma vie pédagogique et
personnelle font de moi «un éternel
apprenti».
Fatima Morais (Brésil)
Ce n'est pas seulement Freinet qui nous a apporté, mais le
Mouvement Freinet tout entier. Bien sûr, Freinet en est
à l'origine, mais les pionniers qui l'avaient rejoint
avaient le même ESPRIT.
L'expression libre dans ses divers domaines, m'amenait souvent
à me poser des questions sur les réactions de tel ou
tel enfant, sur... peut-être ses problèmes. Comment
les déceler? Comment l'aider? D'où le besoin pour
moi de me documenter davantage, de travailler à la
commission «Connaissance de l'Enfant».
La correspondance, les échanges, le travail au sein
d'équipes diverses, les stages, les congrès ont
tissé entre les camarades des liens qui sont allés
se renforçant au cours des années.
Sacrifier une semaine de vacances pour un stage, payer de ses
deniers stages et congrès, non ce n'était pas un
sacrifice. C'était avec joie qu'on s'y préparait,
qu'on y participait pleinement, emportant documents, travaux...
à soumettre à l'appréciation des autres,
toujours dans l'espoir d'aider le Mouvement à aller plus
loin.
Pour ceux des années 1950-70, c'est toujours avec la
même joie qu'on se retrouve - stages Guérin,
Rencontres Espéranto...-, parfois après des
années d'éloignement, et qu'on est encore
prêts à se remettre au travail ensemble.
Pendant l'été 1947, Paul suivit le stage Freinet
à Cannes. Il consacra, en outre, bon nombre de jeudis
à la correction des projets de B.T.. Le Chanvre
(n°133) qui sortit en décembre 1950, puis
l'Architecture Renaissance en Touraine (n°389) pour lequel il
prit également des photos (travail de longue haleine qui ne
fut publié qu'en janvier 1958!). En 1957 était
créé le supplément S.B.T., puis B.T.Son en
1960, B.T.J. en 1965, B.T.2 en 1968 et Périscope en 1983
pour les collégiens et lycéens, J.Magazine en 1979
pour les enfants qui commencent à lire, Grand J. en 1990
pour les sept-neuf ans.
Dans notre milieu forestier, les animaux, la chasse à
courre donnaient lieu à de nombreuses études et de
recherches. En février 1956, l'hiver étant
très rigoureux les enfants du C.E. s'étaient
apitoyés sur le sort des cerfs dans la forêt
enneigée. Chaque jour, apportant une nouvelle idée,
une nouvelle aventure, peu à peu est née l'histoire
de Faon-Faon, à la fois pleine d'imagination et de
détails réels pris sur le vif. Depuis sa naissance
au creux d'un taillis empli de violettes et de coucous, chaque
jour une nouvelle page agrémentée de dessins allait
s'ajouter aux autres, sur le mur. Il en est résulté
la B.T.J. n°29, Cerfs, Biches et Faons, parue en 1968, mais
dépouillée de toute la poésie de l'album
original.
Dans les cahiers de roulement, les circuits, les diverses
équipes de travail, nous avons maintes fois
vérifié cette formule chère à Freinet:
«Travailler ensemble». Chacun exposait son travail, ses
échecs aussi bien que ses réussites, ses
problèmes. Tous profitaient des expériences des
autres et s'enrichissaient mutuellement de leurs connaissances
dans des domaines divers. - ex. après le stage de
Grandmont, le cahier avec Emile, Le Gal et d'autres -.
En travaillant ensemble, on apprenait à se connaître,
à s'apprécier, même quand on n'était
pas d'accord, n'hésitant pas à apporter sa critique
dans un but constructif. - Je pense à des critiques faites
lors de démonstrations, qui voulaient surtout montrer aux
nouveaux des écueils à éviter -.
D. P. P.
Après la mort de Freinet, pour répondre au
désir d'Elise de multiplier les manifestations ICEM dans
diverses régions de France - Congrès
régionaux -, nous avions mis sur pied, à Brest,
durant les vacances de février 1969, les Journées
d'études régionales ICEM pour tout l'Ouest. Elles
devaient être un moment de réflexion et de discussion
sur la pédagogie Freinet.
Lors de la dernière journée de travail à
laquelle participait l'Inspecteur d'Académie du
Finistère, Madeleine Porquet, Inspectrice des Ecoles
Maternelles, et militante du Mouvement Freinet, lui a
demandé:
- «Accepteriez-vous la création d'une Ecole
Pédagogie Freinet?»
Favorable à cette «Unité
Pédagogique», l'Inspecteur d'Académie a
donné son accord de principe... si une école
s'ouvrait, à Brest par exemple.
Nous avons attendu plusieurs mois... Une réponse
affirmative est parvenue au Groupe finistérien de l'Ecole
Moderne, début décembre 1969. Une école
devait s'ouvrir à Kérédern, un quartier neuf
de Brest, à la rentrée scolaire 1970-71, cinq
classes devant fonctionner à cette date.
Le 5 février 1970, le Groupe ICEM du Finistère, en
Assemblée générale, précisait les
conditions de notre acceptation:
l - L'équipe d'animation de cette école
constituerait une «Unité Pédagogie
Freinet», avec la liberté donc
d'expérimentation dans le cadre de cette
pédagogie.
2-L'équipe proposée - 5 camarades de la
région brestoise appartenant au Groupe ICEM 29 et
volontaires pour vivre l'expérience - devrait être
nommée «en bloc». Nomination globale de
l'équipe et non nomination d'individus.
3-L'école fonctionnerait avec un effectif maximum de 25
élèves par classe.
Après les incontournables péripéties
administratives et surtout syndicales, la création de
l'Ecole Pédagogie Freinet de Brest-Kérédern
fut acquise à 1'unanimité, lors du Comité
Technique Paritaire des 24 et 25 février 1970.
Au Mouvement du Personnel de juin 1970, chacun des cinq
volontaires a ainsi formulé sa demande de mutation: Je
sollicite ma nomination à l'école Pédagogie
Freinet de Brest-Kérédern au sein de l'équipe
présentée par le Mouvement de l'Ecole Moderne du
Finistère: Emile Thomas, Mimi Thomas, Marie-Louise Donval,
Jacques Bachelot, Denise Cévaër. Je retire ma
candidature si l'équipe entière n'est pas
nommée.»
Finalement, nous avons été tous nommés et
même au barême.
Nous commençons donc à cinq notre vie
d'équipe Freinet à la rentrée 1970-71.
Les deux premières années se déroulent dans
une vieille école désaffectée d'un autre
quartier et qui a un petit air d'école de campagne, en
attendant la construction de l'école dans laquelle nous
devrons normalement fonctionner mais sur l'architecture de
laquelle nous ne pourrons hélas influer. Pourtant, les
enfants avaient imaginé de nombreux plans!
Et nous allons tâtonner!
- Cinq maîtres qui vont travailler ensemble,
échanger...
- 75 enfants (lère année de 1'école) venant
de 23 écoles différentes et dont le nombre va aller
en augmentant comme celui des maîtres.
- Des parents à qui nous devrons expliquer une
pédagogie différente de celle qu'ils connaissent,
que nous devrons convaincre... Malgré l'opposition de
certains, nous finirons par en convaincre la majorité.
Ce tâtonnement général va faire
naître:
- les conseils coopératifs de classe et les conseils
d'école pour établir les règles de vie,
discuter les projets...
- nos réunions hebdomadaires entre enseignants, sur tous
les problèmes qui se présentent, en plus des
réunions informelles à 2, 3...après la
classe.
- nos réunions avec les parents et même des
réunions de parents entre eux, à l'école.
-l'ouverture entre classes pour différents ateliers au
niveau de l'école. Exemple: réalisation d'une
fresque murale dans le préau (25 à 30 mètres
de long).
- l'ouverture aux parents qui animeront aussi des ateliers.
- l'ouverture à d'autres intervenants.
- l'ouverture à des enseignants intéressés
par notre pédagogie.
- les relations avec le Centre Social voisin où nous avons,
un moment, organisé des ateliers pour les enfants du
quartier le mercredi après-midi.
- des activités avec un groupe en recherche des Eclaireurs
de France...
- Nous participerons même à l'installation d'un
marché bio dans le quartier en soutenant de jeunes
agriculteurs.
Peu à peu, nous réussirons à créer un
climat de confiance qui annule rapidement les rapports
hiérarchiques dans l'école, facilitant ainsi, les
relations à tous les niveaux. Mais malgré un
inspecteur sympathisant, nous ne réussirons pas à
faire établir d'autres critères d'évaluation
de notre travail que l'inspection traditionnelle.
A la rentrée scolaire 1972-1973, nous intégrons
l'école neuve «style caserne». Il y a dix
classes, donc dix maîtres. Un peu plus tard, nous
obtiendrons une classe de perfectionnement que rapidement nous
allons transformer de notre propre autorité, celle de
l'équipe. Les enfants qui administrativement devraient s'y
trouver restent dans les classes dites normales, la
maîtresse de perfectionnement les recevant à tour de
rôle par petits groupes pour un soutien
déterminé, même d'autres enfants iront y
chercher un «p'tit coin tranquille».
Nous étions forts de nos idées et nous avons
beaucoup travaillé et malgré l'architecture de
l'école, une vie agréable pour les enfants s'est
établie même si, de temps en temps, il a fallu faire
le point ensemble, enfants et enseignants. La vie de plus de 200
enfants ne s'organise pas comme pour 75.
Un extrait de la Charte de l'équipe
L'équipe pédagogique de Kérédern est
constituée d'enseignants volontaires pratiquant la
pédagogie Freinet dont ils respectent les principes
fondamentaux et qui s'engagent à adhérer à
ses projets pédagogiques et institutionnels.
Sur le plan pédagogique, les membres de l'équipe
rappellent leurs démarches actuelles:
- l'apprentissage de la lecture sur au moins deux ans
- le respect du rythme de chaque enfant par le travail
individualisé et l'harmonisation des programmes
- le soutien pédagogique apporté de façon
non-discriminatoire
- la libre utilisation de la bibliothèque d'école,
outil de travail privilégié
- l'existence d'ateliers décloisonnés, animés
par des parents
Sur le plan institutionnel: la vie coopérative et la
gestion collective de l'école...
au niveau de la classe:
élaboration en commun des plannings quotidiens ou
hebdomadaires, des règles de vie du groupe classe, d'une
organisation matérielle propre au groupe.
au niveau de l'équipe:
la mise en place de commissions chargées de
l'administration, des finances, des relations avec l'ICEM, de la
bibliothèque, des relations avec les parents
d'élèves, de la vie syndicale la mise en place de
réunions fixes hebdomadaires (problèmes
administratifs) et de réunions pédagogiques.
au niveau de l'école:
existence d'un conseil d'école
(délégués de classes et représentants
des maîtres) qui statuent sur les règles de vie de
l'école, les projets pédagogiques...
Ce qui a, peut-être, été le point d'orgue
pendant ces années, c'est notre bibliothèque.
Au Congrès Freinet d'Aix-en-Provence, à Pâques
1973, où nous présentions une exposition sur le
thème «L'ouverture de l'école», nous avons
participé aux débats animés par Colette
Marchand sur l'importance d'une bibliothèque et
visité l'exposition présentée par «La
joie par les livres» «Echanges et
bibliothèques». Nous nous portons volontaires pour
l'expérience d'une bibliothèque à
l'école qui serait offerte par Echanges et
bibliothèques.
Après diverses tractations avec l'Inspecteur, la
Municipalité, la bibliothèque municipale et Mme
Gruner Schlumberger présidente d'Echanges et
bibliothèques, celle-ci nous informe, le 3 mai 1974,
qu'elle nous fournit la somme de30 000F pour l'achat de livres, la
Municipalité brestoise fournissant la même somme
d'argent pour l'aménagement de la grande salle de
l'école.
Et l'aventure commence.
Une bibliothécaire de l'Association qui la paie vient
travailler de septembre 1974 à la fin de l'année
1975. Pendant trois mois, sous sa direction, des mamans vont
travailler avec elle pour l'étiquetage, la couverture des
livres, la préparation des fiches...
En janvier 1975, les enfants prennent possession de ce lieu qui va
devenir le coeur de l'école. Ils en deviennent les
utilisateurs à part entière, avec l'aide de la
bibliothécaire, des «bibliomères», d'un
enseignant déchargé d'une partie de sa classe -
mi-temps -, et d'Emile le «bibliogrand-père» qui,
ayant pris sa retraite l'été 74, va pendant six ans
travailler à la bibliothèque,
bénévolement bien entendu, les après-midis du
mardi et du vendredi.
Nous n'étions pas peu fiers de notre trésor que sont
venues visiter de nombreuses personnes militant dans
différents quartiers de la ville, lorsque la
bibliothèque a pris sa vitesse de croisière.
Avant cela, les enfants, les adultes ont tâtonné pour
organiser l'utilisation des 4000 documents: BT, livres,
documentaires, albums, etc...
Il a fallu établir des règles, et plusieurs conseils
de classe, d'école, et réunions avec les parents ont
été nécessaires. C'est que le passage
à la bibliothèque était intégré
librement dans le plan de travail des enfants et il fallait
éviter l'encombrement.
Nous avons vu se développer le plaisir de lire, l'autonomie
des enfants, la collaboration entre petits et grands, leur
responsabilité dans le respect du livre - oh! bien
sûr, il a fallu de temps en temps faire ensemble des mises
au point: soigner les livres, ne pas faire de bruit etc...-, un
dialogue plus authentique entre les mamans qui travaillaient avec
tout ce petit monde. Des parents de milieu simple, ayant vaincu
leur timidité pour venir aider se sont sentis
valorisés.
Ça n'a pas toujours été un chemin de plaine,
et il a fallu affronter quelques vicissitudes, chercher des
solutions au départ de la bibliothécaire, au manque
d'instituteur détaché, etc...
Les années ont passé. Malgré diverses
circonstances défavorables: vieillissement du quartier,
opposition larvée contre une pédagogie
différente, problèmes avec l'Administration..., 25
ans après le démarrage de l'école,
l'équipe Freinet existe toujours avec sa
bibliothèque. L'école a été
transférée dans un autre quartier de Brest où
elle jouit maintenant d'un environnement plus agréable. Il
y a actuellement cinq classes.
Il nous arrive à tous les deux et à notre amie
Marie-Louise de nous y retrouver. Quelques camarades avec qui nous
avons travaillé, Annie, Yvon, Youenn... sont toujours
là.
M. T. et E. T.
Les années passées dans l'équipe
pédagogique de Kérédern à Brest furent
essentielles dans ma quête d'une technique de vie. Elles
m'ont apporté d'autres perceptions et perspectives dans le
domaine de l'éducation.
En même temps que je participais à de nouvelles
pistes d'activités, élaborées par
l'équipe, la recherche d'une autre organisation structurale
de l'école a très vite ouvert d'autres horizons: la
création d'une bibliothèque lieu de vie permanent,
le décloisonnement des classes, l'école ouverte sur
le quartier, le cheminement vers l'équipe élargie
impliquant toutes les personnes ayant quelque rapport avec
l'établissement, ont exigé un énorme travail
de réflexion et de mise au point... D'où des moments
très heureux, entrecoupés de confrontations parfois
houleuses. Mais aussi le sentiment pour tous les membres de
l'équipe, je crois, d'avoir réussi malgré une
architecture et un environnement figés, la construction
d'une Ecole plus vivante et plus conforme aux besoins et
aspirations des enfants. Et ce, malgré certaines critiques,
suspicions, hostilités.
En retraite depuis 1983, j'ai, depuis deux ans, été
sollicitée par les enseignants de l'école Freinet
brestoise pour animer un atelier dans le cadre d'activités
décloisonnées. Et je m'y sens bien, malgré
l'aspect peut-être un peu désuet de mon atelier
«bricolage»... et les enfants aussi, d'ailleurs, y
donnent libre cours à la création.
Autre constatation: admirative devant l'apprivoisement par tous,
les enfants comme les maîtres, des outils modernes de
communication, je décèle toujours dans le
bouillonnement de leurs motivations et recherches, la
pérennité des principes fondamentaux
énoncés par Freinet... Particulièrement
ouverture sur le monde.
M-L. D.
Les membres de l'école de Kérédern ont
consacré plusieurs séances de réflexion aux
conditions et aux principes de l'inspection. Ils ont
décidé d'élaborer et de soumettre le
présent projet:
Notre pratique pédagogique nous conduit à remettre
en cause le principe de la hiérarchie.
- D'une part, nous travaillons en équipe
pédagogique. Tous les membres de l'équipe sont
partie prenante dans les conceptions pédagogiques de
chacun. De nombreuses décisions sont le résultat
d'une réflexion collective. La classe de soutien en est un
exemple précis. La responsable de cette classe n'a pas
décidé seule de la forme de travail adoptée,
mais elle a auparavant réuni les enseignants de
l'équipe et élaboré avec eux les structures
de sa classe.
- D'autre part, l'un des grands principes de notre
pédagogie consiste à établir avec l'enfant
des relations amenant à une remise en cause de la
hiérarchie dans nos classes.Tout est basé, au sein
de la communauté classe, sur une vraie coopération,
qui, pour nous, consiste en une prise en charge, par la classe
tout entière:
- de l'organisation de son propre travail.
- du contrôle des diverses activités
- de l'élaboration de ses propres règles de
vie.Comme nous tentons de changer les rapports
enseignants-enseignés, nous pensons qu'il est
nécessaire d'étudier et de modifier les rapports
inspecteur-inspecté.Nous ne pouvons accepter l'inspection
individuelle et l'arbitraire du rapport et de la note. C'est
pourquoi nous avons pensé qu'il était
nécessaire de proposer à l'administration une
nouvelle forme de relations. Notre réflexion nous a
amenés à envisager:
- le refus de l'inspection
Ce choix n'est pas envisageable en équipe
pédagogique.
- l'inspection collective: elle répond le mieux à
nos aspirations d'équipe. Elle nous amène à
nous poser le problème de la notation: nous acceptons une
note dans la mesure où celle-ci n'est plus la sanction d'un
travail, d'un choix idéologique
- la note serait attribuée en tenant compte uniquement du
critère de l'ancienneté.
Il apparaît dans cette prise de position face à la
note que nous ne pouvons plus avoir avec l'administration des
relations hiérarchiques. Nous pensons que celles-ci
devraient être d'une autre nature.
L'IDEN est avant tout un conseiller pédagogique, en
particulier lorsqu'il rend visite à un instituteur.
Pourquoi, dans ces conditions, ne viendrait-il pas à
l'école dans le cadre de visites motivées par des
propositions de travail ou de réflexion sur des
thèmes, comme par exemple la bibliothèque de
Kérédern et la lecture, etc.....
L'inspecteur, s'il le désire, pourra venir dans nos classes
et ses visites auront un caractère identique à celui
des nombreuses visites que nous recevons et acceptons tout au long
de l'année (parents d'élèves - psychologues -
normaliens).
L'Equipe de Kérédern.
En septembre, les enfants ont très vite appris que
j'étais nommé sur le poste de directeur et n'ont pas
manqué de me saluer, un peu ironiquement je dois le dire,
d'un «Bonjour monsieur le Directeur».
Eh! oui, c'est mon tour cette année et pendant deux ans
encore, il faudra que j'assume le nom de Directeur.
- Comment ça, pendant deux ans seulement?
- Ben, oui. Chez nous, ça tourne, comme on dit.
L'équipe des instituteurs - nous sommes 5 - s'est mise
d'accord pour que la vie de l'école soit prise en charge
par l'ensemble des instits, tâches matérielles,
administratives et pédagogiques.
Cela rappelle, me dit-on, une gestion collégiale. Autrement
dit, le directeur n'est pas vraiment le directeur. Il
représente l'école parce qu'il en faut bien un, mais
tout le travail est partagé entre les 5 instits. Vous
voulez des détails? Bon.
Tout d'abord, une réunion hebdomadaire du mardi
après la classe nous réunit tous. S'y joignent
également la C.E.S. employée à la
bibliothèque. Nous passons en revue les différents
problèmes qui se sont présentés à
nous, lisons le courrier de la semaine pris en charge à
tour de rôle par chacun, ou selon ses disponibilités.
C'est un moment important car c'est là que se prennent les
décisions et que s'organise la semaine à venir, que
se répartit le travail à faire.
Par exemple,. Annie s'occupe des finances. Ce qui ne veut pas dire
qu'elle décide de dépenser toute notre fortune,
celà se décide en commun. Chaque classe a des
besoins particuliers en fin et en début ou au cours de
l'année et chacun estime pour sa classe les commandes
à réaliser. Annie rédige les conseils
d'enfants qui paraissent dans le journal des enfants «Chipie
La Galette». Elle range tous les papelards dans le bureau
où il y a toutes les archives.
Quelqu'un d'efficace donc et d'hyper organisée. Yvon, quant
à lui, a la prérogative d'être souvent
l'animateur de nos réunions, réunions de parents, du
conseil d'école.... eh, oui, il cause bien, sait
synthétiser, laisser le débat se dérouler
sans trop de digressions et permettre aux arguments des uns et des
autres de s'exprimer. Ce n'est pas systématique car
là aussi on essaie de tourner et d'animer à tour de
rôle.
Maryse s'occupe de la rédaction du
«Chipie-Infos», la «feuille de chou» que
reçoivent chaque lundi les parents d'élèves.
Lien indispensable pour une bonne intormation entre les
partenaires de l'école. Travail fastidieux certes quand il
faut rédiger et mettre en forme les articles des uns et des
autres et avoir la vigilance de ne rien oublier chaque semaine.
C'est la mémoire du groupe en quelque sorte. Loïc et
moi n'avons pas vraiment d'attribution particulière. Et
oui, c'est comme cela. Alors que faisons-nous? On n'arrête
pas... Entre les différents courriers à
rédiger pour la mairie ou l'inspection, les coups de
téléphone pour répondre ici et là,
s'occuper des relations avec les syndicats, il y a de quoi
faire.
Et puis... et puis... ce n'est pas tout. En effet, le directeur
reçoit une indemnité supplémentaire. Et si
vous vous distribuez le travail de direction, que devient cette
indemnité, me direz-vous?
Eh bien! elle aussi est mise à la disposition de
l'équipe et est utilisée chaque année selon
les besoins du moment ou bien on en discute l'utilisation pour
plus tard.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur l'équipe de
l'école Freinet. Travailler de cette manière permet
à chacun de se sentir soutenu, d'avoir un rôle
à part entière au sein de l'école et de faire
partie d'une dynamique collective indispensable à la bonne
marche de l'école.
Youenn Tempéreau
Il y a bien longtemps déjà Célestin Freinet
déballait au sein de sa classe de campagne les
premières casses d'imprimerie, réalisait ses
premiers journaux d'enfants, engageait la première
correspondance scolaire, avec René Daniel, instituteur
finistérien.
C'était là l'illustration vivante de trois grands
principes fondateurs de la pédagogie initiée par
Freinet, créer, s'exprimer et communiquer, puisés
à la source des besoins fondamentaux de tout individu en
devenir.
Textes imprimés, journal, correspondance, ces techniques
comme on les a appelées avec parfois un effet
réducteur pervers, se sont affinées au cours des
années, mûries grâce aux échanges
d'expériences coopératives de tous les instituteurs
qui les pratiquaient, pour devenir des outils adaptés
à leur époque....
...époque désormais bien révolue, qu'on le
regrette ou non, qu'on se sente ou non gagné par la
nostalgie de ces petits caractères de plomb
manipulés avec soin, de l'odeur
éthérée des encres grasses ou du coup de
langue sur l'enveloppe pour les «corres»,
déposée précautionneusement dans la
boîte aux lettres.
Car il faut bien le reconnaître, la cybernétique a
fait une entrée fracassante dans les classes Freinet. Il ne
se passe plus de jour sans que s'entendent les bips discrets des
ordinateurs ou le ronronnement incessant des imprimantes!
Le journal scolaire est passé à la moulinette du
traitement de textes, le scanner avale dessins et photos des
enfants, le fax avale et régurgite leurs échanges,
des foisons de messages télématiques
débarquent dans nos classes tous les matins, bientôt
le mail électronique avec l'escuela Freinet de Mexico sera
un jeu.... d'enfants grâce à Internet!
Non, tout ceci n'est pas le boniment illusoire d'un
représentant en matériel informatique
branché, ces outils ne fonctionnent que soutenus par la
trilogie de départ et ne sont qu'à son service,
créer, s'exprimer et communiquer de façon
authentique.
On n'a jamais vu l'outil créer le besoin, par contre
création, expression et communication ne manqueront pas et
ne manquent pas d'être dynamisées par ces outils
nouveaux donc prometteurs.
PS.: que les nostalgiques se rassurent, les casses de plomb de nos
vieilles imprimeries Freinet et nos limographes sont toujours
fidèles au poste!
Yvon Gac.
Employée en tant qne C.E.S. je m'occupe de la
bibliothèque. Ayant fait des études
supérieures, mon statut me fait pester quelquefois, mais
j'estime avoir de la chance de faire quelque chose qui
m'intéresse et dans un milieu où je suis
considérée. Je me passionne vraiment pour le travail
autour des livres et le public d'enfants est toujours surprenant.
A l'école Freinet, la bibliothèque a une place
importante dans la pédagogie. C'est agréable de voir
qu'elle est bien exploitée. Il ne s'agit pas seulement d'un
lieu où les enfants peuvent emprunter un livre mais d'un
lieu vivant où l'on apprend à être autonome
dans ses recherches documentaires, un lieu agréable
où l'on aime se retrouver autour d'un livre.
La bibliothèque est un peu la plaque tournante de
l'école où l'on sait qu'on peut trouver une oreille
attentive à toutes sortes de problèmes.
En fait, c'est chouette de trouver sa place dans cette
école si dynamique où tout est basé sur
l'échange, le dialogue et l'écoute.
Laure Bertucci
Le journal, outil essentiel, avait besoin des nouvelles techniques
pour être imprimé plus fréquemment.
Ces nouvelles techniques, on savait bien ce qu'elles
étaient, mais les instituteurs n'étaient pas
très «branchés ordinateur».
C'était en 1990 et l'opportunité existait depuis
peu: embaucher et payer un C.E.S. sans se ruiner. L'association de
parents fut rapidement convaincue et je m'installai avec
l'ordinateur, le fax, la photocopieuse et le
téléphone dans la «Salle Informatique et
Communication».
Les communications à l'école Freinet.
- Le journal des enfants (hebdo).
- Le journal d'infos adultes (hebdo).
- La distribution dans les classes des fax qui nous
parviennent.
- La distribution dans les classes des messages minitel.
- La distribution dans les classes du courrier.
- La rédaction des fax, lettres, messages minitel.
Ma salle fonctionnait, comme la bibliothèque, en atelier
permanent, lieu où l'enfant va seul pour y faire ce qu'il a
à faire, souvent taper un texte pour le journal,
expédier un fax ou préparer un message pour le
minitel.
Toutes les écoles Freinet ou presque ont leur journal.
C'est là que les enfants s'expriment, il est lu par tous ou
presque, et les parents ne sont pas les derniers à le lire.
Tout à l'heure un enfant de l'école me parlait de
ses grandes vacances... «D'ailleurs, tu as dû lire
ça dans Chipie, Ça se passait au Portugal, tu vois
pas...? ah! bon!». On y apprend plein de choses.
La messagerie minitel, quant à elle, permet des
échanges de messages courts, des petits textes, des
demandes de documentation, des demandes de correspondants, des
résultats d'enquête... Ces messages peuvent
être tapés directement au clavier du minitel, mais
l'ordinateur permet qu'on les prépare à l'avance et
on gagne du temps à l'expédition, donc de l'argent.
Le matin, il y a toujours un môme qui est en avance pour
mettre en marche l'ordinateur et lancer le programme de
récupération des messages. Les messages sont
photocopiés et distribués dans chacune des classes
pour être lus. Et si on veut répondre, on trouve un
moment pour aller taper sa réponse! Tout cela nous
paraît à nous un peu routinier, mais on se rend bien
compte que ces petits font leur vie d'une manière
plutôt sympa, et acquièrent une facilité
à communiquer que bien des adultes leur envient.
Le lundi, c'était le jour de maquettage et de la photocopie
des journaux, souvent cinq feuilles A3 en recto verso, cent trente
exemplaires de chacun, pour faire des journaux de vingt pages,
agrafés au milieu. Tout cela occupe quatre enfants et
moi-même pendant toute la journée, sur un rythme
dément. Quelle joie de pouvoir distribuer, une ou deux
minutes avant la fin de la journée, ce papier que tout le
monde attend! Il restera, pour le lendemain, à faire les
étiquettes pour l'expédition par la poste, de trente
exemplaires, à des écoles qui nous expédient
leur canard, en échange. Coopération, c'est le
concept primordial. Les enfants coopèrent, s'entr'aident,
demandent de l'aide aux adultes. Les adultes font de même
entre eux et envers les enfants.
J'ai participé à cette micro-société
pendant trois années en contrat C.E.S.. où j'ai
apporté mes compétences et certainement des marques
de ma personnalité, j'y ai appris beaucoup et j'ai
donné autant. J'ai participé à toutes les
réunions du personnel de l'école (deux heures le
mardi soir,. un repas à l'extérieur chaque semaine
pour discuter, plus détendu, les temps de
récréation....) sans compter le colloque des
écoles rurales, les réunions du groupe
départemental de l'ICEM. Actuellement je perçois
encore mes allocations de chômeur, suite à cet
«emploi» et je travaille encore pour l'école,
bénévolement si on peut dire (car je ne pourrais pas
le faire sans les subsides prodigués par l'ASSEDIC! qui
aurait bien tort de me couper les vivres!
Henri Boitier - Chômeur
Un jour, poussé par le désir de
«protéger» mes enfants de relations
pédagogiques néfastes (à mon goût), je
poussai la porte de l'Ecole Freinet.
Les locaux n'étaient pas moins poussiéreux, ni plus
beaux que dans un autre groupe scolaire, mais j'eus la sensation
immédiate qu'on y respirait un air plus frais.
C'était en milieu de matinée et j'arrivais un peu en
intrus. Quelques enfants circulaient et me regardaient, l'air
beaucoup moins intrigué que moi qui découvrais dans
leur manière d'être la marque d'une grande
liberté. Cette première impression ne fit que se
confirmer par la suite lorque je discutais avec les instits ou les
enfants.
A «Freinet», à la base de tout, il y a le Respect
de l'Autre, à quelque place qu'il se trouve. Cela, je le
remarquai tout de suite et c'était déjà
énorme. Mais en plus de la vie en bonne intelligence, je
sentais ce désir de fédérer, d'associer,
d'entrelacer les compétences, de nouer des liens entre les
membres de l'école: instits, enfants, parents....
Ensuite, ce fut la très grande importance accordée
à la liberté d'expression qui m'enthousiasma. Ce
droit, si fondamental, est ici institué et vécu avec
un rituel très solennel comme il se doit aux choses
auxquelles on tient particulièrement. Mais la
solennité ne brise en rien le charme de la
spontanéité. Et comme ça fait du bien
d'entendre un enfant dire qu'il n'est pas d'accord et pour quelles
raisons il ne l'est pas!
Enfin, la pédagogie de l'école Freinet me remet en
mémoire cette phrase superbe: «Apprendre sans
désir, c'est désapprendre à
désirer».
Aussi, quand mes enfants s'en vont ou reviennent de
l'école, je me dis que «Freinet» est vraiment
l'école telle que j'ai toujours désiré
qu'elle soit.
Jacques Cosson. - (parent d'élèves)
Vue de l'extérieur, c'est une école absolument comme
les autres: c'est-à-dire franchement pas terrible, un peu
grisounette sur les bords, un peu trop anodine au milieu. Vue de
l'intérieur aussi d'ailleurs: des dessins d'enfants
surréalistes ou trop réalistes au choix,
épinglés sur les murs. Un couloir flanqué de
rires, de cavalcades et de traces de pieds sur les murs. Une cour
un peu étroite un tourniquet banal. Et surtout des
frimousses vieilles de sept à dix ans, absorbées
dans leurs galops effrénés, ou des fronts tout
plissés sur une addition un peu corsée. Une
école, quoi.
Sauf que dans cette école, on ne pense pas tous les jours
aux vacances, parce que dans cette école on s'y trouve
bien. Je sais de quoi de parle, j'y suis allée.
Il y a un petit quelque chose qui flotte dans l'air, un petit vent
qui donne faim d'apprendre, de regarder, de construire, de faire
des projets, et de les réaliser, de rire et de voyager, de
jouer et de travailler, de rencontrer des tas d'amis et de les
aimer. De vivre, enfin. Normal, vous allez me dire une gamine de
neuf ans, c'est rare qu'elle n'ait pas envie de tout ça
O.K.. Mais avez-vous déjà rencontré un enfant
à qui l'école donne envie d'ouvrir les yeux?
Alors bon, moi, je dis merci. Merci à mes parents d'abord
qui ont eu l'idée éminemment appropriée de me
mettre à l'école Freinet. Et merci à
l'école pour m'avoir permis d'apprendre à mon
rythme, sans être jugée ni classée
instantanément dans les «bons» ou les
«nuls». Merci pour m'avoir permis de développer
ma propre personnalité, d'exprimer mes idées sans
être obligée de rentrer dans aucun moule. Merci pour
toutes les choses indispensables - étrangement
extérieures au programme scolaire - que j'ai apprises:
gérer mon travail toute seule, faire du ski, gréer
un bateau, faire du théâtre, m'exprimer en public -
cette liste n'est, bien entendu pas exhaustive - en plus des
matières classiques dans lesquelles je me débrouille
plutôt bien. Tout ça dans l'ambiance la plus
épanouie que j'ai connue de ma vie d'accord, pas
très longue. Cinqannées de bonheur. Si, si, c'est
possible.
Hélène Festy - Ancienne élève - Ecole
Freinet
-
L'enfant, acteur de sa propre formation
- En 1963 une visite de trois jours avec Freinet est
programmée pour visiter à Milan, une dizaine
d'écoles...
La première, c'est l'école maternelle
Montessori.
Freinet nous disait parfois: «c'est une grande
ancêtre».(Jamais, il n'a oublié de se
référer aux anciens pédagogues, et il a fait
publier sur les B.E.N.P., leurs biographies... elles sont encore
à lire.
«Mais étant plus jeune qu'elle, c'est comme si je
montais sur ses épaules».
Un vrai palais dallé de marbre nous accueille, avec sur le
sol, les formes des petits pieds en marbre de la couleur des
classes.
Nous sommes frappés par le silence. Une école
maternelle ça vit, ça piaille. Ici rien.
La salle est remplie de très jeunes enfants, tous assis en
rangs de tables, et de leurs petites mains, ils enfilent un petit
truc dans un machin, avec sérieux. Une jeune petite bonne
soeur trottine, en chaussons, entre les rangs. Allons-nous oser
lui demander le pourquoi, le comment du silence? Freinet
lui-même hésite.
«Oh! mais dit la jeune bonne soeur, je ne leur parle
jamais...»
Je conserve de cette visite une vision de frigidaire. Le
décor de la pièce de réception est plastique
- avec - sur la table, une grosse brioche. Elle l'est
peut-être elle aussi? Ces dames sont gentilles pourtant.
Ensuite, visite de l'école primaire. Les maîtres nous
disent à voix basse: «Que vous avez de la chance, vous
Français! vous êtes libres de votre méthode,
dans vos classes».
Nous apprenons que l'école entière, de la Maternelle
au Secondaire, appartient au Groupe des Puissantes
Aciéries. Nous échangeons nos remarques avec
Freinet. Il s'en trouve une que je crois exacte: c'est la
constatation que nous venons d'assister au préapprentissage
des futurs ouvriers, qui, dès le jeune âge, sont
conditionnés aux gestes d'obéissance et
d'automatisme des chaînes.
Cette visite à l'école Montessori ravivait en
Freinet la hantise de voir sa pédagogie
fossilisée.
Maria Montessori ne l'avait-elle pas provoquée par
elle-même, sans peut-être s'en rendre compte, en
instituant un «label Montessori» qui avait un code
immuable, malgré le temps qui passait.
Freinet lui-même s'est toujours refusé à une
attitude semblable, jamais il n'a qualifié sa façon
d'enseigner de méthode.
Une méthode se fige sous des règles trop rigides.
Les techniques évoluent. A celui qui se les approprie, de
ne pas en être esclave et n'accepte pas d'entraver
l'idéal qui le soutient.
Aucun mouvement humain ne peut être à l'abri des
interrogations, ni des choix d'orientation. Si, au long du temps
et des courants sociaux, les idées qu'il propage sont
encore porteuses d'espoir et d'action, c'est que ceux qui oeuvrent
ont trouvé, ou retrouvé, les racines de l'homme.
Tel l'arbre, la condition est de ne pas scier le tronc en
empêchant la sève de monter.
Nul au monde n'a le droit de priver un être de son
épa-nouissement et de son élan de vie.
P. Q.
Au cours de mes diverses expériences, c'était le
contact avec Célestin Freinet, la théorie du
tâtonnement expérimental, le concept travail-jeu, la
méthode naturelle d'apprentissage et surtout la technique
du texte libre, qui vraiment m'ont fait comprendre, et vivre,
comment en partant de l'enfant, lui faisant confiance, lui
permettant de s'exprimer, se réaliser et créer, on
pouvait atteindre les objectifs fondamentaux d'une école
qui, au lieu d'imposer des connaissances, les suscite, au lieu de
modeler de l'extérieur, provoque le fleurissement
intérieur de toutes les potentialités humaines.
Maria Amàlia Borges (Portugal)
La pédagogie Freinet m'a ouvert de nouveaux horizons, elle
m'a révélé que l'enfant, comme tout
être vivant se développe surtout par son
activité personnelle. Pour que l'enfant développe
ses aptitudes, il n'est qu'un secret «faire agir l'enfant,
mobiliser son activité».
L'éducateur doit être un
«entraîneur», un guide un
«éveilleur». Il oriente, stimule, il
contrôle. L'attitude de l'éducateur est faite de
compréhension, de calme, de confiance, d'une certaine joie
de vivre et de se retrouver ensemble.
Je rends hommage à Freinet. Grâce à ses
techniques, j'ai su me préserver de toute sclérose
scolastique. Je suis descendu de ma chaire-piédestal, j'ai
ouvert les fenêtres, j'ai décroisé les bras,
tout en enflammant l'âme de l'enfant et en
réchauffant son coeur.
Sans Célestin Freinet, ma pratique scolaire aurait
été sans jus et sans grande réussite. Ces
élèves qui ont fini leur scolarité dans mes
classes à Rosport, en sont les témoins. Ils m'ont
certifié que les techniques Freinet ont été
pour eux un grand enrichissement pour leur carrière
future.
A. S.
A nous, les anciens compagnons de Freinet, la présentation
et la réalisation d'une pédagogie qui donne la
parole aux enfants sont devenues une mission vitale. Pour nous,
appartenir par delà les frontières, les pays, les
langues, à une grande famille d'hommes qui, non seulement
professionnellement, mais aussi à des occasions
personnelles sont présents l'un pour l'autre, est devenue
une heureuse certitude. Grâce à Freinet, nous sommes
unis et sécurisés dans une grande communauté
qui poursuit un même but: créer pour nos enfants une
société qui respecte leurs droits et leurs besoins,
leur propre valeur et leur personnalité et leur donne la
possibilité de devenir des hommes actifs responsables,
libres, et ouverts à la critique.
H. J.
Au point de vue pédagogique, Freinet nous a apporté
beaucoup dans la pratique de la classe: mettre en confiance, faire
confiance comme faisait Freinet avec chacun de nous.
Les relations avec nos élèves de fin d'études
n'étaient pas celles d'un adulte avec des enfants, mais
celles de personne à personne.
Nous avons pratiqué la pédagogie de la
réussite au lieu de mettre l'accent sur les échecs,
nous nous sommes penchés sur les plus faibles ceux qui
avaient le plus besoin de
nous.
C. Y. F.
Dans ma classe Freinet, je n'étais plus responsable de la
discipline. Mes gamines avaient compris que pour vivre en groupe
il faut des règles. Et ces règles, c'étaient
les leurs. C'étaient elles qui les avaient
élaborées au départ, puis modifiées
quand elles le jugeaient nécessaire. C'étaient elles
qui les faisaient respecter. Et ça change tout.
Juliette Moulineau.
Ne pas admettre les évolutions récentes du
système éducatif, au moins dans le discours, parfois
dans les pratiques, serait de mauvais aloi. N'a-t-on pas
insisté ces dernières années sur la
nécessité de se centrer sur l'enfant, apprenant?
Déjà en tant que pédagogue Freinet - il faut
toujours qu'ils ergotent ceux-là, c'est bien connu: jamais
contents! -. Je me demande pourquoi réduire l'enfant
à l'apprenant. Et puis à discuter avec
différents collègues, favorables par ailleurs
à cette évolution, souvent on comprend vite ce qui
nous sépare. C'est bien toute la distance entre l'apprenant
au sens strict et l'enfant, considéré dans sa
globalité, c'est plus fondamentalement cette rupture
philosophique d'une portée considérable.
En pédagogie Freinet, l'enfant - l'infans «celui qui
ne parle pas» - est appelé à sortir de la
condition dans laquelle on l'enferme depuis des
millénaires, il peut parler, il parle.
P. D.
L'excellente formule du psychanalyste Alfred Adler «Eduquer,
c'est comprendre et encourager» se vérifie. Un des
résultats de la pédagogie de l'Ecole Moderne
française les plus caractéristiques, n'a pas
manqué de toucher de nombreux cliniciens,
pédopsychiatres et psychologues, à savoir sa valeur
thérapeutique incontestable. Je m'en convaincrai au long de
mon itinéraire, dans votre sillage Freinet et Elise.
M. P.
Un pays ne peut évoluer que par ses conceptions nouvelles
et originales, allant dans le sens de l'épanouissement de
l'homme. Il n'a rien à craindre de l'avenir, si son action
s'exerce sur l'enfant, ce ferment d'avenir, en le
considérant comme un individu entier, avec sa
personnalité propre, ses problèmes, et qui, telle
une fleur, aspire à l'épanouissement, au
respect.
