- L'affaire de Saint-Paul
(1932-1933)
- Célestin Freinet, un
éducateur pour notre temps
- Michel Barré
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- Dans l'impossibilité actuelle de recourir aux
dossiers administratifs qui seuls permettraient de répondre
à certaines questions, mais grâce aux nombreux
documents publiés dans la presse de l'époque et
notamment dans L'Educateur Prolétarien, nous allons nous
efforcer de retrouver tous les fils conducteurs de cette
année scolaire particulièrement mouvementée.
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- L'orage qui éclate sur Freinet cette
année-là n'est pas fortuit, il résulte du
contraste grandissant entre des tensions locales accumulées
et l'affirmation nationale et internationale, chaque jour
grandissante, de la pédagogie et du militantisme du
mouvement de l'Imprimerie à l'Ecole et de sa
coopérative, la CEL.
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- Un terrain localement miné
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- Il est frappant de constater que Freinet, tellement
enclin au dialogue au sein de son mouvement, se montre parfois
vindicatif, voire agressif, dans le cadre de son
département. A tel point que ses meilleurs amis
syndicalistes, pourtant peu suspects de mollesse, doivent le
rappeler à plusieurs reprises à une plus juste
appréciation du rapport de force.
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- L'année 30-31 a vu s'accumuler les plus
sérieuses tensions. Certes, il est compréhensible
qu'après deux années passées à
Saint-Paul, Freinet ait alors épuisé son capital de
patience et de diplomatie. Il semble vivre de plus en plus mal le
constat proverbial : "Nul n'est prophète en son pays". Il
réagit vivement au moindre problème local.
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- Un exemple parmi d'autres : il apprend qu'une mère
à qui il reprochait la mauvaise fréquentation de son
fils, est allée l'inscrire au village voisin, au cours du
mois d'octobre 30. Son collègue, qu'il a interrogé
par courrier, précise qu'il avait d'abord refusé
l'inscription et que la mère est revenue avec une
autorisation de l'inspecteur. Freinet, bien qu'ayant
lui-même accepté des enfants non domiciliés
à St-Paul (ce que son collègue ne manque pas de lui
rappeler), estime son autorité bafouée par une telle
décision. Il se renseigne, auprès du service
juridique d'une revue pédagogique, sur la
légalité de l'autorisation donnée par
l'inspecteur, ce qui lui est confirmé.
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- Rapports tendus avec la municipalité
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- La plupart des écoliers étant fils de
métayers, généralement immigrés
italiens, la municipalité bourgeoise n'est pas
disposée à faire un effort financier en faveur de
l'école publique. Freinet, comme c'est son rôle,
multiplie les réclamations. En novembre 30, une lettre
à l'adjoint donne le ton des rapports. Après avoir
rappelé qu'il assure lui-même le balayage de sa
classe, scie et refend le bois de chauffage, prête ses
récipients pour aller chercher à la fontaine
publique l'eau nécessaire à l'hygiène, il
demande à la municipalité de remplir ses obligations
puisque vous avez osé m'accuser de "me moquer de
l'intérêt de l'école". En juillet 31,
à la veille des vacances, il intervient auprès du
maire et du conseiller général pour rappeler les
réparations et le blanchiment nécessaires de sa
classe. Avant la rentrée, comme rien n'a été
fait, il saisit son inspecteur et ajoute : "Puis-je refuser de
faire classe tant que ce nettoyage essentiel ne sera pas
effectué? Et cela sans risquer des ennuis administratifs? "
Bien entendu, l'inspecteur refuse une telle
éventualité et annonce une démarche de
l'administration auprès du maire. Malgré de
nombreuses interventions directes et des réclamations
auprès de l'inspecteur, rien ne bouge. Le maire semble
bloquer à plaisir la situation, par exemple en
empêchant le fonctionnement de la Caisse des Ecoles qui
permet généralement de financer partiellement les
dépenses en fournitures ou en matériel scolaire.
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- Relations explosives avec l'administration
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- Lorsqu'il s'est agi en 1930 de créer une
deuxième classe de garçons, les solutions
proposées par la municipalité n'ont pas satisfait
l'administration qui fait pression pour l'ouverture d'un dossier
de construction nouvelle. Prenant argument de la situation,
l'inspecteur d'académie n'a accordé qu'une ouverture
provisoire de poste. Cette opposition conjointe au maire de
Saint-Paul n'améliore pourtant pas les rapports de Freinet
avec l'administration, bien au contraire.
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- Elise Freinet, sans poste depuis son refus de nomination
à Vence en 28, espérait être nommée
auprès de son mari. Or elle l'est à l'école
de filles à 400 m de là. Puisqu'un jeune
intérimaire est désigné à titre
temporaire chez les garçons, elle multiplie les
réclamations pour prendre sa place. L'administration
accorde parfois aux ménages d'instituteurs ce type de
rapprochement qui n'est pourtant pas un droit. Les conseils
juridiques consultés par Freinet le confirment : à
l'époque, une institutrice ne peut être nommée
qu'exceptionnellement dans une école de garçons. Le
couple s'entête à vouloir obtenir réparation
de ce qu'il considère comme une brimade. En janvier 31,
l'inspecteur d'académie renvoie une lettre d'Elise Freinet
en précisant qu'il "n'examine les réclamations que
si les termes en sont absolument corrects." Aux élections
au conseil départemental, en février, le Syndicat de
l'Enseignement Laïque (Ecole Emancipée), minoritaire,
prend prétexte de cette "brimade" pour opposer
symboliquement la candidature d'Elise Freinet à
l'institutrice désignée par le Syndicat National. Le
22 mai, une lettre d'Elise (en fait rédigée par
Freinet) est envoyée au ministre, sur le même sujet.
Comme elle mettait en avant un jeune enfant (en effet, depuis le 8
aoét 29, les Freinet sont parents d'une fillette,
Madeleine, dite Baloulette) et un mari mutilé de
guerre à 70%, ses amis syndicalistes conseillent de ne pas
insister sur ces arguments : il est interdit de s'occuper de cet
enfant pendant les heures de classe; quant au mari, en
activité, il ne nécessite aucune assistance.
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- Se superpose un autre problème. Comme la
municipalité de Saint-Paul doit reloger son bureau de
poste, elle envisage de récupérer pour cela les
logements de fonction d'institutrices, inoccupés du fait
que les deux enseignantes actuelles sont logées avec leur
mari. Le 20 avril 31, Freinet écrit à l'inspecteur
d'académie pour s'indigner qu'on veuille toucher aux
logements d'enseignants. Sans doute parce qu'il n'a pas
reçu de réponse, le couple s'adresse directement au
préfet qui s'étonne que la voie hiérachique
n'ait pas été respectée. Ils répondent
tous deux que c'est à titre de simples citoyens de la
commune qu'ils avaient réagi et non en tant qu'enseignants.
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- Pour clore cette année scolaire, le 11 juillet 31,
Freinet, conformément à une consigne syndicale
apparemment peu appliquée, refuse de transmettre à
son adjoint un rapport d'inspection non cacheté,
adressé par son intermédiaire de directeur, et il en
fait retour à l'inspecteur. En aoét, un responsable
syndical avertit qu'il a appris par une indiscrétion que,
pour ces faits, Freinet pourrait être menacé de
déplacement d'office. Les amis syndicalistes qui sont loin
d'être des tièdes, préfèrent calmer le
jeu et éviter l'affrontement. Finalement, la menace est
écartée. Mais, à n'en pas douter, il subsiste
un contentieux qu'on ne tardera pas à retrouver.
-
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