- Une campagne de persuasion
individuelle
- Célestin Freinet, un
éducateur pour notre temps
- Michel Barré
-
- Constitution d'un réseau
éducatif
- (1926-1927)
-
- Une campagne de persuasion individuelle
-
- Il serait illusoire de penser que des articles de presse
suffisent à provoquer la naissance d'un mouvement. Ils sont
indispensables pour informer largement et surtout pour indiquer
comment les personnes sensibilisées pourront prendre des
contacts afin d'aller plus loin. Mais les retombées
médiatiques sont éphémères. Freinet ne
s'illusionne pas sur l'effet durable des articles publiés,
il réagit longuement au courrier qu'il reçoit.
- La seule lettre qui nous soit parvenue de cette période
a été reçue par Paul Boissel, instituteur en
Ardèche, et communiquée par son fils, devenu
également militant du mouvement. Avec ses trois pages
manuscrites, elle est suffisamment significative pour
mériter d'être reproduite presque
intégralement.
-
- L'imprimerie à l'école Le 26/6/26
- C. Freinet
- Bar-sur-Loup (Alpes-Maritimes)
- Mon cher Camarade,
- J'ai reçu le papier que vous m'avez retourné
ainsi que votre lettre. Je suis heureux d'être entré
en relations avec quelqu'un qui cherche aussi hardiment la voie
pour une meilleure école. Même si vous n'achetez pas
la presse, je serai toujours heureux de correspondre avec vous et
de vous soumettre mon travail pour une juste critique.
- Je n'ai pas terminé la lecture de votre étude
sur les "classes-promenades" (il s'agit d'un long article
publié en mai 1925 dans L'Emancipation, le bulletin
syndical départemental ardéchois). Elle
m'intéresse naturellement beaucoup. J'ai moi-même une
classe absolument identique à celle de votre femme : sect.
enf., CP, CE. Comme j'ai des petits de 5 ans, j'ai renoncé
à faire de longues promenades, mais nous partons souvent
à la recherche de documents aux environs de l'école.
Et au retour, il est passionnant d'écrire puis d'imprimer
ce qu'on a appris.
- L'imprimerie me semble être le complément
nécessaire des classes-promenades, soit qu'on fasse un
compte rendu rapide d'une observation comme la fenaison, la
moisson, soit même qu'on fasse un ensemble de travaux
imprimés (en 5 ou 6 fois), constituant un vrai petit livre
illustré ayant comme centre d'intérêt le
centre d'intérêt même de la promenade. (suivent
quelques considérations techniques sur l'imprimerie).
- L'échange est tout aussi précieux. Celui que
nous avons réalisé cette année est tout
à fait rudimentaire. Mais pensez à ce qu'on pourrait
réaliser à peu de frais si nous étions
quelques dizaines à travailler ainsi en collaboration. Nous
sommes en bonne voie, il est vrai. En octobre, 5 écoles au
moins (peut-être 7 ou 8) travailleront avec l'imprimerie. Si
vous voulez être des nôtres, ce sera avec joie. Vous
ne le regretterez pas non plus. (...)
- Voilà mon programme : le matin (8-8h20) lecture par 2
ou 3 élèves pris dans un livre de
bibliothèque et préparé (pendant ce temps les
autres élèves dessinent). Puis choix du texte
à composer (composition commune ou rédaction
d'élève), distribution aux composteurs. Pendant
qu'on compose, la classe continue comme si rien n'était :
lecture par tous (même les gosses de 5 ans 1/2),
écriture de même, devoir de grammaire s'y rapportant
ou exercices individuels de calcul. Ordinairement, à la
récréation de 9h40, le texte est sorti. Pendant la
récréation, des élèves impriment les
imprimés pour l'échange. En rentrant, lecture des
imprimés, puis vocabulaire ou grammaire d'après le
texte ou calcul. Le soir, on va parfois faire une petite
promenade. En rentrant on imprime ou bien on fait le travail
ordinaire en se basant sur les imprimés (les nôtres
ou ceux de l'échange. Bref cela ne change guère
l'allure de la classe. Mais il y a beaucoup plus de vie.
Voilà en raccourci ce que je fais. (...)
- Si votre femme se décidait à acheter la presse,
je me ferais un plaisir de lui donner de plus amples explications,
non pas pour qu'elle suive ma trace, mais afin que, partant pour
ainsi dire du point où je suis parvenu, elle nous aide
à développer notre expérience. (il ajoute
qu'une seule presse pourrait, avec deux jeux de caractères,
servir pour deux classes, si elles sont dans le même
bâtiment).
- Mais je vous sais convaincu. C'est à vous bien entendu
de décider. Je serai toujours heureux d'avoir de temps en
temps quelques mots de vous et je vous tiendrai au courant de mon
travail en attendant le jour où il vous sera possible de
nous aider. Bien amicalement à vous.
- C. Freinet
- Le couple Boissel ne viendra se joindre que quelques
années plus tard au groupe des imprimeurs, mais il est
désormais sensibilisé par l'expérience de
Freinet. Les efforts de communication sont un investissement
à long terme.
-
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