La pédagogie Freinet est valable pour tous les enfants et
tous les maîtres en marche vers un nouveau devenir. Il
suffit d'apporter le désir d'être utile à
l'enfance, de lui distribuer le bonheur auquel elle a droit, et de
faire un grand pas dans l'adaptation d'un enseignement aux besoins
actuels, réels des individus et des
sociétés.
Ab. B.
Quel bonheur nous apporte les enfants de nos classes!
Ils arrivent le matin, heureux d'arriver à l'école
et l'esprit vif, avec dix idées par minute. A peine sortis
du car, les voilà qui racontent leur soirée et qui
annoncent leurs projets tout en s'excusant parfois de n'avoir pu
finir telle ou telle chose.
Après nos dix minutes de footing matinal, nous sommes
prêts, les pieds au chaud dans les chaussons, à
écouter et à regarder, autour de la grande table,
dans l'ordre que le président de quinzaine fera respecter.
La petite fille d'à peine six ans et le
pré-adolescent de dix auront les mêmes droits et les
mêmes devoirs au sein du groupe coopératif.
Il faut oser laisser l'enfant apprendre c'est-à-dire
prendre à lui le monde qu'on lui donne. Il faut lui
proposer l'environnement le plus riche, le plus varié et le
plus complexe possible: des objets, des documents, des livres, des
outils, de la technologie, de la place... et des techniques.
Alors, il va nous impressionner par ses capacités, ses
inventions, son intelligence, sa rapidité et son envie de
faire.
Pourquoi un enfant devrait-il s'ennuyer à l'école?
Il passe dans son école une grande partie de sa vie, il y
vit, il y grandit, il y apprend le monde des humains.
Combien de passions enfantines ont débouché sur des
travaux d'adultes!
Bien sûr, il n'y a pas que Freinet a avoir pensé. De
tout temps, on a philosophé sur le petit d'homme. Mais
Célestin Freinet a accompagné sa pensée de
pratiques, d'inventions matérielles et celles-ci ont
engendré sa pensée en retour.
Avec Célestin Freinet, je travaille, je bricole, j'invente,
je teste, j'améliore et je suis fier. Je suis fier de ce
sourire d'enfant que j'accompagne un bout de chemin et qui
n'oubliera jamais.
He. M.
J'ai essayé, ça n'a pas toujours bien marché,
j'ai eu des déceptions- (à ce moment, je n'avais pas
l'aide que vous pouvez avoir maintenant - mais pour rien au monde
je n'aurais voulu revenir aux méthodes traditionnelles.
Parce que les techniques Freinet avaient apporté la
réponse à mes questions.
Parce qu'elles font entrer la vie dans la classe.
Parce qu'elles permettent aux enfants de rester en classe tels
qu'ils sont au dehors.
Parce qu'elles ne laissent aucun enfant à la traîne,
chacun y trouve la possibilité de réussir.
Parce qu'elles établissent entre l'enfant et nous un lien
d'amitié.
Parce qu'elles permettent l'épanouissement complet de
l'enfant.
Parce qu'elles apportent beaucoup au maître en même
temps qu'elles sont pour lui une source de joie et
d'épanouissement (en particulier, c'est un plaisir de faire
un C.P. et non plus une corvée).
Quand on a essayé et réussi, même
partiellement, les techniques Freinet, il est impossible de ne pas
être convaincu de leur supériorité.
C'est pourquoi nous les défendons parfois avec tant de
chaleur.
G. B.
Outre la prégnance d'un bon sens populaire, et sans vouloir
exagérer l'importance de l'oeuvre de Rousseau dans la
pensée de Célestin Freinet, il me semble
incontournable de rapporter d'abord bon nombre des
préceptes de sa paidagôgia moderne à un
fondement de morale humaniste. «Vivre est le métier
que je veux lui apprendre. En sortant de mes mains, il ne sera,
j'en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre, il sera
premièrement homme» dit Rousseau (Emile, 1). Mais
comment se fait-il que cet art soit si difficile? Un art qui somme
toute travaille une technique de vie ne porterait-t-il pas le nom,
rendu par Socrate célèbre, de philosophie? Si
philosopher c'est chercher une sagesse pour vivre, cette
tâche fut initialement recueillie dans l'énigmatique
oracle de Delphes: Connais-toi toi-même.
C'est précisément une tâche
évacuée par l'école que Freinet appelle
«traditionnelle», visant par ce concept tous les aspects
d'un conservatisme comptable qui «forme des serviteurs
dociles aptes à servir une bourgeoisie cultivée, et
usant encore des mêmes outils qu'elle s'était
patiemment forgée». Pour Freinet, l'Ecole
«moderne» est celle qui offre à chaque enfant une
«puissante préparation à la vie
prolétarienne», car éduquer, c'est former des
hommes, non des moutons, «former en l'enfant l'homme de
demain» dans une école «qui aidera les
démocrates de demain à réaliser la
société de leur rêve, d'où sera exclue
l'exploitation de l'homme par l'homme» (Educateur n°9
1965). Pourtant l'école est tout sauf un lieu
d'endoctrinement précoce à une idéologie:
traitez votre élève selon son âge, disait
Rousseau, et Freinet en fera un postulat de sa méthode,
«l'enfant évoluant à son rythme». Car
cette éducation moderne libératrice «doit
être avant tout une ascension libre et
créatrice».
Si Freinet n'hésite pas à parler d'une sagesse comme
étant le but de toute bonne éducation, cette sagesse
consiste à développer sa personnalité
«au sein d'une communauté rationnelle qu'il sert et
qui le sert». On ne peut que reconnaître dans ce projet
éducatif l'esprit des Lumières, dont le philosophe
Kant disait qu'il consistait en une volonté de s'affranchir
de «l'état de tutelle». Et les étranges
appels, multipliés par Freinet, à prendre en
considération l'exemplarité des sages tels que
Jésus ou le Bouddha, doivent pourtant être compris
comme incitation à la construction d'une sagesse
révolutionnaire. Ainsi apparaît le premier paradoxe
de la pensée de Freinet: l'éducation à la vie
ne saurait s'accomplir sans une volonté d'action
combattante, parce que «la vie est
révolutionnaire».
Freinet, lecteur de Rousseau, adopte une pensée humaniste
qui fonde ses valeurs sur une ontologie vitaliste: «La vie
est», lit-on dans Essai de psychologie sensible. Mais,
communiste-libertaire, Freinet rend les «conservateurs»
responsables de la grégarisation des hommes, de leur
conformisme, de leur minorité, de leur écrasement,
toutes négations de la vie opérées à
des fins de rentabilité. Prendre en vue
l'élément de la vie, dans l'action éducative,
c'est donc entrer en conflit avec le pouvoir répressif dont
l'Ecole «traditionnelle», malgré ses vertus
républicaines, est un appareil.
Centrer l'école sur l'enfant, comme on dit aujourd'hui,
voilà une rouerie du pédagogisme libéral. Il
n'a jamais été question, pour Freinet, d'une
solution pédagogique intra muros. Mouvement essentiellement
pédagogique, l'I.C.E.M. recommande cependant aux
éducateurs de «militer dans tous les domaines pour une
société nouvelle». De même, les discours
didacticiens en vogue depuis les années 70 croyaient nous
tromper en traitant abstraitement la question des savoirs,
reproduisant la vieille division entre l'étude
«intellectuelle» et le désir (ou le corps). Mais
aujourd'hui, la question se pose d'une évacuation en
règle des «contenus»: l'école dite de
masse liquide allègrement le problème de
l'éducation en se complaisant dans le simulacre de
l'étude. L'idéologie didactique, loin d'avoir
modernisé l'approche de l'éducation, s'est
enfermée dans le mépris des processus
matériels de la vie. Or Freinet a toujours conçu la
transmission des savoirs comme une production socialisée
(ex: le texte libre), l'enfant devenant centre de puissance dans
un réseau de recherches et d'études qui
proliférent par une appétissante pratique de la
pensée.
Centrée sur l'enfant, l'Ecole moderne doit être, pour
Freinet, une éducation à la puissance par
l'affirmation de la vie. Toute la critique, souvent très
polémique, de la scolastique réactionnaire
procède chez Freinet du présupposé d'un droit
de la vie. Mais le paradoxe ici vient de ce que «droit de la
vie» n'implique pas loi de la force. Affirmer son élan
vital pourrait sembler supposer la restauration pédagogique
d'une sorte d'état de nature où les enfants seraient
au coude à coude, chacun s'efforçant d'imposer sa
loi propre: l'école faite à la main d'une
élite, imposant sa domination.
Or, nous savons quelles sont les prémices dont part
Célestin Freinet pour dénoncer l'Ecole
traditionnelle inféodée à une
idéologie d'industriels de la connaissance. C'est donc par
un appel à reconnaître ce fait premier, la vie est
mouvement et changement, que Freinet institue sa pédagogie
sensible. Ce qu'il y a de révolutionnaire dans la
pensée de Freinet, c'est de n'appuyer l'éducation ni
sur des processus d'inhibition-culpabilisation du désir
dont la positivité est spécialement perverse,
alimentant un goût éhonté de sa propre
supériorité intellectuelle, ni sur une
idéaliste croyance en quelque vertu de la
non-directivité qui elle pourrait bien
dégénérer en loi de la force.
L'éducation Freinet est un tâtonnement
essentiellement aléatoire, articulant un désir
d'expression et une libération organisée par des
techniques évoluant en situation.
Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le triste
Calliclès présenté par Platon dans Gorgias,
la puissance ne se constitue pas en laissant jouer des passions
qui écraseront les «faibles». Pour Freinet, la
puissance est acquiescement aux forces de vie, et cela ne se peut
que dans la vertu spécifiquement humaine du travail
libérateur. Contrairement à Calliclès encore,
au coeur de la cité l'homme de Freinet n'y vit pas pour
asservir ses semblables en s'instaurant dominateur. Mais
l'impression joyeuse de puissance vient à chacun dans sa
coopération effective à une oeuvre de vie sociale,
par des activités consciemment voulues. Il y a un
devenir-libre des hommes qui se cherche d'abord dans le fait
éducatif, à condition que cette éducation
consiste strictement en «une ascension toujours
accélérée au-dessus de
l'animalité» (Essai de psychologie sensible).
L'inquiétude humaine doit être conduite, et non
laissée à l'arbitraire de ses affolements
passionnels. Freinet conçoit l'éducateur comme celui
qui rend possible l'organisation rationnelle d'un milieu de
travail coopératif où chacun pourra, avec les
autres, produire des savoirs et développer la joie qui en
découle, «promesse de son
épanouissement».
Henri Go
-
Pratiques dans nos classes
- Il n'est pas possible d'évoquer la pédagogie
Freinet sans aborder le quotidien de la classe.
Ayant compris que l'efficacité et la cohérence de
cette pédagogie passaient par un matériel
adapté, j'investis un mois de salaire dans des outils
acquis à la C.E.L.: imprimerie, limographe, collection des
«Bibliothèques de travail», matériel de
linogravure et de peinture, supports auto-correctifs
d'apprentissages individualisés... Et je me lançai
sans écouter les conseils de prudence de Freinet
lui-même: «Ne vous lâchez jamais des mains....
avant de toucher des pieds! C'est une grande loi psychologique du
tâtonnement expérimental... Les audacieux
espèrent se cramponner des mains assez longtemps pour
rebondir sur leurs jambes en tombant. S'ils se trompent, c'est la
catastrophe. La même loi est valable en pédagogie...
Vous ferez comme l'excursionniste qui veut avancer et monter,
certes, puisque la destinée de l'homme est de toujours
partir à la conquête d'un morceau de ciel bleu
tentant au-dessus de la ligne des montagnes. Vous suivrez les
sentiers battus le plus longtemps possible, tant qu'ils
mènent dans la direction désirée... Et vous
attaquerez les difficultés sans vous lâcher des
mains, solidement liés à la cordée qui vous
ramènera, s'il le faut, non sans quelque brutalité,
sur le terre-plein d'où vous pourrez à nouveau
repartir pour l'inéluctable conquête.»
Mon attitude pourrait paraître irresponsable. En
réalité, j'avais minutieusement
«préparé mon excursion» et m'étais
«encordé» puisque j'allais rester en liaison
étroite avec des collègues chevronnés.
Jacques Jourdanet
Une fois la classe organisée, nous imprimons notre premier
journal scolaire, «I'lsard», illustré au
texticroche et au limographe ; ce N°l paraît en octobre
1962. Plus tard, lorsqu'il devient plus volumineux, M. Batlle en
crée un second «Engolasters». De jour en jour,
l'expression écrite s'améliore grâce aux
nombreux textes libres, fichiers auto-correctifs, bandes
enseignantes, bibliothèques de travail, correspondance...
Celle-ci est toujours enrichissante, et nous avons la chance, par
surcroît, de correspondre avec des maîtres
chevronnés, l'Andorre présentant pour eux, un
certain attrait. Cécile Cauquil, en particulier, nous
apprend de nouvelles techniques de dessin, peinture, illustration
des lettres et des albums: surtout, de merveilleuses frises que
les enfants s'empressent d'imiter, puis d'en créer à
leur tour.
Stimulés par la réalisation des journaux et des
albums, les enquêtes, les réunions de
coopérative, la correspondance et les liens affectifs qui
se créent, les activités artistiques et manuelles:
tapisseries, peintures, monotypes, linogravure, pyrogravure,
filicoupeur.. petit à petit, au fil des jours, les enfants
s'épanouissent, participant activement et avec plaisir,
à toutes les disciplines.
Je garde de ces années-là, des souvenirs
indélébiles, sans oublier les
voyages-échange: I'accueil des corres., toujours si
cordial, chaleureux, en Ariège, Aube, Aude, Gironde,
Landes, Pyrénées Orientales, Tarn... Ces
échanges sont pour tous une source de joies, d'apports
culturels, d'ineffables contacts humains. Je n'ai qu'un regret:
celui de ne pas avoir connu plus tôt ces méthodes de
travail.
F. M.
Puisque je me suis intéressé surtout à
l'imprimerie à l'école, j'ai cherché contact
avec des écoles françaises et belges pratiquant la
méthode Freinet. J'ai reçu
régulièrement des journaux scolaires que j'ai lus
avec une chaude attention. Ce que j'ai constaté: les petits
textes sont d'une sincérité touchante et d'une
vérité visible.
Entre temps l'imprimerie à l'école avait fait ses
débuts dans notre pays. Un jour, j'ai été
accueilli dans la classe du collègue Roger Spautz de Wiltz.
La salle de classe ressemblait plutôt à un atelier
avec son matériel: casses scolaires Freinet avec les
caractères, composteurs et porte-composteurs, presse
à volet. Le collègue Spautz, qui lui-même
avait fait quelques stages à l'école de Vence, m'a
parlé des avantages et des désavantages de la
pédagogie Freinet. J'ai vu les enfants au travail et j'ai
été frappé par leur facilité
d'expression. Même la grammaire était devenue active
et motivée. Après des visites dans d'autres classes
Freinet, j'ai pris la décision d'introduire l'imprimerie
dans mes classes.
Sachant les ressources de la commune peu florissantes, j'ai
tâché, avec l'accord et l'aide de ma collègue
à Rosport, Mademoiselle Gillen, d'organiser une
séance de théâtre dont le
bénéfice servirait à faire les premiers
achats. Aidé et conseillé par le collègue
Spautz, j'ai fait ma première commande: presse à
volet, polices de caractères, composteurs, rouleaux
à encrer, feuilles de papier et autres petits accessoires.
Au début du mois de mai 1960, les classes de Rosport
étaient munies d'une imprimerie. On installait les
différentes casses avec les caractères dans les deux
salles ; la presse à volet fut placée dans une
chambre à part. Le 20 mai 1960, le premier texte,
rédigé et imprimé par les enfants, sortit de
presse. Ce fut un texte allemand, portant le titre: «Meine
Schildkrote» - Ma tortue - l'auteur était Patrick
Sadlo.
Le journal scolaire «La Source» existe depuis 1960. Le
journal est avant tout un recueil de textes libres d'enfants. Par
le journal, les moments «mémorables» de la vie de
classe sont fixés définitivement sous une forme qui
défiera les ans, comme ces photographies de famille dont la
lumière des années ne parviendra plus à
effacer les traits. Dans le journal, en dehors des textes libres,
il y a des poèmes, des pages de la vie de classe, des
comptes rendus de visites, de voyages collectifs,
d'enquêtes.Et puis il y a la page de la vie locale et la
page des correspondants. Le tirage de notre journal se fait
à cent exemplaires. Le journal se vend parmi les
élèves eux-mêmes et les habitants du
village.
A. S.
En 1948, j'ai repris un poste en octobre: institutrice -Directrice
d'une école de filles de 4 classes où j'ai pu
m'organiser pour travailler partiellement Ecole Moderne Freinet
dans la classe de Fin d'études malgré les
réticences de mon Inspecteur Primaire. Coopérative
scolaire dans ma classe, ébauche dans l'école
où les autres maîtresses restaient très
traditionnelles. Correspondance interscolaire selon l'organisation
mise au point par le camarade Alziary qui a suivi mes efforts et
m'a attribué des classes de régions
différentes pour motiver au maximun l'étude du
milieu. Journal scolaire avec échanges. Plans de travail
selon Educateur et BEM avec ébauche du travail
individualisé grâce aux BT et au Fichier scolaire
coopératif ainsi qu'aux fichiers autocorrectifs de Roger
Lallemand.
L'année scolaire 49-50 a été
particulièrement riche en réalisations. Les
forêts de la commune, mitraillées par les batailles,
ravagées par un insecte vorace, le bostryche, ont fait
l'objet de coupes nombreuses et il s'est installé dans la
vallée de nombreuses scieries volantes en plus des vieilles
industries du bois existantes. Cela m'a fourni un complexe
d'intérêt comme on disait alors, qui a duré
toute l'année. Freinet a suivi notre travail de près
et m'a apporté encouragements et critiques par des lettres
fréquentes, me demandant des comptes rendus
détaillés et une réflexion sur ma pratique
qui allait au gré de l'étude du milieu très
riche.
Je trouvais formidable qu'il s'intéresse ainsi à mon
travail et me fasse participer à la recherche en cours.
J'ai eu à réfuter plusieurs fois ses accusations de
scolastique, notamment dans la nécessité que
j'éprouvais d'avoir des textes d'auteurs en appui aux
textes libres d'élèves. J'ai eu par la suite, la
satisfaction de voir arriver les SBT sur ce sujet.
Je pensais que travailler à l'avènement d'une
société future n'excluait pas une certaine
adaptation aux contingences présentes et mon engagement
social et syndical me rendait particulièrement sensible au
drame naissant de la crise du textile. Plus de perspective
d'embauche à 14 ans de mes filles dont à peine
1/10ème partaient en 6ème à l'issue du CM2.
Je me devais de préparer sérieusement le CEP ou les
bourses 2ème série ou l'entrée en centres
d'apprentissage hors de Bussang, ce qui entraînait un
certain bachotage malgré les fichiers autocorrectifs. Je
devenais critique face aux aspects un peu trop bucoliques de la
pédagogie recommandée dans l'Educateur.. les
problèmes des écoles de ville allaient y
apparaître.
Y. H.
Avec mes petits de classe enfantine, je tâtonnai longtemps
en Art Enfantin. Tous ces balbutiements qui durèrent des
années se soldèrent par plus ou moins
d'échecs et de réussites pour nous mener enfin,
comme aimait à le dire Elise, à une voie royale
où ma classe, devenue entre temps un C.P.- C.E.l- C.E.2, se
mit à produire, sans autre stimulation qu'un
matériel impeccable et un intérêt très
vif de ma part, des oeuvres dont la variété, les
dimensions, l'inspiration me coupaient le souffle et
dépassaient de bien loin mes très modestes
capacités artistiques. Heureusement que la règle
était de ne conseiller ni thème, ni trait, ni
couleur. En le faisant, j'aurais étouffé à
coup sûr les imaginations qui avaient su se
débrider.
Je ne suis pas arrivée seule à lancer ma classe.
Elise m'a longtemps accompagnée. Ce fut d'abord l'envoi
pour critique de nos petites peintures. Puis, avant le
congrès d'Angers 1949, elle lança à tous un
appel pour une exposition d'albums d'enfants: «Il faut que
nous ayons là-bas un beau stand susceptible de faire sentir
aux visiteurs la fertilité, la fraîcheur,
l'éclat du génie enfantin... Le dessin, les couleurs
parachèvent le texte...»
Le bain de mer forcé de son petit chat que Guy-Guy nous
raconta nous fournit le texte d'un album que la classe illustra
parfaitement et que j'emportai à Angers. (Je l'ai
encore).
Elise et Freinet s'en enthousiasmèrent. Le 13/12/49, elle
m'écrivait:
«Freinet vous demande comme une grâce de nous laisser
encore un peu vos albums» La classe de Paul avait aussi
présenté son «Jean-Marie Pen-Coat»
déjà édité en
«Enfantines».
Mais une plus belle récompense nous attendait: «Le
petit chat au bain de mer» parut peu après en
numéro 1 d'une nouvelle collection CEL en couleur d'albums
d'enfants par des enfants qui devait durer quelques années.
C'était une première et, pour moi, une totale
surprise et un immense encouragement.
Je dois au stage de Boulouris (1956) que Freinet et Elise
animèrent, ma prise de conscience claire de l'Art Enfantin.
Elise faisait peindre enfants et adultes et partait en guerre
contre le «pompier»:
«Ces dessins pauvres et secs, sans chaleur ni tendresse...
Maisons tracées à la règle, hommes
réduits à une anatomie sommaire... arbres aux
toujours mêmes branches rayonnées... fleurs
stylisées sans grâce...».
Elle lui opposait:
«La création originale, inédite, chargée
d'affectivité et de caractéristiques personnelles
dans la ligne, la mise en page, dans l'arabesque...
(«L'enfant artiste» CEL 1963).
Elle cingla d'un «Le pompier, c'est vous» la malheureuse
qui avait posé une question par trop stupide. Elle voulait
à tout prix sortir de l'ornière
«l'indécrottable primaire». Aujourd'hui encore,
elle trouverait à s'employer.
Dès 1949, elle s'était attelée à cette
immense tâche et la poursuivit sans relâche jusqu'au
début des années 60, par des cahiers de roulement et
des chaînes d'albums. Les premiers traitaient de
théorie, les secondes présentaient des
réalisations de classes.
Pour déscolastiser le dessin et la littérature
enfantine, elle s'acharnait à travers ces pages à
pourchasser les poncifs, à secouer les inerties et les
timidités, à fustiger les irresponsables qui
laissaient traîner ou s'égarer un cahier..
Ses contraintes d'éditions pour «La Gerbe»,
«Les Albums d'Enfants», la revue «Art
Enfantin» n'étaient pas toujours comprises, non plus
que ses nécessaires exigences pédagogiques.
Elle maintenait haut sa pédagogie de subtilité et
nous étions nombreuses à la suivre.
La classe maternelle au travail d'Hortense Robic que je visitai
à Naizin, puis, à Saint-Cado (Morbihan) me
stupéfia et me fit faire un grand bond en avant. «Un
dieu est en elle», avait dit une inspectrice.
C'était si vrai que je n'ai jamais retrouvé mieux
que ce petit univers chatoyant et laborieux où les petits
de 2 à 5 ans maniaient avec le même bonheur:
pinceaux, aiguilles, ciseaux, marteaux...Voici ce qu'en
écrit Freinet, le 5 novembre 1961:
«Je ne m'étonne pas que la visite de sa classe ait
fait avancer ton évolution. A voir les productions
d'Hortense, on pourrait croire qu'elle n'est qu'expression libre,
disons anarchique, non codifiée. Or, c'est Hortense qui,
parmi les écoles maternelles, a l'organisation du travail
la plus parfaite. J'ai vécu quelques jours dans sa classe
et j'ai admiré le soin qu'elle apporte aux outils et
à l'organisation du travail. Quand les enfants rentrent
dans la classe, tous les outils sont prêts. Les enfants
peuvent se mettre au travail. Hortense n'a à peu
près rien à dire. Elle n'a qu'à aider ses
élèves au travail».
Mais d'autres noms de petits pays devenaient des symboles:
Augmontel - Tarn - (Cécile Cauquil), Saint-Benoît -
Vienne, (MadameBarthot), Pitoa - Cameroun - (Lagrave) et tant
d'autres qui se mirent à remplir la revue «Art
Enfantin», les expositions, dans une profusion de lignes et
de couleurs ; avec le moment fort de la «Maison de
l'Enfant» du premier congrès de Nantes (1957).
La peinture enfantine a été le meilleur de ma vie
d'enseignante. Outre la joie qu'elle m'a donnée, elle m'a
permis de mesurer dans quel état de
sous-développement l'école traditionnelle
abandonnait les enfants. Car ce que l'art enfantin m'avait
démontré était transposable à toutes
les activités scolaires. Et c'est à Elise que je
devais cette conscience-là.
Mais je serais tentée de croire qu'Elise elle-même a
aussi appris en avançant avec nous. Le filon qu'elle avait
découvert était plus riche qu'elle ne l'avait sans
doute d'abord pensé. Comme nous, elle s'émerveillait
des productions, de plus en plus riches, des
«classes-artistes» dont sa propre école.
Le 10 juin 1961, elle nous exprimait son enthousiasme: «Nous
sommes actuellement plongés dans l'aménagement de
notre musée de Coursegoules. Nous sommes
envoûtés et pensons céramique... Ce sera un
succès que notre maison. Que d'enseignements pour moi, en
cette fin de carrière! Chapeau devant l'enfant!».
Mais c'était elle «l'inventeur». Elle qui, la
première en France, avait porté le pic dans la veine
en nous invitant à l'imiter. Il ne faudrait jamais
l'oublier.
Je n'en étais pas restée à l'art enfantin.
Dès 1949, ma classe pratiquait le texte libre que j'avais
abordé sans appréhension, croyant que: papier +
crayon = texte libre. L'exploitation que j'avais vue en faire
Madame Veillon, dans sa démonstration du congrès
d'Angers: vocabulaire par la chasse aux mots, grammaire,
orthographe... bousculait la tradition mais ne m'effrayait pas
trop.
J'en serais peut-être restée longtemps à ce
stade du texte narratif dont on usait ensuite plus ou moins
traditionnellement, si je n'avais vu naître dans la classe
de Paul, à l'école des garçons, des textes
qui, par leur fantaisie, leur poésie, l'expression directe
ou indirecte d'une joie ou d'un tourment me firent m'interroger
sur cette mise à la liberté qui avait si bien
porté ses fruits dans mes ateliers artistiques. Mais il
m'apparaissait clairement que les enfants n'accèderaient
pas spontanément à cette liberté. Là,
non plus, il n'y aurait pas de miracle si je ne m'en mêlais
pas. Il fallait un apprentissage, un certain forçage, la
nécessaire prise de conscience par les enfants que, non
seulement, ils avaient des yeux pour voir, mais une vie
intérieure pour sentir et ressentir. Et que ce qu'on sent
et ressent, on peut l'écrire.
Je me donnais alors le droit, sans culpabiliser vis-à-vis
d'un idéal de liberté formelle, d'exiger d'eux un
texte obligatoire, à heure fixe. Seule liberté: le
thème.
C'est ainsi que par un tâtonnement semblable, mais bien plus
rapide que celui que nous avions connu en art enfantin, la classe
entra dans le texte libre libre qui méritait son nom parce
que les enfants avaient appris à ouvrir en grand
l'éventail de toutes leurs possibilités, dans une
véritable liberté d'expression qu'ils avaient
conquise.
«Je crois que les perles sont des petits enfants. Je leur
parle à mi-voix. Si quelqu'un m'écoutait, il ne
comprendrait pas ce que je dis parce que je parle le langage des
perles aux perles.» N 8 ans.
«La Terre s'est faite entre elle. Elle se guérit de sa
fatigue. Elle est très fatiguée à force de
tourner sur elle-même. Un jour, elle tombera, tombera. En
tombant, elle tournera et des millions, millions de gens vont
mourir en quelques instants. Ces pauvres gens qui n'avaient rien
fait. Ça aussi, c'est l'avenir. Ça se fera,
ça ne se fera pas. Je ne sais pas si la Terre tombera un
jour. Tomberas-tu? Tomberas pas? Terre dure, Terre molle.» F.
9 ans.
Il y en eut des centaines de cette veine...
Je ne me lançai qu'en 1960 dans la méthode naturelle
d'apprentissage de la lecture. Je comptais sur ma longue
expérience du C.P. pour pouvoir, au besoin, redresser la
barre. Car je ne pouvais me permettre d'échouer. Pour les
enfants d'abord. Ensuite pour le bon renom de l'école
laïque. Et, enfin, pour moi-même à qui les
collègues n'étaient pas prêts à faire
de cadeaux. Je dis donc adieu à l'ennuyeux
«Poucet» et son écureuil. Un adieu
définitif. Désormais, l'apprentissage se fera sans
livre, à partir des textes d'enfants. Et tout se passera
bien.
J. L. B.
Pour l'apprentissage de la lecture et pour diffuser le journal
scolaire, l'imprimerie était indispensable, je
rédige le télégramme suivant adressé
à la C.E.L. à Cannes:
«Envoyez police C. 14 - Composteurs - Casse - urgent - Ecole
Neublans». Ce texte est refusé, mais le postier le
renvoie après nous avoir consultés et
vérifié que rien d'anormal n'était survenu
à l'école. Nous avions déjà une presse
et une police avec des caractères plus fins, nous allions
pouvoir réaliser notre premier journal imprimé avec
les petits et les grands élèves.
Nous échangions nos journaux avec des classes d'Alsace, de
l'Aube, du Midi. Les textes libres nous apprenaient la vie dans
des villages différents du nôtre. Parfois les
élèves étaient très surpris. Ainsi,
apprendre que dans un village du Midi, il n'y avait pas une seule
vache, c'était impensable pour des petits Jurassiens. De
même, apprendre que la quantité de vin
récoltée dans ce même village aurait pu
remplir tout le volume de notre classe - 10 m x 10 m x 4m - alors
que le vin récolté dans notre village jurassien
atteindrait à peine 50 cm, était incroyable.
Comment démarrer en peinture sans avoir la matière
première, pratiquement inexistante? Au stage de Cannes nous
avions su qu'il suffisait d'acheter chez un droguiste les poudres
et pigments des peintres en bâtiment. Je préparais
les peintures en les délayant avec du petit lait que la
fromagerie nous donnait. Pour le blanc, nous utilisions les tubes
de blanc pour les chaussures en toile!
Les enfants peignaient librement: aucun sujet imposé et
aucun sujet refusé. Les enfants se sont passionnés
très vite et peignaient beaucoup. J'avais
créé une atmosphère, une ambiance qui
facilite la création. J'essayais d'appliquer les principes
de base de Freinet à l'atelier de peinture aussi:
expérience tâtonnée - part du maître -
milieu aidant.
Comme pour le journal, nous échangions nos peintures. Les
classes du Midi nous surprenaient avec leurs envois aux couleurs
éclatantes.
Chaque mois, des peintures étaient envoyées à
Elise Freinet. Elles les renvoyait avec des conseils et des
annotations: bien - assez bien - pompier - parfois très
bien...
M. Be.
Freinet et Elise avec ses beaux journaux des Petits de l'Ecole
Freinet, nous montraient qu'en classe, nous pouvions à part
entière, avec les enfants, mettre en chantier un outil de
libre parole et de communication: Le Journal Scolaire.
Cette petite étincelle devait allumer vraiment un grand
feu!
C'était en moi comme une grande roue qui se mettait
à tourner et m'entraînait dans le sens même de
mes révoltes, et de mon envie de dépasser avec mes
petits le cadre rigide de l'Instruction Publique «Lire,
écrire, compter» en y ajoutant les racines de la vie
vécue, sans étouffer les élans que chacun
porte en lui dans ses rêves.
A la rentrée, révolution avec mes 48 CE 2, beaux
garçons remuants et pleins de feu à l'idée
«de faire»...quoi? Un Journal! «Près de
l'étang», avec pour symbole, sur la couverture, le
dernier né, prototype des constructions
aéronautiques (nous sommes près de l'aéroport
de Marignane): la silhouette de l'Hydravion géant, 6
moteurs, le S.O 200! Tant qu'à faire....
Le papier? Nous le ramenions fièrement par la
Canebière, juché sur nos épaules.
C'étaient les bobinos des quotidiens marseillais. On les
allongeait en plusieurs couches épinglées. Michel
les découpait à la cisaille de marine, sur la table
de la cuisine.
La pâte à polycopier bave un peu à la
cinquantième page... On grave bravement les linos
récupérés à la B.O.A.C. compagnie
d'aviation anglaise...On met trop d'encre sur le lino de
couverture... Je couds les feuilles ensemble... Et nous envoyons
ce trophée, fièrement à Alziary, ce camarade
au grand coeur et à l'oeil bleu, responsable des journaux.
Plus tard il m'a raconté qu'il s'était dit, en
voyant ces grandes pages pas trop d'équerre, ces marques
d'encre «je n'ai jamais vu un journal aussi (a-t-il vraiment
dit: «minable»?) mais si riche de contenu.
(...) L'année où Elise et Freinet avaient au
Pioulier monté un four à céramique, et
embauché un professionnel pour aider les enfants à
démarrer, ils avaient demandé que beaucoup
d'écoles leur envoient leurs créations, peintures ou
dessins.
Nous avions posté notre provision, comme les copains.
C'était normal. On n'y pensait plus....
...Freinet, devant la petite pièce de l'entrée, me
dit: «Viens, je vais te faire voir les belles choses qu'on a
sorties de notre four!»
Dans ses mains, je reconnais le dessin du Santon «la femme au
fagot» - la bouscatière - de notre Conte de
Noël.
«Tiens, il me dit, c'est ta classe, là-bas, dans le
vieux chalet, à ta «Cabucelle», qui l'a
dessiné. Je te le donne!»
L'épais carreau 25 x 25, gardait la naïveté de
ses couleurs, mais il était transfiguré par le
savoir faire de l'artisan, qui savait manier l'émail et le
feu.
Je n'ai jamais pu dissocier l'objet du geste de celui qui me
l'offrait: il est des étincelles qui réchauffent,
longtemps.
P. Q.
Je n'ai jamais rendu visite à Freinet en France, mais j'ai
échangé avec lui une correspondance intense, qui a
stimulé et orienté le travail de direction
pédagogique que j'ai réalisé de 1955 à
1963 dans l'actuel Centre Infantil Helen Keller, qui s'occupe de
l'éducation des enfants aveugles et ambliopes et où,
pour la première fois au Portugal, autant que je sache, ont
été appliquées les «Techniques
Freinet» et pour la première fois au monde, elles ont
été essayées avec des enfants aveugles.
M. A. B.
On s'est toujours gardé de sombrer dans la
gadgétisation, la fétichisation de l'outil. Celui-ci
doit servir la vie, une vie valorisant au plus haut point la
coopération, la création, l'imagination.
De l'imprimerie ou le cinéma, il y a 70 ans, à
l'ordinateur ou la télématique, ces dernières
années, le Mouvement a toujours su intégrer avec
succès les dernières innovations technologiques. Les
tentatives pour réduire la Pédagogie Freinet
à la simple utilisation de techniques, outre que bien
souvent elles sont l'oeuvre de gens qui dénient à
l'éducation scolaire sa dimension politique et qui, de ce
fait, ont échoué dans l'appropriation de ces
techniques, n'y changent rien et témoignent en
définitive de nos réussites en la matière.
Pour nous, il ne s'agira jamais d'innover, histoire d'innover.
Bien au contraire, à travers ses réseaux de
communication horizontale, la pédagogie Freinet a toujours
fait la preuve qu'on pouvait utiliser ces différents outils
autrement qu'aux fins mercantiles ou encore de domination et de
manipulation auxquelles ils sont trop souvent voués.
Loin d'occulter tous ces outils et techniques qui ont
jalonné l'évolution de notre Mouvement et qui
représentent souvent à notre corps défendant
la Pédagogie Freinet dans l'esprit de beaucoup de
collègues et autres éducateurs, il convient
d'affirmer toujours plus fort à quel point ils ont pu
être galvaudés dans leurs récupérations
diverses.
P. D..
J'avais six ou sept ans quand, aux alentours de 1930 Freinet - ou,
plutôt, sa pédagogie - arriva chez nous, un matin,
sous la forme d'une caisse d'où Monsieur Oudin, mon
maître, sortit parmi un tas de copeaux, un engin inconnu
qu'il nous présenta comme étant une presse
d'imprimerie, avec laquelle nous allions pouvoir imprimer un
journal. Je sais maintenant que c'était une presse
automatique ; la seule, d'ailleurs, que j'aie jamais vue et dont
le mécanisme a toujours fait mon admiration. Un tour de
manivelle, et la feuille engagée sur un plan
incliné, était entraînée et
plaquée sur le bloc de caractères par un rouleau
presseur. On n'avait plus qu'à la prendre, imprimée,
et tourner la manivelle dans l'autre sens, ce qui entraînait
les caractères vers l'arrière. Alors, un rouleau
encreur passait d'abord sur une plaque pour s'y charger d'encre,
puis sur les caractères pour les encrer, pendant qu'une
came soulevait le rouleau presseur afin qu'il évite tout
contact avec les caractères... Bref, nous avions une presse
automatique. Le malheur était qu'une partie du bâti
en fonte avait été cassé dans le transport et
il fallut toute la science du mécanicien local pour, au
moyen d'une soudure «autogène», nous la
réparer!
Au milieu des copeaux de la caisse, il y avait aussi deux caisses
de polices de caractères, une pour nous et une pour la
petite classe, des composteurs, des porte-composteurs...
On rangea donc tout cela. On fixa la presse sur un de nos longs
bancs de chêne qui nous servaient de sièges sous le
préau pendant les récréations. Et
après des essais qui durent se montrer satisfaisants, nous
pûmes commencer notre journal, sur le modèle de ceux
que notre maître nous avait déjà
montrés.
Dès qu'une feuille était imprimée
recto-verso, on nous la distribuait, perforée de deux trous
pour être enfilée sur deux vis de laiton maintenues
par deux languettes de métal blanc. Cela, peu à peu,
constituait notre «Livre de Vie». Deux rectangles de
carton tenaient lieu de couverture et les collections de
calendriers des postes subirent alors, dans toutes les maisons, un
rude assaut.
Nous n'avions qu'une matière pour illustrer notre journal:
le contre-plaqué. Nous y découpions des silhouettes
qu'on appliquait sur des blocs de bois où elles
étaient maintenues par des pointes dépassant de 2 ou
3 mm, pour prendre place sur la presse. Plus facilement on
dessinait sur le contre-plaqué et on incisait le pourtour
du dessin. On faisait, après, sauter tout autour la
première couche de bois du contre-plaqué. On
évitait ainsi le travail délicat de la scie à
découper.
Nous échangions notre journal avec ceux de quelques autres
écoles.
Nous recevions aussi des colis - Je ne me rappelle plus
d'où ils venaient, ni comment - L'un d'eux, en tout cas,
contenait des «graines» de vers à soie que nous
avions élevés jusqu'à obtention des cocons.
Dans un autre, il y avait des kakis bien mûrs et Mme Oudin
avait apporté une petite cuillère afin que chacun
puisse y goûter: «c'est comme de la confiture de
citrouille!» disaient les copains. Ce que je
répétais le soir à ma mère, sans
préciser que, personnellement, je n'avais pas
participé à la dégustation, le simple fait
d'utiliser la cuillère après les autres me
dégoûtait particulièrement.
Nous avons reçu aussi les premières B.T., et
«Chariots et Carrosses» est, depuis ce temps là,
bien restée dans ma mémoire.
Nous avions des séries de fiches dont nous reproduisions
les dessins. J'avais eu à dessiner ainsi une charrue avec
un drôle de versoir demi-cylindrique que je n'ai revu nulle
part ailleurs.
P. C.
C'était au début des années 60 ; et cette
année-là, Nicole et moi avions décidé
de faire correspondre les élèves de nos deux
classes. Nous l'avions décidé de notre propre chef,
ainsi qu'on pratiquait alors. Nous en avions informé nos
élèves à la rentrée ; nous les avions
«mariés» selon nos critères d'âges,
de sexes, de milieu social, de caractère, de comportement,
de choix préférentiels de leurs activités...,
afin, pensions-nous, qu'ils échangent leurs lettres avec un
camarade qui leur conviendrait au mieux. Nous avions
également fixé un rythme d'échanges,
codifié le contenu et la nature de ces échanges.
Nous habitions à une vingtaine de kilomètres l'un de
l'autre et désirions tenter l'expérience d'une
correspondance rapprochée. Cette proximité nous
donnait l'occasion de fréquentes rencontres et à
l'occasion de chacune nous avions pris l'habitude de nous apporter
les lettres et les documents prêts à être
envoyés au lieu d'attendre les délais
d'expédition que nous nous étions fixés.
Mais, en échangeant ainsi au coup par coup, en
devançant le rythme préétabli, sans nous en
rendre compte, nous bousculions le système que nous avions
élaboré au début de l'année et nous le
mettions en déséquilibre pour finalement le faire
basculer. Et créant ce déséquilibre, nous
allions donner aux enfants l'occasion de démarches qui
devaient nous amener à nous poser des questions qui
n'avaient jamais jusqu'ici effleuré nos esprits
d'adultes.
Nous nous sommes très vite aperçus que des enfants
rapides répondaient dans un délai très court
et arrivaient à s'envoyer lettres et réponses en
bien plus grand nombre et en bien moins de temps que nous ne
l'avions prévu. Certains écrivaient même sans
attendre la réponse de leur correspondant. D'autres
continuaient à écrire selon leur rythme beaucoup
plus tranquille. Enfin, restaient toujours les
récalcitrants, car il en existait! qu'il fallait toujours
presser pour qu'ils arrivent à terminer leur lettre en
temps prévu.
Il s'était créé dans la classe une motivation
qui était née d'elle-même, en dehors de nous,
les maîtres. Grâce à cette possibilité
d'échanges plus rapides et plus nombreux, la correspondance
changeait peu à peu de visage, prenait une place de plus en
plus importante dans la vie scolaire et s'y implantait plus
profondément. Petit à petit, au fil des jours et des
ans, elle allait changer totalement l'atmosphère de la
classe et son organisation.
Cette atmosphère nouvelle, si intéressante à
voir se préciser et évoluer, nous engageait à
réfléchir sur nos pratiques des années
passées, à nous poser des questions sur l'attitude
que peut réserver un enfant à la proposition
d'écrire (proposition? obligation?) venue du maître.
A réfléchir également sur la
nécessité de s'organiser de manière à
ce que la responsabilité de l'engagement d'écrire se
noue entre les enfants eux-mêmes et pour qu'il ne soit plus
le choix exclusif de l'adulte. Et finalement, nous ne pouvions
échapper aux questions suivantes:
Dans une classe Freinet:
- Est-il obligatoire que tous les enfants écrivent à
un correspondant?
- Peut-on accepter qu'un enfant se tienne en dehors de
l'activité de correspondance?
- Un enfant ne participant pas à la correspondance, en
souffrira-t-il sur le plan de l'expression libre, de la
socialisation?
- Quelle place nouvelle la correspondance peut-elle être
appelée à prendre dans notre pédagogie?
Nous n'étions pas les seuls à l'Ecole Moderne
à nous rendre compte que des structures nouvelles pouvaient
apporter à nos élèves, à nos classes,
des possibilités d'expression auxquelles nous n'avions pas
jusqu'ici donné le moyen de se manifester. Il fallait donc
se débarrasser du cadre un peu étriqué dans
lequel, nous avions jusqu'ici fonctionné, pour laisser la
place à toutes les possibilités d'ouvertures que les
enfants devaient pouvoir explorer. C'est ainsi que, dans le
Mouvement, est né un nouveau chantier, qui, après
quelques temps de tâtonnement, s'est donné le nom de
correspondance naturelle.
Pourquoi naturelle? Tout simplement, parce qu'en suivant les
intérêts des enfants, nous retrouvions toutes les
démarches qui sont à la base des idées de
Freinet et de ses méthodes naturelles. Ce fut un chantier
très actif qui mobilisa des dizaines de classes. Nous nous
rencontrions dans les congrès, dans les stages, nous
échangions nos idées, nos découvertes, par
lettres, par nos bulletins. Nous nous retrouvions sur ces bases
toutes simples:
- plus de recherche de correspondants au début de
l'année scolaire,
- ne pas imposer de correspondants à nos
élèves. Attendre que naisse, chez eux le
désir d'écrire.
Pour passer d'une pratique à une autre, pour donner
à nos idées nouvelles, une réalité
scolaire, il nous a fallu bien des années de
confrontations, de discussions. Egalement bien des
expérimentations, de mises à l'épreuve
à même la vie des classes, abandonnées,
améliorées, remises en chantier.
Nous savions bien que rien ne naît de rien. Que si nous en
restions à attendre que l'enfant découvre la
correspondance, par lui-même, nous courions à un
échec certain: que jamais rien ne se produirait. Ainsi
rapidement s'est posée la question de l'outil, comme dans
toute technique de la Pédagogie Freinet. Nos
tâtonnements pour arriver à des solutions de plus en
plus affinées, nous ont amenés à
établir des listes de classes, la formation de groupes pour
pallier le trop grand nombre de classes
intéressées.
La publication de «Gerbes» apportant des messages venus
d'autres classes. Le chantier apportait le maximum d'idées,
d'informations. A chacun, ensuite, maître et
élèves, d'y puiser ce qui lui convenait.
Les échanges entre maîtres étaient
passionnants, en fonction de démarches très
variées, suivant les enfants, les années, les
relations établies et les plus ou moins bonnes
réussites. Ce qui se passait dans les classes
n'était pas moins enthousiasmant car tout était
devenu possible. Le champ des relations ne se limitait plus aux
relations entre deux classes. Elles pouvaient s'établir
à volonté dans les limites des possibilités
de chacun des intéressés. Ainsi s'élargissait
l'horizon national et même international. On ne recherchait
plus seulement les classes de même niveau scolaire, les
tranches d'âges correspondant à celles des enfants de
la classe: au cours moyen, on pouvait aussi bien écrire
à une maternelle, à un collège, à un
lycée.
Parallèlement, s'élargissait la correspondance avec
l'adulte. Cette dernière pouvant prendre autant
d'importance que les échanges interscolaires. Et quant
à son importance sur le plan civique et sociologique, il
est inutile de le souligner.
Tous ces changements, venus sensiblement, d'une année sur
l'autre, n'ont pas été, on peut l'imaginer, sans
bouleverser la vie de notre communauté scolaire. On ne
pouvait plus y travailler comme au temps où, chaque mois,
on envoyait sa lettre et où on attendait la réponse
pour en rédiger une autre. Au fur et à mesure
qu'évoluait la correspondance, l'organisation
journalière, hebdomadaire se devait d'évoluer elle
aussi. Il a fallu inventer de nouvelles formes de travail pour se
donner le temps de réaliser tout ce qui se mettait en
chantier, prendre connaissance des envois écrits,
écouter les bandes reçues, écrire
individuellement, collectivement, enregistrer....
D'une forme plutôt individualisée du travail de
chacun, on s'orienta, petit à petit, vers la constitution
de groupes qui se révélaient plus efficaces et
dynamiques. Ces groupes fonctionnels, temporaires au
départ, finirent par s'institutionnaliser sans exclure pour
autant les groupes de circonstances et prendre l'habitude de la
vie en petite communauté, se fixer leurs propres
règles de cohabitation tout en s'intégrant à
celles de la collectivité. Le rôle du maître
changeait, devenait moins intervenant. Nous en arrivions ainsi
à mettre en pratique ce rêve d'autogestion qui
était, à l'époque, le principe de base de nos
recherches pédagogiques, en même temps qu'il
était celui de beaucoup d'autres adultes, d'autres
associations, en relation ou non avec l'Ecole Moderne.
L'autogestion, nous la retrouvions dans toutes nos
activités: coopératives, pédagogiques. Par
exemple, on n'avait plus la possibilité de vivre le texte
libre comme auparavant: lecture collective, correction au
tableau... Ensemble, nous avons mis au point des façons
nouvelles pour qu'il garde sa place, d'ailleurs différente
suivant les années et les élèves
concernés. De même, nous avons dû innover pour
les ateliers, le travail personnel, le journal scolaire...
Ainsi se continuait, se renouvelant sans cesse, cette belle
découverte de la correspondance naturelle qui devait tant
changer les classes qui l'avaient adoptée, qui devait nous
faire progresser dans des directions que, sans elle, nous
n'aurions jamais explorées.
Elle est encore présente aujourd'hui à l'Ecole
Moderne. En raison des évolutions technologiques dont elle
a tiré grand profit et auxquelles elle a su s'adapter, on
la retrouve dans les réseaux télématiques,
informatiques qui intègrent également le
téléphone, le fax et tout ce qui, depuis les
années 60, a forcément transformé, sinon
l'esprit, du moins les conditions dans lesquelles on peut
maintenant continuer de communiquer de classe en classe.
Marcel et Yvonne Jarry.
Par ma classe de plus de 40 élèves, près d'un
petit port du Finistère, un colis d'algues, de plantes
marines, de coquillages, fut expédié à nos
correspondants de je ne sais plus quelle région de France.
En ouvrant le paquet sur son bureau, l'institutrice fut
effrayée de voir un petit animal en sortir: un crabe!
Cris dans la classe! L'événement nous fut
raconté par lettre. Il eut un succès chez nous. Peur
d'un crabe! Ça alors!
La boîte à idées: question tirée un
jour: «pourquoi y a la lune?». Son auteur, un bonhomme
de cours élémentaire 1ère année. La
discussion commence et s'échauffe quand un autre
garçon s'écrie: «c'est Jésus! Il a tout
fait! - sous entendu: à quoi bon vous casser la tête,
puisque la réponse est toute trouvée? - Oh
Jésus! Jésus! reprend vivement un
troisième.»
Si mes souvenirs sont bons, les fillettes n'avaient rien à
dire ; mais elles étaient intéressées. Je
calmai le jeu en disant d'apporter des albums sur le soleil, la
terre, la lune... Chaque album, magnifiquement illustré,
fut étudié par un groupe de 2 ou 3 enfants et
présenté à la classe.
Pourquoi y a la lune? Vaste sujet donc!
Jean Mahé.
(...) La première année, en classe enfantine,
puisque je n'avais pas obligation d'apprendre à lire, je me
suis lancée dans la «lecture naturelle».
J'utilisais notre propre matériel d'imprimerie à
gros caractères. L'année suivante, j'obtins une
nouvelle classe créée à l'école des
garçons, un cours préparatoire. Après mon
expérience de l'année précédente, je
continuai sans risque ma méthode naturelle de lecture,
à laquelle j'ajoutai la motivation apportée par la
correspondance avec un C.P. de Saint-Chamond (Loire) dont l'instit
était Maître d'Application (...)
La lecture des textes libres était l'occasion
d'échanges entre les enfants (questions,
précisions). La participation active à la «mise
au net» motivait souvent un besoin de compléments sur
des plans divers - aussi bien linguistiques que documentaires -
qui intéressaient autant les maîtres que leurs
élèves.
Un grand frère venu à Noël voir sa famille, dit
à sa soeur qu'avant la guerre il y avait dans la grande
classe une imprimerie et que les élèves y
imprimaient eux-mêmes des poésies, des comptes rendus
etc. L'imprimerie, objet interdit pendant la guerre à cause
des utilisations possibles, avait due être cachée.
Après maintes recherches, nous l'avons découverte
dans le grenier. Notre premier journal scolaire reprenant son nom
d'avant-guerre: «Jeunesse laborieuse», sortit en janvier
1946.
Toutefois, la deuxième classe, en attendant du
matériel neuf, dut écrire à la main ses
quatre pages.
D. P.
Je repars gonflé à bloc de mon premier stage
Freinet; - septembre 1961 - et désireux
d'expérimenter. Aussitôt tout change: les gamins qui
peinaient à faire des rédactions sur des sujets
imposés se mettent à parler de ce qu'ils vivent et
prennent plaisir à en faire part aux autres. Au lieu de
prendre les problèmes dans le manuel, on les invente et,
plus tard, avec la méthode naturelle de math de Paul Le
Bohec, on découvre des horizons infinis... Avec le
magnétophone, le langage oral prend sa place et son
importance - mais dommage qu'il n'ait pas été plus
utilisé...
On commence la correspondance: avec la Tunisie, au moment de
l'affaire de Bizerte, les petits Tunisiens nous écrivent
qu'ils voulaient tuer les soldats français -
L'actualité de la décolonisation nous touchait
directement...
On remplace les leçons ex-cathedra par les exposés
d'élèves.
J. P.
Là où je me plaisais le mieux avec mes
élèves, c'était quand, l'essentiel du travail
de la journée étant fait, nous pouvions dessiner et
peindre... En réalité, dans le milieu de la
journée, quand un élève estimait qu'il avait
fini le travail donné, il laissait son cahier sur le coin
de la table pour que je puisse jeter un coup d'oeil en passant, et
il pouvait sortir son cahier de dessin (format cahier
écolier, mais sans lignes, fourni par la commune), et
dessiner au crayon ordinaire et aux crayons de couleurs pour ne
pas distraire toute la classe par des allées et venues vers
le matériel de peinture... En fin de journée je
passais. Je feuilletais l'un ou l'autre cahier. Je demandais des
explications sur ce qui était dessiné, ou bien je
disais: «Il est amusant, ton clown!» ou bien:
«J'aime bien tes petites maisons. Elles ont l'air de petites
bonnes femmes sous leur capuchon» etc. Puis je disais:
«Si tu avais beaucoup de courage, (!) tu pourrais refaire ce
dessin-là sur une grande feuille» - souvent papier
canson de taille moyenne car nous n'étions pas riches! On
m'avait dissuadée de peindre sur papier d'emballage, car la
peinture, en principe opaque, laisse quand même
paraître un peu la couleur du papier, m'avait-on dit, et
ça rend les couleurs moins belles. On m'a dissuadée
aussi de faire faire les grandes lignes du dessin à la
craie, mais directement à la peinture. C'est pourquoi
j'avais trouvé cette solution moyenne de «projet»
sur cahiers. Avec la peinture on recommandait de peindre toute la
surface.
Plus tard, avec les crayons feutres on pouvait choisir un papier
de couleur.
Les gros crayons feutre convenaient généralement,
sauf pour quelques élèves qui aimaient faire des
arbres, des fleurs, des animaux, des personnages avec beaucoup de
détails. Alors on a acheté aussi des stylos feutre
fins...
Des collègues des classes voisines ont
apprécié les dessins qu'elles voyaient
affichés aux murs de notre classe. L'une d'elles aurait
voulu que je vienne faire dessiner ses élèves. Mais
c'était impossible! Je ne pouvais pas forcer à
dessiner celui qui n'avait pas d'idées pendant le temps
attribué, et la collègue n'aurait pas pu supporter
ma façon de faire fantaisiste (laisser faire du dessin
pendant que les autres font autre chose!).
Avec ma manie de faire dessiner les plus petits - cinq ans -
pendant que je m'occupais des autres, et de leur demander ensuite
de m'expliquer avec beaucoup de détails, j'ai eu un jour
une assez grande joie: une maman qui était venue chercher
son enfant qui avait eu un bec de lièvre déjà
corrigé en partie par une opération m'a
affirmé qu'il avait fait de gros progrès pour parler
depuis qu'il venait à l'école. J'avais l'impression
que je n'avais rien fait de spécial pour lui!.
M. M.
Avant de connaître Freinet, je suis déjà,
grâce aux Daniel, sensibilisé à sa
pédagogie et très motivé pour participer au
Congrès de l'Ecole Moderne à venir, celui d'Angers,
en 49, d'autant plus que l'un des thèmes de ce
congrès s'intitulait:
«L'expression libre des enfants par le texte libre, les
journaux scolaires, le dessin, le théâtre, le
cinéma et la radio.»
En somme ce que nous avions abordé, en bonne partie, chez
les Daniel ; cela ne pouvait donc pas mieux tomber.
Une autre surprise attendait les congressistes: la première
projection du film: «L'école
buissonnière».
Un moment d'intense émotion qui m'a permis de sentir
L'ESPRIT qui imprègne la Pédagogie Freinet.
Cette fois, c'est le grand choc avec ce premier contact direct
avec Freinet et plusieurs centaines de camarades unis par cette
chaîne d'amitié et de coopération dans le
travail qui fera l'originalité et la force du Mouvement de
l'Ecole Moderne.
Et c'est l'occasion d'entrer dans la grande ronde de la
correspondance avec un correspondant régulier et une
équipe de correspondants mensuels. Personnellement, j'ai
toujours considéré les échanges
interscolaires comme une puissante motivation de travail et un
apport très riche tant sur le plan pédagogique que
sur le plan social.
Un exemple: mes grands élèves du CM2 et de F.E.
ayant vécu la longue grève des cheminots en 53 alors
qu'ils étaient chez leurs correspondants près de
Troyes, à 800 km de la maison, sans plus pouvoir
communiquer avec leurs parents, doivent encore se souvenir de ce
que peut être une grève dure. Au bout de 19 jours
chez les correspondants, au lieu des 8 ou 9 jours prévus,
nous avons dû affréter un car pour rentrer en
Bretagne avec le billet retour SNCF en poche.
E. T.
A Moëlan St-Thamec je me suis lancée dans le texte
libre et le dessin libre. Je faisais mon propre tâtonnement
sur des disciplines qui ne me semblaient pas trop dures à
appréhender, sur l'expression orale également.
Je n'ai pas tout de suite abandonné le livre de lecture que
j'ai trouvé dans l'armoire de la classe, d'autant plus que
l'inspecteur tenait à ce que je le garde en combinant les
leçons de lecture avec les textes des enfants. Mais
ça ne m'a pas plu et bien vite j'ai remis les livres dans
l'armoire. «Lili et Toto» prenaient leur retraite.
Je ne me servirai que des textes écrits par les enfants ou
écrits par moi sous leur dictée.
Mais il fallait se faire accepter des parents avec lesquels, ou
tout au moins avec certains desquels nous étions
déjà proches, car gravitait autour de l'école
un groupe de parents intéressés par l'école
et qui avait constitué une Amicale Laïque.
Le même mois, nous avions acheté chacun une
imprimerie et tout le matériel ainsi qu'un limographe, une
fortune!.
Le soir, je tirais au limographe les remarques que les enfants
avaient faites sur les textes et j'ajoutais cette page dans leur
livre de vie. Et ça a marché. Les parents ont
accepté ce livre de vie comme livre de lecture de leurs
enfants.
«Ne vous lâchez jamais des mains... avant de toucher
des pieds», disait Freinet.
Les enfants dessinaient librement, illustraient leurs textes
qu'ils essayaient de bâtir eux-mêmes. Peu à
peu, je me suis rendu compte que ce n'était pas suffisant.
Il fallait aider les enfants à se surpasser, à aller
au maximum de leur expression, à préciser ce qu'ils
avaient voulu exprimer, etc.
Peu à peu un état d'esprit nouveau s'installait dans
la classe. On en est venu au calcul vivant, à
l'organisation coopérative de la classe...
Pierre et Henriette Fort de l'Aube que nous rencontrions pour la
première fois au stage de 1952 à l'école de
Saint-Philibert Trégunc où René Daniel, en
1926 avait réalisé avec l'école de Freinet la
première correspondance interscolaire - ont voulu
correspondre avec nous, Emile passé dans la grande classe,
et moi toujours au CP, avec pour les grands la promesse d'un
voyage-échange à la fin de l'année
(c'était la coutume à l'époque de faire ces
voyages au début de l'été). Ça nous a
un peu «effrayés» car Pierre et Henriette
étaient des chevronnés et il ne fallait pas les
décevoir, leurs élèves et eux-mêmes.
Nous ne les avons pas déçus. On en parle encore 40
ans après.
La correspondance interscolaire a été un volet
très important de la pédagogie Freinet, pour moi.
Elle m'a beaucoup aidée à créer entre les
enfants et aussi pour moi, une sorte de force, de motivation qui
nous poussait toujours plus avant. Les parents vivaient
intensément l'arrivée des correspondants. C'est dans
notre petite école de campagne que je l'ai ressenti le plus
lorsque la classe d'Emile recevait les «corres». Les
parents se préparaient longtemps à l'avance,
blanchissaient les murs de leur maison, faisaient le grand
nettoyage. Il y avait toujours des volontaires pour accueillir les
enfants qui ne pouvaient être logés chez leurs
correspondants: maison trop petite, ou un autre empêchement.
C'était l'événement de l'année.
A la rentrée 1957, pour des raisons familiales, nous nous
sommes retrouvés à Brest, laissant des parents
déçus de nous voir partir. C'est vrai que nous
avions formé une équipe solide coopérative
dans et autour de l'école grâce à cet esprit
Freinet que nous avions réussi à faire passer.
A Brest, dans l'école maternelle où j'ai
passé 13 ans, j'ai continué à travailler de
la même façon.
Mon esprit logique, mathématique, m'a conduite
naturellement à entraîner les enfants à
raisonner, réfléchir, chercher des solutions pour
régler telle ou telle situation, au lieu de leur
mâcher la besogne, avec de temps en temps, le petit coup de
pouce de ma part, mais aussi faire quelquefois la pause pour
reprendre plus tard le problème: situation
mathématique, organisation de la classe, recherche d'outils
etc. Combien de fois j'ai constaté des démarches
originales des enfants.
M. T.
1935-1936: Les techniques sont intégrées peu
à peu. Nous engrangeons, encouragés, beaucoup de
satisfactions. La coopérative scolaire fonctionne avec
bonheur. Les candidats aux examens et concours ne subissent aucun
échec, sans bachotage notoire. Les plus jeunes suivent
l'exemple des grands. A certains moments
privilégiés, on peut témoigner que la classe
travaille dans une sorte d'enthousiasme. Du C.P. au C.S. chacun
pratique la gravure du livre ; ou mieux la vit! Tous les moments
libres sont consacrés au travail de la gouge après
la réussite d'un dessin spontané. Je m'en
réjouis car j'apprends moi-même combien la gravure
exige une forte discipline sensorielle et motrice. Discipline
majeure de la main et de l'outil qui ouvre la matière.
Ensemble, nous inventons un outil inédit qui servira de
gouge. Des baleines de parapluie (acier de qualité)
coupées en bonne longueur, emmanchées sur de courts
morceaux de manche à balai sciés à onglet,
limées pour obtenir un tranchant efficace, deviennent
d'excellents outils qui ne coûtent rien!
1937. Un ami graveur sur bois m'avait initié à son
art. Lors d'une visite, il s'extasie devant certaines
réussites. A tel point qu'avec notre accord il les
présente à la galerie Mignon-Massart, la plus
importante de Nantes. Elles ont été produites,
assure-t-il, par une équipe de jeunes artistes que je suis
censé diriger dans ma campagne. Accord de la directrice qui
demande des tirages réduits à 20 exemplaires, sur
beau papier, numérotés et signés. Un autre
ami maître-imprimeur à Pornic, nous offre des tirages
de qualité professionnelle. Prix de vente: 75 francs
l'exemplaire (20 % pour la galerie). Ça marche si bien
qu'une partie des fournitures scolaires est prise en compte par la
coopérative scolaire. Le trésorier élu tient
le registre. L'amicale prend le reste. Désormais notre
Ecole communale rurale est devenue réellement gratuite!
1939. Il faut bien révéler à la directrice de
la galerie que les artistes sont élèves d'une petite
école primaire. Pour vaincre son incrédulité,
quelques-uns de nos bonshommes se prêtent à dessiner,
graver, imprimer devant elle, dans un coin de son bureau.
Stupéfaite, elle offre d'exposer gracieusement les
meilleurs gravures, dessins, aquarelles et gouaches dans sa
galerie pour la première quinzaine de juin. Nombreux
visiteurs intéressés. Echos dans la presse locale,
reproductions à l'appui. Naturellement, les adversaires de
notre Ecole pratiquent la classique ignorance superbe à
notre succès.
Sur ce plan particulier, c'est toi Elise, qui as inspiré
cette force militante de mon itinéraire. Au Pioulier, en
décembre 1945, je t'en remercierai.
M. P.
Lors de mon stage à Beaumont-sur-Oise, du 17 septembre 1961
au 15 février 1962 (classe de perfectionnement), je prends
contact avec Georges Gaudin, responsable de la Commission
«Spécialisée» de l'I.C.E.M.
Nous faisons la synthèse d'un cahier de roulement, à
propos de la coopérative et de la discipline de travail.
Dix camarades y participent. Il s'agit d'échanges, au sein
de l'I.C.E.M., sur leurs pratiques coopératives, durant
l'année 1961-1962.
Dans un chapitre: «Le Conseil de Classe», on peut lire:
«Qu'on l'appelle Conseil de Classe, Conseil de Travail ou
Conseil de Coopérative, c'est un moment
privilégié de la classe, une prise de conscience
progressive de l'existence du groupe scolaire et des
responsabilités qu'il implique».
En 1962, à l'école Lamartine de Saint-Nazaire, dans
ma classe coopérative de perfectionnement fonctionnant en
auto-organisation, l'expression libre met les enfants en prise
directe avec les réalités sociales et
politiques.
C'est le début de mon aventure auto-gestionnaire,
commencée avec Jean Le Gal, au sein du Groupe Freinet de
Loire-Atlantique.
Elle se poursuivra à Saint-Nazaire, jusqu'en 1968. La
Commission «Enfance inadaptée» de l'I.C.E.M. sera
la première à rendre compte de nos recherches.
J'ai vécu, durant cette période, une intense
activité pédagogique qui me mena à de
nombreux stages, réunions, colloques, à des
débats avec Laborit, Mermoz, Lobrot... à des
contacts avec l'étranger.
Dans un leader de «l'imprimerie à l'école»
en 1932, Freinet écrit:
«Théoriquement, si elle est comprise comme moyen
pratique pour des enfants de s'organiser librement et de
gérer leurs propres intérêts,
d'améliorer même leurs conditions de travail, la
coopérative n'est-elle pas entièrement recommandable
et ne peut-on vraiment saluer cette initiative comme un essai
pratique de réaliser l'auto-organisation des
écoliers?»
Et Freinet relie son travail scolaire à un projet
coopératif, à Bar-sur-Loup, aux côtés
d'ouvriers et de paysans (La Coopérative Abeille Varoise)
et aussi à un projet politique.
La Pédagogie Freinet, pour mériter le qualificatif
d'auto-gestionnaire se doit d'accepter, de favoriser
vis-à-vis de ses propres outils et techniques, la
contestation et la critique des élèves car la
formation de l'homme nouveau ne s'exerce qu'à travers la
remise en cause permanente des techniques, des institutions et des
individus, tant au niveau scolaire qu'au niveau social.
L'auto-gestion, c'est la libération de toutes les forces
instituantes, la critique de l'ici et maintenant, la
démystification de l'enseignant, c'est la prise de
conscience de toutes les pressions institutionnelles qui
s'exercent sur l'individu et sur le groupe. C'est une
démarche réaliste et vivante.
C'est le tâtonnement expérimental appliqué au
groupe, processus d'élaboration de l'aptitude à la
critique sociale.
Elle ne saurait être réduite à l'utilisation
de quelques techniques libératrices, ni limitée
à quelques formules disciplinaires nées des conseils
de classe.
Notre pratique de l'auto-gestion pédagogique est
liée à notre conception politique et sociale de la
société.
L'auto-gestion reste une idée jeune et neuve. Les
difficultés de tous ordres ne doivent pas amener à
minimiser la force de l'aspiration qu'elle contient
Elle n'est pas une utopie, elle apparaît comme la
proposition de renouvellement et d'espoir.
Nos pratiques ne sont pas le fait d'éducateurs
isolés.
De 1971 à 1982, les recherches se poursuivent au sein d'une
Commission Nationale, éditant un bulletin où
participent 60 camarades.
Des chantiers «autogestion» se développent au
sein de l'Ecole Moderne, animés par J. Chassanne.
Ces militants, engagés dans une éducation sociale et
politique, suscitent les critiques de ceux qui n'acceptent aucune
remise en cause de la pédagogie Freinet, ni de
l'I.C.E.M..
P. Y.
J'avais été frappé par le comportement des
élèves de Delahaye. On ne les voyait pas tous aux
récréations, un certain nombre, contrairement
à la réglementation stricte de l'époque
interdisant à l'élève d'être en classe
sans la présence du maître, restait à finir un
travail ou trop pris par celui-ci. On en voyait partir, non
à onze heures trente, mais un quart d'heure, voire une
demi-heure après la cloche. Ces mêmes, pourrait-on
dire, revenaient à une heure pour la rentrée de une
heure trente, s'introduisaient presque clandestinement dans
l'école, contrairement aux nôtres qui attendaient
presque la sonnerie pour pénétrer dans la cour
où surveillait le maître de service. Delahaye, lui,
était depuis longtemps dans sa classe avec ses volontaires.
Par quel miracle ces enfants étaient-ils
métamorphosés? A ma demande, Delahaye me donna
toutes les explications voulues. Après le départ de
ses ouailles, il m'invita à pénétrer dans sa
classe où les tables étaient déjà
dérangées pour occuper d'autres fonctions que
d'accueillir un postérieur fatigué au bout de
quelques minutes, à supporter un corps alourdi
d'inappétence intellectuelle, et des membres qui
intérieurement et par nécessité de
l'âge auraient bien voulu s'agiter dans toutes les
directions. Pas de bras croisés. La classe était une
ruche bourdonnante, certes, où la récolte de son
miel se faisait par la participation désirée,
voulue, de chaque élève. Ici, on imprimait un
journal scolaire: «La petite usine» qu'il fallait faire
propre et sans faute pour envoyer aux correspondants d'une
école éloignée de France, travaillant dans le
même sens, là on observait et notait
l'évolution de poissons dans un aquarium après que
le maître et les observateurs eussent réfléchi
sur ce qu'il convenait de savoir et qu'un plan eût
été élaboré dispensant pour un temps
le maître de patronner ses enfants. On disposait aussi d'un
pathé baby. Les films que l'on passait servaient à
asseoir quelques connaissances. Dans un coin encore la scie
débitait en morceaux convenables le contre-plaqué
qui allait devenir après calcul, dessin, évaluation
de dépenses, un coffret ou un porte-brosse. Chacun s'y
retrouvait.
J. V.
Les élèves sont pour le moment disposés en U.
C'est le moment décisif où le texte de
l'enquête sur le voyage des pèlerins à la
Mecque va être rédigé avant l'impression. Au
tableau, le maître a reporté ce texte qui est
commenté du point de vue du style, de la syntaxe, de la
propriété des termes. Au beau milieu de la classe,
le projecteur de diapositives est en batterie, prêt à
fonctionner. Au fond, se trouvent l'imprimerie, les tables de
travail où les enfants peuvent fabriquer leurs propres
diapositives, et le matériel audiovisuel:
magnétophone, appareil photographique, etc....
Aux murs, les textes réglementaires (progressions), mais
aussi un planning à éléments
détachables, propre à «l'Ecole Moderne».
Lorsqu'une partie du programme officiel a été
traitée, il suffit d'ôter l'étiquette
correspondante.
Mais ce n'est pas tout. Les enfants de l'Ecole Moderne sont, on le
sait, de merveilleux dessinateurs, et ceux-là confirment
pleinement la règle. La décoration de la salle
témoigne du sens de l'observation, mais aussi de
l'imagination et du goût artistique des enfants. On prend
alors conscience des lacunes de la pédagogie
traditionnelle, qui fait du dessin, une discipline annexe, alors
qu'il peut et doit être un extraordinaire instrument de
connaissance et d'expression.
Avant notre arrivée, les élèves avaient
procédé à une enquête sur un
événement capital. Il s'agissait pour eux
d'effectuer une recherche très détaillée sur
le pélerinage à la Mecque auquel participaient
souvent les membres de leur famille. Des groupes s'étaient
rendus dans les agences de voyage, avaient interviewé les
responsables, s'étaient procurés des documents.
Les éléments du puzzle allaient être
assemblés pour aboutir, d'une part au texte libre, mais
aussi à la leçon de géographie, d'histoire,
de calcul, d'étude de milieu, de dessin. Le thème
peut sembler exceptionnel, il n'en est rien. On a l'impression que
chez le maître, car, il est chez lui dans sa classe,
l'exceptionnel est quotidien. Ce n'est pas une boutade: que l'on
en juge par les exemples des thèmes qui vont suivre. La
fête du mouton fait elle aussi l'objet d'enquêtes
approfondies, de même que la révolution agraire,
enfin tout ce qui est d'un intérêt à la fois
actuel et humain, tout ce qui peut transformer l'acte en
éducation totale de l'homme et du citoyen.
L'après-midi, le maître nous a dévoilé
les trésors d'ingéniosité grâce
auxquels il a pu «démarrer». Rien, ou presque, au
départ. Une planchette, quelques clous et un morceau de
toile et voilà une imprimerie. Et pour le rouleau? ont
demandé nos stagiaires intrigués. Pour le rouleau,
il suffit de prendre un morceau de manche à balai et de la
gaine d'un morceau de vieille chambre à air!
Le maître ne se limite pas aux démonstrations
verbales. Tout en parlant, le voilà qui prépare sous
nos yeux un stencil, qui encre le support, et voilà le
texte dont il distribue des exemplaires à la ronde.
Habituellement, c'est un groupe qui est chargé de ce
travail, mais aujourd'hui le temps presse.
Mais la véritable surprise et le clou de la soirée,
c'est l'audiovisuel que le maître a depuis cette
année intégré à son enseignement. Ce
sont les élèves qui ont la joie de voir leurs
dessins projetés en images lumineuses sur l'écran,
accompagnées de la bande magnétique qu'ils ont
réalisée eux-mêmes avec bruitage et fond
sonore. Des trucages simples, des variations lumineuses donnent
à cette séance une extraordinaire ambiance de
poésie enfantine. Déjà, les techniques du
mixage et du montage sont acquises, bien avant les mots sans
doute.
Une innovation intéressante concerne le fichier
autocorrectif. C'est une mémoire composée d'une
boîte à fiches où les élèves
puisent les connaissances qui leur font défaut, et qu'ils
enrichissent au fur et à mesure, lors des leçons,
mais aussi chaque fois que l'occasion se présente de
vérifier telle ou telle règle de grammaire ou
l'orthographe de tel mot.
Rapport de visite chez Ab. B.
Dès ma 1ère nomination, je mis en place des
échanges avec une école mayennaise. Bien sûr,
les échanges furent modestes mais déjà une
prise de contact entre élèves, de quelques heures,
un mercredi après-midi, permit d'apprécier les
bienfaits de cette forme de travail.
Dès lors, allaient commencer d'année en année
d'autres formes de correspondance scolaire en privilégiant
toujours la rencontre humaine entre les élèves.
Pas besoin d'être distants de plusieurs centaines de
kilomètres pour trouver le dépaysement, quelques
dizaines suffisent: campagne-ville, petite école et groupe
scolaire...
L'expérience aidant, l'envie de varier les échanges
m'ont amené à oser une aventure «folle» et
rompre complètement avec la logique qui m'avait
animé jusqu'à présent!
Une opportunité? un défi à moi-même? un
pari fou? toujours est-il qu'une correspondance de 7 ans avec la
Guadeloupe allait apporter des échanges aux formes
inattendues avec une saveur exotique!
C'est grâce à la présence dans ma classe d'une
famille antillaise dont le papa avait proposé, à
l'occasion d'un voyage aux Antilles, de porter un colis dans
l'école de son village d'origine.
Ainsi allaient démarrer des envois distants de 7000
kilomètres avec l'impossibilité de se voir au cours
l'année scolaire.
Ce sont eux qui ont pris l'initiative de venir les premiers au
bout de 5 ans de correspondance.
Le retour eut lieu 2 ans plus tard. La possibilité d'y
participer fut offerte à tous les élèves
ayant correspondu scolairement, et de découvrir la
Guadeloupe et plus particulièrement Anse-Bertrand.
Il va sans dire que la découverte d'un territoire
d'Outre-Mer restera gravée dans ma mémoire et dans
celle des enfants. Pour la plupart d'entre eux, c'était la
1ère fois qu'ils sortaient de la métropole.
Avec le recul, en analysant cette expérience, je me rends
compte que je la dois au mouvement I.C.E.M. et donc à
Freinet que je n'ai rencontré qu'au travers des livres et
documents.
André Brochard
La peinture coûte cher. Qu'importe! Quelqu'un trouve un
moyen pour faire face: on achète à peu de frais de
la poudre de couleur bon marché chez un droguiste et on la
fixe avec du lait écrémé... et oui, nous
l'avons fait... en attendant la «solugouache» et surtout
les crédits qui permettent de l'acheter.
Le dessin libre utilise beaucoup de papier, alors commence la
chine, chez les peintres, les droguistes, des grands albums de
papier peint, lors des renouvellements des collections.
Un père d'élève, devenu père d'ancien
élève avec les ans, représentant dans une
grande droguerie en gros, continuera à nous en apporter en
quantité pendant des années.
Le verso de chaque feuille est blanc, enfin presque, si on fait
abstraction de l'énorme numéro noir qu'il porte en
son centre et que les enfants ont souvent du mal à couvrir
avec la peinture.
On fait aussi le tour des imprimeries pour récupérer
les chutes de papier ou les restes de rouleaux.
Les techniques d'impression coûtent cher, notamment le lino
; chez des artisans poseurs sur sol on récupère
chutes et échantillons. On cherche même le plastique
que les enfants découpent ou sur lequel ils dessinent avec
une colle à tissu ; «le texticroche», qui permet
un tirage d'une cinquantaine au moins d'exemplaires.
Puis on utilise la carte de Lyon, le bristol gravé au
stylo-bille ou découpé et collé en couches
successives après avoir cherché à utiliser
des techniques de gravures sur zinc et sur cuivre
abandonnées à cause de l'usage des acides qui
s'avèrent trop dangereux pour les enfants malgré
tous les stratagèmes inventés pour leur en
éviter le contact.
Cette recherche est fructueuse et ouvre des horizons sur
l'utilisation des matières pour l'expression
artistique.
Tout cela est présenté au cours des réunions
et des stages, chacun apportant au groupe sa
découverte.
Ainsi va le progrès par la recherche collective et anonyme,
ne réclamant aucune reconnaissance de droit d'auteur,
d'aucune sorte.
(...)
Le groupe normand organise sa propre exposition permanente, une
exposition qui sera à la disposition des camarades
organisateurs de réunions ou de stages, ou de toutes
manifestations Ecole Moderne de la région.
Nous en prenons la responsabilité. L'ensemble des oeuvres
répertoriées est rangé dans une énorme
caisse de contre-plaqué d'environ 1,2 x 1,5 x 0,2 m
organisée de telle sorte qu'elle puisse être
expédiée rapidement, par train ou camion, à
la demande.
Nous avons fonctionné ainsi pendant des années.
Certes, nous ne nous barbouillons pas de grands mots et à
travers les oeuvres enfantines, nous ne cherchons pas à
évaluer les compétences de nos élèves
à l'aune d'on ne sait quels critères que nous
aurions établis ou qu'on nous aurait fournis sur on ne sait
quelle base soi-disant objective.
Ce que nous voulons, c'est aller le plus loin possible avec les
enfants ; ne pas les mettre en concurrence les uns par rapport aux
autres, mais au contraire les amener à s'aider, à
s'épauler sans rivalité d'aucune sorte. La
concurrence, le plus souvent travestie en émulation,
stimule sûrement certains parmi les meilleurs mais,
malheureusement, décourage plus souvent les plus
provisoirement démunis.
Les comparaisons que nous proposons sont celles qu'on fait avec
soi-même ; celles qui consistent à constater ce que
l'on peut faire aujourd'hui que l'on ne savait pas faire hier.
Il n'est sûrement pas sain de chercher à se
dépasser uniquement pour dépasser les autres. Il est
peu, très peu de champions et beaucoup de gens
ordinaires.
Nous voulons avant tout à partir de la vie, aller vers la
vie, là où du passé naît l'avenir.
Nous nous refusons à substituer à la scolastique,
tant critiquée par Freinet, une nouvelle scolastique
moderne tout aussi néfaste que la première, faite
elle-aussi d'exercices abstraits, présentés comme
des situations de vie, tout comme les problèmes des
certificats d'études étaient donnés comme des
exercices de la vie pratique. Nous refusons d'entretenir ces
illusions ; nous nous méfions des savantes
réflexions pédagogiques qui ignorent le plus souvent
la vraie vie.
On a envie de crier, aujourd'hui comme hier: «laissez les
enfants vivre!» ou plutôt: «faites-les vivre
naturellement comme des enfants!»
G. G.
Le journal scolaire, la correspondance, le voyage-échange,
ont motivé l'essentiel du travail. Ils ont laissé
des traces profondes chez les élèves. Certains ont
maintenant la cinquantaine et parlent encore du journal, des
correspondants, et du voyage-échange qu'ils ont fait.
Les techniques en constante évolution doivent être
maîtrisées pour servir et non pas pour asservir ;
rien n'est définitif, il faut aller de l'avant dans une
recherche permanente.
C'est ce que nous avons fait.
Il est réconfortant de constater que trente ans
après la disparition de Freinet, les nouvelles
générations qui ne l'ont pas connu travaillent avec
le même élan, avec le même esprit et aiment
encore contacter les «anciens».
C. Y. F.
Un grand principe chez Freinet, c'est l'expression libre de
l'enfant, au premier chef le texte libre.
Quelques exemples feront comprendre le comment et le pourquoi
d'une telle expression:
Louis est un garçon doux et souriant. Né juste avant
la guerre, il a à peine connu son père qui,
prisonnier en Allemagne, n'est rentré chez lui qu'à
la Libération. Louis a donc vécu cinq années
seul avec sa mère sur une petite exploitation rurale. Avec
le retour du père, c'est une petite soeur qui est
née et Louis a dû partager la mère qu'il avait
pour lui tout seul pendant ces années. Un jour, il nous a
raconté un rêve: il avait construit un avion pour
traverser la Manche et il embarquait dans l'aventure sa petite
soeur. Mais l'avion avait eu des ratés et il
s'abîmait en mer, engloutissant Louis... et sa soeur.
Rêve, puis récit à toute la classe. Cela
a-t-il aidé l'enfant?
Bernard est un joyeux luron qui n'hésite pas à se
moquer de lui-même. Il nous lit un matin l'aventure qu'il a
vécue la veille au soir: alors que la famille se
préparait à manger la soupe, la pluie s'annonce ;
«vite, il faut ramasser le linge qui est étendu»
dit la mère à ses deux filles. Bernard, qui n'aime
pas la soupe, se précipite vers le buffet, prend des
morceaux de sucre qu'il fait fondre dans son assiette ; mais ce
n'est pas ce qu'il espérait. «Je n'ai pas faim - eh
bien, passe ton assiette à Andrée.» Celle-ci
commence à manger mais s'étonne du drôle de
goût. «Oh! dit la mère, tu as voulu sucrer ta
soupe! tu vas tâcher de me la manger!». Le récit
que fait Bernard, le penaud, est salué par les rires des
camarades et, avec l'accord de l'auteur, on décide de jouer
la saynète pour la fête de Noël. Le
succès près du public fut assuré.
Dans les années 50, on ne parlait pas de sexualité
de façon aussi libérée que maintenant. Quand
Pierre annonce qu'il a un texte «J'ai mené ma
chèvre au bouc», l'instituteur, citadin, se sent dans
ses petits souliers. Mais il faut laisser lire le texte. Or, c'est
tout simple: Pierre et ses copains ont mené la
chèvre jusqu'au clos du bouc, y ont fait entrer la
biquette, puis sont sortis après avoir fermé la
barrière. Et que pensez-vous qu'il arriva... Par dessus la
haie, le bouc, plissant le nez, faisait des grimaces aux enfants.
Et Pierre, tout en lisant, grimaçait lui aussi, et cela
nous fit tous rire.
On ne rit pas toujours en classe. Quand Guislain propose «Les
colères du maître», je ne peux que laisser lire,
et, malgré plusieurs autres textes intéressants,
c'est évidemment le texte de Guislain qui est choisi,
imprimé, distribué à chaque
élève et inséré dans le journal que la
classe envoie à des classes correspondantes.
Ce sont là des témoignages pour montrer la
diversité des récits que les enfants peuvent
écrire et pour souligner combien les camarades de la classe
sont attentifs à ces «confidences» de leurs
condisciples. Evidemment, quand le texte lu est plutôt
écrit pour son intérêt documentaire, les
questions posées à l'auteur éclairent le
propos et peuvent mener à des débats ou des
études plus poussées qui feront l'objet de
recherches dans les livres, qui inviteront en classe un
déporté rescapé du camp de Struthoff ou un
ancien mineur de la mine de fer de Diélette ; elles seront
aussi l'occasion d'une enquête. Ainsi sont nées,
entre autres, deux B.T. très différentes l'une de
l'autre:
Le vitrail: à partir d'un texte de Pascal qui racontait
comment il avait réalisé un vitrail ; discussion,
interrogation, décision: il faudrait voir comment se fait
un vrai vitrail. Comme on ne peut se déplacer à
trente-cinq, une équipe ira jeudi - c'était avant le
congé du mercredi - avec le maître visiter l'atelier
du maître-verrier M. Bourget. Visite, échantillons de
verre et plomb, compte rendu en classe. Et, après mise au
net, un manuscrit qui est accepté par les P.E.M.F.. est
édité et servi aux abonnés.
Ainsi naît la vie: Vincent apporte en classe un épi
de maïs qu'il a cueilli chez ses grands-parents ; il explique
la fécondation: épi mâle, épi femelle.
Etonnement des auditeurs. Puis: «c'est comme cela pour
tout?» Discussion. Et, évidemment: «Et pour nous
alors?» Il n'y a plus qu'à mettre au net le dialogue
qui s'est instauré en classe. Puis, avec le contrôle
de trois mamans des enfants qui ont le plus participé au
début et qui ont accepté de relire le projet avec
l'instituteur, un nouveau manuscrit est adressé aux
P.E.M.F. et, en septembre 1970, est servie la B.T. N°710.
Bien sûr, depuis vingt-cinq ans, la libération de la
parole quant à ces problèmes de sexualité a
dépassé le cadre modeste de la brochure ainsi
réalisée, et c'est tant mieux. Mais encore
fallait-il écouter, accepter le débat en classe et
essayer d'apporter des réponses aux interrogations des
enfants.
La classe est une communauté de travail ou chacun
mène en partie la vie de tous. Il est bien évident
que le maître d'école n'abdique pas devant ses
élèves ; il ne s'agit pas de laisser faire et
laisser dire ; ainsi que le disait Freinet, c'est la discipline du
travail qui régit la vie scolaire. L'écoute d'un
texte, son choix parmi d'autres, sa mise au point collective,
vocabulaire, syntaxe, orthographe, devant tous au tableau, c'est
une vivante leçon de français. Mais ce sera
peut-être aussi l'occasion de préciser des notions
d'histoire, de géographie, de calcul. L'exploitation du
texte libre peut être variée, mais il peut aussi se
suffire à lui-même.
Cette communauté de travail, on la vit au jour le jour, de
façon intense, dans une classe transplantée comme
celle que nous avons vécue en 1975: classe verte au manoir
d'Imbranville et où, à chaque heure de la
journée, enfants et adultes - l'instituteur et les
collègues détachés avec lui - vivaient
très proches les uns des autres, et où le
maître n'était plus le personnage distant, mais celui
avec lequel on partageait les repas et avec lequel on pouvait
bavarder ou plaisanter. Et les visites en groupes de travail
enrichissaient par leurs comptes rendus l'album de fin de
séjour. Mais, là aussi, l'extérieur apportait
ses «leçons»: le travail en laiterie,
l'exploitation maraîchère, les basses-cours, le
château Renaissance. Même un jour, c'est Patrick qui a
été l'enseignant: il nous fit découvrir, dans
un sentier très ombragé, alors que nous partions en
exploration matinale, la grive qui, sur une pierre du chemin,
cassait la coquille de l'escargot qu'elle venait de cueillir dans
le fossé.
F. L.
Sur le plan pédagogique, j'ai fait part à
Guérin d'un contact avec une école groenlandaise et
Paul-Emile Victor. L'école groenlandaise a
enregistré en français une bande sur le thème
«24 heures de notre vie», thème choisi par
Guérin pour un multiplex international lors de
l'inauguration de la Maison de la Rdaio à Strasbourg. Il
est venu à Montargis pour enregistrer des étudiants
finlandais. Je suis très heureux que mes relations avec
P.-E. Victor aient permis la réalisation de B.T.
sonores.
F. F.
C'était au Congrès Freinet d'Angers à
Pâques 1949, mon premier contact avec un rassemblement
national des militants...
Je fus immédiatement accroché par le verbe haut d'un
grand gars qui discutait avec deux autres collègues en
regardant au sol une galette de cire qu'il essayait de faire
tourner avec un système resté confus dans ma
mémoire. C'était quasi une scène de
marché aux puces... Et il disait:
«On va enregistrer sur la cire, comme Charles Cros. Les
correspondants écouteront, égaliseront la surface et
pourront à leur tour enregistrer leur message...»
- Enregistrer? Mais ça m'intéresse!!!
Et de découvrir Raymond Dufour...
Freinet, venu écouter les résultats, et adoptant le
style Dufour, dit en riant:
- «Tu es sur la bonne voie. Je crois que tu as
déjà atteint là un bon niveau de
réussite. C'est au moins du 1%!»
A Nancy en 1950. Il fait appel à deux collègues:
Piat et Hure, radios-amateurs ondes courtes, qui fabriquaient leur
matériel de liaison radio avec le monde entier. Ils sont
venus chacun avec un magnétophone à fil.
Oui... parfaitement! A fil de fer spécial, très fin,
qui glissait dans une gorge à une vitesse très
élevée, capable d'enregistrer et de restituer des
sons - les premiers «dictaphones» des secrétaires
de Monsieur le Directeur...-. Imaginez lorsqu'il cassait! des
perruques... des perruques...!!! Il fallait alors faire des noeuds
qui éliminaient des paroles. Et il coupait les doigts!
Au cours du congrès, c'est cependant sur de semblables
engins que nos magiciens ont mis en ondes, «comme pour une
véritable émission radiophonique», un petit
album né dans la classe de Maurice Beaugrand de
Grange-Lévêque (Aube): L'histoire de Cochonnet,
diffusée à tout le congrès en dernière
séance.
Au cours de la même année, à l'imitation de
Piat, Raymond s'était essayé à enregistrer
sur un magnétophone à fil. Toute une aventure, pour
un enseignant non technicien!: son de mauvaise qualité,
incidents multiples avec le fil.
C'est alors que Gilbert Paris vint...
Je l'avais rencontré dans les escaliers des coulisses de la
salle des fêtes de Ste-Savine où il était venu
enregistrer l'harmonie municipale pour, par la suite, leur graver
des disques. Il était venu avec une caissette en bois dont
la face supérieure portait deux bobines entre lesquelles
défilait à bonne vitesse - 77 cm / seconde - un
ruban standard. Ce ruban sera, par la suite, connu de tous. Et
merveille! Ce jeune homme, préposé à la
cabine technique d'un cinéma de quartier, avait
fabriqué tout seul ce magnétophone, dont la
qualité sonore m'émerveilla immédiatement.
Pas de doute! Pour moi qui connaissais un peu la gravure directe
sur disque, impossible à réaliser par des
enseignants, il tenait la solution à nos recherches.
... Si bien qu'au Congrès de Rouen, en 1953, Gilbert est
venu avec un appareil, volumineux certes, mais solide et d'usage
universel, que l'on appela le «Combiné»: capable
de lire les disques 78 tours, les nouveaux microsillons 45 tours
et 33 tours et de sonoriser une fête scolaire, car de forte
puissance sonore. Bref! Le loup Blanc!
Bien sûr, il pesait une bonne vingtaine de kilos!
«Première qualité d'un bon enseignant
audiovisuel: être d'abord un bon
déménageur», disions-nous. Les lois de la
propagation des sons ne peuvent se modifier: pour avoir puissance
et qualité sonore, il faut le poids et le volume».
Dufour (Oise), Denjean (de Beauvoir-en-Lyons - 76) avec qui j'ai
fait un des premiers voyages-échanges en 1946, Lagarde
(Vayres - 33 -), Brillouet (la Vallée en Charente-Maritime)
et moi-même avons été les premiers
équipés. La correspondance sonore s'ajoutait aux
autres techniques Freinet. Ce n'était plus de l'utopie!
Une documentation multi-médias prenait son élan.
Pages imprimées, lettres individuelles, posters, albums
illustrés de photos en positif, diapositives en noir et
blanc, enregistrements sonores, etc... composaient les envois.
Pour l'ensemble des militants, l'enregistrement magnétique
était devenu une technique Freinet évidente,
même s'ils ne la pratiquaient pas. L'organisation, en
été, des stages familiaux de 12 jours de formation
aux techniques audiovisuelles attira quasi
régulièrement de 80 à 150 camarades pendant
plus de 25 ans.
La ténacité de Raymond devait nous faire aller plus
loin. Plusieurs fois, il avait insisté pour que Gilbert
Paris et moi soyons avec lui à une rencontre avec un
professionnel de la radio, Jean Thévenot qui, chaque
semaine, le samedi à 14 h, diffusait des enregistrements
réalisés par des amateurs disque ou grâce au
ruban.
- «C'est lui qu'il faut voir», avait bien
précisé Raymond.
Grâce au «Combiné» de Gilbert Paris,
Raymond avait pu envoyer à Jean Thévenot des bandes
enregistrées dans sa classe. L'une d'elles, Le
Rémouleur, avait été diffusée dans
l'émission de la deuxième chaîne de la
Radio-Télévision Française, l'émission
Aux quatre Vents. Peu de collègues l'avaient
écoutée, mais lorsque nous l'avons
découverte, elle nous accrocha immédiatement. Son
ton était tout à fait nouveau à la Radio.
Ce qui frappait, d'abord, c'était le ton, authentique des
élèves de Raymond qui n'étaient plus des
écoliers, mais des jeunes, curieux de parler avec ce
personnage pittoresque, qu'ils voyaient de rue en rue. L'ambiance
sonore, les crissements des lames sur le grès de la meule
qui tournait cahin-caha, grâce à un système
prélevé sur une vieille bicyclette, les
réponses sobres du rémouleur, coupées par ces
bruits de travail...
- «Oui, mon petit, c'est assez dur...
(bruit de lame qu'on aiguise...)
- J'ai plus de poumons...»
Tout cela s'enchaînait harmonieusement et apportait une
émotion profonde à ces trois minutes
d'instantané sonore. Pour le sujet lui-même, le ton
des personnages, cette ambiancen'avait rien de commun avec la
majorité des reportages rigides des professionnels de
l'époque.
Il nous fallut mieux connaître ce Jean Thévenot.
Ce fuent les débuts d'une étroite collaboration de
près de 30 ans avec Jean Thévenot et laradio de
service public.
Le travail continuel en réseaux coopératifs permit
de parfaire notre maîtrise de la technique et celle des
enfants qui se révélèrent très
performants, tant dans la prise de son que dans le montage et la
maîtrise de l'oral.
Autre conséquence immédiate de cette rencontre, nous
avons mieux pris conscience d'un invariant fondamental des
techniques Freinet: le changement de statut de l'enfant par la
pratique des techniques de communication, comme l'imprimerie
l'avait réussi. Il effectue un vrai travail, ayant une
valeur sociale indéniable: lorsque les auditeurs de la
France entière écoutent Sabine, 7 ans,
(élève de Claude Curbale), interviewant sa mamie
charcutière, ou - autre instantané sonore qui fut
célèbre - lorsque, dans ma classe, nous avons ouvert
un colis venu des Nouvelles Hébrides, dans le Pacifique,
avec textes, albums, lettres et coquillages qui nous faisaient
rêver...
En 1955, Gilbert Paris apportait au Congrès
d'Aix-en-Provence un nouveau matériel de sa conception: le
Multistandard C.E.L. capable d'écouter et d'enregistrer
dans tous les formats existants avant que le dynanisme commercial
d'une firme impose au monde entier son standard d'enregistrement.
(Largeur de la bande, position de la piste enregistrée,
vitesse de défilement. C'est ça une
«norlaisation»!).
Bientôt aussi, Gilbert sortait un magnéto à
cassette autonome, commun dans le commerce, mais bien
amélioré, possédant une qualité
compatible avec une diffusion radio.
Un Central de regroupement et de préparation des bandes
envoyées par les classes pour l'antenne radio s'installait,
d'abord dans notre chambre à coucher puis dans le sous-sol
de notre maison où Gilbert viendra travailler.
Une sonothèque coopérative était
créée et, dpuis 1960, nous avons alimenté
plus de 650 émissions et mis au point près de 300
titres de disques et de cassettes CEL et PEMF. Les ensembles
audiovisuels vendus approchent le million.
Actuellement, il est bien difficile (sophistication des techniques
et coût de réalisation) de réussir notre
professionnalisme-amateur du passé, ce qui n'empêche
pas de profiter, dans le cadre de la classe, des
potentialités de créativité de ces
techniques.
Pierre Guérin
-
Réactions à la pédagogie Freinet
- La totale nouveauté de la pédagogie Freinet ne
pouvait que surprendre.
Quête fébrile à la bibliothèque de
l'Ecole Normale: un ouvrage de Freinet, tout de même...
Discussions avec mes camarades de promotion. L'un d'eux me
prêta «Les techniques de l'Ecole moderne
française», puis s'intéressera lui aussi
à la pédagogie Freinet. Demande auprès du
Directeur en vue d'effectuer un de mes stages en tutelle à
l'Ecole du Pioulier. Refus: «Je vous ferai un cours de deux
heures qui vous en apprendra davantage qu'un mois passé
chez Freinet» (sic, hélas!).
Deux années dans la petite école
élémentaire de Gairaut, à Nice, me firent
comprendre combien il était facile de s'enraciner dans la
population, si on décidait de s'impliquer, et combien les
enfants en tiraient alors partie. Une année à
Tourrette-Levens dans une école de 250 écoliers,
mais... avec la responsabilité d'une classe unique
composée exclusivement d'enfants maghrébins que les
collègues ne voulaient pas..., confirma la
découverte précédente. Ma plus grande
satisfaction fut d'obtenir des familles, en butte au racisme de
l'environnement, une marque de confiance - incroyable a priori:
à la suite des visites que je fis auprès de chacune
et du travail de l'année, j'obtins que tous les enfants
pussent quitter un mois leurs parents pour
bénéficier d'un séjour en classe de
découverte... Ici encore, le mouvement Freinet m'apporta un
soutien extraordinaire: exposant les difficultés que je
rencontrais auprès de la commune qui refusait de cofinancer
la classe d'environnement, la solidarité financière
des camarades au Congrès de Montpellier me permit de
montrer à l'I.D.E.N. que j'étais vraiment
déterminé à compenser la défaillance
municipale par une quête publique... argumentée.
Quelques jours plus tard, le préfet inscrivait d'office la
dépense au budget de la commune...
Jacques Jourdanet
En 1968, 1es responsables désireux d'associer plus
intimement des camarades d'autres cantons à une
rénovation pédagogique créent le Groupe
Romand de l'Ecole Moderne (GREM). Une centaine d'enseignants
préparèrent alors le premier Congrès suisse
de l'Ecole moderne, doublé d'une nouvelle exposition
artistique où se déroulèrent de remarquables
démonstrations des diverses techniques: imprimerie,
limographe, monotypes. Lausanne était l'idéal lieu
de rencontres et les autorités locales très
collaborantes.
Pourtant,d'autres «patrons» surveillaient attentivement
et avec plus ou moins de bienveillance ces enseignants quelque peu
remuants et dérangeants.
Ce fut, dès lors, le prélude à des moments
plus difficiles. En effet, la société, victime d'un
insolent progrès, se calfeutre, s'affaiblit dans son
confort matériel, se dirige vers la fracture sociale. La
réussite à tout prix devient le leitmotiv à
tous les niveaux et l'écolier en pâtit. Les enfants
plus lents, faibles ou rêveurs n'ont plus place en classe -
en ont-ils jamais eu -? L'individualisme, additionné de la
folie de la compétition à tous niveaux, modifie les
mentalités. En classe, le stress s'installe, sournois et
gagne même les enseignants découragés.
«Ils ne mouraient pas tous,
Mais tous étaient frappés», disait La
Fontaine...
Comment s'étonner, dès lors qu'au sein du GREM le
militantisme se mit à fléchir?
Heureusement, des forces nouvelles arrivèrent de Suisse
allemande, franchissant avec aise la barrière linguistique
en apportant un souffle nouveau. Il faut dire que ces
collègues avaient eu, auparavant, de nombreux contacts de
travail avec le GREM. Ces jeunes impressionnent par leur attitude
critique face à des groupes de pressions très
nombreux dans leur région. Ils ne craignent ni le
scepticisme, ni l'hostilité officielle.
Ces dernières années, en coopération
étroite avec les derniers du GREM - des filles surtout -
ils organisent régulièrement des rencontres avec
exposition, à Zurich, Berne, Genève ou Lausanne. En
1996, à Fribourg, ils y évoqueront la mémoire
de Freinet.
J. R.
De retour à Neublans, la tête pleine de toutes ces
nouvelles idées pédagogiques, nous commençons
à pratiquer:. texte libre, atelier de peinture, journal
scolaire écrit à la main en attendant l'imprimerie
et nous commençons timidement les échanges.
Parallèlement, Roland a écrit des articles
concernant ces pratiques dans un journal local y insérant
quelques textes libres d'enfants. Réactions
immédiates des collègues de deux villages voisins
qui mettent en garde les parents: quatre élèves
quittent l'école! Nous demandons une inspection, celle-ci
se déroule très bien et
nous pouvons continuer.
M. Be.
J'ai encore en mémoire la réflexion de Sylvie, une
élève de onze ans qui m'avait connue en
pédagogie traditionnelle. Deux ans plus tard, alors que je
m'étais déjà bien engagée dans la
pédagogie Freinet, elle m'avoua: «Vous savez que vous
avez drôlement changé, maîtresse». Eh oui!
je la voyais avec un autre regard et c'est fou ce que l'on est
capable de faire quand on vous regarde positivement ; car il
s'agit bien de faire. Cette expérience de Magny-Cours, avec
le recul, n'a rien d'extraordinaire en soi, mais nous avons
réalisé quelque chose, avec d'autres et, sans ces
autres, sans Célestin Freinet, nous ne l'aurions pas
fait.
Aujourd'hui, je suis seule, Raymond est mort depuis quatre ans.
Beaucoup d'amis du Mouvement ont également disparu:
M.Beaugrand, ME Bertrand, M.Berteloot... Je suis heureuse de
pouvoir les faire revivre maintenant.
A Raymond qui n'a pas entendu comme moi, le merveilleux
témoignage de sa fille, à Célestin Freinet
que j'aurais tant aimé connaître et à tous mes
amis, j'offre ce bel hommage de Pascale adressé à
ses parents: «Le plus beau cadeau que vous m'avez offert,
c'est votre éducation dans l'esprit et les principes de la
Pédagogie Freinet»
J. Ma.
Dans la foulée de soixante-huit, je fus, heureusement,
sollicité pour participer dans un Centre Régional de
Formation à un passionnant travail d'équipe. Au bout
d'une dizaine d'années la remontée du
traditionalisme m'amena cependant à me tourner vers l'ICEM,
dans les rencontres nationales duquel je rencontrai des
préoccupations proches des miennes chez des
collègues tant du primaire que du secondaire. Ces
échanges débouchèrent rapidement sur une
véritable coopération au sein d'un groupe de travail
fondé en 1980.
Mais, face à un retour de plus en plus agressif de trop
vieilles démarches, je me sentis tenu de me positionner
clairement face à une hiérarchie nouvellement
placée pour les promouvoir. Peut-être eussé-je
pu le faire de façon plus discrète? Toujours est-il
que, malgré un dossier professionnel jusque là tout
à fait positif, l'Inspection Générale de ma
spécialité et son relais régional ne
cessèrent jamais plus de me poursuivre de leur sollicitude!
A commencer - pour ne prendre qu'un exemple - par un transfert
quelques jours après la rentrée, du poste dont
j'étais titulaire au Centre de formation de Professeurs
dans un collège de quartier exposé, à 120 km
de là et avec des élèves en
difficulté... La Pédagogie Freinet avait
commencé à transformer ma vie, pourrais-je
plaisanter!
En fait, je ne regrette strictement rien. Au contraire, dirais-je
même avec le recul. Remis en contact avec la
réalité de la classe, je pus y expérimenter
et en témoigner en pleine connaissance de cause. Et de
façon beaucoup plus crédible que depuis un poste de
formateur.
La plupart de mes anciens collègues du Centre peuvent se
retrouver aujourd'hui chefs d'établissements ; j'ai, quant
à moi, beaucoup plus apprécié la
possibilité de continuer à travailler et
témoigner librement dans des revues pédagogiques,
syndicales, de spécialistes ou autres pour combattre,
même sans gros résultat apparent, une conception
tellement modélisée et expositive de l'enseignement
technologique qu'elle en paraît caricaturale.
En ce sens, la Pédagogie Freinet m'aura finalement bien
apporté la liberté.
Même si, ô combien précieuse, m'aura
été la présence constante des camarades: seul
on n'a jamais raison contre tous et on ne saurait «tenir la
distance».
Heureux néanmoins d'avoir pu éviter d'appeler au
secours, car convaincu que toute liberté a quelque part son
prix.
Prix que d'autres, à commencer par Freinet lui-même,
ont dû payer nettement plus cher.
Liberté aussi d'explorer pleinement, dans des directions
pour la plupart signalées par lui, des pistes souvent
entrevues par lui. Et selon des démarches plus ou moins
éprouvées par lui et ses premiers compagnons.
Alex Lafosse
Dans mon travail avec les étudiants de l'Ecole Normale,
c'est-à-dire avec les futurs «éducateurs du
peuple», je m'efforce de leur faire connaître la
Pédagogie Freinet, aussi bien par des livres que par des
rencontres avec des enseignants Freinet que j`organise (p.ex. en
1995, une excursion en Forêt Noire où existe un
groupe Freinet très actif). En même temps, j'essaie
de leur démontrer la nécessité de l'attitude
envers les élèves, décrit ci-dessus par
Célestin Freinet.
Ce dernier but est très difficile à atteindre. Les
jeunes étudiants à 80% des étudiantes
d'ailleurs sont issus pour la plupart d'un milieu
«bourgeois» et ont parcouru un Lycée
traditionnel. Là, ils ont été formés
dans la conscience d'avoir mérité leur succès
scolaire par leur intelligence et leurs efforts, succès
moyen d'ailleurs, parce que ceux avec un baccalauréat de
qualité s'en vont faire des études universitaires.
Ils sont donc très «sages», très
naïfs et imprégnés par l'idée
d'apprendre au plus vite comment on dirige une classe «comme
il faut». Finis les temps où j'étais mise en
cause par des étudiants impatients de changer l'Ecole, ni
quoi que ce soit... Ceux et celles devant moi aujourd'hui ont
appris la leçon qu'il faut s'adapter, se plier aux
exigences si l'on veut avoir un des postes très rares... Il
y en a même qui m'en veulent lorsque que j'essaie
d'organiser un cours selon les méthodes Freinet,
c'est-à-dire lorsque je leur propose le choix d'objectifs
de travail, ou des groupes ou des méthodes de travail...
Tout ce qui n'est pas nettement imposé, qui sent le risque
d'une décision personnelle, de la liberté, leur
inspire peur, ou plutôt méfiance...
Ils se plient déjà avant qu'on le leur ait
exigé. Et la pauvre vieille qui cherche à leur
insinuer une autre attitude, à ébranler
quelques-unes de leurs convictions, se sent bien des fois un peu
seule parmi eux.
Ce n'est donc jamais la majorité qui se laisse inspirer de
cette autre conception du travail pédagogique,
inspirée et initiée par Célestin Freinet il y
a 75 ans. Mais quelques-uns, dans chaque promotion, commencent
à s`y intéresser, «prennent feu» et
cherchent activement le contact avec la Pédagogie Freinet.
J'ai toujours trouvé une possibilité pour
ceux-là de faire un stage dans une classe Freinet, ou de
participer à des rencontres, etc.
Les autres apprennent la Pédagogie Freinet par les livres,
ou les minimalistes par les notes prises par leurs camarades et la
récitent dans les examens. Et cela n'est déjà
pas mal, n'est-ce pas?
I. D.
Comme beaucoup d'autres, je n'étais pas toujours d'accord
avec Freinet. Mais il prenait soin de nous donner la parole parce
qu'il croyait à l'importance de la confrontation des
idées. Il m'avait même confié la rubrique de
l'Educateur: «La part du maître». La plupart du
temps, il acceptait tels quels mes articles, sans jamais les
censurer et se réjouissant même des problèmes
que, parfois, je posais. Il ne me demandait de reprendre que ceux
qui n'étaient pas directement compréhensibles.
Il avait été déçu et presque
choqué d'apprendre que moi, le fidèle des
fidèles, je n'imprimais plus, que je n'avais pas de journal
scolaire et que je n'utilisais pas la correspondance. -
Après onze années de pratique! -. Il m'expliquait
qu'il était d'accord pour dire que la correspondance
n'était pas faite pour l'histoire et la géographie,
mais pour mieux se connaître. Moi, je pensais que,
jusqu'à 9 ans, les activités de la pédagogie
Freinet suffisaient largement pour cela, pour peu qu'on ait souci
de développer les langages, ce que je m'efforçais de
faire dans des domaines inhabituels comme le parlé, le
chant, la gymnastique et la mathématique. Mais lui, il
avait plutôt une optique grande classe. Et il avait raison
de penser qu'à ce moment-là, il fallait ouvrir les
fenêtres sur le monde. Elise me comprenait mieux parce que
je me trouvais davantage sur sa ligne. - Mais Freinet craignait
que mes interventions ne dissuadent des camarades de ce niveau de
pratiquer la correspondance, alors qu'il pensait qu'elle
était accessible à tout le monde et que, par sa
seule introduction, les choses s'en trouveraient
déjà considérablement et positivement
changées.
Je n'étais pas non plus d'accord sur le fait qu'il fallait
construire le savoir mathématique sur le réel, alors
que je pensais, et que mes élèves m'avaient
conforté dans l'idée, qu'il fallait d'abord s'en
désengluer. Mais bien que fondamentalement opposé
à cette idée, il n'en avait pas moins publié
le récit de mes premières expériences. Elise
me disait:
- «Ici, tout le monde est contre toi. Et moi, je serais
plutôt de leur coté. Mais, continue, tu pourrais
avoir raison contre nous tous».
Mais si j'ai eu en grande partie raison, ce n'est pas contre eux,
mais avec eux, parce que j'avais appliqué leurs
idées à l'enseignement des mathématiques.
Elise s'était d'ailleurs rapidement rangée à
mon point de vue parce qu'elle sentait qu'on ne pouvait faire
totalement confiance au seul calcul expérimental.
Même comportement de Freinet à propos de
«Rémi à la conquête du langage
écrit». Les premiers cahiers l'avaient un peu
inquiété. Mais il ne les en avait pas moins
publiés. Lorsqu'il avait choisi comme thème du
congrès d'Annecy: «Critique de l'école
traditionnelle», nous avions été plusieurs
à lui dire notre désaccord. Alors, il avait
opté pour: «Les maladies scolaires». En cette
occurence, nous avions eu tort, car cette critique était
à faire, comme elle l'est encore à faire maintenant.
Ayant connu tout ce qu'il avait connu, il n'hésitait pas
à affronter la réalité en face. Nous, nous
étions beaucoup plus timorés.
P. L. B.
Freinet m'appelait aussi «Viens ici, Paulette 40, fais-nous
rire avec tes misères...»
Freinet paraît-il, n'avait découvert que je
travaillais dur et sérieusement que sur le
témoignage d'Elise! C'est en riant que je racontais
«la dernière» de ma Directrice, ou de mon
Inspecteur. Je disais cela - qu'y faire? - avec mon accent,
n'est-ce pas?
Alors les copains riaient aussi.
Donc, la «dernière» anicroche: dans mon vieux
chalet sur le mur de ciment gris sale, il nous prend l'idée
de peindre une belle fresque à la peinture (en 1952, je
crois). Arrive «Madame». Une exclamation: «Mais que
faites-vous! sur le mur!!! Si l'Inspecteur des Bâtiments
communaux arrive, vous vous rendez compte?» Moi: «Mais
Madame, ça se lave... Elle, soulagée:
«Ça se lave? Oh! alors, c'est beau...»
Freinet ne restait pas sur notre beau rire. Il était
déjà à imaginer les garde fous qui pouvaient
nous faire conquérir peu à peu plus de
liberté vis à vis des Corps Constitués.
Et celle de l'inspecteur, tout de noir vêtu, depuis son
grand feutre, qui arrive, le dernier samedi du trimestre, ler
avril - 3 mois de classe sans vacances, 6 heures par jour, 5 jours
par semaine -. Section Enfantine CP - 56 enfants, entassés.
Pas de femme de service pour accompagner les plus petits au
«cabinet» au fond de la cour! Il fallait déranger
23 gamins quand «ça pressait».
Ma colère s'était déjà
déchaînée contre le Conseil Municipal.
«Faites-moi des bureaux à étages... Je mettrai
plus d'enfants».
Le ton montait des deux côtés.
Poussée à bout, sur la page de Vie de notre journal,
j'écris:
«Laissez venir à moi les petits enfants...»
Nous sommes 56 et chaque enfant n'a que 0,94m2 de place... Tout de
suite il gronde: «Vous osez m'écrire cela sur votre
journal public: vous savez que vous êtes tenue à
l'obligation de réserve...»
- «Mais Monsieur l'Inspecteur, si je ne l'écris pas
à vous, alors à qui..»
Imperturbable, mon chef hiérarchique compte mes zouaves et
note sur mon rapport: «La maîtresse a retrouvé
de meilleures conditions de fonctionnement: Présents
48!...
P. Q.
Elles ont l'âge d'être grands-mères maintenant,
mes élèves! Celles que je vois de temps en temps se
sont bien débrouillées. L'une d'entre elles est
venue me voir cet été: elle est coiffeuse et
esthéticienne.
Elle m'a expliqué que, aller à l'école pour
elle, ce n'était pas aller à l'école comme on
l'entend communément, c'est-à-dire, aller à
la corvée avec tous les ennuis qui peuvent s'ensuivre. Elle
appréciait surtout nos sorties dans la nature. Puis elle a
continué ses études et elle a constaté
qu'elle en savait autant que les autres qui avaient peiné
en vase clos. Elle ironise sur celles qui vont bosser. Elle, elle
va s'occuper de son commerce, surveiller son personnel, former des
jeunes et conseiller ses clientes.
Il s'agit d'une forte personnalité et sa réussite
n'est pas due uniquement à l'école.
D'ailleurs un cas isolé n'est pas une preuve. «former
en l'enfant, l'homme de demain», aimait à
répéter Freinet.
Il faudrait un sondage pour savoir si les anciens
élèves des écoles Freinet ont
été mieux formés que les autres.
J. Mo.
Je voulais pouvoir appliquer intégralement la
méthode Freinet et venir aussi en aide aux enfants en
difficulté scolaire, souvent pour des problèmes
familiaux: séparation des parents, jalousie entre
frères et soeurs. Dans ce dernier cas, le signaler aux
parents qui ne s'en rendent pas compte et le déblocage se
produit rapidement. Voici le cas précis d'un
élève: «Nous sommes 3 enfants, mon frère
aîné est le préféré de mon
père, ma petite soeur la préférée de
ma mère et moi de personne». Surprise des parents
à qui j'ai signalé ce fait et qui se sont mieux
occupés du 2ème enfant qui a aussitôt fait de
rapides progrès et finalement obtenu un bac technique.
Autre blocage, une enfant de 12 ans, d'intelligence normale, ne
savait pas lire «parce qu'il n'y avait pas d'atomes crochus
entre elle et la maîtresse du C.P.». Le rattrapage a
été très rapide.
Les élèves se plaisaient beaucoup dans ces classes,
preuve apportée par beaucoup de parents: «On n'y
comprend rien! Avant, il ou elle, n'attendait que les vacances et
maintenant, il(ou elle, s'ennuie pendant les vacances et n'attend
que la rentrée avec impatience!»
Andrée Bertet
En route pour l'aventure. Je l'entreprends avec prudence. Les
parents invités prennent langue mensuellement avec moi
depuis la rentrée d'octobre 1933. Peu à peu ils
acquièrent conscience de la nécessité d'unir
nos efforts comme de solliciter quelques amis extérieurs au
sein d'une Amicale Laïque. Dans un rapport de 1935,
l'Inspecteur primaire, intéressé, note: «On
assiste ici à une transformation spectaculaire dans la
classe, non seulement en tant que bâtiment, grâce aux
efforts des parents et des amicalistes, mais par le climat
éducatif dont bénéficient les
élèves».
(...) 1943 - 1944 - 1945: Personnalisation, individualisation,
succèdent aux leçons exposées. Textes libres
retravaillés en commun, poèmes, dessins libres,
gravures, rien n'étonnera plus quiconque. Ni les
élèves, ni les parents régulièrement
informés. Ni les artisans du bourg:
maréchal-ferrant, sabotier, boulanger par exemple qui
répondent aux enquêtes entreprises. Ni les
employés de la gare, ceux du bureau de poste. Ni les
anciens interrogés sur le folklore du pays de Retz, sur la
demande du Ministère transmise par l'Inspection
Académique. A la fin de l'année scolaire, aucun
échec aux devoirs d'examens. Et surtout, le niveau de
curiosité s'est accru. Aux questions posées par
certains coopérateurs, il a fallu des réponses.
D'où des recherches sous formes multiples. Souvent, les
réponses ont été satisfaisantes. Parfois, il
faudra mettre en route des investigations plus approfondies.
Chacun, dans ce cas, doit comprendre la nécessité
d'un délai, de persévérer.
Autre point satisfaisant, des parents d'enfants du cru,
garçons et filles même, ont profité du
bouleversement de nos effectifs pour faire inscrire leurs rejetons
à l'Ecole Communale: adaptation sans problème.
1945: Il faut me rendre à l'Université de Lyon, afin
de soutenir le mémoire préparé, en vue du
diplôme, sur un aspect de la pédagogie Freinet.
Titre: «Le dessin libre des enfants dans une classe
Freinet». En fait, je m'attache à prouver l'importance
capitale de la vie affective de l'enfant, confronté
à la vie d'une classe. Accueil excellent. Le Prof. Jean
Bourjade, Président du Jury, me suggère de
préparer une thèse. C'était le 5
décembre, j'avais repris, dès les premiers mois de
cette année, un contact épistolaire avec Freinet et
avec Elise. L'autorisation académique m'a été
accordée de me
rendre au Pioulier où l'un et l'autre sont revenus.
M. P.
(...) Malgré leur apparente amabilité, nos
collègues n'appréciaient pas notre pédagogie.
C'est ce que nous avons découvert lorsque l'Inspecteur
d'Académie et l'Inspecteur Primaire sont, ensemble, venus
nous inspecter l'un et l'autre. Inspection sans problème,
mais pourquoi? Dans son bureau, l'Inspecteur d'Académie
nous expliqua qu'une pétition des parents avait
été envoyée par le maire au préfet,
qui l'avait transmise au recteur!
Il nous lut un passage de la pétition: «Mme Poisson
apprend à ses élèves à
reconnaître et à dessiner des mots avant de leur
apprendre à former des lettres». Il estimait, comme
nous, que les auteurs n'en étaient pas seulement des
parents.
Il nous soutenait, ne voulait nullement interdire notre
pédagogie, n'a laissé aucune trace de cette affaire
dans nos dossiers.
Cependant, face à la toute puissance politique du maire, il
déclara ne pas être certain de toujours pouvoir nous
protéger et nous conseilla de changer de poste.
On vint me demander de remplacer une maîtresse
d'application. J'expliquais alors à la directrice de l'E.N.
que je pratiquais la pédagogie Freinet, que je suivais
l'expression libre des enfants et que j'exploitais leurs apports
quand ils se présentaient ; que, par conséquent, je
ne pouvais m'astreindre à respecter les exigences des
professeurs qui viendraient inspecter les normaliennes.
A ma stupéfaction, elle trouva cela très
intéressant. Je n'eus pas de problèmes avec les
profs, mais des accrochages avec les autres maîtresses
d'application lors de conférences pédagogiques. Mon
travail ayant sans doute donné satisfaction, je suis
devenue Maîtresse d'Application.(1)
D. P. P.
(...) Après la visite d'une exposition de peintures
d'enfants où «l'Ecole Moderne» locale avait sa
bonne part, une collègue disait: «Il faudrait d'abord
leur apprendre que les gens ont le nez au milieu de la figure et
deux pieds pareils, pas l'un plus long que l'autre».
Un inspecteur voyant une imprimerie d'occasion au fond de la
classe: «Ah! vous imprimez? Avant d'imprimer, il faudrait
d'abord apprendre à lire à vos
élèves».
M. M.
A la rentrée scolaire 1952-1953, j'introduis des techniques
Freinet, dans mon CM2, à l'école de St Joachim. Cela
dérangeait mon collègue directeur, mon
Inspecteur.
Rapport d'inspection, en avril 1953:
«Le maître se réclame de la méthode
Freinet, c'est pourquoi il n'a pas de journal de classe. A
l'avenir, Mr Yvin tiendra un journal de classe, ce qui lui
facilitera la tâche, quoi qu'il pense.»
Mais oralement, il me lance. «Au lieu de faire de la
politique, et du théâtre, faites votre
classe».
En 1962, toujours le même Inspecteur, à la Baule.
«Il y a lieu de signaler que le maître s'inspire des
techniques utilisées par les partisans de l'école
nouvelle: imprimerie, journal scolaire, textes libres, par
exemple, il y a une coopérative, qui fonctionne
régulièrement.»
(1) Institutrice(teur) qui participe à la formation des
enseignants débutants.
Et là, il m'encourage à faire ma demande pour le
stage de Beaumont-sur-Oise (Classe d'enseignement spécial),
il augmente ma note et ajoute, «là, vous pourrez faire
votre cirque, avec votre imprimerie».
P. Y.
Il y a deux ans, le 14 mai 1992, un bonheur inattendu me fut
donné: celui de prendre conscience de quelle manière
la Pédagogie Freinet peut s'inscrire chez les enfants -
ceux qui furent mes élèves à Codalet de 1957
à 1963 - et les aider à construire leur
personnalité, au cours d'une rencontre qui, l'espace d'un
jour, 34 ans après, nous avait réunis. Je retrouvais
le regard, les attitudes de l'enfant dans ces jeunes femmes et ces
jeunes hommes qui exprimaient à travers leurs souvenirs
comment une imprégnation profonde était devenue
technique de vie. Souvenirs communs à tous: l'expression
libre, l'organisation coopérative du travail, le climat de
la classe, mais à des niveaux différents, chacun
ayant pris, dans le complexe mis en oeuvre, ce qui lui
était nécessaire pour grandir, s'épanouir,
parfois en surmontant ses difficultés.
Jany:
«J'ai gardé un merveilleux souvenir de l'école
primaire de Codalet, à tel point qu'en 1994 j'ai voulu nous
regrouper l'espace d'un jour autour de notre institutrice. Quel
bonheur de se retrouver 34 ans après! Les souvenirs ont
refait surface et nous avons aussitôt recréé
l'ambiance qui nous unissait.
Il n'y avait pas de séparation entre la maison et
l'école. J'étais libre de m'exprimer librement sans
aucune gêne, j'allais au tableau, j'expliquais mes textes
libres sans jamais ressentir de moquerie. Chacun s'exprimait sans
raillerie aucune de ses camarades, ce qui fut différent en
6ème.
J'étais motivée par les recherches et les
exposés et j'ai gardé cette motivation dans ma vie
professionnelle.
Une notion très importante aussi: celle de
responsabilité. Nous étions responsables de notre
travail, de l'imprimerie, des peintures, des fichiers, des
fournitures scolaires. Jamais aucun vol. Chaque responsable avait
la confiance de la classe.
Un souvenir très fort aussi: Michel avait de grosses
difficultés en orthographe, mais dès l'instant
où il avait composé et imprimé un texte, il
le photographiait sans aucune faute. Il était responsable
de l'imprimerie.
Après mon entrée en 6ème, je revenais en
classe pour me ressourcer.»
Jany Tesse, Codalet, secrétaire de mairie.
Ils revenaient tous: les «grands», partis en
sixième ou en apprentissage, le samedi après-midi,
s'intégrant au travail, aidant à terminer les
oeuvres, à ranger, à préparer la classe
devenue classe unique, pour le moment si attendu et solennel de la
réunion de la coopérative.
«Nous travaillions tous ensemble, il n'y avait pas de
compétition entre nous, mais vous permettiez à
chacun d'aller le plus loin possible. Arlette nous aidait en
peinture à chercher de belles teintes, lorsqu'on ne savait
plus.
Je ne pensais pas qu'il nous serait possible de retrouver aussi
vite cette atmosphère de classe, cette simplicité et
de redevenir enfants.»
Monique Borneil, Montpellier, Professeur d'Arts Plastiques.
«Une pédagogie profondément humaine...
Vous avez su réveiller chez les enfants que nous
étions l'envie de savoir, le plaisir de découvrir.
Profondément attachée à cette
pédagogie profondément humaine, vous faisiez de nous
des enfants privilégiés.
Nous avons réussi dans des domaines variés.
Certains, même, vous doivent leur métier. Je savais
que je serais photographe: je faisais les photos en classe
promenade.»
Franck Tellosa, Perpignan, Photographe
«Les enfants de maintenant, il faut tout leur apporter tout
prêt.
Nous, nous allions arracher l'argile au bord de la rivière
et nous allions chercher le sapin de Noël dans la
montagne.»
Joseph Larrieu, Prades, Maçon et célibataire
«J'étais responsable de l'imprimerie, c'était
mon travail, celui que je préférais.»
Michel Nicolau, Codalet, Agriculteur.
La lettre de Suzon, qui trop éloignée n'avait pas pu
assister à la rencontre:
«Vous avez été une des figures
emblématiques de mon enfance, vous m'avez aidée
à grandir, vous m'avez donné l'amour du travail. De
vous, j'ai retenu par dessus tout et symboliquement votre sourire
et le terme par lequel vous nous désigniez:
«enfants». Telle était votre appellation
favorite, non précédée de possessif et
pourtant empreinte d'affection.
Vous nous avez fait vivre le temps de l'école, non comme
une corvée mais dans la sérénité.
Notre imprimerie, notre journal, nos poèmes, la part
accordée à l'expression sous toutes ses formes, nous
ont révélés à nous-mêmes, tout
autant qu'ils nous ont appris à déceler la
beauté du monde et peut-être est-ce au nom de cette
nostalgie ancienne et de l'amour des mots que j'ai voulu,
très tôt, devenir professeur de lettres.»
Suzon Casenobe, Savigny Le Temple, Professeur de lettres
«Aujourd'hui, j'ai 47 ans et mes pensées souvent vont
vers mon enfance. Née dans une famille de trois enfants,
d'un père ouvrier, travaillant dans les mines de fer de
Faurinya et d'Escaro et d'une mère, bonne mère de
famille, mais sans instruction ni culture, j'étais une
enfant qui errait dans les rues de mon village à la
recherche de quelque chose.
Je me promenais dans les bois, je parlais aux fleurs (1)et aux
arbres, je suivais les rivières. Je ne me suis jamais
souvenue de l'école maternelle.
A dix ans, je ne savais ni lire, ni écrire, ni apprendre
par coeur, devant ce tableau noir, je me sentais
déjà frustrée. Puis à la
rentrée suivante je suis allée à la
«grande école».
Là, beaucoup de changements. Une nouvelle maîtresse
m'a accueillie et m'a mise en confiance. Je passais des moments
à jouer avec l'eau, dans l'évier, qui était
de marbre rouge, sans que la maîtresse crie ou me punisse.
C'était, je pense, sa façon à elle de
m'apprivoiser.
Puis j'ai découvert le dessin, la couleur et la peinture,
les textes libres que l'on pouvait raconter à toute la
classe. J'écoutais attentivement et avec plaisir les
poésies de Victor Hugo et d'Appolinaire et
j'apprécie de les relire aujourd'hui.
Nous écrivions des textes, des poèmes pour notre
journal «Le Canigou» que nous vendions dans le village.
Il était imprimé par toute la classe et les dessins
étaient faits par les auteurs du texte.
Cette façon de travailler m'a permis d'évoluer, de
m'enrichir, d'aimer ce qui m'entourait, d'apprécier la
musique, d'être sensible à la beauté des
choses et à la tristesse.
Je n'ai pas l'instruction pour avoir des diplômes, mais j'ai
une culture (2) qui m'a permis de construire ma
personnalité et que m'a donnée avec beaucoup d'amour
une institutrice qui avait choisi la Pédagogie
Freinet.»
Arlette March, Aide-soignante à l'hôpital de
Prades
L'ancienne correspondante de Monique Borneil - nous correspondions
alors avec une classe de Saint-Joseph-les-Bans en Ardèche -
nous a fait apporter par Monique, avec laquelle elle est toujours
en relation, cette lettre pour le jour de notre rencontre:
«Il était une fois un maître et une
maîtresse, qui, soucieux d'élargir l'horizon de leurs
élèves, décidèrent de leur attribuer
des correspondants.
La mienne s'appelait Monique Borneil. J'ai toujours
conservé sa première lettre, vous allez savoir
pourquoi.
Je trouvais que son nom brillait comme le soleil et j'ai
(1) Arlette dessinait toujours ce qu'elle appelait «des
visages en fleur». Je viens de comprendre pourquoi puisque
pour elle les fleurs avaient un visage.
(2) Freinet disait de certains enfants de l'école qui
avaient dominé le handicap du départ: «Ils ont
une culture, ils savent réfléchir, lire, choisir,
juger. Ils sont formés pour la vie.»
vite compris que le soleil là-bas, c'était l'or des
abricots du Roussillon. Je me souviens qu'à chacune des
lettres apportées par le facteur c'était la joie, le
bonheur de lire, de découvrir cette nouvelle amie.
Très vite nous sommes devenues amies et avons
partagé nos secrets. Les colis de Noël, soigneusement
préparés, venaient compléter notre joie en
nous apportant des produits inconnus chez nous, comme le
«touron» par exemple. Et puis s'écrire n'a plus
suffi.
Il a fallu se voir en vrai, se toucher, s'entendre parler et rire.
Alors j'ai fait le premier pas qui fut mon premier voyage.
Notre amitié n'a connu aucun heurt, elle s'est
élargie à nos maris, à nos enfants et
à nos amis. Merci donc à ces instituteurs qui nous
ont offert ce bonheur qu'est l'amitié, parce qu'ils avaient
compris qu'en se tournant vers les autres, la richesse du coeur
irait grandissant. En ouvrant cette fenêtre sur le monde,
ils nous ont donné le goût de l'aventure, de
l'échange, le bonheur quoi!
Mille fois merci.»
Annie Roux, la correspondante de Monique Borneil,
conseillère d'éducation, le 9 mai 1994
Ces moments de la vie de notre classe qui furent pour nous une
expérience unique et indélébile, faite de
travail intense et motivé, de créations,
d'enthousiasmes et de bonheurs partagés, exprimée
par les enfants est un hommage à Freinet.
S'il nous a été possible de faire un bout de chemin
sur cette «voie royale» qu'avec Elise, ils nous ont
tracée, c'est parce qu'ils ont mis leur oeuvre à
notre disposition au sein du chantier coopératif de l'Ecole
Moderne, pour le partage du travail et de l'amitié.
Thérèse Vigo.
-
Apport du mouvement au développement des
personnalités
- «La Pédagogie Freinet» donne une force et un
élan qui favorisent le développement des
potentialités de chacun à tous les niveaux.
Lettre à un centenaire
Si tu savais, Monsieur Freinet, tous les bonheurs que je te dois.
Tous ces instants du verbe apprendre se mariant avec la vie, quand
on conjugue découvrir avec aimer et puis comprendre. Ces
moments indicibles où l'on ne baisse plus la tête, ni
le dos, ni l'esprit. Dans une classe-liberté. Quand les
enfants vivent debout, c'est qu'on a fait du bon travail. Lent et
profond et jubilant comme un sillon.
Et pourtant...
Si tu savais, Monsieur Freinet, combien de fois je t'ai trahi,
combien de fois j'ai dérivé sur le radeau de mes
questions. De mes peurs, de mes doutes. De mon impuissance.
Combien de fois je suis celui qui ne sait pas ouvrir les portes.
Combien de fois je fais semblant.
Faut que tu saches, Célestin, que ton estrade de
révolte, j'en finis pas de la casser. Elle repousse, elle
est forêt. Elle continue à bourgeonner entre les
lames du plancher. C'est que dehors elle prospère. Trop de
non-vie hors de l'école. Trop de manques, d'absences, et
bien trop de tempêtes. Trop d'enfants qui déjà
savent plier l'échine. Ou qui hurlent au secours.
Tu vois, Monsieur Freinet, c'est toujours difficile. Ça
demandera bien un autre centenaire pour que ta voix s'impose
enfin.
C'est commencé, rassure-toi.
L'autre jour dans ma classe au pied des Pyrénées,
les gosses ont proposé:
«Bon. Et si on allait à la mer?»
Michel Barrios.
Freinet n'est pas pour moi un modèle mais le
révélateur d'une grande partie de mes options
fondamentales de vie.
Il m'encourage en quelque sorte à exprimer ce que je suis
moi-même. Ses idées que je partage, même si
elles sont contestées, m'apparaissent comme justifiant,
authentifiant les miennes.
L'autorité de son action, l'importance reconnue du
Mouvement permet la reconnaissance de la mienne.
Avec lui, je sens que j'aurai le courage de dénoncer, de
refuser l'humiliation et l'hypocrisie. Il y a en quelque sorte, un
transfert d'une parcelle de sa notoriété, dans ma
propre expression de nos idées communes qui nous lient.
Tout cela me donne une force et un élan que seul je
n'aurais pas pu avoir.
D'une certaine manière, j'ai l'impression que je vais
pouvoir travailler à l'abri du Mouvement, sorte de confort
dans l'inconfort. Je peux faire appel à des citations et
des références, sortes de refuge en cas de
contestation, obtenir des soutiens. Ce pourrait-être
conformité, mais au contraire, c'est liberté accrue
d'expression.
Je peux présenter mes travaux, non comme ceux d'un individu
isolé mais comme appartenant à la recherche commune
d'un groupe soudé dont les résultats obtenus par
ailleurs ont quelque chose d'incontestable, confortant ainsi les
miens propres.
G. G.
En fréquentant les réunions, stages, congrès
et différentes rencontres de commissions, secteurs, j'ai
rencontré des gens qui m'ont beaucoup apporté,
beaucoup aidé. J'ai acquis une confiance en moi, une
assurance que je n'aurais jamais crue possible. Je me suis sentie
plus à l'aise pour avoir des activités beaucoup plus
importantes avec les enfants, sans craindre la critique des
parents, des collègues, de la hiérarchie. Et aussi,
je n'avais plus peur de me trouver face aux parents ou à
l'Inspecteur car j'avais des arguments pour expliciter la
façon dont je travaillais
Renée Raoux
Pour qui s'est engagé dans la pédagogie Freinet,
pour qui a connu Elise et Célestin ou lu leurs ouvrages ou
entendu parler d'eux par leurs proches, pour qui a
intégré leurs techniques de vie, un changement
radical s'est effectué dans son comportement.
Être à l'écoute des autres, travailler avec
les autres, se remettre constamment en question, s'informer, se
documenter en permanence, positiver toute situation, tout cela
demande un effort et ne se fait pas en un jour, mais quand on est
engagé dans le processus, on ne peut plus reculer.
J. Ma
Puisque décidément, je me voyais née pour
étudier de plus en plus, pour enseigner, rechercher... tout
de suite, je suis arrivée à Freinet.
Immédiatement, je suis tombée amoureuse pour toute
la vie. Il me semblait avoir été en attente pendant
toute mon existence. Avec lui, dans ses paroles, ses
écrits, ses pratiques, je rencontrais la réalisation
de mes rêves les plus ambitieux, tout ce que j'avais
envisagé jusqu'à ce moment-là:
- Le plaisir, l'appréciation du beau dans ses
manifestations les plus diversifiées.
- Le plaisir pour la recherche et la découverte.
- Le plaisir pour les sciences.
- Le plaisir pour les lettres.
- Le plaisir pour tout.
Tout était là. Ça a été le
ciel! Et immédiatement la «révolution»
dans mes classes. Et ce fut bon, très bon!
Je me suis réalisée mais je veux que ça soit
clair, le réseau n'aurait pas été possible
sans l'incontestable aide de plusieurs équipes
déjà existantes et opérant bien avant ma
découverte. Maîtres freinétistes qui au
début étaient inconnus de moi et qui sont devenus
pour moi pour toujours, pour la vie, des amis très chers
qui ont donné leur collaboration, les informations, m'ont
aidée! Moi toute seule, je n'aurais rien obtenu. A Freinet,
à vous tous les «Amis de Freinet» un grand merci,
pour moi-même et pour tous les enfants qui, pour apprendre,
n'ont plus besoin d'être roués de coups.
Flaviana M. Granzotto (Brésil)
La pratique de la pédagogie Freinet et mon engagement dans
le mouvement Freinet m'ont, sur le plan professionnel et
personnel, dévoilé des horizons nouveaux, en
m'apportant:
Tout d'abord la conscience de la dimension sociale du rôle
de l'éducateur, que ma formation sous la répression
militaire ne m'avait pas permis de développer avant.
Des techniques, des outils et des références
théoriques qui m'ont permis de donner un sens social
à ma pratique éducative.
Des recours et des procédés didactiques qui m'ont
aidée à rendre mon intervention pédagogique
plus cohérente avec les finalités d'une
éducation démocratique.
La satisfaction de sentir l'enthousiasme et les progrès
réalisés par les groupes d'enfants, d'adolescents ou
d'adultes avec lesquels j'ai eu l'occasion de pratiquer les
principes et les techniques Freinet, soit comme Professeur dans
les cours de langue ou de formation pédagogique, soit comme
Directrice d'école, soit comme Inspectrice, soit comme
Conseillère Pédagogique des équipes des
Centres de Jeunesse, soit comme Animatrice de groupes de formation
continue.
La possibilité de sentir la force de la solidarité
des amis du Mouvement Freinet dans les moments difficiles.
Le courage, malgré mes problèmes de voix, de parler
sur mon travail et sur la pédagogie Freinet à des
grands publics.
Le courage de publier un livre et des articles à partir de
mes réflexions et de ma pratique de la pédagogie
Freinet.
L'opportunité d'échanger des expériences avec
des éducateurs de différents coins du Brésil
et du monde et de cultiver des liens d'amitié avec eux.
L'occasion de connaître d'autres pays et d'entrer en contact
avec des différentes cultures.
La force pour ne pas démissionner, malgré la
perversité croissante qui se vérifie dans la
société globale et les conditions de travail
dégradantes de l'école publique.
L'impossibilité de me maintenir indifférente face
à cette si perverse réalité
brésilienne.
Maria Lucia Dos Santos
Autour de Freinet gravitaient aussi, à cette époque,
Michel Edouard Bertrand et Jacques Bens. Michel, hélas,
décédé prématurément,
exerçait son magistère d'instituteur à
l'école Freinet et Jacques devint plus tard le gendre de
Freinet.
Titillés tous les trois par la poésie, nous avons
fondé une revue «La Chandelle Verte» qui devait
vivre plusieurs années.
D'autres rencontres plus fortuites celles-là eurent lieu
encore et toujours à l'école Freinet avec des
poètes de grande renommée, tels André Verdet
et Jacques Prévert par exemple.
Ainsi, constamment relancée par les uns ou les autres,
notre propre personnalité acquérait un meilleur
développement et un relief marqué.
Le travail scolaire et le milieu où j'exerçais,
Saint Julien le Montagnier, développèrent en moi le
goût de la recherche pré et protohistorique.
Aussitôt je fus aidé, encouragé, soutenu par
des collègues de notre mouvement disséminés
dans toute la France, en particulier Gilbert Lobjois et Grosso.
Sans devenir un spécialiste, j'ai acquis en ces deux
domaines un potentiel de connaissances suffisant pour des travaux
scolaires approfondis et pour entreprendre des recherches assez
poussées pour intéresser des revues aussi
spécialisées que «Gallia».
R. J.
La relation humaine franche, mais respectueuse, sans triche, ni
démagogie, voilà l'une des clés de mon
parcours. J'ai appris à voir au delà des murs de
l'école et à m'impliquer dans des démarches
et actions en concordance avec la philosophie du Mouvement de
l'Ecole Moderne.
Si je ne suis pas parvenue à évacuer
complètement le manque de confiance en moi
indéracinable et ma tendance à l'insatisfaction, je
sais que mon cheminement aux côtés des amis de
l'I.C.E.M. a donné un sens à ma vie professionnelle.
Je sais de plus que les principes inclus dans la pédagogie
de Freinet ont, à maintes reprises, influé sur mon
attitude face à certaines situations de ma vie personnelle
et familiale.
Ce faisant, au fil des réunions, stages, congrès,
j'ai appris à remettre en cause mes a priori
pédagogiques, à me laisser emporter par les
initiatives, les recherches et les projets des enfants. J'ai
appris également à écouter, à prendre
en compte les comportements des uns et des autres, à
percevoir, dans ma classe, les situations qui permettraient au
groupe de progresser dans son organisation et à
réfléchir sur ma place, mon rôle dans ce
groupe.
J'ai appris encore à deviner sinon percevoir les attentes,
les insatisfactions et inhibitions et à tenir compte de la
personnalité de chacun. Et ce fut là, sur le
terrain, une véritable école de psychologie.
M. L. D.
Quelqu'un s'est convaincu près de moi de la valeur
thérapeutique incontestable de la pédagogie Freinet,
Marcel Gouzil, qui a décidé d'exploiter ses
observations. Nous sommes désormais liés
d'amitié. Amitié qui a trouvé sa source dans
la complémentarité de nos personnalités et
ses effets dans notre estime réciproque. Je ne serais plus
jamais seul dans mon coin sur le plan professionnel. Le dynamisme
de Marcel, son entregent, son humanité feront merveille
là où il exercera son autorité. Nommé
à la tête de l'école de plein-air du
Château-d'Aux, il deviendra l'animateur d'un groupe
départemental de l'Ecole Moderne qui comptera parmi les
plus actifs du mouvement. De notre rencontre, de notre
collaboration du début d'octobre 1943 était
né un élan imprévisible qui se poursuit
encore en s'amplifiant.
M. P.
Dans l'Educateur, dans les cahiers de roulement, nous
échangions nos problèmes, nos essais, nos
réussites. Découvrir la vérité que
Freinet nous offrait. Le «nous ne sommes plus seuls» il
faut avoir vécu sans autre soutien que soi-même pour
en éprouver la chaleur. Peu à peu au cours de
l'année, se dessinait avec Freinet, avec nos camarades, la
ligne d'action, les points d'impact du prochain
congrès...
Cette incitation à l'action, à la construction de
cette Ecole Moderne dont nous avions besoin, c'est ce qui m'a le
plus marquée.
P. Q.
Pendant vingt années, dont quatorze de pédagogie
Freinet, j'ai vécu intensément cette vie
d'enseignant dans un village.
Tous ces élèves étaient devenus mes enfants.
En 1984 une ancienne élève a eu l'initiative de
réunir un grand nombre d'anciens pour une journée de
rencontre et d'amitié. Ça se poursuit chaque
année au mois de mai.
A peine à la retraite, j'ai été
sollicitée pour animer des clubs du soir, peinture, en 1970
à la Maison des Jeunes. Cela s'est poursuivi jusqu'en 1993.
Toujours en référence à Elise Freinet
relisant fréquemment les différentes B.E.M. et
à Célestin Freinet qui avait fait sienne cette
boutade de Claparède: «,».
M. Be
Tout d'abord j'ai osé dire et faire, entrer dans les
conflits, les vivre, et parfois déjouer de vraies cabales ;
affronter quoi! et puis, il y a eu le changement total avec les
jeunes, une forme de respect mutuel. Avec les adultes aussi,
parents en particulier, où finalement la collaboration a
dominé malgré de furieux assauts de familles
réactionnaires ou inquiètes. Avant je n'aurais pas
osé faire des réunions ouvertes aux parents en
présence des élèves. Je n'aurais pas non plus
osé affronter les collègues sur ce point. Je reviens
donc à l'assurance dont j'ai parlé, assurance
acquise aussi dans nos stages en co-formation, les plus efficaces
ayant été ceux de la Commission Expression
Corporelle, d'où finalement a débouché toute
une prise de conscience sur l'alimentation saine, les
médecines naturelles et la prise en compte de la
santé de son être corporel, les relations franches,
le naturisme, les échanges inter-culturels et
internationaux.
Tout un vécu avec ses remises en question, ses doutes. A la
retraite j'ai conscience de continuer une vie où les
relations humaines et le vécu quotidien sont le
prolongement des choix éducatifs et pédagogiques. Je
ne suis plus à l'école mais mon expérience
pédagogique me sert toujours. Je continue à
rencontrer des enfants, des groupes d'adultes ou d'ados - musique
et danses traditionnelles -. Non pas, parce que je ne sais pas
quoi faire mais parce que c'est maintenant ma seconde nature. Et
je ne conçois pas de ne plus militer à
l'I.C.E.M.
G. R.
Lorsque je fais ce bilan, je remercie tous ceux qui ont
contribué à me révéler à
moi-même: Freinet, Elise et les autres, «visionnaires,
inventeurs, créateurs». Ils furent les
«éveilleurs» et les
«réveilleurs» de ma conscience, de ma raison, de
ma sensibilité.
Au fond, je pense que le Mouvement Freinet m'a rendue et je vais
dire un grand mot, plus intelligente, si l'on considère que
l'intelligence est indépendante de la réussite
sociale, intellectuelle. En fait à quoi servirait
l'érudition si elle contribuait à asservir l'homme,
au lieu de le servir?. Que cette intelligence est
compréhension, ouverture, acceptation de l'autre dans sa
globalité, complexité et différence, qu'elle
est humilité.
Je pense aussi que le Mouvement Freinet m'a rendue plus riche
d'une vie intérieure, porteuse d'optimisme, stimulateur de
l'élan vital, plus riche aussi d'émotions
esthétiques, autre réseau de communication plus
intime, plus exceptionnel.
J'en ressens aujourd'hui toute l'importance et l'émotion en
relisant comme cela m'arrive de le faire souvent, ces
écrits d'enfants «laissés pour compte».
Ils alimentent et agrémentent mes souvenirs d'une vie
professionnelle qui, si elle fut souvent complexe, difficile n'en
a pas moins été heureuse car en adéquation
avec mes idées.
R. G.
Nous avons trouvé au cours du stage - août 1948
à Cannes avec E. et C. Freinet - d'abord, dans les
réunions départementales et les congrès
ensuite, une ambiance humaine qui nous a transformés. Nous
avons découvert le travail en équipe, la
communication des expériences, des groupes sans
hiérarchie dans lesquels chacun remplissait une
tâche. Notre timidité originelle s'est à peu
près effacée...
Notre personnalité s'est enrichie d'une façon
considérable, nous avons été
transformés et nous avons mesuré et compris combien
le côté affectif était important et il l'est
toujours, dans les relations avec les autres. Aussi des liens
d'amitié se sont-ils noués lors de toutes ces
rencontres.
Nous sommes marqués d'une manière
indélébile, Elise et Freinet nous ont fait
connaître une technique de vie qui nous est encore et
toujours utile et bénéfique.
C. Y. F.
-
Une prise en compte de l'environnement
- Pour une nouvelle architecture scolaire
A pédagogie nouvelle, architecture nouvelle.
Se référant à son expérience de
militant, Freinet voulait nous faire prendre conscience que
s'enfermer dans sa pédagogie, ignorer toutes les
composantes de la Société concernées par
l'école était un écueil à faire
éviter absolument à tout enseignant s'engageant en
Pédagogie Freinet. C'est ce qu'Elise Freinet confirme
indirectement dans une circulaire du 29 octobre 1966: «il
espérait que par les meilleurs éléments des
cadres régionaux, des contacts pouvaient être
utilement amorcés avec les intellectuels, les
spécialistes de profession libérale, les artistes
pour essayer de replacer l'école à un niveau
culturel de recherche permanente et en recevoir des appuis.
L'Association pour la Modernisation de l'Enseignement restait son
grand espoir pour faire sortir les éducateurs d'Ecole
Moderne de leur ghetto primaire».
Pourquoi avons-nous accueilli favorablement, dans l'Indre, cette
idée d'Association élargie à des
non-enseignants? Pourquoi en avons-nous créé une,
pourquoi avons-nous créé une A.M.E? Avec le recul du
temps, on peut dire que nous y sommes venus tout naturellement:
c'était, en définitive, la suite très logique
de ce que nous avions fait jusque là.
Nous avions, dans nos écoles, des rapports assez originaux
pour l'époque avec un certain nombre de parents
d'élèves, des rapports qui ne nous étaient
d'ailleurs pas particuliers, que l'on retrouvait dans l'ensemble
du Mouvement de l'Ecole Moderne. A propos des associations de
parents d'élèves existant en cette période,
Freinet écrivait: «ces assemblées où
l'on ne discute rien de ce qui est essentiel!». En effet, on
s'interdisait d'y parler de pédagogie. Nous, bien entendu,
et bien que ce ne soit pas dans l'air du temps, nous en parlions
de ce qui est l'essentiel avec les pères et les
mères de nos élèves. Nous parlions des
enfants, de la classe, de ce que l'on y faisait, des bases
psychologiques, sociologiques, de notre manière de
travailler. Parmi les parents qui nous comprenaient, qui
appréciaient notre travail, un certain nombre sont venus
tout naturellement nous rejoindre à l'A.M.E..
Une rencontre essentielle est celle que nous avons faite avec un
architecte, frère d'une camarade du Groupe
Départemental venu prendre part à nos travaux
dès les premiers moments. Cet architecte, Robert Csali, qui
devint notre Président, nous a très vite
amenés à comprendre que si nous voulions être
efficaces à l'extérieur de l'école, nous
devions nous y comporter à l'exemple de ce que nous
faisions dans nos classes. Nous ne devions pas nous épuiser
en vaines discussions, nous contenter d'échafauder des
projets que nous soumettrions à telle ou telle
administration, à telle autorité.
Sa profession, sa volonté de dépasser nos tendances
à ne pas trop avoir les pieds sur terre, nous
entraînèrent à nous fixer en priorité
vers la réalisation effective d'une école selon les
critères que nous aurions, nous-mêmes,
définis. Ainsi, en partant d'un cadre de vie adapté
à la pratique d'une pédagogie telle que nous la
concevions, espérions-nous faire évoluer les
esprits.
Maintenant que nous avions décidé de sortir du
rêve, pour aboutir au concret, il fallait trouver une
solution qui nous permettrait de dépasser le mur des
réglementations et de franchir tous les obstacles
qu'inévitablement nous rencontrions. C'est Robert Csali qui
sut saisir une opportunité que personne d'autre sans doute
ne pouvait nous apporter.
La Caisse d'Allocations Familiales de l'Indre devait construire
une classe dans une école maternelle lui appartenant et
qu'elle mettait à la disposition de l'Education Nationale.
Elle en confia la réalisation à Robert Csali. Il sut
faire accepter par la Caisse, un projet conforme aux plans que
nous avions établis en commun: grande salle commune avec
sur deux parties latérales, espaces séparés
par des cloisons avec point d'eau dans chacun pour servir
d'atelier, mobilier facile à déplacer afin de
permettre des groupes de travail. Ce ne serait qu'une classe. Mais
ce serait un début qui nous permettrait, nous en avions la
certitude, grâce à notre volonté commune,
d'avancer dans ce que nous avions projeté.
La classe fut construite et, avec Robert Csali, nous eûmes
l'immense satisfaction de voir réaliser en vrai ce que,
jusqu'ici, nous n'avions rêvé que sur papier. Nous en
étions heureux aussi pour Freinet: son initiative d'A.M.E.
se révélait répondre à ce qu'il en
attendait.
Bien sûr, nous l'avions tenu constamment informé de
l'évolution de l'A.M.E. et des projets que nous
entreprenions. Il nous écrivait en juin 1 966: «Merci
pour vos papiers concernant votre initiative de
classe-témoin. La conception de cette classe est
très conforme aux souhaits de notre pédagogie avec
salle de classe et ateliers annexes «.
Aujourd'hui, à part les retraités de la
Modernisation de l'Enseignement que nous sommes devenus, qui peut
comprendre le symbole que représente cette
classe-témoin construite en marge des normes officielles?
Qui peut savoir qu'elle existe parce qu'à l'origine de sa
conception étaient les idées de Célestin
Freinet? Qui peut penser à la somme d'enthousiasme qui a
accompagné sa réalisation? Qui peut imaginer les
batailles livrées par un architecte d'avant-garde, à
la dose de persuasion dont il a su faire preuve pour innover dans
un domaine où la tradition était une règle
qu'il n'était pas facile de transgresser?
Oui, les choses vont lentement. Mais elles vont... Un jour
peut-être, un enseignant, un architecte, un administrateur,
des parents se poseront-ils des questions sur l'existence de cette
classe, sur son non-conformisme. Est-il permis de rêver
qu'elle soit un point de départ pour des
réalisations nouvelles conçues dans l'esprit de
celles que nous avions voulues et que nous n'avons pu faire
aboutir. Ce serait le plus bel hommage que l'on pourrait rendre
à Freinet, à Elise Freinet et à tous ceux qui
les ont suivis sur les chemins de l'Ecole Moderne.
M. Y. J.
En 1968, un projet de construction scolaire à Magny-Cours
vient d'être accepté officiellement par la
Préfecture alors que les futurs utilisateurs n'avaient
jamais été consultés sur sa conception.
Un appel téléphonique spontané au Maire et
à l'architecte va tout déclencher. Des enseignants
qui réclament autre chose qu'une HLM pédagogique,
c'est intéressant pour un maire novateur tel que le fut
Jean Bernigaud qui avait créé un circuit automobile
à l'origine du fameux circuit actuel
Nevers-Magny-Cours.
Robert et Raymonde Faulon nous ont alors rapporté les
travaux de la commission architecture autour de J.Boris et
G.Hirschler, au congrès de Grenoble en 1969.
Parallèlement, Marcel et Yvonne Jarry de Châteauroux,
nous ont mis en relation avec M.Csali, l'architecte qui a
réalisé l'école maternelle de la
Pingaudière sur le modèle de la classe-ateliers de
Freinet.
François Mitterrand, président du Conseil
Général, ami personnel convaincu du
bien-fondé de la pédagogie Freinet, nous a
apporté tout son soutien. Nous avons pu ainsi
échanger à la fois au niveau de la région
(stage régional de Grand-Pont) et aux congrès
nationaux de Charleville (1970), Nice (1971) et Lille (l972) en
présence des architectes. Après bien des
discussions, bien des difficultés, avec
opiniâtreté, ce groupe scolaire fut enfin
réalisé en 1973 et inauguré en juin 1974, par
François Mitterrand lui-même, en présence de
Michel et Micheline Barré, Maurice Beaugrand et Pierre
Guérin qui représentaient l'ICEM.
Je laisse aux articles de journaux de l'époque et aux
nombreux témoignages de notre livre d'or, le soin de faire
revivre cette période exaltante où l'on parlait si
bien de Freinet.
J. Ma.
A Magny-Cours, les élèves ont choisi leur mobilier.
Ils ont décidé entre eux de sa disposition dans les
locaux. Chaque chose dans la salle a été mise en
place selon la volonté commune. Comme c'est le cas pour ces
animaux décoratifs, de fil de fer et de plâtre, qui
siègent au milieu de la pièce, continuellement sous
les yeux des élèves. Ils les ont
réalisés eux-mêmes. Il faut dire que la
création artistique occupe une grande place dans leurs
activités.
Créer, prolonger les activités scolaires dans le
journal, écrire aux correspondants dans d'autres
écoles, ce sont autant de grands principes. Mais leur
application est effective. L'attitude des enfants en
témoigne. On ne voit pas cette atmosphère lourde des
heures de cours qui n'en finissent pas de s'écouler.
Chacun s'active à son propre rythme. Mais personne n'ignore
l'autre. C'est important. Le maître, lui, est discret, mais
toujours présent. Effacé mais plus efficace, son
rôle est délicat mais plus passionnant aussi. Dans
cette architecture qui invite au travail individualisé,
puis à des regroupements, il est démystifié.
Ce n'est plus le maître qui dispense sa science. C'est le
meneur d'un jeu dont l'enfant devine et assimile les règles
selon ses moyens et son rythme.
Journal du Centre (29-01-74)
Fort d'une dizaine de classes fonctionnant depuis la Toussaint
dernière, le groupe scolaire Jean-Bernigaud, de
Magny-Cours, n'est pas une école comme les autres. Il est
jeune, tout jeune, mais ça ne l'empêche pas du tout
de faire preuve d'une maturité d'esprit qui apparaît
à chaque instant. Dans la façon de travailler mais
surtout dans la façon de vivre des élèves.
Les trois écrivains, au tableau, se sont fort bien
passés du maître pour faire le travail. Plus tard,
après une ultime lecture, ils lui demanderont son avis.
Mais pas avant.
Dans la classe, derrière eux, deux filles sagement assises
écrivent, elles aussi. Toutes seules. Il faut entretenir
les relations avec les correspondants d'autres écoles. La
maîtresse est à côté, occupée
avec une autre partie des élèves que l'on voit
très affairés derrière la cloison
vitrée. Autour d'elle, la pièce prend l'aspect d'une
imprimerie. C'est l'aboutissement d'un travail de longue haleine
et très personnalisé. Dans une série
d'idées, l'élève qui le désire choisit
son sujet. Il écrit son texte quand il veut. Ensuite, tous
les auteurs viennent soumettre leur écrit, dont la lecture
est suivie d'un débat auquel toute la classe participe. Un
vote intervient alors pour la sélection des textes qui
seront publiés dans le journal scolaire.
D'une extrémité à l'autre de la chaîne,
les élèves font tout. Chacun aura une part active
dans un travail vraiment commun. Parce que chaque
personnalité y a sa place de droit et de fait. Ecriture
volontaire, textes libres, lettres aux correspondants (ils sont
nombreux), nous sommes dans l'école moderne: celle de la
pédagogie Freinet.
Journal du Centre (29-01-74)
L'Institut nivernais de l'école moderne nous écrit
ce qui suit:
(...° Si au lieu de gravir les escaliers d'un groupe scolaire
récent, de se perdre dans des couloirs qui n'en finissent
pas à la recherche d'une quelconque classe
numérotée, l'enfant retrouvait chaque matin un local
à sa dimension, une véritable maison - sa maison
d'école - qui, au lieu de l'emprisonner, lui ouvrirait
directememt les portes sur la vie? Ne pensez-vous pas, alors,
qu'il y aurait moins d'inadaptés et de
«caractériels»?
Pensons à nous qui, adultes, avons déjà bien
du mal à ne pas nous laisser traumatiser par ces ensembles
inhumains, dans le cadre d'une urbanisation de plus en plus
dévorante: c'est donc un sujet qui concerne non seulement
les éducateurs et les architectes, les psychologues et les
médecins, mais encore les parents d'élèves et
tous ceux qui désirent le bonheur des enfants et leur
adaptation à la vie moderne: utopie? impossibilité
de financement?
«Architecture et pédagogie»,
thème de la conférence de vendredi à la
mairie de Nevers.
-
La santé
- Très tôt, un nouveau regard sur la
santé.
(...) Venait alors l'heure du repas. Nous étions
cordialement traités au restaurant voisin, souvent
accompagnés de Menusan, alors responsable de la CEL,
toujours cornaqués par notre expert-comptable. Excellent
repas, viande, vin, dessert sophistiqué, café,
pousse-café: nous étions en forme, après
maints contrôles paperassiers, pour rédiger notre
rapport. Et Freinet dans l'affaire? Face à nous, il
mangeait des crudités, des légumes cuisinés
le plus naturellement du monde, pas de viande, point de vin mais
des pommes - ah! les pommes de Freinet: aussi
célèbres que celles de Cézanne! - et bien
entendu café, alcool et cigarettes bannis. Parfois, lorsque
nous insistions pour qu'il partage avec nous l'apéritif de
l'amitié, il trinquait, trempait les lèvres dans son
verre et le reposait intact sans plus y toucher.
Cette fidélité à des principes
diététiques stricts me frappait toujours fortement.
Elle m'a profondément aidé à choisir, plus
tard, bien plus tard, un mode d'alimentation qui, sans être
aussi rigoureux que le sien, et grâce aux efforts de
Lucienne Jardin, mon épouse, m'a conduit sur la voie d'une
santé protégée.
A l'évidence, la rencontre avec Freinet ne pouvait se faire
sans entraîner d'autres rencontres avec son proche
entourage. En premier Elise. Et tout de suite ce qui frappait le
plus, c'était qu'Elise n'interpellait jamais son mari par
son prénom. Même dans l'intimité toute
relative où nous les rencontrions. Toujours elle l'appelait
«Freinet».
La rencontre avec Elise comportait inévitablement la
rencontre avec un art de vivre et de se soigner. De là
date, pour mon épouse et pour moi, l'adoption d'une
diététique débarrassée au maximum de
la consommation de viande et d'alcool, de plats grassement
cuisinés mais par contre enrichie de la consommation
d'aliments produits selon des normes biologiques nettement
établies et labellisées. Sans oublier non plus ce
grand principe du Dr Carton, bible d'Elise, à savoir que
«l'écart de régime favorise le
régime»... à condition de n'en point
abuser!
De même sur le plan de la santé, c'est grâce
à la rencontre avec Elise que nous avons adopté une
position ferme contre les vaccinations obligatoires, que nous nous
sommes tournés vers les médecines douces,
homéopathie et acupuncture en particulier, pour notre plus
grande satisfaction et notre plus grand bien.
Comment ne pas être convaincu, en effet, quand on assiste
à l'incident suivant? Nous séjournions à
l'Ecole Freinet, à Vence, pour quelque stage au cours des
vacances scolaires. Avec nous se trouvait un instituteur tunisien,
depuis devenu ministre, qui encadrait quelques jeunes filles de
son pays destinées, plus tard, à l'enseignement. Et
voilà que ce responsable se retrouve dans un état
fébrile prononcé, sorte de grippe mauvaise. Elise
n'hésite pas: elle lui propose le choc froid. Ce que le
malade accepte. Aussitôt, glace à fondre dans une
baignoire. Tout est prêt, l'eau, les serviettes... et bien
sûr, le malade. Celui-ci s'immerge alors dans l'eau
glacée. En ressort rapidement. Frictions violentes. Repos
au lit. Le lendemain, notre homme était sur pied,
guéri, en bonne forme... J'avoue n'avoir jamais
été un adepte du choc froid. Mais cette
expérience in vivo nous a fait accepter plus facilement
lespoints essentiels de la diététique et de la
thérapeutique prônée par Elise.
R. J.
En 1948, avant la naissance de notre troisième enfant, nos
deux aînés, Roland et Claude, ont été
accueillis six mois à l'école du Pioulier
située aux environs de Vence. Tous les enfants de
l'école appelaient Célestin, Papa Freinet et Elise,
Maman Freinet.
Dans cette école, ils ont vécu intensément
cette pédagogie faite d'expression libre, de
tâtonnement expérimental, de travail en
équipe... Les bâtiments étaient
dispersés dans une propriété un peu sauvage
qui surplombait la rivière. Les repas, essentiellement
végétariens, étaient souvent pris sur la
terrasse ou à la salle à manger, familiale et
très accueillante. Les dortoirs étaient
décorés eux aussi par des fresques
réalisées par les enfants et Elise.
En dehors des heures de classe, les enfants vivaient
intensément et librement dans la propriété,
légèrement vêtus, pieds nus, construisaient
des cabanes, jardinaient, faisaient du théâtre, de la
musique, pataugeaient dans les bassins. Chaque matin, les enfants
prenaient un choc-froid: ils venaient tout nus se tremper dans le
bassin et retournaient au lit, bien au chaud avant le petit
déjeuner. Cela faisait partie des soins naturistes avec
l'emploi de l'argile, du chlorure de magnésium.
Nos deux garçons sont revenus heureux, enrichis et
transformés, ils découvraient leur petit
frère Fernand.
M. Be.
Freinet a changé ma vie. Je suis née avec une
luxation à chaque hanche. Malgré deux interventions
chirurgicales bénéfiques, je suis condamnée
à boiter toute ma vie. J'avais à peine 40 ans,
lorsque mes hanches qui s'étaient jusque là bien
comportées, se sont mises progressivement à
flancher. Si cela continuait, je courais le risque tôt ou
tard de ne plus pouvoir travailler. C'est à un
congrès Freinet que l'on me fit comprendre qu'en supprimant
la viande, je supprimerais aussi ces déchets qui
menaçaient de bloquer mes articulations. Et c'est depuis ce
temps-là que je suis végétarienne. L'arthrose
est venue quand même, mais bien plus tard, après mes
70 ans. Il est indéniable qu'en copiant le mode
d'alimentation de Freinet, j'ai gagné des années
d'activités.
J. Mo.
Freinet avec cette mémoire du coeur qu'il avait toujours,
avait une certaine fois accueilli ainsi Michel, mon mari:
«Alors, depuis deux ans que je ne t'ai pas vu, comment
ça va tes maux d'estomac? Je vais t'apprendre à te
soigner à l'argile». La belle argile de Vallouise.
Il joignait la démonstration à la parole, aspirait
cette eau argileuse avec aisance et la rejetait. Que n'avons-nous
persévéré!
P. Q.
Elise Freinet donnait dans l'Educateur des articles sur la
santé. La mienne n'étant pas très solide, je
trouvais de bons conseils dans la rubrique tenue par Elise. Ses
idées étaient loin d'être conformistes, je les
retrouve aujourd'hui dans des revues médicales.
Croyant naïf dans les sciences, la chimie, j'avais une foi
particulière dans les vaccinations. Or Elise
déclarait, si je me souviens bien encore, que la meilleure
des vaccinations est une saine alimentation et un bon
régime de vie.
J. M.
(...) Sur les conseils d'Elise, j'ai étudié la
question de l'alimentation. Mais si par habitude, nous consommions
surtout des végétaux des jardins familiaux, nous y
ajoutions des produits de petits élevages, poules et lapins
et la toute petite portion de viande de boucherie des cartes
d'alimentation, les fermes locales fournissaient un peu de lait et
de fromage.
Le retour progressif de denrées différentes dans les
années 50 m'avait conduit à organiser un cours de
cuisine avec mes F.E.P. et un autre, le soir, avec les jeunes
filles de l'Amicale Laïque. C'était difficile de
mettre en pratique les idées d'Elise d'autant plus qu'elle
les présentait comme un dogme intangible.
Quand j'ai connu Marguerite Bouscarrut, j'ai pu en discuter avec
elle, et suivre mon instinct sur la nécessité d'une
nourriture la plus variée possible pour les organismes
ayant subi les carences de la guerre, la décalcification de
notre région granitique et introduire quelques recettes du
doux pays méditerranéen.
Y. H.
-
Une philosophie ouverte
- Une quête existentielle
La pédagogie Freinet: Une philosophie?
Une technique de vie?
Un art de vivre?
A Freinet
à Elise
à tous mes correspondants,
à tous ceux dont le regard et le sourire clignotent encore
la nuit, sur la mappemonde de mes souvenirs.
du Québec à la Pologne,
du Val d'Aoste au Japon
dans notre France
et au milieu d'eux tous, à Alziary,
qui a deviné le premier que de petites
étincelles
pouvaient allumer pour longtemps
un feu de luttes et de joies.
Est-ce ce qu'a voulu dessiner et écrire pour nous
aux premiers jours de notre Unité Pédagogique
des Fabrettes, cet enfant:
«moi je suis allé, et j'ai allé jusco
boutoün»
au bout de moi-même, peut-être? mais
rassurez-vous,
pas au bout de la découverte de Freinet,
de sa vision humaine et philosophique.
Cela, c'est aux générations montantes de le
faire.
P. Q.
Freinet:
- c'est un refus d'accepter l'injustice, un élan
communicatif, une foi dans l'avenir, une puissance de travail, une
audace à contre-courant, une opiniâtreté
résolue, une ténacité hors-norme, un
pragmatisme efficace, un entraînement à agir, une
lucidité extrême, un enthousiasme mesuré, une
ouverture de pistes...
- c'est un esprit fédérateur, l'organisation d'un
mouvement pédagogique, une relation égalitaire avec
les travailleurs, une mise en relation des travailleurs entre eux,
une instauration des échanges, un partage des savoirs, une
création de rencontres... une gestion économique...
une maison d'édition...
- c'est une création de théories, une philosophie,
une vision de la vie, une projection dans l'avenir mais, aussi, et
surtout, une présence à la réalité,
une conscience de la société, une sensibilité
aux changements du monde, une prise en compte immédiate de
toute nouveauté, une conception de la globalité de
l'enfant, l'idée, totalement en marge à
l'époque, d'une insertion dans la complexité...
- c'est une attention positive à l'être, une
perception des flux, un souci des développements
personnels, une conscience de l'évolution des groupes, une
acceptation des différences, une écoute de la
parole, une protection des faibles, une attention à leur
démarrage...
- c'est une pratique de la démocratie, un respect des
droits de chacun, un encouragement à l'expression, un
engagement à la responsabilité, une organisation de
la participation, un refus de la hiérarchie...
- c'est un génie qui perdure, une aventure partagée
qui se prolonge, une oeuvre qui reste à accomplir...
P. L. B.
Qui est donc Freinet pour moi qui ne l'ai pas connu?
Ce n'est pas un gourou, ce n'est pas mon maître, ni dieu de
l'Ecole église Freinet.
C'est vrai que je suis toujours étonné d'entendre
certains dire, il ne faut plus parler de Freinet, on veut jeter le
père. Pour cela, il a fallu le prendre pour père ou
bien, ceux-ci ont, peut être, voulu prendre la place.
Comment expliquer que, pour moi, Freinet n'est pas une personne,
mais des idées, une philosophie qui m'a permis de
rencontrer des personnes depuis 20 ans, de me construire,
d'évoluer, d'exprimer les idées, de bâtir des
argumentaires, qui me permettaient de dire que l'Ecole c'est la
vie, la vie dans son environnement social, écologique, la
vie qui libère l'expression pour que les enfants soient les
citoyens, syndicalistes, politiques... critiques.
Ce qui est impressionnant, c'est la force de ces idées que
le mouvement Freinet est incapable de reprendre.
Je veux parler de l'I.C.E.M. qui est devenu trop techniciste, je
dirai trop didacticien. Nos outils sont repris, c'est vrai, mais
quand comprendra-t-on que la Pédagogie Freinet, ce ne sont
pas des outils, c'est la vie coopérative, l'expression
libérée. Je vis cela au quotidien à l'Ecole,
à l'I.U.F.M. et je peux vous dire que notre philosophie est
loin d'être comprise au sens acquise, appropriée et
n'essayons pas d'imiter ces techniciens de la pédagogie,
ces didacticiens: les idées développées par
Freinet sont beaucoup plus fortes car c'est un choix de vie, un
choix de société, un choix planétaire qui
gênent...
N'ayons pas peur et arrêtons de justifier nos idées
en fonction des reconnaissances académiques, B.C.B.G. des
recherches ici et là.
Je suis quand même étonné quand j'entends le
résultat de recherches universitaires ou autres
considérées comme géniales alors qu'elles
étaient déjà exprimées dans les
écrits de Freinet.
Dernier point auquel il faut réfléchir. Ce que
Freinet a réussi, c'est de développer ses
idées et de les mettre en pratique dans le milieu social de
son époque. Le percevait-il aussi bien que nous avec le
recul de l'histoire?
Mais ce que nous avons du mal à réaliser, c'est le
transfert dans la crise des banlieues, des changements formidables
de notre société de 15 ans... C'est notre
défi comme Freinet en 1920 dans les milieux paysans...
Christian Lego
La Turmelière (1) m'apportera des masses et des masses
d'exemples recueillis «in vivo». Cinquante ans
après, j'en demeure marqué. Freinet comme Elise
m'avaient ouvert à l'humain dans son infinie
complexité (...)
(...) Cette longue expérience fort diversifiée
pendant laquelle je me suis repéré sur Freinet,
Elise et nos vieux compagnons, m'a cependant permis comme un
chacun lié au Mouvement de demeurer moi-même, de
travailler, de réfléchir suivant mon
tempérament. Jamais je n'ai perçu la
nécessité de suivre, pas à pas une
méthode rythmée d'obligations
impérieuses.
(1) Centre Sanitaire Scolaire dirigé par Maurice
Pigeon.
En revanche, j'ai acquis la certitude qu'il n'est pas de
problème humain donc personnel, social, moral, politique
plus fondamental que l'Education. Encore convient-il
d'éclairer les finalités à poursuivre. Elles
sont innombrables. Simplement il convient de rappeler que Freud
avait eu la géniale intuition: tout un peuple, ses moeurs,
sa politique, l'ensemble de ses institutions ne peuvent que
refléter le système éducatif commandant
l'ensemble des activités sociales. L'auteur J.M. Delgado
éclaire ce point de vue dans son ouvrage «Du
conditionnement du Cerveau à la Liberté de
l'Esprit» Ed. Dessart.
Eduquer suppose donc un engagement. Suivant notre perspective
historique bien vue par Freinet, l'Education se doit de
développer très tôt chez l'enfant: l'humain,
le populaire au meilleur sens, la démocratie. L'humain?
afin de développer chez tous et chacun les zones de son
individualité, l'ambition qui entend se centrer sur
l'enfant en vue de sa personnalité mature et sur sa
personne, c'est-à-dire afin que toutes ses richesses
obscures, ses potentialités, soient
révélées, épanouies,
utilisées.
Pour cela l'Ecole doit devenir un lieu d'Education à
l'Universel. Autrement, et le spectacle présent des
sociétés le manifeste, l'argent, les
intérêts des grands, la politique qu'ils mettent en
place se moquent éperdument des individualités comme
de la démocratie. Esprit de Freinet, Au secours!
M. P.
Tout juste de retour de ces guerres d'Afrique du Nord et du
service militaire, soulevé d'indignation à la vue
des méthodes mises en oeuvre, comment ne pas s'engager
à fond dans toutes les brèches qui s'ouvrent vers la
reconnaissance de la dignité de l'homme, comment ne pas
s'orienter vers une pédagogie qui oeuvre pour une prise en
charge de chacun par lui-même, reconnu comme être
à part entière, respectable et respecté parce
que respectant les autres et acteur de son avenir dans le devenir
commun.
Chacun à sa juste place reconnue par tous.
A chacun sa responsabilité dans le groupe social.
La vraie démocratie, c'est le respect de chacun reconnu par
chacun à sa vraie place selon ses capacités. Des
mouvements, des associations qui oeuvrent pour le respect de
l'homme, il y en a à cette époque: le Mouvement pour
l'enfance malheureuse d'Alexis Danan. Le Mouvement de lutte contre
l'esclavage d'Yvon Chalard. Les Mouvements pacifistes. Le Planning
familial qui naît sous l'impulsion du Docteur Lagroua Weil
Hallé, etc...
La découverte du Mouvement Freinet où bouillonnent
toutes ces idées et bien d'autres, où se confrontent
vigoureusement et néanmoins fraternellement des militants
de toutes ces organisations, est la révélation que
là est l'action, la mise en oeuvre des idées. Il
m'apparaît que l'ambition du Mouvement Freinet c'est de
mettre en pratique quotidiennement la coopération, la
réflexion sur la démocratie vécue et ses
limites. Profondément pragmatique, il essaie de partir de
la réalité des faits et des hommes pour promouvoir
une éducation au sein d'une structure sociale
développant les capacités de chacun à la
réalisation de sa vie personnelle.
Comment ne pas s'engager là totalement?
...Désormais, je sais que j'ai trouvé le mouvement
qui correspond à mon désir d'action...
G. G.
La Pédagogie Freinet est, avant tout un état
d'esprit qui m'a conduit à me remettre en cause en
permanence et à modifier mon comportement face à
l'enfant, consistant à:
- me mettre au niveau de celui-ci
- être à son écoute
- être toujours disponible, réceptif
- accepter tout ce qui vient de lui en mettant l'accent sur la
réussite, ce qui lui donne confiance et le stimule.
- avoir une attitude aidante et non pas autoritaire,
répressive
- «me dépouiller du vieil homme», comme aimait le
dire souvent, Freinet. Ce qui est, peut-être, le plus
difficile à réussir.
- partir de l'enfant et lui permettre:
- de s'exprimer, se libérer, créer,
s'épanouir... grâce à l'expression libre sous
toutes ses formes, orale, écrite, manuelle, artistique,
musicale, gestuelle...
- de communiquer avec d'autres enfants et d'autres milieux
grâce à la correspondance interscolaire et aux
voyages-échanges
- permettre à l'enfant, grâce à des techniques
appropriées et des outils individualisés,
d'expérimenter, de tâtonner, de faire des recherches
individuelles...
- amener l'enfant, dans le cadre de l'organisation
coopérative de la classe, à prendre des
responsabilités et l'assumer, à tenir ses
engagements, à devenir libre et autonome.
La Pédagogie Freinet n'a-t-elle pas pour finalité de
promouvoir un système éducatif dont les valeurs
soient l'initiative, l'entraide, la coopération, l'esprit
critique, le partage des responsabilités, la prise en
charge, l'autonomie... avec, comme perspectives, la formation en
l'enfant de l'homme de demain?
La Pédagogie Freinet est aussi une technique de vie qui m'a
amené à être «un» dans ma classe et
en dehors.
Par Freinet, j'ai appris qu'il fallait s'engager, sur les deux
fronts simultanément:
- sur le front pédagogique et scolaire, en prônant
une éducation nouvelle, libératrice et
créatrice.
- sur le front politique et social, pour la défense des
libertés démocratiques.
Par mon engagement permanent au service des luttes sociales, de la
paix, de la laïcité, etc..., j'ai essayé
d'être, le plus souvent possible, en harmonie dans les
divers domaines de la Vie: pédagogique, philosophique,
syndical, social, politique...
C'est la grande leçon que je tire de mon long
«compagnonnage» avec Freinet - un homme simple
généreux et très chaleureux -, sa
«vieille garde» et les milliers de militants du
Mouvement de l'Education Moderne, que ce soit à l'I.C.E.M.
ou à la F.I.M.E.M..
La plupart de mes vrais amis - amis de travail - tant en France
qu'à travers le monde, c'est à la Pédagogie
Freinet que je les dois, grâce aux dizaines et aux dizaines
de stages, congrès, R.I.D.E.F., que j'ai pu suivre...
Et c'est aussi la grande chance de ma vie d'avoir travaillé
dans l'esprit de la Pédagogie Freinet, près de
trente ans. Ce qui m'a permis de partir à la retraite
«à cent à l'heure...» et qui me permet de
continuer encore, avec ce même plaisir après vingt
ans et plus de retraite, à apporter ma toute, toute petite
pierre à la vie du Mouvement de l'Ecole Moderne.
J'aurais envie de conclure par ces mots:
La Pédagogie Freinet —->un état
d'esprit?
—->une technique de vie?
—->un art de vivre?
E. T.
Les quelques échanges que j'eus avec Freinet, me
plongèrent dans un enthousiasme tel que la rencontre avec
mes élèves s'annonçait pour moi comme une
fête. A partir de ce moment, je songeais déjà
à mes projets pédagogiques en classe. Je sentis
également que cette pédagogie Moderne entrait
pleinement dans ma vie et que c'était là, un
événement d'extrême importance pour moi. Je
considérais mes deux années de pratique comme
obscures, car un changement allait s'opérer à
l'avenir.
... L'Algérie, pays ouvert à l'indépendance
en 1962, se voyait au départ confronté à un
problème crucial: celui de la scolarité des enfants,
de la formation des cadres.
Par quelle voie, selon quelles méthodes, accéder
à cette indispensable culture? Peut-on faire fond sur des
pédagogies traditionnelles qui ont échoué
dans les pays d'origine?
Où trouver la pédagogie efficiente susceptible de
servir le présent et préparer l'avenir? Ce sont les
problèmes qui ont été discutés au
cours du congrès Panafricain de l'Ecole Moderne, qui
s'était tenu à Oran en 1963 et qui a vu la
participation d'enseignants du Maroc, de la Tunisie, de la France
et de l'Algérie.
Ce congrès avait marqué dans l'histoire, le
renouveau culturel des pays en voie de développement. Le
premier texte officiel régissant l'école
algérienne après l'indépendance date de 1965.
La caractéristique essentielle de ce texte est qu'il
annonce une rupture totale avec les pédagogies
traditionnelles, tant pour l'arabe, que pour le français.
Dès lors, l'ère des méthodes traditionnelles
est abandonnée pour entrer de plain-pied dans celle des
méthodes modernes.
Ab. B.
C'est un style de vie et une philosophie de l'existence. Je me
reconnais dans les écrits et les pratiques de
Célestin Freinet puis du mouvement de l'Ecole moderne et je
les intègre comme étant miens.
Je suis un instituteur qui pratique la pédagogie de Freinet
et je suis un être humain qui prend à lui les outils
que Freinet a créés jusqu'à penser que je les
ai inventés.
He. M.
Tout ce que nous avons reçu de Freinet, d'Elise et du
Mouvement, nous avons voulu le rendre un peu en acceptant
d'organiser avec une cinquantaine de camarades Freinet ou
sympathisants, le Congrès de 1965. Nous ne pensions pas que
ce serait le dernier de Freinet!
Quand je revois tout ce temps passé avec des enfants, y
compris mes dix dernières années dans une
équipe pédagogique Freinet, je me demande si
j'aurais pu travailler autrement, et je n'ai pourtant pas eu que
des réussites!
Je me rends compte aussi que les idées et la
pédagogie de Freinet ont été pour moi, avant
tout, un état d'esprit, un comportement dans la vie, tant
sur le plan individuel que dans le travail avec les enfants qui
eux-mêmes m'ont aussi beaucoup apporté et les
camarades, Français et
«hors-frontières».
Une ouverture extraordinaire.
M. T.
J'aborde ma onzième année de retraite et lorsque je
m'interroge sur le choix que j'ai fait de pratiquer la
Pédagogie Freinet, la réponse qui s'impose est la
suivante: Si c'était à refaire, je referais ce
parcours, chemin laborieux certes, mais qui a enrichi ma vie tout
entière tant professionnelle que personnelle.
En fait, ce choix fut le révélateur de ce que
l'adolescente que j'étais alors recherchait: une
éthique de vie qui soit en adéquation avec mon
idéal moral, social et politique.
De plus, cette démarche a permis de mettre quotidiennement
cette adéquation dans ma vie professionnelle. En cela, je
me considère comme une privilégiée...
... Elle a su donner un sens, une unité à ce puzzle
d'idées pédagogiques plus ou moins progressistes que
j'avais reçues au cours de ma formation à l'Ecole
Normale.
R. G.
Sur le plan personnel quel enrichissement! La philosophie de
Freinet m'a enchantée, j'étais en accord total avec
ses écrits, avec ses méthodes. Les réunions
du groupe Freinet, les journées organisées pendant
les vacances m'ont beaucoup intéressée. Les
enseignants que j'y ai rencontrés, passionnés de
Pédagogie étaient passionnants et je me suis
vraiment enrichie à leur contact.
M. T. L. T.
J'ai d'abord pensé que je ne saurais rien dire de ce que
m'avait apporté Freinet et sa philosophie sur le plan
personnel et professionnel et puis un mot s'est imposé:
Recherche. Le Mouvement a ouvert pour moi les voies de la
recherche: recherche de gens, recherche d'idées. Sur le
plan professionnel la recherche d'idées et l'expression de
ces idées ont été rendues possible par
l'absence de hiérarchie.
L'Ecole et ma famille m'avaient amenée à penser
qu'il y avait danger à émettre des idées
personnelles.
Les groupes Freinet m'ont démontré le contraire
«Expression libre» cette voie ouverte sur le plan
professionnel a modifié toute ma vie.
Recherche = Rencontres, débats, lectures, actions,
expérimentations = idées nouvelles = Recherche.
Voilà le schéma qui résume pour moi la
Pédagogie Freinet, non, la vie, enfin les deux.
Pierrette Capdevielle
J'ai gagné à pratiquer les Techniques Freinet, de me
sentir vraiment un homme de gauche parce que les valeurs
humanistes qu'elles véhiculent sont les valeurs mêmes
de tout homme de gauche.
Mais ce serait restreindre son universalité que de
réduire cet humanisme aux seules valeurs sociales ou
même politiques. Toutes les familles de pensées y ont
puisé leur bien. Je me souviens, au cours d'un
congrès Ecole Moderne, de cette conversation que j'avais
eue avec un collègue profondément chrétien.
Et comme je m'étonnais qu'il pût pratiquer de telles
méthodes plus ouvertes sur la vérité
scientifique que sur les paraboles spirituelles, dans un sourire,
il me répondit: «Justement: apprendre aux enfants
à raisonner juste, à utiliser à bon escient
leur esprit critique ne peut que les conduire à
Dieu.»
Après tout, pourquoi non?
Freinet et son mouvement ont laissé en moi des marques
indélébiles, le goût de la liberté de
dire, par exemple, ou l'élaboration d'une éthique
dont je ne me suis, pour ainsi dire, jamais écarté.
Et le sentiment ineffable
d'une amitié vraie.
R. J.
La nouvelle Ecole Galicienne, intégrée à la
F.I.M.E.M. (1986) n'est pas un groupe de Pédagogie Freinet
à part entière. Mais militants Freinet, nous
oeuvrons pour l'éducation qui veut être populaire,
c'est-à-dire au service de la liberté, la justice,
la solidarité, pour le bien d'une communauté
participative et qui échange sa parole avec les autres
cultures. La Nova Escola Galega, elle est, peut-être, une
expression particulière, complémentaire de la
Pédagogie Freinet.
Et nous voulons affirmer notre gratitude à tous et toutes,
les Constructeurs «freinétiens» de
l'éducation populaire et démocratique, espace
où les enfants et les gens communs peuvent pousser de
l'intérieur, avec joie de vivre et de s'exprimer.
A. C. R.
Moi, j'ai appris que Freinet est bien plus qu'une proposition de
travail. C'est un art de vivre, de découvrir de nouveaux
moyens d'interaction entre les êtres et principalement le
respect de l'individualité, de la créativité
de l'être humain.
Ces idées, mises en pratique, peuvent changer la conduite
de beaucoup de communautés tant dans le social que
l'économique. Un monde coopératif. C'est mon
rêve et j'espère arriver à le transmettre aux
autres à travers mon métier. En travaillant dans la
diffusion de ces idées, j'espère arriver à
assurer un futur pour les enfants, et pour les anciens un futur
marqué par une vraie communication pour
la coopération et l'affectivité.
Marlise Groth (Brésil)
La création, la croissance, la consolidation, le
rayonnement de cette pédagogie sont uniques dans les
annales universitaires.
C'est un mouvement de masse, parti de la base, d'un village bien
pauvre et bien ignoré en 1920: Bar-sur-Loup. Son expansion
s'est faite par la base, à même le travail dans les
classes primaires publiques les plus
déshéritées.
Certes, il faut s'informer, lire les ouvrages de Freinet, les
revues et surtout «l'Educateur». Il faut surtout vivre
cette pédagogie, en sentir toute la richesse, pour en
apprécier la profonde valeur éducative et humaine,
et prendre conscience des mutations qu'elle opère, non
seulement dans le comportement de l'enfant-élève,
mais aussi et surtout, dans le comportement des maîtres.
La Pédagogie Freinet, pédagogie du succès,
pédagogie du bon sens, pédagogie naturelle - par la
vie, pour la vie - accessible à tout homme de coeur et de
bon vouloir, ce n'est pas une somme de techniques d'enseignement,
c'est un esprit, une éthique, une philosophie.
M. C.
Ma vie fut une succession de hasards et accidents qui ont
passé trop vite pour que je puisse les saisir avec
l'importance que des fois ils méritaient. C'est le cas pour
ce texte. Je reçois un papier qui m'invite à la
réflexion de l'importance de Freinet, soit vingt-six ans de
ma vie en tant qu'éducateur, et ceci je n'oserais pas le
faire et encore moins l'écrire... Voici donc
l'histoire:
Ayant commencé mes études de droit au Portugal,
où j'ai traîné quatre ans en deux
universités, j'ai fini cette carrière par être
mis à la porte de ces honorables institutions
d'enseignement supérieur. J'ai ensuite essayé de
m'inscrire dans une Ecole Normale pour devenir enseignant, et on
m'a dit que j'étais «politiquement suspect». Ceci
voulait dire que je ne jouissais pas de la confiance du
régime fasciste de Salazar, qui savait bien choisir les
enseignants du régime. En dehors du système, je
pouvais faire la guerre dans les colonies portugaises d'Afrique,
ou séjourner dans une prison politique.
Je suis parti pour un exil sans retour, et à
l'Université de Fribourg en Suisse, je commençais
mes études qui m'ont permis par la suite de devenir
maître d'enseignement spécialisé et
orthopédagogue. Pour obtenir le brevet en tant
qu'enseignant, il nous fallait faire des stages dans les
«classes d'application» et en choisir une pour faire le
stage annuel. Au cours des visites de toutes les classes,
où il serait possible d'effectuer ce stage, nous sommes
entrés dans une classe pas comme les autres. J'avais
été surpris parce que c'était une classe
où ça avait été les
élèves et non pas le maître qui nous avaient
expliqué comment ils travaillaient et ce qu'ils pouvaient
faire, comment ils s'organisaient, comment ils vivaient...
Ça ne m'a pas produit un effet immédiat, mais
j'étais frappé par «l'absence du
maître» dans les rapports qui s'étaient
établis, et surtout parce que c'était une chouette
visite de classe sans stress - le mot n'étant pas encore
inventé en 1971 - ni «normalité».
Au moment du choix, je m'étais promis qu'il fallait que je
me batte pour avoir cette classe comme lieu de stage annuel. Je
parlais mal et surtout j'écrivais encore plus mal le
français qu'aujourd'hui... et j'avais noté dans
cette petite visite, que la question des «fôtes
d'ortografie» n'étaient pas un problème sans
solution ni complication. Miracle! Tous mes collègues
refusaient de rester une année dans cette classe, parce
qu'elle n'était pas très en ordre et les enfants
étaient tout le temps debout, et ils parlaient tout le
temps, et ils allaient partout et comme ils voulaient, sans
demander la permission, et en plus le maître de la classe ne
disait rien... et, le comble, il était aussi notre prof.
à l'Université et on devait le trouver pour des
examens.
Ma ferme décision de rester une année dans cette
classe n'était plus du tout un choix, mais un
applaudissement. Les jeux étaient faits. Je mettais les
pieds dans un monde que j'ignorais, mais qui m'avait séduit
pour les mêmes raisons qu'il avait repoussé mes
camarades et collègues d'étude. Freinet, jamais
entendu parler, et personne n'avait l'air de se soucier de cette
faute!!!
Et un beau jour, il m'a fallu organiser un travail avec la classe.
C'était le premier et je ne l'oublierai jamais, à
cause d'une confusion linguistique. Mon maître de stage et
futur camarade Nicolas Ayer, me proposait d'organiser un travail
pour donner une leçon sur le mètre et son rôle
en tant qu'étalon universel... pendant ce temps il me
parlait du mètre et j'avais compris le maître!!!
Le français commençait à me laisser en
panique, j'entendais les mêmes sons là ou il y avait
nuances... comment faire ces nuances avec les enfants?
Quelques jours plus tard nous avons visionné «L'Ecole
buissonnière»... et seulement après,
j'entendais pour la première fois le nom de Célestin
Freinet, qui me disait beaucoup moins que Belmondo, Killy ou
Delon...
La bibliographie est arrivée et j'ai commencé
à lire les livres du dit Freinet. Je lisais et je n'aimais
pas. Je trouvais ça vieux, dépassé et
démodé... sans avoir d'autres
références ou termes de comparaison, je me
permettais de critiquer et presque refuser ces lectures. Je
confesse qu'aujourd'hui je n'ai pas encore lu tous ses
écrits... mais je pense compléter cette lecture, et
avec plaisir!
Déçu, je continuais de plus en plus séduit et
intéressé par le travail de la classe, sans
comprendre ni rêver ce qui donnait corps et âme aux
travaux.
Ayant plongé dans un nouveau vocabulaire, il me fallait
être au même stade que les gamins pour pouvoir vivre
avec. Qu'est-ce que ça voulait dire: imprimerie,
diplôme, boîte enseignante, BT, travail libre,
conférences, fichiers, assemblée, registre?. Je
devenais un «cas» compliqué pour l'enseignement
public suisse, qui faisait toute confiance aux jeunes
générations d'instituteurs, pour défendre
leur bien-être, dans la paix du chocolat Nestlé et
les pendules de coucou... toujours bien propres.
Autres conversations profondes et je reçois l'adresse de la
C.E.L.. Mon «maître» me disait: là il y a
des revues mensuelles, et d'autres choses à lire. Je
prenais en mains mon élan définitif. Je crois que
c'est avec «Chantiers pour l'enseignement
spécialisé» que je me suis
définitivement mis en rapport avec ce Monde, que j'ignorais
mais qui me séduisait davantage. C'était le Monde
des gens avec problèmes et soucis, des gens qui n'aimaient
pas le conformisme et qui écrivaient là-dessus. Elle
s'exposait et c'était un monde humain où
fleurissaient les contradictions et la sagesse, de partage et de
respect et ceci pour moi était la clef de la porte
d'entrée. Je vivais entre les exclus et les marginaux
depuis deux ans. La Suisse me révélait un visage
inhumain, raciste, élitiste qui marginalisait chaque
année des centaines d'enfants vers les classes
spéciales et les centres de rééducation...
toujours propres et bien placés. Un scandale «bien
caché» avec lequel je ne voulais pas être
complice et surtout que je voulais dénoncer. Je ne me
sentais plus du tout seul, et personne «pour me mettre des
bâtons dans l'engrenage.»
J'avais commencé à vivre en Suisse la
pédagogie de l'Ecole Moderne, nom qui est rentré
naturellement dans mon vocabulaire. Je travaillais avec des
collègues du Groupement Romand de l'Ecole Moderne, les
réunions en dehors des heures de travail, les
amitiés, les soucis et les problèmes. On partageait
espoirs et désillusions. Au fond cette sacrée
pédagogie n'était plus une corvée, les choses
ne semblaient pas si mauvaises, du fait que je n'étais plus
seul, et que j'avais trouvé des références et
partenaires, ailleurs.
Le goût des échanges était arrivé et le
partage aussi. J'allais survivre, malgré tout et surtout
malgré ceux qui se moquaient de nos travaux et
réunions.
... Et, comme par hasard, c'est à la fin d'une de ces
réunions, dans notre journée de congé du
jeudi, que j'apprends par la télévision suisse du
bistrot où on célébrait la fin des travaux,
qu'il y avait eu une Révolution des Œillets au
Portugal. C'était le 25 Avril 1974. Je n'en revenais pas.
Tout le monde me regardait et je ne savais pas quoi dire, puisque
moi-même, si loin, je ne comprenais rien aux
événements. Comme quoi les choses se lient entre
travaux et fêtes, entre accidents historiques et humains.
Quelle fin de nuit, mes amis!
J'allais pouvoir rentrer au Portugal après 5 années
de «suissisation»?
Toute cette pédagogie allait pouvoir voyager avec moi ;
d'ailleurs je n'en connaissais aucune autre à amener. Les
collègues avec qui j'avais appris tous les trucs et
combines du métier, j'irais bientôt les abandonner!
Mon histoire changeait de pays et se poursuivait.
Il m'a fallu encore trois ans pour que je rentre au Portugal. Les
oeillets n'y étaient plus, tant pis pour moi... D'autres
allaient fleurir en d'autres printemps. Et un jour, je rencontre
les gens du Mouvement de l'Ecole Moderne, qui savaient que
j'étais aussi du Mouvement, mais je venais de
l'étranger. Drôle d'impression, et
curiosité... ils avaient un stage de week-end dans une
Ecole de Lisbonne, et ils me disaient à la portugaise tout
simplement, viens, on t'attend pour travailler avec nous!
Je rencontrais les mêmes choses qu'en Suisse et je n'y
croyais presque pas... Je ne savais pas que c'était
possible de trouver le reflet de tout un monde que j'avais
quitté, sans avoir la certitude pratique de son
universalité, et surtout que c'était
«ça» qui me faisait rencontrer des gens.
Facile de parler des choses, de partager les soucis et surtout par
rapport à l'organisation, je m'apercevais des nuances, des
différences et des autres manières de faire. Je
retrouvais le même goût du partage, les mêmes
critiques, la même joie dans ce coin perdu et ignoré
par une Europe lointaine, et qu'on m'avait fait sentir
n'être pas la mienne...
La France m'arrivait par courrier. Je ne pouvais pas payer, comme
en Suisse, mes abonnements. Bernard Mislin me gronde: «Nous
ne sommes pas une entreprise à vendre de la
marchandise!!!». Je continuais à recevoir les revues
sans payer, et elles allaient directement à la
bibliothèque du MEM ; ici, on ne les connaissait pas, et on
les lisait et en discutait chaque mois.
Et un jour, un coup de fil: un camarade français qui se
trouvait à Lisbonne, me disait tout simplement: «J'ai
trouvé ton numéro de téléphone et ton
adresse dans les fichiers de notre Mouvement... Je suis de
l'ICEM... est-ce qu'on peut se rencontrer?»
Je faisais la connaissance de Patrick Robo et Dominique au bord du
Tage. Nous avons passé une journée dans mon
Institut, regardant des travaux d'enfants, entre enseignants,
parlant d'une pédagogie qui nous était commune et
familière, entre la morue et le
«vinho-verde».
Invité par les camarades de la Commission de l'Enseignement
Spécialisé, je participe aux journées
d'étude de l'ICEM à Cavaillon. Première
rencontre avec les Français et où je
réussissais à mettre une tête sur un tas de
noms que je connaissais par les lectures. Je rencontre d'autres
gens, je fais un tas de correspondants et d'autres amis. Suite aux
rencontres suivantes, des rapports se font plus profonds et,
aujourd'hui le temps laisse déjà ses marques.
Certains ne sont plus là, d'autres ont disparu à
jamais, et je me souviens de leurs sourires. Le Mouvement
portugais commence aussi à recevoir les preuves de
solidarité des différents groupes qui nous envoient
à titre gratuit leurs publications. Les amis de Freinet
deviennent une expression affective... il y en a tellement que je
n'ose plus en faire une liste...
Patrick m'invite à faire la classe dans son école.
Sans angoisse ni soucis, je me trouve devant des enfants de
Béziers, que je n'avais jamais vus, en train de parler du
Portugal et de tout ce qu'ils voulaient savoir. Les enfants sont
comme les Suisses et les Portugais... Ils sont organisés et
se respectent, donc on peut parler, discuter et faire de
l'école une étape de nos vies avec beaucoup de
tendresse et une bonne dose d'intelligence...
Et il y a aussi Charles dans son coin perdu, loin dans les
Ardennes belges. On se rend visite et on s'écrit. Nous nous
engageons sur un tas de bonnes idées au sujet de
l'école que nous souhaitons et désirons avec
davantage de plaisir pour nos élèves citoyens, au
Portugal et partout où il y a une école.
Je ne sais pas et surtout je ne veux pas imaginer ma vie
autrement, pendant toutes ces années. Elle qui m'a fait
beaucoup de plaisir et qui se poursuit et se transforme tous les
jours. Je traduis maintenant des écrits de Freinet et la
vieillesse, que j'avais trouvée au départ de mes
études, n'est plus là. Je réagis d'autre
manière. J'essaie encore d'être toujours attentif
à la ligne de combat du Mouvement portugais, et solidaire
avec mes camarades d'ailleurs, qui partagent cette vie avec
l'école. Un tas de rapports affectifs avec des longs et
brefs échanges épistolaires se sont noués.
C'est compliqué et simple à la fois, mais toute ma
vie professionnelle a été marquée par cette
séduction et enchantement qui durent encore après
toutes ces années, par rapport à un choix de vie au
sein d'un Mouvement universel. C'est avec toute cette «bande
de copains et copines» que les fêtes et les malheurs
ont été plus intenses et faciles à vivre. Je
n'arrive pas à imaginer tout ça, autrement, sans
Freinet, puisque c'est malgré lui, où à cause
de lui, que ma vie s'est passée dans cet ordre
chaotique.
Luis Gaucha Jorgé (Portugal)
C. Freinet a toujours conçu une Ecole Moderne laïque
et les congrès de l'I.C.E.M. ont marqué toujours
leur attachement à la laïcité,
déploré la division de l'Enfance dès l'Ecole,
par l'Ecole privée ségrégative. Le Mouvement
de l'Ecole Moderne ne peut donner à ses adhérents
aucune directive philosophique, syndicale ou politique autre que
le respect et la défense de la laïcité, dans le
cadre de la Pédagogie Freinet qui est leur option de
ralliement.
Après la mort de C. Freinet, l'Ecole Moderne
réaffirme sa conception de la laïcité, son
opposition à tout endoctrinement, dans la Charte de l'Ecole
Moderne, adoptée au congrès de Pau (1968). Et dans
le P.E.P., Perspectives de l'Education Populaire, on peut
lire:
«-Nous n'enviageons l'Ecole que dans le resepct
intégral de la laïcité, les fonds publics
étant réservés à l'enseignement
public. Une société démocratique doit refuser
tout endoctrinement, toute ségégation et toute
reproduction de pivilèges.»
La France est l'un des rares pays où la laïcité
est inscrite dans la constitution (séparation de l'Eglise
et de l'Etat). Elle apparaît comme un remède contre
les exclusions de toutes sortes, les obscurantismes et
intégrismes divers.
Il nous faut donc défendre cet idéal laïque,
c'est-à-dire celui qui interdit à toute croyance de
se saisir et d'assumer le pouvoir.
La Convention Internationale des Droits de l'Enfant renforce mes
convictions et véhicule des valeurs de la Pédagogie
Freinet: liberté d'expression, liberté
d'Association, liberté de pensée, de religion, de
conscience.
Educateur laïque, je ne conçois pas la
laïcité comme une neutralité
desséchante, mais comme un combat humain pour le
progrès et l'épanouissement de la personne, contre
les cléricalismes qu'ils soient religieux, politiques et
sociaux.
Et, comme disait Freinet:
«Nous nous appliquons à faire de nos
élèves des adultes conscients et responsables qui
bâtiront un monde d'où seront proscrits la guerre, le
racisme et toutes les formes de discrimination et d'exploitation
de l'homme.»
Pierre Yvin
De telles techniques, une telle pédagogie, une telle
éducation débouchent non seulement sur une culture,
mais aussi sur une philosophie.
Il est, en effet, dans la doctrine de Freinet une autre
dialectique, non moins féconde, fruit des procédures
coopératives: par voie d'exercices, l'individu,
traditionnellement considéré comme un être
abstrait et interchangeable, s'authentifie, s'identifie, se
sociabilise dans le même temps ; à
l'interchangeabilité - des petites bouteilles de Melle
J'enseigne - se substitue une identification active. Alors
naît une personne, émergeant progressivement, comme
facteur commun aux différents rôles assumés
par l'élève. Cette personne accède peu
à peu à un statut singulier, ainsi qu'à une
idée particulière que les autres se font d'elle et
qu'elle se fait d'elle-même.
Cette assomption ne peut s'opérer qu'au prix d'un
changement profond de la méthode et des moyens: d'une part,
il faut,(au delà mais surtout en deçà de
l'appel nécessaire à une hygiène mentale
traditionnelle, restituer le sens concret, du vivant, il faut
réintroduire la primauté de l'imagination, ce
sursaut de l'âme qui suscite des impulsions salvatrices, les
motivations fécondes, élargit le champ des
possibles. Certes, dans une classe Freinet, plus encore que dans
l'Ecole traditionnelle, tout acquis peut partir de l'observation.
Mais l'imagination ouvrira une part de rêve, une chance
d'incertitudes, un horizon de découvertes.
Chaque «faculté» s'enrichit de l'activité
de toutes les autres et les enrichit à son tour, à
la façon dont s'épanouissent réciproquement
le groupe et les personnes.
Chacun, en effet, profite des apports des autres ; encore
importe-t-il qu'il respecte un certain devoir envers le groupe -
les groupes - auquel appartient, un ordre de discipline, de vie et
de travail, qui varie évidemment selon le caractère
des besognes entreprises.
Voilà qui vaut aussi bien pour les groupes d'obligation -
famille, école... - que pour les groupes librement choisis.
Mais la légitimité des groupes d'obligation ou la
validité des groupes choisis n'ont de sens et de raison
d'être que si tous ces ensembles protègent
scrupuleusement chaque personne. Moyennant quoi la
collectivité devient une communauté.
Ainsi la formule coopérative chez Freinet tient la balance
égale entre la personne et la communauté et ce en
privilégiant tout à tour l'une et l'autre,
dès lors qu'elles sont menacées. C'est ce qui assure
à la fois le développement personnel et
l'éducation sociale.
Nous sommes très au-delà du simple mais fructueux
déploiement des techniques. Les liaisons vivantes,
indéfinies, en perpétuel développement,
s'établissent entre les complexes à dominante
objective (projet -> objet) ou (et) les complexes à
dominante humaine. Parmi ces derniers il en est un que les classes
Freinet admettent - alors qu'il est généralement
condamné dans les classes traditionnelles - c'est le
dialogue qui s'établit entre les élèves
(sujet <=> sujet).
Reconnaissons l'ambiguïté du mot dialogue, faute d'un
terme qui désignerait la conversation engageant de
multiples partenaires. Pour les enfants, le véritable
dialogue résulte du droit à la parole, si fermement
défini par Jean Le Gal. Chaque enfant détient une
richesse née de ses observations, de ses réflexions,
de ses expériences ; souvent il aime, lorsqu'il a vaincu sa
timidité, faire partager aux autres cette richesse. Comme
il aime l'accroître en écoutant les autres. Le
dialogue est facilité par le fait qu'il se déploie
entre les enfants saisis au même niveau de
développement physique, affectif et mental. A quoi s'ajoute
la communauté langagière, un jargon de connivence -
syntaxe, vocabulaire, gestuelle - qui facilite la
communication.
C'est là un véritable enseignement mutuel: le
maître n'est d'ailleurs pas exclu de cette forme de
dialogue: comme il est toujours présent mais non pressant,
chaque enfant peut s'adresser à lui, et lui-même peut
prendre l'initiative d'une suggestion adressée à
l'élève en quête de travail.
De la sorte, de la communication à l'action, s'est
établie, en un demi-siècle, une doctrine où
la nature reprend ses droits ; celle-ci devient à la fois
un objet et un moyen de culture: la plus immédiate, la plus
perceptible des manifestations de la nature est le corps
lui-même ; le corps a ses raisons... Et l'on sait le
rôle attribué par Freinet à l'hygiène
corporelle, diététique comprise. Il faut insister:
l'humanisme de Freinet débouche sur la
société, la société de demain. Mais,
pour ce, il s'appuie sur la nature de l'enfant, des enfants.
L'adjectif «naturel(le)» est l'un des mots les plus
employés par Freinet, l'un de ceux qui traduisent son
originalité. Il n'est guère de méthode
d'apprentissages fondamentaux, d'emploi de techniques ou
d'outillages, qui ne méritent le qualificatif de naturels.
Par cette invocation de la nature, nous parachevons la
synthèse harmonieuse et efficace des termes de base, nature
et culture, par lesquels, au début de cet article nous
esquissions les axes d'orientation de Célestin Freinet.
Dès lors, l'humanisme de Freinet se tend entre une biologie
exigeante requérant, par exemple, l'éducation de la
main, cet outil naturel et l'émancipation de la personne.
Le pluralisme de Freinet ne pose pas le problème de la
prédominance d'un hémisphère
cérébral sur l'autre. Tous les enfants doivent
être exercés aussi bien à modeler de la terre
glaise - pardon, à sculpter un buste - qu'à modeler
un texte - pardon, à rédiger une
correspondance-.
A l'expérience renouvelée de l'enfant, répond
la réflexion du maître qui affine peu à peu,
qui affirme peu à peu, sa propre doctrine: véritable
protopédagogie reposant sur l'emploi des formes les plus
élémentaires de la technique ou de l'expression.
Ce qui permet de progresser: «Nous utiliserons les techniques
simples, frustes, manuelles, rudimentaires, pour les
développer, les perfectionner graduellement»
Ainsi, de la nature «primitive», ou pour mieux dire
première, à la culture émancipatrice, se
préparent les citoyens du 3ème millénaire,
des hommes et des femmes ayant pris la mesure de leurs
capacités pour mieux définir, juste au-dessus leurs
idéaux, leurs vocations de loisirs et de métier, des
gens optimistes et enthousiastes aimant fermement la paix, la
liberté et la justice, bref solidaires et fraternels.
Telle est la leçon, que ses fidèles y aidant, nous
donne l'Instituteur Célestin Freinet, maître
d'école. Maître d'école...
J. V.
- Un engagement politique
- Tout n'était pas idyllique dans et autour de mes
classes. J'ai, un jour, écrit ma révolte dans
«l'Educateur» sous le titre «33 dans un F3».
Est-ce que des adultes supporteraient de vivre tous les jours,
à plus de 30 personnes dans un appartement de cette
surface? Et que faire d'autre, s'il s'agit d'enfants, sinon de
crier au scandale? Je me suis juré, ce jour-là, de
ne jamais parler de Pédagogie Freinet, ni de
présenter des réalisations d'enfants de mes classes
sans dire que tout cela ne s'était pas fait dans la
facilité. Et dans quelle encre devrais-je tremper ma plume,
lorsque j'avais la charge de 55 ou 60 élèves pendant
les trente heures hebdomadaires et durant trois ou quatre semaines
parce que des collègues, souvent en congé,
n'étaient pas remplacés? Et la souffrance des
journées de tension, de 8h45 à 16h30, parce qu'il
fallait aussi surveiller, chacun à son tour, une cantine
très sonore? J'y ai gagné des insomnies très
tenaces.
Notre temps et nos nuits, étaient dévorés par
l'Amicale laïque et le Parti Communiste.
Nos enfants étaient livrés à eux-mêmes,
pendant qu'à l'Ecole, j'organisais la journée de
classe du lendemain, que Paul faisait à vélo le tour
du canton pour une campagne d'abonnement aux B.T. et à
«l'Educateur», que nous quêtions, de porte en
porte, des signatures contre la loi Barangé et pour l'Appel
de Stockholm. Et que de nuits passées à des
entrées et au bar des bals de l'Amicale laïque,
à des réunions de cellules, à des collages
d'affiches dans les sept communes du canton, à des
inscriptions de «Paix en Algérie» sur les routes,
à des incitations à s'inscrire pour remplir des cars
conduisant à des meetings contre cette guerre, à des
accompagnements de candidats, à des réunions
électorales...
Nous n'aurions pas voulu d'une vie vide, mais nous avons, comme
beaucoup, croulé sous diverses tâches, plus ou moins
souhaitées, l'une appelant l'autre. A certaine
époque, Paul a fait des choix, privilégiant un
moment le P.C., pour revenir prioritairement, au bout de quelques
années, au militantisme pédagogique.
Tous les militants doivent se trouver confrontés un jour
à cette situation. Ils s'engagent sur un fait
précis, s'aperçoivent que tout est contingent et se
trouvent en première ligne sur plusieurs fronts où
ils rencontrent d'ailleurs les mêmes camarades: ceux qui
n'acceptent pas la fatalité. C'est encore vrai aujourd'hui.
Alors?
Sans doute, tout bonheur se paie. Or, sans prendre le temps de
l'analyser, nous vivions le bonheur de toujours essayer de mettre
nos actes en accord avec nos idées, dans un travail en
commun avec les Freinet et tous ceux qu'ils nous avaient fait
connaître.
J. L. B.
J'ai connu Freinet. Son grand mérite, son génie,
c'est d'avoir su créer et faire vivre un Mouvement
pédagogique afin de diffuser sa pensée et ses
techniques, Mouvement dans lequel j'ai trouvé ma place et
des compagnons de route oeuvrant dans la même direction.
J'ai apprécié le souci de Freinet de vouloir une
école publique, laïque, qui ne se limite pas à
instruire, mais vise surtout à former des hommes en vue
d'une société plus juste. Peuplée en partie,
d'enfants de parents prolétaires (mot qui ne s'emploie
plus) lesquels ne jouissent que de droits très
limités et sont sans voix face aux puissants qui les
emploient ; cette école doit avoir une mission
libératrice. Pour cela, il faut la réformer, et
Freinet, le révolutionnaire, appelle à y
développer l'esprit critique des jeunes ; à leur
apprendre à organiser leur travail ; à les
entraîner à s'exprimer, à prendre la parole ;
à soutenir une discussion. Les préparer ainsi
à entrer, sans complexe, dans la vie active.
J'ai trouvé chez Freinet, des techniques et des outils
favorisant le travail coopératif et rejetant la
compétition entre élèves qui était la
règle dans les classes.
J'ai trouvé chez lui, l'exemple d'une militance hors de
l'école, aux côtés d'autres travailleurs. J'ai
apprécié ses prises de positions: dans les
syndicats, avec les paysans ; au moment de la guerre d'Espagne,
dans la Résistance.
(...) De nos jours, les techniques modernes font leur
entrée à l'Ecole, pour le meilleur ou pour le pire.
Mais ce serait trahir la pensée de Freinet si on occultait
de la pédagogie le message politique qui était le
sien.
H. M.
On le voit, il s'agit bien d'un itinéraire marqué
par des rencontres avec des collègues dont l'engagement,
bien souvent, dépasse le seul cadre de l'Ecole et de la
pédagogie... Un engagement sur le terrain social, syndical
et néo-politique, participant avec leurs moyens à la
vie de notre société.
C'est aussi s'apercevoir que des «personnalités»
que l'on apprécie, comme par exemple, Marti, chanteur
occitan, ancien instituteur, ont fait à un moment de leur
vie un bout de chemin avec le mouvement Freinet et que cela a
marqué durablement leur vie, leur façon
d'être, de penser.
C'est cela le mouvement Freinet: des idées, des pratiques
et surtout des hommes et des femmes qui les font vivre,
évoluer et qui fait qu'aujourd'hui elles sont toujours
présentes et tout autant d'actualité qu'à
l'époque où Célestin Freinet lui-même
les défendait, les mettait en pratique...
J. C. H.
Pleinement conquis par mon premier Congrès d'Angers, j'ai
vécu, ensuite, de plus près, la vie du Mouvement
grâce à l'Educateur au contenu très riche:
éditos de Freinet, débats internes, articles de
camarades relatant leurs expériences dans la rubrique:
«Comment je travaille dans ma classe».
Et comment ne pas être accroché par Freinet lorsqu'il
propose pour les congrès suivants des thèmes
fondamentaux tels que:
- «Par une éducation libératrice, nous
préparons en l'enfant l'homme de demain» (Nancy: en
50). (N'est-ce pas là, la vraie finalité de sa
pédagogie?)
ou
- «L'éducation veut l'intercompréhension
internationale des peuples et la paix». (Montpellier: en
51).
C'est donc une époque très dynamique et très
engagée du Mouvement où Freinet lance, en outre, le
projet de charte d'unité du Mouvement C.E.L. qui sera
adopté à ce congrès de Nancy (qui deviendra
au congrès de PAU (68) la Charte de l'Ecole Moderne,
après avoir été à peine
remaniée).
J'aimerais rapporter ici, les paroles de Freinet en conclusion du
Congrès de Nancy, en 1950:
«La C.E.L. est une grande fraternité dans le travail
constructif au service du peuple».
«Fait unique en France, si ce n'est dans le monde, des
milliers d'Educateurs de toutes tendances et de toutes les
conditions participent depuis 25 ans à une des plus grandes
entreprises coopératives de notre histoire
pédagogique. Et leur unité n'est point faite de
silence, d'abandon, mais de dynamisme et de loyauté au
service d'une grande cause: la lutte sur tous les terrains pour
que s'améliorent et s'humanisent nos conditions de travail,
les conditions de travail et de vie de nos enfants, l'action
hardie pour que les forces de réaction ne sabotent pas
davantage, ne pervertissent ou ne détruisent les fleurs que
nous tâchons de laisser éclore et s'épanouir,
parce qu'elles portent la graine de notre bien le plus
précieux: L'ENFANT».
E. T.
Au cours d'une réunion-meeting pour la paix en
Algérie d'enseignants de la F.E.N., organisée par la
tendance «Ecole Emancipée», je retrouve avec joie
les mêmes instits «Freinet», sauf un...
Résultat: j'adhère aux Amis de l'E.E. et m'abonne
à la revue «l'Ecole Emancipée». J'y
apprends qu'on peut y conjuguer ensemble syndicalisme et
anarchisme, et que cela donne l'anarcho-syndicalisme d'action
directe, indépendant de tout pouvoir politique de droite
comme de gauche, autogestionnaire et révolutionnaire. Et
que cela a même marché un moment en Espagne pendant
la guerre civile!
En cette année 62 décisive, me voilà presque
rassuré sur la cohérence de mes engagements
politique, pédagogique et syndical: je suis devenu un
«anar-Freinet-Ecole émancipée». Ou du
moins aspire à l'être...
Rentrée scolaire 1962, Université de Rennes
où je commence des études universitaires, et
bénéficie aussi du statut de sursitaire... Combats
avec l'UNEF, toujours pour que cette anachronique guerre coloniale
se termine rapidement, et découverte à la Fac des
lettres du groupe surréaliste du «Bigarro
littéraire» animé par Hervé Delabarre,
Annie Lebrun, Jean-Pierre Guillon.
Et puis, avec Suzy désormais, qui rencontra Freinet dans
son Ecole à Vence en 62, études et pionnicat,
coupées par une année d'armée pas triste!
Militantisme à l'Union des Anarcho-syndicalistes, avec
formidable compagnonnage auprès d'instituteurs Freinet qui
vont énormément m'apprendre, Emmanuel Mormiche et
Jacques Métivier des Deux-Sèvres.
Emerveillement en 1966 en découvrant l'intelligence
lumineuse de la pensée corrosive de l'Internationale
Situationniste, sa critique radicale de la société
de consommation de profits (marchande), des staliniens (même
pékinois) et des marxistes-léninistes de tout poil,
et de toutes les formes de l'aliénation gaullienne et
capitaliste. Guy Debord, Mustapha Khayati, Raoul Vaneigem... un
vrai régal dans cet appel à «transformons le
monde... changeons la vie»!
Et bien sûr Mai 68, et cette fantastique et ludique
libération de la parole et des moeurs. L'exutoire de bien
des désirs, où le Noir et le Rouge des Libertaires
se marièrent très joyeusement à Rennes, au
grand désespoir des réactionnaires, culs
bénits, politicards et bureaucrates de sévice!
Entendu, lors d'un meeting à St Nazaire, cette tonique
déclaration d'un instituteur Freinet contre le dressage en
éducation:
«Au gosse on lui apprend à dire:
A la maison d'abord:
- Oui papa, oui maman.
Puis à l'Ecole:
- Oui Monsieur, Oui Madame.
A la caserne:
- Oui mon adjudant.
H. P.
Fatigué de fournir à la société
capitaliste d'obéissants soldats, de passifs consommateurs,
de tristes S.D.F., d'honnêtes et riches entrepreneurs
côtoyant des pauvres gens... le maître a
rêvé d'une autre société, il a rompu
définitivement avec l'ancien système éducatif
et toutes ses petites inégalités. Même lorsque
celui-ci se cache derrière ses multiples masques de
rénovation: de beaux outils, de beaux exercices tout neufs,
de nouvelles méthodes pour enseigner de façon
moderne. Mais malheureusement ceci n'a toujours été
que la reproduction des lois favorisant la sélection. C'est
la loi soi-disant de sélection naturelle. Les forts seront
toujours forts et les plus faibles n'ont pas de place.
La Pédagogie Freinet est née d'abord d'une
idée, d'un concept de société. Elle
résulte certainement d'une rupture avec la façon
traditionnelle d'enseigner. Elle crée à
l'école une microstructure, fondée sur des valeurs
de partage du pouvoir et de coopération du savoir,
basée sur une éthique qui ne subit plus les lois de
sélection, mais soutenue par des lois inventées par
les individus de groupe. Elle est fondée sur une
philosophie qui cherche à dominer cette nature sauvage car
elle sait que tout individu a des potentialités pour
enrichir le groupe. La pédagogie Freinet est subversive,
elle ne sera jamais normalisatrice, elle vient bouleverser l'ordre
établi. En dépit des mots: idée, rêve,
concept... c'est une pédagogie ancrée dans le
concret. C'est à partir de l'idée que nous nous
lancerons à la recherche d'une cohérence
pratique-théorie, théorie-pratique.
Andréa Warmling (Brésil)
J'ai vécu 1968 dans un collège où
«j'enseignais» le français. L'effervescence
politique, syndicale, pédagogique de la période
incita, au sein de l'institution scolaire, à des
rencontres, des discussions, un désir d'une autre
pédagogie... Et les années qui suivirent, virent la
naissance de groupes plus ou moins formels, d'échanges sur
la finalité de l'Ecole, les objectifs à
préciser, les moyens pour y parvenir... Certains se
tournèrent naturellement vers Freinet, vers celui qui
écrivait en 1928 (n°18 «L'mprimerie à
l'Ecole»), «qu'on n'isole pas les recherches pratiques
du grand problème social, politique, économique et
philosophique qu'est la recherche d'une méthode
d'éducation populaire...».
Mais je fus sensible aussi aux tensions qui pouvaient exister dans
l'ICEM, aux divergences parfois profondes et peut-être
insuffisamment exprimées, discutées entre ceux,
celles d'une part qui se concentraient sur les techniques de
travail, et d'autre part les autres qui ne voulaient pas
négliger l'ouverture sur l'extérieur, la
société, double préoccupation dont Freinet
fit si bien la synthèse.
Je me situais dans ces derniers en essayant d'animer avec d'autres
une commission intitulée, avec un rien de
naïveté: «Quelle société
demain?», où les problèmes de paix,
d'environnement, de relation au tiers monde, dans leurs liens avec
le travail d'une classe, étaient appréhendés,
discutés... Commission qui, avec des fortunes diverses,
s'évanouit au bout de 10 ans.- Mais son existence
entraîna des discussions fécondes surtout au niveau
international...
Je me souviens particulièrement d'un atelier à la
R.I.D.E.F. de Madrid, composé d'Allemands, de
Suédois, de Brésiliens, d'Espagnols et de
Français sur l'utilisation de l'énergie
nucléaire, les caractéristiques d'organisation du
monde qui en découlent, et en opposition les valeurs de
démocratie, de coopération, de développement
de sens critique inhérentes à la pédagogie
Freinet... Nous l'avions inscrite, cette dualité, sur une
immense banderole qui flotta un moment au-dessus de la
R.I.D.E.F....
Je me plais à penser que Freinet n'eût pas
désavoué cette commission.
M. C.
(...) A cette époque, je suis déjà
engagée dans la lutte pour l'instauration de la
démocratie au Brésil ; la pensée de Freinet
me donne plus de force et d'espoir pour résister au
régime militaire, pour défendre une Ecole publique
de qualité et propager la pédagogie Freinet dans les
Ecoles publiques, les Ecoles communautaires et les Ecoles
privées. Elle se transforme en une action
politico-pédagogique dans mon engagement
d'éducatrice et en tant que personne qui lutte pour des
changements dans mon pays.
Fa. M.
La Pédagogie Freinet implique, selon moi, une perception
des différences sociales dans notre société
et un intérêt vif pour les luttes dans le monde du
travail.
Cette conscience sociale n'est pas tellement répandue parmi
les enseignants Freinet en Allemagne. En tant que fonctionnaires,
ils ne partagent point le risque du chômage, comme les
pères et mères de leurs élèves. 3
millions de chômeurs en Allemagne, c'est là le
chiffre inquiétant de cet hiver 1996. Il signifie des
tensions, des conflits, de la tristesse, de la pauvreté
camouflée dans beaucoup de familles.
Ne parlons pas de ceux qui vivent, mal acceptés à la
marge de notre société, qui est renfermée sur
ses propres problèmes - p.ex. causés par
l'unification des «deux Allemagnes» -: les familles des
travailleurs migrants,(surtout les familles turques, les
réfugiés / asilés venus des quatre coins du
monde, réémigrés de l'URSS
(antérieure), de Pologne et de la Roumanie, qui sont
d'origine allemande, mais qui sont très mal vus par
«ceux en place»...
La misère de nos jours se dissimule, n'est plus si visible
que pendant les années 30, où Freinet
dénonça les conditions de vie misérables du
milieu populaire. Mais elle est là, elle pèse sur
les jeunes issus de couches sociales sous-priviligiées.
Malheureusement, la conscience que la tâche
pédagogique consiste aussi dans un travail pour
améliorer la situation sociale de ces jeunes-là se
dissipe.
I. D.
Pour moi, qui m'étais nourrie pendant un temps de ma
jeunesse des écrits de Jaurès, j'ai retrouvé
dans Freinet la philosophie de Jaurès appliquée
à l'éducation, à la lecture de
«l'Educateur» auquel je m'étais abonnée
par hasard.
L. B.
«Nous voudrions bien qu'on ne nous oblige pas à poser
à l'entrée des Ecoles l'inscription que Dante lisait
aux portes de l'enfer: «laissez ici toute
espérance» protestait déjà Freinet en
une révolte plus actuelle que jamais.
Symbolique en tout cas des défis politiques et sociaux
relevés à l'époque par Freinet et ses
compagnons.
Et qui, même si l'espoir peut aujourd'hui paraître
bien tenu, méritent toujours d'être inlassablement
poursuivis, comme la crise de notre société
d'être inlassablement soignée de
l'intérieur...
Sans compter qu'avoir raison contre le reste du monde est peut
être un peu mégalo comme situation, réellement
dangereux parfois, mais finalement pas si inconfortable en
soi.
«En tous cas, nul n'en disconviendra, ne laisse pas
d'être intellectuellement plutôt
excitant!...»
Ainsi, après quarante ans de militantisme
socio-éducatif, Freinet me libère encore.
A. L.
(...) J'aimerais pour terminer, évoquer les aspects
politique et social que pouvait revêtir notre travail
scolaire complètement révolutionné par les
Techniques Freinet.
- «On ne fait pas boire le cheval qui n'a pas soif»
disait et écrivait souvent Freinet. Merveilleuse
métaphore qui s'avère constituer le pilier central
de toute cette pédagogie moderne. Rien ne peut
s'entreprendre et surtout se réussir sans motivation
profonde. Dans nos classes, cette motivation se détectait
à travers le texte libre qui découvrait les
véritables centres d'intérêts des
élèves. Débouché naturel de cette
démarche: la soif de connaissances que le maître
domestique pour conduire l'enfant à apprendre seul,
cherchant la documentation nécessaire et se fixant des
objectifs à sa portée, à long ou à
court terme.
Cette démarche amènera, en contrepartie, le
développement de l'esprit critique: ne rien accepter qui ne
soit dûment vérifié, recoupé, le tout
doublé par une méfiance sans faille vis-à-vis
de la chose écrite - surtout celle qui ne procède
que par affirmations. Ce qui est le cas des journaux. Aussi
fabriquer un journal scolaire conduit naturellement à
étayer cette méfiance. L'enfant qui le rédige
voit combien il est facile de publier un texte qui peut
n'être pas véridique.
Une autre facette de cet apport provient de l'apprentissage de la
vie politique par la vie interne de la coopérative scolaire
où l'on procède à des élections avec
liste de candidats, campagne électorale portant sur la vie
de la classe - projets mais aussi critiques -, vote à
bulletins secrets. Se découvraient ainsi les rapports entre
le politique et l'argent: problème des cotisations, budget
concernant les projets...
Sur un autre plan, la connaissance de l'histoire politique au sens
noble du terme, de l'histoire humaine de la communauté dans
laquelle on vit s'avère vite indispensable. Connaissances
complexes d'un terroir, d'une langue vernaculaire, de coutumes, de
rapports humains.
L'aspect social se concrétise d'abord dans des sentiments
d'appartenance à des groupes quasiment
hiérarchisés: appartenance à la classe,
à un mouvement d'éducation, à une sorte de
fraternité extensible englobant des unités voisines,
puis, par les correspondants, de plus en plus lointaines et
universelles. Cette correspondance dont les liens dureront souvent
au-delà du temps scolaire s'affirmeront par des rencontres,
provoqueront une ouverture aux autres et au monde, facteur
d'épanouissement et d'enrichissement culturels.
Ces sentiments d'appartenance, cette force découverte dans
le rassemblement, nous pousseront vers les futures structures que
sont les coopératives et les syndicats, nous aideront
à découvrir, sur d'autres plans, les valeurs
humanistes qui élèvent l'homme au-dessus de
l'individu et l'aident à se réaliser.
La coopérative scolaire confortera ces apprentissages. A
travers elle, le plus souvent, passeront les messages et les liens
qui uniront les enfants d'un terroir aux enfants d'un autre
terroir. En son sein, se développent fraternité et
solidarité. Passent aussi, par son truchement, travaux,
fêtes scolaires ou extra-scolaires. Ainsi se veut-elle et
devient-elle facteur de créativité et
socialisation.
R. J.
Alors que jusqu'ici on s'est débattu seul face à ses
doutes et interrogations, on découvre, premier attrait
déterminant, un groupe d'enseignants qui se posent
assurément le même genre de questions et qui tentent
ensemble d'y répondre. Premier soulagement, à
l'instar de Freinet quand il entama ses premières
correspondances avec le Breton R. Daniel, on ne se sent plus
seul.
Cette rencontre, trop souvent fortuite, avec le Mouvement Freinet,
aide tout de suite à déjouer l'imposture que l'on
percevait sourdement depuis quelque temps. On comprend alors que
toute éducation est profondément politique, que
lorsqu'on nous demande d'instruire, d'appliquer des directives,
sans état d'âme, on se retrouve en fait l'agent d'un
système utilitariste où l'élève
apprend à accepter, au mieux à s'adapter. Un
système opaque qui reproduit et maintient l'ordre
établi, en toute impunité, quand ce n'est pas avec
le soutien de ceux qu'il aliène le plus. Au royaume des
moutons, les veaux sont aveugles.
On découvre alors un mouvement pédagogique qui ose
affirmer un projet politique, alternatif, profondément
humaniste, qui prône une éducation à la
citoyenneté fondée sur la coopération avec le
souci continuel de mettre en cohérence fins et moyens.
Mais, au-delà, ce qui fait y adhérer durablement,
c'est cette dimension de mouvement qui, sur la base de principes
et d'un projet précis, a toujours cherché, cherche
et cherchera toujours à avancer, par essence même.
Aujourd'hui, je me sens avant tout acteur du Mouvement Freinet, je
ne conçois pas celui-ci autrement qu'un lieu
coopératif où l'on se défie de tous les
dogmatismes, de toutes les tendances à l'inertie,
même des sien(ne)s. Il pourra se prétendre comme tel
aussi longtemps qu'il permettra à tout un chacun de
discuter jusqu'à ses fondements sans chercher à
exclure et continuera de nourrir ses réflexions de toutes
les idées et critiques même les plus iconoclastes
à son égard. Contre la propension de certains
à se proclamer bon apôtre, clerc ou encore garant de
la ligne, il s'élèvera toujours (du moins je
l'espère) une voix pour dénoncer des tentatives de
normalisation qui seraient suicidaires. Donnant l'exemple de
moyens en cohérence avec les fins, le Mouvement se doit
d'autoriser, en son sein, l'expression libre qu'il prône
dans les classes.
Si depuis le début je parle de Mouvement Freinet et non de
Célestin Freinet, outre le fait qu'en raison de mon
âge j'ai rencontré le premier et non le
deuxième, c'est bien aussi parce que je me sens co-auteur
d'un projet en évolution constante et non le
thuriféraire d'une doctrine fermée.
C'est justement tout le mérite de son (ses) fondateur(s)
d'avoir suscité un élan collectif aussi durable. Et
plus qu'un bilan qui pourrait vite tourner à
l'hagiographie, avec solde de tous comptes, le Centenaire de la
naissance de Freinet ne doit être qu'une étape dans
l'histoire du Mouvement, une occasion privilégiée
d'analyser les ressorts qui animent celui-ci.
P. D.
Au printemps 74, j'entrai au Secrétariat National, porteur
de l'idée d'un secrétariat plus ouvert à une
vision et une gestion plus sociale et politique. Et le Mouvement
passa de 841 inscrits de 74 aux 2551 de 76.
Je dois dire qu'en ces années, j'avais trouvé ma
cohérence: mon engagement politique au sein du P.C.I. de
Berlinguer et mon engagement novateur à l'Ecole et dans la
Pédagogie Freinet italienne.
Dans mon école, à côté de l'emploi des
Techniques Freinet traditionnelles: correspondance, imprimerie,
journal, coopérative, j'avais suscité une ample
implication des parents avec la constitution d'un
«Comité d'Ecole» qui s'appuyait sur une large
participation des parents eux-mêmes. Ce fut une
première en Italie pour les Organismes Collégiaux
avec l'entrée des parents à l'Ecole alors qu'ils
étaient jusque-là soigneusement tenus à
l'écart d'une quelconque participation à sa vie.
Mon action souvent contestée n'en laissa pas moins des
traces. A la suite d'un travail tenace, le secrétariat
national, jusque-là quasiment d'expression artisanale et
familiale avec Dino Zanella, fut déplacé d'abord
à Venise, puis à Brindisi et devint une
représentation nationale consécutive à une
élection.
A l'école, je continuais en même temps à
impliquer les collègues et les parents en implantant une
Ecole expérimentale à «temps plein»
malgré l'hostilité ouverte et la persécution
d'un recteur d'Académie réactionnaire.
Les années 80 représentèrent pour moi le
calme après la tempête. L'Ecole à temps plein
de Pieris fut reconnue après des années de conflits
et d'attaques de la Curie et du Rectorat.
On procéda aussi en 82 au déménagement du
Secrétariat à Rome. Le Mouvement assumait alors la
dimension institutionnelle, dépassant ainsi les
résidus anti-institutionnels soixante-huitards.
De 87 à 90, je devins secrétaire national et
détaché à l'association. Ce furent des
années intenses d'animation et d'organisation du Mouvement
sur tout le territoire. Je travaillais en particulier sur le Sud
ou le M.C.E. était historiquement faible et totalement
absent. Et les résultats affluèrent. J'étais
convaincu que c'était précisément du Sud que
pouvait venir une nouvelle stimulation du Mouvement par rapport au
peu de souci d'une éducation globale du Nord.
R. Ri.
La pédagogie Freinet s'inscrit dans une perspective sociale
et politique. C'est un choix politique que je fais en favorisant
la liberté d'expression, l'esprit critique, le goût
du travail créateur, l'initiative des enfants, la
coopération, I'ouverture de l'école.
Ce qu'aucune instruction officielle n'indique, et pour cause,
c'est la dimension idéologique de l'expression libre. Quand
nos techniques d'expression libre ne sont pas réduites
à de simples marottes pédagogiques, elles portent en
elles des germes qui peuvent être dangereux pour le pouvoir
et les gens «bien pensants «.
Pour moi, comme pour Freinet, il ne peut y avoir de sujets tabous.
Il est essentiel que les enfants puissent s'exprimer librement et
à propos de tout. Ainsi, les sujets relatifs à la
guerre, aux luttes sociales sont objet de discussion en classe.
Chacun, dans cette confrontation, apprend à respecter
l'autre, sans, pour autant, partager obligatoirement son point de
vue.
Educateur engagé, je ne peux rester neutre. Je dois faire
des choix en accord avec la Déclaration des Droits de
l'Enfant sur laquelle se fonde mon action éducative. Je
dois montrer mon attachement à la Démocratie,
à la Paix, à la Justice sociale, à la
libération économique de l'Homme, à
l'Amitié entre les peuples...
Les textes suivants sont extraits du journal «NOosChantiers
«de ma classe de perfectionnement de l'Ecole Paul Bert,
à Saint-Nazaire:
GREVE Depuis le 1er mars, les mensuels sont en grève parce
qu'ils veulent que leur patron augmente leurs salaires. Ils disent
que les patrons sont des voleurs. Les mensuels et les ouvriers
lock-outés défilent dans les rues. Qu'ils sont
nombreux! Ils chantent et crient: «Des sous, Pinczon!
Bernard Hernandez.
Manifestation Mercredi, 19 Févieir: 125 cars, 500 voitures,
9000 manifestants sont allés à Nantes.
Y. Legal
Manifestation Mardi après-midi, 6 d'entre nous
étaient en classe. Tous les autres sont restés chez
eux car une grande manifestation se déroulait dans la
ville, en faveur des grévistes et des lock-outés.
Quelques camaardes ont défilé avec leurs
parents.
L'usine a fermé. Les policiers sont là. Du travail,
crient les ouvriers. Du travail! Du travail!
Patrick Evin
(A propos de la grève des fonderies, à Penhoët,
1964).
Ce travail d'expression libre, bien éloigné, il est
vrai, des programmes et instructions officielles, des
préoccupations habituelles des enseignants, suscita
l'indignation d'un inspecteur, pourtant «O.C.C.E.»
Voici un autre exemple, toujours de ma classe de
Saint-Nazaire:
La paix est signée en Algérie Je suis content.
Claude.
Ce texte publié dans notre journal suscita la
réaction d'un parent: - «Monsieur Yvin, vous faites de
la politique!
- Oui, c'est la politique de votre général.
«
Le parent d'élève était un commerçant,
bien connu des milieux factieux.
Mon rôle est de sensibiliser les enfants à tous les
problèmes de la vie, moi-même étant
engagé dans la vie sociale.
«Nous préparons, non plus des dociles écoliers,
mais des hommes qui savent leurs responsabilités,
décidés à s'organiser dans le milieu
où le sort les a placés, des hommes qui
relèvent la tête, regardent en face les choses et les
individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir
demain le monde nouveau de liberté, d'efficience et de
paix» C.Freinet au Congrès de Caen, 1962.
Ainsi, je ne saurais rabaisser Freinet à un rôle de
technicien de la pédagogie. Techniques et activités
ne suffisent pas à faire une pédagogie. Il n'est pas
étonnant qu'elles aient été souvent
dénaturées, destinées à un usage
strictement scolaire, alors que ce n'était pas le but
recherché. Elles ont été
récupérées par certaines réformes qui
ne les ont pas toujours utilisées à bon escient.
Il ne s'agit pas seulement d'une conception de l'éducation
réservée au cadre scolaire, c'est une philosophie de
la vie et des rapports sociaux qui défend les valeurs
morales de:
- solidarité et d'entraide, et non concurrence,
compétition, performance qui suscitent une émulation
combattive et dominatrice.
- responsabilité et non soumission.
- réussite pour tous et non sélection,
hiérarchisation.
- coopération et non violence pour régler les
conflits.
Par son efficacité politique, la pédagogie Freinet
vécue au quotidien, vise à créer les
conditions d'une démocratie plus juste, plus fraternelle,
permettant aux citoyens de gérer leur vie,
d'autogérer la vie de leur cité, de leur
région, de leur pays, leurs productions. «Ce n'est pas
avec des hommes à genoux qu'on met la Démocratie
debout.»
C. Freinet.
A quoi suis-je attaché?
A l'instituteur qui, à Bar-sur-Loup, jette les bases d'une
éducation populaire qui reste à promouvoir.
Au militant révolutionnaire de Saint-Paul-de-Vence, en
butte aux attaques de la réaction cléricale.
Au militant antifasciste et démocrate, qui héberge
à l'Ecole de Vence, de nombreux enfants espagnols
chassés par la guerre civile.
A celui qui ne renia jamais ses origines et qui consacra toute sa
vie à l'enfance prolétarienne.
(...) A Bar-sur-Loup, Freinet écoute ses
élèves raconter leurs histoires. Il écrit au
tableau ce que disent les enfants. Ce sont les premiers textes
libres. En donnant la parole à l'enfant, Freinet cherche
à réaliser une autre éducation. Chaque
après-midi, il prend la décision d'emmener ses
enfants dans la nature. Tout le monde tire profit de cette sortie
en plein air. C'est la naissance des enquêtes qui donnent
l'occasion d'écrire des comptes rendus.
En octobre 1924, il introduit l'imprimerie à
l'école. C'est l'outil qui centrera la pédagogie de
Bar-sur-Loup, et au-delà, qui suscitera, d'année en
année, un mouvement pédagogique populaire.
En même temps, dans la revue «Clarté», il
écrit de nombreux articles: «L'école actuelle
est fille et servante du capitalisme» ; «A l'ordre
nouveau doit correspondre nécessairement une orientation
nouvelle de l'école prolétarienne».
Pour Freinet, les techniques pédagogiques ne sont que les
outils nécessaires à ce combat
révolutionnaire. Mais c'est en plaçant l'expression
libre au centre de l'éducation que Freinet opère le
renversement des valeurs pédagogiques admises jusque
là: «La base de l'éducation n'est plus
recherchée dans les manuels qui préparent, la
plupart du temps, l'asservissement de l'enfant à l'adulte,
et plus spécialement à la classe qui, par les
programmes et les crédits, dispose de
l'enseignement.»
D'octobre à novembre 1925, la classe de Bar-sur-Loup
échangera ses pages imprimées avec celles de la
classe de Durand de Villeurbanne. De février à
juillet 1926, les échanges continuent avec Primas. Mais,
c'est surtout, à partir de mai 1926, qu'une correspondance
régulière particulièrement riche s'instaure
avec René Daniel instituteur à
Trégunc-Saint-Philibert (Finistère). «C'est le
début de toute une correspondance (lettres, textes, colis)
qui, écrit René Daniel, «nous a permis de
mettre dans les placards tous les manuels dont cette
correspondance, ces échanges interscolaires nous
fournissaient la matière.»
L'engagement de Freinet aux côtés des ouvriers et des
paysans, pour des actions coopératives, des oeuvres
sociales au village, est le témoignage politique et social
de son action qui se manifeste au niveau de la classe, par une
idéologie nouvelle élaborée à partir
d'outils et de pratiques, supports de l'expression libre, de
l'analyse critique du milieu social.
A Saint-Paul de Vence, l'action de Freinet est marquée par
les options dont il ne s' éloignera jamais:
- la primauté de l'outil et des techniques
pédagogiques
- la mise au point d'une pédagogie prolétarienne
basée sur le respect de l'enfant, l'expression
spontanée, la motivation de l'enfant, la coopération
au sein du travail.
Si Freinet est en butte, à partir des années
1930-1931, aux persécutions du conservatisme virulent, ce
n'est pas à cause de l'imprimerie, mais d'une conception de
la liberté de l'expression et de l'apprentissage des
responsabiblités, creuset de l'esprit
démocratique.
Pour Freinet, l'école laïque, dégagée
des brumes d'un enseignement traditionnel, doit préparer la
démocratie. C'est pourquoi, s'engager dans la
Pédagogie Freinet, c'est savoir lier sa pratique à
des fondements philosophiques, psychologiques et sociaux.
Le 21 juin 1933, la répression politique et administrative
s'abat sur Freinet qui, par ordre préfectoral, est
déplacé d'office avec ce commentaire: «...Dans
l'intérêt même de l'école laïque
que vos agissements risquent de compromettre.» Il se met en
congé de l'Education Nationale.
La répression s'abattra aussi sur d'autres camarades:
Boyau, Leroux, Roger... et d'autres.
Devant les violences de l'extrême-droite qui l'ont contraint
à quitter l'école publique de Saint-Paul de Vence,
Célestin Freinet décide de ne pas capituler et, sur
la colline du Pioulier à Vence, il entreprend la
construction, de ses propres mains, de sa nouvelle école
prolétarienne. Dès la rentrée de 1935,
aidé d'Elise, sa compagne, il y accueille de ces enfants en
danger: jeunes Juifs fuyant l'antisémitisme nazi, cas
sociaux de la zone parisienne, puis petits réfugiés
de la guerre d'Espagne.
L'Ecole Freinet devient aussi le point de rencontre de tous les
compagnons de Freinet, de ceux qui, dans toutes les régions
de France et de nombreux pays du monde, oeuvraient à la
transformation profonde de l'Ecole populaire et de
l'Education.
Au cours de cette période, le Mouvement Freinet alliera
toujours pédagogie et luttes syndicales et politiques.
En 1936, Freinet écrit:
«La défense de nos techniques, en France comme en
Espagne, se fait sur deux fronts simultanément: sur le
front pédagogique et scolaire, certes, et sur le front
politique et social pour la défense vigoureuse des
libertés démocratiques et prolétariennes.
Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la
pédagogie nouvelle sans se soucier des parties
décisives qui se jouent à la porte de
l'école, mais nous ne comprenons pas davantage les
éducateurs qui se passionnent activement pour l'action
militante et restent en classe de paisibles conservateurs.»
(Educateur N°l du ler octobre 1936).
Freinet consacrera toute sa vie à l'enfance
prolétarienne et poursuivra son action pédagogique
tout en continuant de lutter pour les conditions de travail
à l'école, pour la défense des droits de
l'enfant, de l'école laïque et de la paix.
P. Y.
Freinet avait, on le sait, et comme la thèse de Georges
Piaton l'a excellemment montré (1), lu Rabelais, Montaigne,
Rousseau, les théoriciens de l'École Active,
singulièrement Ferrière, qu'il connut bien et pour
qui il ressentit d'emblée une vive admiration
«A travers les pages de l'École Active, le petit
instituteur jusqu'ici désemparé sentait vivre ses
propres intuitions ; il entrevoyait des pratiques inédites
susceptibles de faciliter sa tâche. Sa solitude amère
en était tout à coup illuminée d'espoir. En
souvenir de cet appui moral, Freinet ne manquera pas, par la
suite, au cours de sa carrière, de rendre hommage au
génial initiateur qui fut, à cette période
inquiète de sa vie, à l'écart de toute
mystique, un père spirituel, un guide». (2)
Il devait aussi, lors du Congrès de Montreux en 1924,
rencontrer Claparède, Bovet et Cousinet ; c'est d'abord
d'eux comme, ensuite, de Meylan qu'il reçut des
encouragements, les seuls qui lui eussent été
prodigués pendant longtemps.
Néanmoins, s'ils le séduisirent dans la mesure
où il retrouva chez eux ses propres aspirations, les uns et
les autres ne manquèrent pas non plus de le décevoir
car il perçut vite l'inapplicabilité de leurs
propositions à l'École primaire rurale et
l'impossibilité d'une simple transposition ; au terme des
congrès, il était découragé car,
écrit Elise, «l'image de sa petite classe
dénudée et poussiéreuse s'impose à lui
et lui serre le coeur». (3)
Il voyait aussi le contraste entre l'environnement
socio-économique et socio-culturel des
établissements qu'il visitait et celui de son école,
entre les conditions onéreuses du fonctionnement de ceux-ci
et les faibles ressources dont lui-même disposait. Et sans
doute son admiration pour Pestalozzi procède-t-elle de ce
que, pour sa part, celui-ci avait toujours destiné aux
seuls sujets pauvres et malheureux les maisons qu'il avait
successivement fondées. Enfin, formé dans le
contexte polémique du début du XXème
siècle, marqué par les auteurs socialistes,
notamment Barbusse, associé aux activités de
syndicats d'instituteurs, séduit par le marxisme et la
révolution russe (4), il n'avait en outre ni les
mêmes finalités ni les mêmes
références politiques que les pédagogues
suisses.
Cette situation spécifique fut, pour Freinet, un
défi, qu'il voulut surmonter en imaginant des
procédures neuves appropriées, à sa
représentation des écoliers, aux buts qu'il
s'était donnés et aux moyens dont il disposait:
«Notre originalité, c'est d'avoir créé,
expérimenté, diffusé des outils et des
techniques de travail dont la pratique transforme
profondément nos classes». (5)
C'est pour manifester une telle intention qu'il
préféra la notion de «techniques» à
celle de «méthodes active» que, n'en ignorant ni
l'ambiguïté ni l'imprécision, il n'estimait
guère ; et s'il a, vers les dernières années
de sa vie, demandé qu'on employât aussi l'expression
de «pédagogie Freinet», ce fut seulement pour
montrer que l'explicitation doctrinale du sens de ses pratiques
n'était néanmoins nullement étrangère
à son dessein.
C'est pour ces raisons, pour la qualité globale de sa
pensée, pour le rôle puissamment stimulateur qui fut
le sien qu'il convient de considérer désormais
Freinet comme un auteur classique en pédagogie et
d'introduire à part entière son oeuvre dans le champ
de la recherche universitaire.
G. A.
(1) G. Platon. Ia pensée pédagogique de
Célestin Freinet. Toulouse. Privat. 1974. 320 p.
(2) E. Freinet, Naissance d'une pédagogie populaire. p.
27
(3) E. Freinet. p. 30 (N. d'une P.P.)
(4) Lors de son voyage en Russie en 1925 et de sa rencontre avec
Krouspskaia,. il fut enthousiasmé par les
réalisatlons éducatives qu'il constata.
(5) C. Freinet. Pour l'Ecole du Peuple, p. 155
-
Freinet précurseur
- Célestin Freinet, je t'aime, mais le culte de ta
personne m'ennuie. J'ai beaucoup appris sur mon métier
à te lire. Mais j'ai encore mieux compris en voyant
pratiquer nos collègues du mouvement. J'ai le regret de
n'avoir pu te connaître. En revanche, j'ai rencontré
quelques-uns de tes camarades pionniers, ceux qui ont
façonné avec toi le mouvement de l'école
moderne. La plupart rayonnent et semblent vraiment faits d'un
autre bois pour avoir vécu et réalisé dans
l'exaltation.
J'ai longtemps revendiqué ta paternité, mais
aujourd'hui, je doute que ton école fasse école
selon l'axe que tu lui avais donné. Ta méthode
naturelle reste puissante. Elle est sans cesse redécouverte
par les «spécialistes» de l'éducation. Toi
et les tiens m'avez aidé à trouver la voie de mes
cohérences. Cohérence entre mes idées
politiques et ma pratique pédagogique, cohérence
entre mes velléités et mes actes éducatifs.
Même si je suis encore en recherche et que mes
réussites restent limitées.
Le monde a énormément changé depuis ton
départ. Une idée du socialisme scientifique a
été éradiquée de la planète,
I'apartheid a disparu en Afrique du Sud. La gauche a eu le pouvoir
en France, mais elle n'a pas su ou voulu changer la vie. Avec le
retour de la droite, tu le sais bien, le pire est envisageable.
Quant à l'école, elle a peu évolué au
cours des trente dernières années. J'imagine tes
éditoriaux dans l'Educateur qui n'est plus
prolétarien. Les réformes passent et se ressemblent.
Les nouvelles technologies qui sont entrées à
l'école ont été immédiatement
affublées des oripeaux de la pédagogie ennuyeusement
traditionnelle. Et les instituteurs, même devenant
professeurs des écoles, ils ne se sentent pas pour autant
éducateurs.
Pour ce qui est du mouvement, il a le mérite d'exister,
mais à l'évidence, ce n'est plus vraiment un
mouvement. C'est celui de celles et de ceux que des circonstances
diverses ont attiré en son sein et qui l'ont fait vivre
à leur façon. Aujourd'hui, il est bien
marginalisé pour incarner une alternative éducative.
Non pas qu'il soit en concurrence avec d'autres
prétendants, mais les idées qu'il colporte ne
semblent pas toucher grand monde. Autour de moi, rares sont les
enseignants qui tentent une démarche pédagogique au
service de l'apprenant. On ne s'attache que très rarement
à la globalité, à la complexité des
individus. On a peu progressé dans l'instauration de
classes coopératives. Les principales revendications des
enseignants sur leurs conditions de travail s'arrêtent aux
questions des moyens et des effectifs. Trop rares sont ceux qui
dénoncent la ségrégation de la
société libérale et qui remettent en cause la
hiérarchie et le forçage scolaire. Les manuels que
tu souhaitais brûler ont foisonné, ils se sont
colorés et ont encore de beaux jours devant eux.
Je ne sais de quelle manière nous parviendrons à
propager les valeurs et les savoirs-faire de l'Ecole moderne de
façon à nous sentir un tout petit peu moins seuls...
car, tout de même, la méthode naturelle, le
tâtonnement expérimental et la coopérative de
classe, tu ne les maniais pas pour qu'ils demeurent confidentiels!
Il faut que l'école change. Il faut que la
société évolue. Alors, nous allons
fêter le centenaire de ta naissance, mais c'est avec plus
grande joie encore que nous fêterons la découverte de
la faille nous permettant d'ouvrir l'école à
l'éducation offrant épanouissement et
démocratie.
Jean Astier
Ce qui est formidable avec cette école qui sera toujours
moderne, c'est qu'elle va de soi, elle est l'évidence
même. Alors pourquoi continuer à médiatiser
l'échec scolaire, l'analphabétisme ; il serait temps
que la société prenne au sérieux son
école. Mais en a-t-elle envie, la société, de
voir des enfants actifs, autonomes, créatifs, doués
de raison, qui s'expriment, qui sont motivés et qui ne se
laissent pas monter sur les pieds? Elle a peut-être plus
envie de moutons.
He. M.
A l'heure où tout est informatisé, robotisé,
déshumanisé, Célestin Freinet nous
paraît pourtant d'une extraordinaire modernité tant
il a apporté par ses techniques de vie et son esprit
fonceur. S'il était parmi nous, c'est lui qui nous
stimulerait pour être à la pointe du progrès
et évoluer avec son temps.
J. Ma.
Il paraîtra utile de rappeler ce que Dottrens et Freinet
préconisaient pour contribuer à la réussite
des objectifs de l'Ecole Moderne:
Pour l'enfant, le maître lui apprendra à:
Savoir écouter
Avoir la liberté et le savoir de s'exprimer
Aider autrui, coopérer
Connaître son corps
Connaître le milieu de vie
Gérer un plan de travail en le respectant
Acquérir des connaissances et les mesurer.
Ainsi, les techniques de Vie de la Pédagogie Freinet
démontreront à l'évidence leur
pérennité et leur actualité.
Mais il faudra des bras...
J. R.
C'est dans le mouvement Freinet de mon pays d'abord, puis à
l'intérieur du tissu d'échanges internationaux de la
F.I.M.E.M. et des R.I.D.E.F. que j'ai continué à
progresser dans les «techniques» Freinet devenues
entre-temps la «pédagogie» Freinet. J'ai toujours
regretté que cette pédagogie porte le nom d'un seul
homme alors qu'elle est le résultat du travail de milliers
d'instituteurs. Je lui préfère l'appellation
«Ecole Moderne» que Freinet, même s'il la
soufflait à Francisco Ferrer, préférait
également à «école active» ou
«école nouvelle». Car c'est dans cette
modernité que je me reconnaissais plus que dans une
quelconque tentative de nouveauté dont la foule est
friande. Il s'agit bien en effet de vivre dans et avec notre
temps, de glorifier à la fois, dans une démarche qui
peut apparaître comme paradoxale, l'artisanat et les
nouvelles technologies. L'artisanat, car l'enfant, comme l'adulte
de notre temps, a besoin de retrouver la griserie de dominer la
matière et les nouvelles technologies car cet outil
puissant doit être au service des générations
montantes et pour qu'il le soit, il faut que les utilisateurs s'en
servent intelligemment.
H. L.
(...) Ma situation personnelle m'amena à relever un autre
défi, celui d'organiser, autour de réunions
pleinement coopératives, le travail de la dizaine de
classes que je ne retrouvais chacune que deux heures par semaine.
D'où la structure «inter-coopérative» que
j'expérimentai et dont je témoignai à
l'époque.
C'est donc avec la conscience tranquille du devoir accompli que
nous pûmes nous mettre quelques années en sommeil
à ce niveau pour nous tourner vers les nouvelles
technologies de communication. Ceci bien dans la tradition de
l'intérêt soutenu manifesté par Freinet et ses
compagnons pour ce type d'outils.
» Tu t'es maintenant tourné vers les technologies
nouvelles, me damanda-t-on à ce moment-là:
informatique, robotique, télématique surtout.
Penses-tu que là est l'avenir en matière
d'enseigenment?
«En fait, je n'en sais rien, répondais-je
déjà alors, et je plains d'ailleurs ceux qui
affichent une quelconque certitude en la matière... Ce que
je recherche avec beaucoup de camarades du mouvement, ce sont les
voies pour les mettre véritablement au service de
l'expression et de la communication. C'est-à-dire d'une
pédagogie de type Freinet.»
«- En fait, je n'en sais rien, répondais-je
déjà alors, et je plains d'ailleurs ceux qui
affichent une quelconque certitude en la matière... Ce que
je recherche avec beaucoup de camarades du mouvement, ce sont les
voies pour les mettre véritablement au service de
l'expression et de la communication. C'est-à-dire d'une
pédagogie de type Freinet.».
Outre, par exemple, les services rendus à une
pédagogie de l'expression écrite par un outil comme
le traitement de texte, une réussite en ce domaine se situe
au niveau de la télématique que l'I.C.E.M. est
probablement seul à avoir permis aux classes de
s'approprier aussi pleinement. Télé messagerie
professionnelle entre enseignants, télé messagerie
interscolaire, magazine interclasses, journaux scolaires
hébergés, serveurs d'établissements,
etc...
Pour la dynamisation des échanges entre jeunes, le nouvel
outil s'avère extraordinaire et bien dans la tradition de
la «correspondance naturelle» impulsée par
Freinet et ses premiers compagnons.
Mais le développement du vidéotex a peut-être
un peu freiné dans notre pays celui d'un autre canal plus
disponible à l'étranger: le fax. Loin d'opposer ces
deux médias comme certains avaient tendance à le
faire, le secteur C.M.T. lança
«TéléCOOPicem», premier réseau
international de ce type et réussi le pari de les utiliser
en synergie.
Il mit aussi en évidence des utilisations originales de
l'outil, par exemple, d'ordre documentaire ou au service de
journaux interclasses.
Il en avait d'ailleurs esquissé une préfiguration
avec la fort riche expérience «On s'affiche»:
réseau international d'échanges d'affiches entre
établissements du second degré qui connut un beau
succès durant plusieurs années.
Le secteur accompagna ces expériences de communication en
réseau en assurant la parution de 50 Nos de 50 pages du
bulletin spécialisé «E.L.I.S.E. &
C.E.L.E.S.T.I.N.».
Il nous est donc aujourd'hui possible, riche de
l'expérience acquise lors de ces deux premières
époques, de tenter d'en opérer la
synthèse.
Et, dans la pure tradition d'une pédagogie du travail
coopératif, tenter de dynamiser créations manuelles
et techniques par la synergie que - pourvu que laissée
à la discrétion de besoins réellement
ressentis - un réseau de correspondance naturelle et
inter-coopérative entre maître et entre classes est
susceptible d'induire.
«L'école devra être une branche de la
production» (C.F) et, d'une production en vraie grandeur
à une époque où, avec entre autres les
cyber-médias, «ce qui se prépare est un trouble
de la perception du réel, une désorientation du
rapport au monde et à l'autre...».
- Paul Virilio: «Alerte dans le cyberspace» le monde
diplomatique - Août 1995 -.
Le propos réaffirmé étant de démontrer
par l'action que la démarche propre à la
pédagogie Freinet, confortée d'ailleurs aussi bien
par des Piaget, Stuart Mill, Levi Strauss hier, que des Serres,
Charpak ou Gilles De Gennes aujourd'hui, continue d'être la
voie privilégiée pour épanouir la
créativité des jeunes aux niveaux manuel et
technologique.
Domaines beaucoup moins explorés d'ailleurs à ce
jour par le Mouvement que la création artistique ou le
texte libre, par exemple, mais pourtant si propres à cette
«création constante qui développe
l'intelligence et la raison, tout en familiarisant avec les
premières pratiques scolaires: lire, écrire,
compter, mesurer, peser, etc...A mesure les élèves
acquérant le sens de l'entraide et de la
sociabilité».
Qualité dont ils auront d'autant plus besoin en ces temps
où les lendemains ne sont plus ce qu'ils étaient:
qu'ils semblent loin en effet ceux dont rêvaient Freinet et
ses premiers compagnons! Ils ne chantent plus guère
aujourd'hui...
A. L.
La recherche du matériel naturel, l'ouverture de
l'école à la vie ne constituent pas les seuls moyens
pour réussir la Pédagogie Freinet.
Il faut associer l'Etat pour son intervention dans les domaines
sociaux, économiques.
Pour cela on peut réussir seul, la P.F. dans sa classe,
mais son écho ne sera pas sonore. C'est pourquoi nous
invitons les amis de Freinet à nous aider par la voix
directe ou indirecte pour toucher nos autorités.
La participation à des séminaires sont d'une grande
importance pour faire évoluer la P.F..
Voilà nos brèves idées sur la conception
pédagogique de Freinet.
Nous sommes débutants mais nous ne saurions comment
réussir pour être appréciés par notre
entourage voire l'extérieur.
Il faudrait multiplier les rencontres pédagogiques et
associer les aînés pour que vive la P.F. dans le
monde et en Afrique qui a des milliers d'enfants dans les
classes.
Jean Daye (Bénin)
(...) La mise en oeuvre des techniques de Freinet n'est pas
facile. Certes, je rencontre des problèmes au nombre
desquels il y a le manque de matériel, des effectifs
pléthoriques, 60 à 90 élèves dans une
seule classe, le respect rigoureux des horaires, de l'emploi du
temps, des répartitions mensuelles et des programmes
scolaires élaborés et adoptés par les usagers
du système éducatif. Cette disposition n'est pas
tellement en accord avec la méthode d'enseignement
prônée par le pédagogue Freinet.
Mais je constate que l'attitude, le comportement et la
réaction de mes enfants, malgré les multiples
problèmes sur lesquels j'achoppe dans la mise en oeuvre
intégrale de la pédagogie de Freinet, sont
très satisfaisants.
Si Freinet avait lui aussi rencontré les problèmes,
les difficultés et avait pu les surmonter par la prise de
conscience et l'usage judicieux des moyens dont il disposait, je
suis persuadé également que d'un jour à
l'autre lavictoire sera de mon côté....
Gabriel Iossou Djeble (Bénin)
Je me suis engagé dans un ambitieux projet
d'expérimentation, de production et commercialisation de
nouveaux matériels pédagogiques structurés,
qui devraient, si possible, circuler au-delà des Alpes.
Ce projet répondait au besoin de donner plus de consistance
à la particularité matérialiste de la
pédagogie Freinet par rapport à une innovation faite
essentiellement de signes et de salive. En outre, cela correspond
à la conscience que, dans la société
vidéo-informatique, l'enfant sera de plus en plus
privé de ses capacités sensorielles et manuelles, et
d'une opportunité de libération sociale. Et c'est
donc sur ce terrain spécifique que, dans les pays à
développement technologique avancé, la
pédagogie Freinet doit savoir se situer pour restituer
à l'enfant des expériences de vie globale et lui
donner l'opportunité du plaisir d'un rapport direct entre
l'emploi de matériel concret et la formation des
symboles.
Pour la réalisation de ce projet pédagogique auquel
j'espère, dans un futur proche, impliquer la F.I.M.E.M. -
les Espagnols ont déjà manifesté leur
intérêt -, j'ai été
détaché au M.C.E.. C'est une piste d'engagement
militant pour donner continuité et prospective à la
piste ouverte par Célestin Freinet..
Nous espérons que ce sera jouable, qu'on y trouvera de
l'intérêt et qu'on ouvrira de nouvelles perspectives
à une modernité qui soit productrice de processus
créatifs, de libération, d'énergie et donc de
liberté.
R. Ri.
Presque deux millions et demi d'enfants brésiliens (de 0
à 11 ans) vivent dans des bidons-villes.
A São Paulo, la ville la plus riche et
développée du pays, il y a plus de deux cent
soixante mille enfants (de un à onze ans) qui vivent dans
les bidonvilles.
L'éducation formelle des enfants brésiliens est
réalisée dans des écoles publiques,
municipales ou de l'Etat, et dans des écoles
privées.
L'enseignement public s'occupe de l'éducation des enfants
des familles dont le revenu mensuel ne leur permet pas de payer
une école privée. Cet enseignement vit, en ce
moment, une situation catastrophique. Le salaire initial des
professeurs des écoles publiques municipales de São
Paulo est 242,45 dollars, pour vingt heures de cours par semaine.
Ceux qui travaillent quarante heures par semaine dans une
école gagne 450,00 dollars par mois. Ces bas salaires et
les conditions de travail extrêmement précaires des
écoles associées au chaos qui règne dans
l'Administration Publique et à la formation
pédagogique déficitaire déterminent
l'augmentation progressive de l'abandon de la profession et de la
détérioration de la qualité du travail
éducatif scolaire.
L'enseignement privé s'occupe de l'éducation des
enfants des classes moyenne et haute. Dans le réseau des
écoles privées, on vérifie une oscillation
très grande, tant au niveau de la qualité du travail
éducatif et des conditions de travail qu'au niveau des prix
des mensualités. Les bonnes écoles sont très
chères.
Les plus jeunes fréquentent des crèches, des Ecoles
d'Education Enfantine - pour des enfants de trois à six ans
- ou restent à la maison, sous les soins d'une soeur ou
d'un frère un peu plus âgé, parce qu'en
général leur mère travaille hors de la
maison. Les plus âgés - sept ans ou plus, s'ils font
des études, passent quatre heures par jour à
l'école publique. Ceux qui ont été exclus de
l'école à force d'échouer ou de ne pas
s'adapter à ses exigences restent à la maison,
c'est-à-dire, dans les rues où ils jouent, ils
surveillent des voitures garées dans les rues, ils vendent
toutes sortes d'objets au feu rouge, ils mendient, ils volent, ils
se droguent, ils font peur aux adultes... «Une
société qui a peur de ses enfants est terriblement
malade» (Paulo Freire).
Quel avenir est en train d'être construit par cette
société pour ces enfants et ce pays?
Le travail du Centre de Jeunesse «Congonhas», qui depuis
un an et demi pratique la pédagogie Freinet, nous montre,
par l'intérêt, l'enthousiasme, l'organisation et les
réalisations des 120 enfants de 7 à 14 ans qui
vivent dans le bidonville Àguas Espraiadas et qui
fréquentent quatre heures par jour, en dehors des heures
qu'ils passent à l'école publique, la force
éducative du Texte Libre, du Livre de Vie, de la
réunion de Coopérative, du Journal, du Plan de
Travail Collectif, de la Correspondance dans la formation de ces
enfants, à qui l'amertume de l'injustice sociale n'a pas
tué la joie de vivre, la curiosité, la
créativité, le désir de savoir, les
rêves.
Nous avons conscience que ce travail, associé à
d'autres, ne représente qu'un petit grain de sable devant
l'immensité du désert d'indifférence qui
recouvre les problèmes sociaux brésiliens, qui,
d'une façon si dure, atteignent nos enfants. Notre
contribution est infime, mais nous, éducateurs du
Núcleo Freinet Cidade de São Paulo, nous continuons
notre marche, sans perdre jamais l'occasion de présenter
à d'autres éducateurs la façon
freinétiste d'enseigner et les résultats obtenus
dans nos groupes d'enfants, d'adolescents ou d'adultes.
Maria Lucia Dos Santos
Le temps a passé. A l'heure où la Nouvelle Politique
pour l'Ecole comme le Nouveau Contrat pour l'Ecole ont le courage
de précéder l'évolution des mentalités
en introduisant des modifications structurelles qui favorisent le
travail en équipe, l'évaluation formative et
critériée, la personnalisation des apprentissages,
notamment, Célestin Freinet me semble de plus en plus
moderne (1). En effet, je ne trouve pas ailleurs cette
globalité et cette clarté du message qui donnent une
cohérence et un sens si fort aux apprentissages comme aux
techniques. De plus, la pédagogie Freinet est au coeur de
l'évolution de la science, l'approche systémique par
exemple: pédagogie de la vie, elle suscite l'investigation
de la complexité et se démarque de la simplification
qui aboutit à la complication, en raison de la disparition
du sens, précisément. Pédagogie efficace
aussi, parce que fondée sur une psychologie performante. -
«Essai de psychologie sensible appliquée à
l'éducation» apparaissant alors comme
précurseur des travaux de Bruner pour qui la construction
des concepts par l'enfant procède surtout de l'induction.
Pédagogie d'avenir enfin, parce que fondamentalement
ouverte aux évolutions et à l'adaptation au terrain.
Au reste, quelle réflexion nouvelle a-t-on exprimée
de manière plus simple et plus pertinente que les
Invariants pédagogiques?...
Jacques Jourdanet
(1) Je me sentais beaucoup plus proche de Freinet en introduisant
en classe, il y a douze ans, l'outil ordinateur au service du
journal scolaire (deux décennies de recherches à
travers le Rouge-Gorge) puis la correspondance en réseau
télématique et par télécopie, que
lorsque nous en étions au limographe ou à
l'imprimerie.
C'est bien en rappelant le rôle qu'il a joué et la
place qu'il mérite dans l'historique de l'éducation
au XXème siècle que l'on doit rendre hommage
à Freinet.
Les années 1900 avaient été marquées
par les expériences novatrices de Decroly, de
Claparède et de Maria Montessori. Mais c'est dans les
années 30, avec Freinet, que s'amorce une véritable
mutation dans les conceptions éducatives et les pratiques
scolaires. Très vite, de nombreux instituteurs se joignent
à lui, composant ainsi un vaste chantier favorable aux
expérimentations, aux échanges et à
l'évaluation.
L'écoute, la prise en compte et la valorisation de
l'expression libre des enfants, à l'école, (comme
dans les familles), le droit à la parole et à la
participation pour tous, la confiance dans la dynamique
d'appropriation des savoirs étaient, bien sûr, des
notions d'avant-garde. Il faut se représenter l'état
des mentalités de l'époque, le mode des relations
adultes-enfants, souvent imprégnées d'autoritarisme
et de défiance, pour apprécier combien Freinet et
ses camarades ont contribué à la transformation de
l'Education.
On peut noter qu'à peu près dans le même
temps, chacun de leur côté, Jean Piaget faisait
paraître le résultat de ses travaux sur le
développement intellectuel de l'enfant tandis que Freud -
et ses disciples - dévoilait les lois de l'inconscient et
la complexité des relations affectives. Il est
intéressant de constater que, sans qu'il y ait eu,
apparemment, de relations directes, on rencontre nombre de
convergences entre les actions de Freinet et la recherche en
psychologie et en psychanalyse.
Dans le domaine éducatif, Freinet apporte avec ses
techniques motivantes un courant quasi-révolutionnaire:
multiplication des échanges interscolaires, journaux,
fichier documentaire, bibliothèque de travail,
méthodes naturelles d'apprentissage, travail scolaire
personnalisé, organisation coopérative des
classes... etc. Toutes ces pratiques ont (ou auront) des
incidences très positives sur l'évolution de l'Ecole
et de la vie sociale.
Il y aurait intérêt historique, d'ailleurs, à
étudier instructions officielles et directives
pédagogiques, à analyser nombre de pratiques
d'enseignement pour y relever combien elles s'inspirent des
idées de Freinet, sans s'en réclamer.... Si l'on
prend, par exemple, le cas de l'apprentissage de la lecture, sujet
controversé et toujours brûlant, on s'aperçoit
que l'unanimité, ou presque, des enseignants-chercheurs
s'est faite sur la valeur des démarches naturelles et
fonctionnelles pour l'appropriation du code écrit (voir les
travaux de J. Foucambert ou d'E. Charmeux). L'importance
donnée dans les familles comme à l'école au
dessin des enfants, à l'expression artistique et manuelle
doit certainement beaucoup aux actions menées par l'Ecole
Moderne, avec Freinet et Elise.
Précurseur, c'est donc bien évident, visionnaire,
sans doute... Pas question de verser dans le culte d'un
prophète ou d'une quelconque mystique! Freinet avait eu une
enfance rurale, il était resté très proche
des réalités. Pragmatique, il était soucieux
de mettre ses idées en pratique avant d'élaborer des
théories. Très proche des enfants, très
chaleureux et rieur avec tous, il aimait à manier la
bêche ou la truelle et à bricoler les prototypes des
outils qu'il concevait: presse pour l'imprimerie, limographe,
boîte enseignante etc..... Mais, ne peut-on pas
considérer que son engagement et son action pour introduire
les médias dans l'enseignement,(journal scolaire, presse
à l'école, albums et revues, bandes
magnétiques, cinéma, sont la preuve d'une
véritable clairvoyance anticipatrice. Chacun sait à
quel point les moyens de communication jouent un rôle
éminent de nos jours. De même, on peut penser qu'avec
le fichier documentaire, les plannings et plans de travail,
l'enseignement programmé des boîtes enseignantes, il
avait pressenti la place de l'Informatique. On pourrait dire
encore que dans les rapports qu'il entretenait avec la Nature, son
refus des excès de la consommation, sa conception de la
santé, de l'alimentation, il faisait de l'écologie
avant l'heure!
Pour conclure, on peut rappeler que Freinet tenait beaucoup pour
son Mouvement à l'appellation Ecole Moderne. Moderne pour
lui, signifiait que l'Ecole ne devait jamais être close mais
évolutive et adaptée à une
société de progrès et de prospective.
Robert Chabrol
-
Comment Freinet entra au ministère par la
grande porte
- En se métamorphosant en ministère de l'Education
nationale, le vénérable ministère de
l'Instruction publique subsista néanmoins dans une
tradition solide: maintenir le silence sur les réformateurs
capables de jeter le trouble dans la maison.
Même les inspecteurs généraux triés sur
le volet n'eurent pas, à l'époque, le droit de
signer les textes qu'ils rédigeaient. Ce privilège
était réservé au ministre.
Il n'en allait pas de même à l'étranger: le
ministère belge recommandait Decroly, les
«Länder» allemands mettaient en lumière
Petersen, les Suisses conseillaient Piaget et Dottrens mais en
France Cousinet, Profit ou Freinet étaient officiellement
des inconnus.
Ceci jusqu'au 20 octobre 1966 où l'inspecteur
général Louis Cros me demanda imprudemment de
signaler que Freinet nous avait quittés au début du
mois. D'où cet hommage qui fut publié dans la revue
L'Education nationale qui tenait lieu de revue officieuse du
ministère. Pour Elise Freinet, ce fut une initiative qui la
toucha.
Extrait de la Revue hebdomadaire d'information pédagogique
l'Education nationale N° 801 du 20 Octobre 1966.
FREINET
Les Obsèques ont eu lieu, le 11 Octobre 1966, à
Gars-Briançonnet ; sans discours, sans fleurs, sans
couronnes, dans la simplicité du village.
Le samedi 8 octobre 1966, le télégraphe de Vence
codait inlassablement: ni fleurs, ni couronnes, ni discours. Un
homme venait de mourir dont la pudeur autant que l'amour-propre
refusaient les larmes et l'inflation hypocrite des éloges
funèbres. A la même heure, dans quelques centaines de
classes, des enfants lisant un texte libre accouchaient d'une
pensée maladroite ou d'une émotion poétique.
Des centaines de naissances pour une mort, c'est bien le permanent
phénomène de la vie.
Il n'était pas aisé de parler de Freinet de son
vivant. Point de «no man's land», entre une
dévotion suspecte et une agressivité agacée.
Mort, ce ne sera pas plus facile: la rancune apaisée,
l'indulgence soulagée et la piété filiale lui
vaudront quelques images d'Epinal, évitées sur sa
tombe mais acceptées par ce papier heureusement
périssable qu'on appelle journal ou revue.
Plus tard, le scandale Freinet éclatera ou du moins sera
cerné plus clairement. Car il y a un scandale Freinet. Pas
celui que ses détracteurs chuchotaient en prédisant
régulièrement le déchirement de son mouvement
ou la faillite de sa coopérative. Mais un scandale pour
l'esprit: un infirme, rejeté par l'école officielle,
fondant une entreprise commerciale pour des produits
réputés invendables, dirigeant une école
privée aux méthodes apparemment anarchiques,
rassemblant des congrès sans discipline, écrivant
passablement et se répétant souvent, s'opposant aux
ministères, aux partis, aux syndicats, à la
médecine officielle, utopiste primaire pour beaucoup,
imposteur pour certains, cet homme, en plein XXème
siècle, domine non seulement la pédagogie
française mais mondiale.
Mondiale? Aucune emphase dans cette affirmation: Freinet, chez
nous, mais «professeur Freinet» à
l'étranger, traduit en 15 langues et dont le nom n'est
jamais estropié pour prêter à confusion avec
un acteur de cinéma. Sans doute, avant lui, Montessori,
Decroly, Binet, Kerchensteiner et Dewey ont-ils ouvert la voie
d'une nouvelle éducation et acquis, eux aussi, une
renommée internationale, mais le chef de file de l'Ecole
moderne, tout en se réclamant d'eux, a défini une
théorie de l'éducation d'une simplicité si
étonnante qu'il a appelé ses méthodes:
naturelles. Simplicité mais non simplisme, qui nous valait
un comportement original du maître et une image nouvelle de
l'enfant, les deux pris dans leur totalité d'homme et
d'enfant.
Cesser de voir un élève pour observer surtout un
enfant en croissance a été le privilège des
médecins-éducateurs et c'est pourquoi la
pédagogie nouvelle doit sa naissance au corps
médical. Freinet ne devait pas faire exception et c'est
bien l'hygiéniste chez lui qui précéda le
pédagogue. Ses blessures de guerre lui firent
découvrir une nouvelle hygiène - à base de
naturisme - et un tâtonnement pédagogique semblable
à celui d'un malade attentif au développement de sa
convalescence. On se moquera de lui. On rit moins aujourd'hui en
dénombrant les maladies du siècle, y compris les
maladies médicamenteuses. La vie naturelle, l'eau claire,
l'air pur, le soleil et une alimentation saine et
équilibrée sont devenus des produits de luxe. Nos
enfants sont condamnés à l'intoxication alimentaire,
et si leur orthographe est si fâcheuse, n'est-ce pas aussi
parce que les troubles alimentaires dont ils sont victimes rendent
toute concentration d'esprit douloureuse? L'entassement dans les
classes y crée ce climat de nervosité et d'usure
dont les maîtres font les frais tout de suite et les enfants
plus tard, inévitablement. Tant que la vie scolaire
tournera le dos à l'hygiène et
particulièrement à l'hygiène de l'esprit,
tant que les médecins scolaires seront condamnés au
strapontin des contrôles en série et
dépouillés de leur rôle de gardiens de la
santé scolaire, on ne pourra pas espérer de
renouveau pédagogique.
On raillait Freinet végétarien, on méprisa
Freinet ému par ses poètes et peintres en herbe.
L'école sérieuse pouvait-elle tolérer de
telles niaiseries? Cocteau, Barbusse, Picasso et Matisse vinrent
dire leur admiration, non pour les oeuvres seulement, mais pour
cette croisade en faveur de la vie artistique authentique des
enfants que lança Elise Freinet. Non pas par des manifestes
mais par une prise en main, une formation de centaines
d'instituteurs qui étaient passés à
côté de l'art. Il fallut conseiller, accueillir leurs
oeuvres, éviter que la part du maître n'écrase
l'inspiration de l'élève. Disponibilité
constante, travail matériel énorme qui vit sa
récompense et son couronnement dans les expositions
artistiques des congrès.
Or, dans ce domaine aussi, les idées d'Elise et de
Célestin Freinet ont fait du chemin. L'art enfantin a une
signification qui dépasse le jeu, le divertissement. Il est
la source profonde de sa pensée, de son affectivité.
N'en faire qu'une annexe facultative de la vie scolaire, c'est lui
refuser sa vocation fondamentale: la source et la plénitude
de notre vie mentale. Le poète a cessé à nos
yeux d'être un personnage qui joue avec des rythmes et donne
libre cours à son exaltation lyrique, il y a dans la
rupture volontaire du langage banal, dans les associations de mots
qui rarement se fréquentent, une prise de conscience d'un
pouvoir verbal qui est pour l'enfant une révélation.
Les mots cessent d'être des matériaux anonymes, on
les respecte comme du pain à force de les avoir polis.
Aussi mieux que l'explication de texte, une mise au point d'un
poème d'enfant ou d'un récit donne-t-elle au jeune
auditoire l'amour de la langue.
Avoir mis l'expression au centre de l'éducation, c'est bien
ce qui fut le moins pardonné à Freinet. Comme si
l'enfant pouvait tirer quelque chose de lui-même alors qu'il
manque d'idées, de vocabulaire et d'expérience.
Cette prétendue pauvreté trahissait davantage notre
absence d'imagination, notre inaptitude à créer un
milieu favorisant l'éclosion de la pensée et des
sentiments enfantins. Depuis, la psychologie, la dynamique de
groupe et même la sociologie effrayée des ravages
d'une surconsommation grégaire, font admettre que l'homme
et d'abord l'enfant ne se réaliseront que dans une
activité personnelle, au milieu d'un monde souvent anonyme.
A l'époque des calculatrices, la mémoire humaine,
ridiculement lente et incertaine sera moins sollicitée que
notre capacité à imaginer des solutions nouvelles.
Le XXIème siècle valorisera indiscutablement les
facultés créatrices aux dépens d'un savoir
vite dépassé et encombrant.
Actuellement, certains découvrent dans la pédagogie
rogérienne des thèmes que Freinet n'a cessé
d'expliquer et d'illustrer depuis des décennies. Et tout
d'abord la nécessité pour l'éducateur de ne
pas mettre de distance entre son action et sa vie personnelle.
Rogers s'est en effet élevé contre une attitude
psychanalyste qui demande au médecin de rester sur sa
réserve et de ne pas intervenir en tant qu'homme, avec sa
vie, ses problèmes, ses opinions. Il préconise au
contraire, chez le praticien, une intervention globale,
sincère, sans hypocrisie déontologique. Dans les
écoles de type Freinet, les maîtres ne «font pas
classe», ils y vivent, cherchant avec les
élèves, sans sentiment d'humiliation, et sans ruse,
parce que la difficulté l'exige et qu'on a le courage de
saisir à bras-le-corps la réalité
quotidienne, même quand elle s'appelle satellite, laser ou
inflation et que les programmes officiels estiment que l'ampoule
électrique est un sujet d'étude au-dessus des
possibilités d'un élève de cours moyen.
Tous les «outils» de l'Ecole moderne sont nés de
ce constant ajustement entre maîtres et
élèves: l'imprimerie, le journal scolaire, les
fichiers, les bibliothèques de travail et, plus
récemment, les bandes programmées qui font sourire
les spécialistes de la programmation peu convaincus de
l'intérêt à familiariser les
élèves avec la création de bandes si on ne
veut pas que cette innovation condamne rapidement la vie scolaire
à une épouvantable monotonie. Freinet s'est
refusé à définir une progression stricte:
quand les enfants sont passionnés par une question on ne
sait jusqu'où ils peuvent aller. Le tout est de les mettre
en route.
- Mais, auparavant, c'était les maîtres qu'il
fallait mettre en route. S'il y a une pédagogie Freinet
aujourd'hui, ce n'est pas parce que, habilement, un homme a
annexé ce que d'autres avaient déjà
proposé: la correspondance, la coopérative,
I'enquête, l'étude de la nature, mais parce qu'un
rassembleur, avec des moyens dérisoires, a su ouvrir un
chantier sur lequel des milliers de maîtres se sentent
à l'aise et dans le vrai. La correspondance d'Elise et de
Célestin Freinet, leurs écrits pour mettre cette
oeuvre sur pied sont à peine imaginables. Ainsi, ils ont
évité les formules passe-partout, ils n'ont jamais
figé le texte libre, le calcul vivant. Ils ont fait
confiance à la vie, au tâtonnement. Les
congrès eux-mêmes sont des chantiers et non des
festivals de conférences pédagogiques rassurantes.
Et, comme il est de coutume, lors des concerts, Freinet faisait
défiler sur la scène les responsables de
commissions, comme un chef d'orchestre fait applaudir ses
musiciens. Le chef d'orchestre nous a quittés, mais avec la
réconfortante conviction que tant de partitions
réputées injouables allaient maintenant devenir
notre musique quotidienne.
Roger Ueberschlag
-
Poème
- Par les routes fantasques du Haut Var,
Nous passions en cortège anonyme,
Salués de passants, de gosses qui riaient...
Ne sachant pas.
- Par les vaux sombres où se perdait
L'Estéron capricieux,
Nous le suivions
Comme on suit en confiance
Celui qui connaît le chemin.
Au long des murailles bleues
Aux rocs bleus, scellées,
Les frères accourus, les mains vides
Les femmes accablées, aux yeux rougis
Attendaient.
Tu étais là, tout à l'heure,
Et regardais
Avec nous, dans l'enclos de pierraille,
L'homme au hoyau crochu
Tirant sous lui la terre fauve...
Ton vieux parent peut-être
Aux reins courbés...
La pluie de sable, en cascades,
Continuait sa lente descente
Presque sans bruit:
Un oiseau, dans un buisson, là-haut
Lança deux tirelis et sans réponse
Et sans écho, écouta, lui aussi
Les baisers de silence et les étreintes
chuchotées.
Tu étais là et pris congé...
Nous avons jeté un regard
Aux volets verts tirés
Sur la façade austère...
«Freinet dort un peu»
Tout à l'heure, il reviendra
Pour nous montrer les venelles voûtées
Où s'égaraient ses pas d'enfant,
La place minuscule,
La plaque commémorative
Où son petit cousin, à vingt ans, fut inscrit.
Regardons s'élever là-bas, la rude muraille
Que le temps, à coups de gouge géante, a
entamée
Ça et là,
Et les pampres roux qui circonvolent
Aux murs escaladant...
«Paul, mon cher Paul, ne pleure pas
Courbé, au coin de cette porte
Irrémédiable...
Et toi, Camille, viens, plutôt,
Nous allons écouter
La frémissante voix de la source amicale
Elle vit, comme vit sa pensée
Comme vit sa voix qui nous accompagne
Elle nous dit «Allez... Maintenant
La route est là, je vous l'ai faite
Et si je ne suis plus, en avant, avec vous
Allez plus loin, quand même, où brille le
soleil.»
Au bas du brun vantail de la porte, un label,
Un rustique soleil gravé, tout droit, regarde
Par devant lui, la Montagne de Charamel
Au village de Gars, dans l'Alpe qui le garde.
Raymond Dufour
15 octobre 1966.
-
Liste alphabétique des participants
- A.: Anonyme.
A. B.: Andrée Bertet
Ab. B.: Abdelkader Bakhti.
A.C.R.: Anton Costa Rico.
A. G.: André Gente.
A.L.: Alex Lafosse.
An.B.: André Brochard.
An. L: André Lefeuvre.
A.S.: Aloyse Steinmetz.
A.T.: André Turpin.
A.W: Andrea Warmling.
C.C.: Cécile Cauquil.
Ch.C: Christian Courtois.
C.L.: Christian Lego.
C.Y.F: Camille et Yvette Février.
D.P.P: Denise et Paul Poisson.
E.C. Edouard Cachemaille
E.T.: Emile Thomas.
Fa.M: Fatima Morais.
F.F.: François Fergani.
F.G.: Francine Gouzil.
F.L.: Fernand Lecanu.
F.M.: Françoise Marti.
FMG: Flaviana M. Granzotto.
G.A.: Guy Avanzini.
G.B.: Ginette Basset.
G.G.: Guy Goupil.
G.I.D: Gabriel Iossou Djeble.
G.R.: Germain Raoux.
G.S.: Gerald Schlemminger.
H.B.: Henri Boitier.
H.F.: Hélène Festy.
H.G.: Henri Go.
H.J.: Hans Jörg.
H.L.: Henry Landroit.
He.M: Hervé Moullé
H.M.: Henriette Moneyron.
H.P.: Henri Portier.
H.R.: Hortense Robic.
H.S.: Halina Semenowicz.
H.V.: Henri Vrillon.
I.D.: Ingrid Dietrich.
J.A.: Jean Astier.
Ja.M: Jackie Majurel.
J.C.: Jacques Cosson
J. CH: Jean-Charles Huver.
J.D.: Jean Daye.
J.G.: Jacques Guidez.
J.J.: Jacques Jourdanet.
J.L.: Jacques Leroy.
J.L.B: Jeannette Le Bohec.
J.M.: Jean Mahé
J.Ma: Jacqueline Massicot.
J.Mo: Juliette Moulineau.
J.P.: Joseph Portier.
J.R.: Jean Ribolzi.
Ju. V.: Jules Vandeputte
J.V.: Jean Vial.
L.: Laure.Bertucci
L.B.: Lucienne Bonhoure.
L.G.J.: Luis Gaucha Jorge.
L.L.: Louis Legrand.
M.A.B: Maria Amàlia Borges.
Ma. P: Marius Pourpe.
M.Bar: Michel Barrios.
M.Be: Madeleine Belperron.
M.C.: Maryvonne Conan.
Mel: Michel Barré.
M.G.: Marlise Groth.
Mine: Micheline Barré.
Mi. P.: Michel Pélissier.
M.I.P: Maria Isabel Pereira.
M.L.: Marcelle Lettry.
M. Ca: Marie Cassy.
M.L.D: Marie-Louise Donval.
M.L.D.S.: Maria Lucia Dos Santos.
M.M.: Marguerite Merklen.
M.P.: Maurice Pigeon.
M.T.: Mimi Thomas.
MTC: Marie-Thérèse Cordero.
MTLT: Marie Thérèse Le Tallec.
M.Y.J.: Marcel et Yvonne Jarry.
P.C.: Pierre Chaillou.
P.Ca: Pierrette Capdevielle.
P.Co.: Pierre Constant.
P.D.: Pierrick Descottes.
P.G.: Pierre Guérin.
P.L.: Pierre Legot.
P.L.B: Paul Le Bohec.
P.Q.: Paulette Quarante.
P.S.: Peter Steiger.
P.Y.: Pierre Yvin.
R.C.: Robert Chabrol.
R.D.: Raymond Dufour.
R.G.: Renée Goupil.
R.H.: René Hourtic.
R.J.: Raymond Jardin.
R.R.: Renée Raoux.
R.Ri.: Rinaldo Rizzi.
R.U.: Roger Ueberschlag.
T.V.: Thérèse Vigo.
Y.G.: Yvon Gac.
Y.H.: Yvonne Humm.
Y.T.: Youenn Tempereau.
-
Lexique
- AME: Association pour la Modernisation de l'Enseignement.
ASSEDIC:
BCBG: Bon Chic Bon Genre.
BEM: Bibliothèque de l'Ecole Moderne
BENP: Brochure d'Education Nouvelle Populaire.
BETA: Bureau d'Etudes des Techniques Audiovisuelles.
BT: Bibliothèque de Travail.
BTJ \ BT junior.
CA: Conseil d'Administration.
CAP: Certificat d'Aptitude Pédagogique.
CE1: Cours Elémentaire 1ère Année. 7 à
8 ans
CE2: Cours Elémentaire 2ème Année. 9 à
10 ans
CEL: Coopérative de l'Enseignement Laïc.
CEMEA: Centre d'Entraînement aux Méthodes d'Education
Active.
CEP: Certificat d'Etudes Primaires.
CES: Contrat Emploi Solidarité.
CFE: Cours de Fin d'Etudes (Classe). 13 à 14 ans
CM2: Cours Moyen 2ème année. 10 à 11 ans
C.P.: Cours Préparatoire. 6 à 7 ans
CIMES: Concours International du Meilleur Enregistrement
Sonore.
CMT: Création Manuelle et Technique.
EN: Ecole Normale.
FIMEM: Fédération Internationale des Mouvements de
l'Ecole Moderne.
FISE: Fédération Internationale des Syndicats de
l'Enseigenement.
GREM: Groupe Romand de l'Ecole Moderne.
HLM: Habitation à Loyer Modéré.
IA ÷ Inspecteur d'Académie.
ICEM: Institut Coopératif de l'Ecole Moderne.
IDEN: Inspecteur Départemental de l'Education
Nationale.
INRP: Institut National de Recherche Pédagogique.
IP: Inspecteur Primaire.
IUFM: Institut Universitaire de Formation des Maîtres.
MCE: Mouvement de la Coopérative Educative.
MEM: Mouvement de l'Ecole Moderne.
OCCE: Office Central de la Coopération à
l'Ecole.
PC: Parti Communiste.
PCI: Parti Communiste Italien.
PEMF: Publications de l'Ecole Moderne Française.
PEP: Perspectives d'Education Populaire.
SBT: Supplément Bibliothèque de Travail.
SDF: Sans Domicile Fixe.
SNCF: Société Nationale des Chemins de fer
Français.
SNI: Syndicat National des Instituteurs.
TD: Travaux Dirigés.
UNEF: Union Nationale des Edudiants de France.
-
Table des matières
- Avertissement au lecteur 3
Souvenirs 5
Etat des lieux 14
Le déclic 31
Un couple - un mouvement - Une nouvelle approche de
l'éducation et du travail 63
Les Freinet 63
L'université Freinet 85
Autoformation - Coopération- Coformation 109
Pratiques dans nos classes 153
Réactions à la pédagogie Freinet 199
Apport du mouvement au développement des
personnalités 219
Une prise en compte de l'environnement 229
Pour une nouvelle architecture scolaire 229
La santé 241
Une philosophie ouverte 247
Une quête existentielle 247
Un engagement politique 272
Freinet précurseur 295
Comment Freinet entra au ministère 309
Poème 315
Liste alphabétique des participants 319
Lexique 323
En 1945, j'allais être titularisé instituteur,
j'ai rencontré C. Freinet
Par hasard
Par la lecture de quelques brochures.
A cette lecture première, je n'ai rien vu,
rien compris,
de l'idéal socialiste,
de la culture populaire,
de l'idéal politique,
de la tradition paysanne
qui sous-tendaient le discours pédagogique,
l'oeuvre entreprise par un homme
dont j'ignorais l'existence
la semaine précédente.
Pourtant, j'ai été «touché».
Intuitivement convaincu,
déjà et pour longtemps,
de l'humanisme
de cette attitude de Freinet
devant la vie.
Je n'ai rien décidé.
J'ai commencé d'installer ma profession
dans ma vie avec ma profession.
Je m'en suis trouvé heureux.
au cours d'un demi-siècle.
Quand je pense à Freinet,
je le vois ou le ressens
en dehors de moi-même.
Je n'en fais pas un modèle à imiter.
Mais je le remercie tous les jours
de m'avoir conduit à penser.
Comme cela.
Anonyme