- Dans le collimateur de
l'extrême-droite
- Célestin Freinet, un
éducateur pour notre temps
- Michel Barré
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- Les faits évoqués précédemment
limiteraient à la querelle locale un conflit
éventuel. Mais plusieurs événements ont
attiré l'attention, au plan national et international, sur
l'influence grandissante de Freinet et de son mouvement.
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- Le "congrès" de Saint-Paul
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- En août 32, se tient à Nice le 6e congrès
de la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle. Freinet en
profite pour inviter les congressistes à visiter à
Saint-Paul une exposition des travaux de son mouvement dans le
petit local de la CEL, puis à voir sa classe.
D'après lui, une centaine de participants, de diverses
nationalités, s'y rendent et cela ne manque pas de faire
quelque bruit dans le village. Cette forme de consécration
a de quoi irriter ceux qui n'aiment pas l'instituteur. Par contre,
les visiteurs qui ont vu dans quelles conditions misérables
sont obtenus les résultats dont il témoigne, se
prendront plus facilement sa défense.
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- L'autre objectif de Freinet était d'infléchir la
tendance socialement toujours trop neutre du congrès. Mais
la motion qu'il dépose sur les relations entre
l'éducation et le contexte social, en cette période
de crise, ne sera pas mise au voix, ni même
évoquée dans son discours de clôture par le
président Paul Langevin, pourtant sympathisant de la
gauche.
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- Le film Prix et profits
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- Curieusement, celui-ci ne figurait plus dans la mémoire
du mouvement jusqu'au jour de 1985 où un spécialiste
de Jacques Prévert s'enquit d'un film produit par la CEL au
cours des années 30 et dans lequel aurait figuré
notre poète. Seule indication : cela parlait de pommes de
terre. Après recherche, je finis par découvrir un
long article de Boyau, responsable du secteur Cinéma,
annonçant, dans L'Educateur Prolétarien (n°1
d'octobre 32), la sortie d'un film d'Yves Allégret,
financé par la CEL, sous le titre Prix et Profits . Ces
éléments permirent ensuite à Henri Portier,
animateur du secteur Cinéma de l'ICEM, de mieux nous
informer sur les divers protagonistes, puis de retrouver le film
aux archives du cinéma à Bois d'Arcy où
quelques privilégiés purent le visionner.
-
- Dans son article, Boyau indique que le film s'est
réalisé gräce surtout à l'initiative de nos
camarades Collinet et Allégret qui ont mis à notre
disposition, le premier ses projets et le second ses
réalisations et son travail
désintéressé. Qui est Michel Collinet? Un
jeune professeur agrégé de mathématiques,
syndicaliste de tendance trotskyste, qui écrit dans
Clarté sous le pseudonyme de Paul Sizoff, membre du
groupe surréaliste d'André Breton dont il a
épousé l'ancienne femme, Simone Kahn. Aux
réunions de ce groupe, il avait rencontré Yves
Allégret, les frères Prévert et Marcel
Duhamel. C'est lui qui a servi d'intermédiaire entre la CEL
et les protagonistes du film.
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- Yves Allégret, alors ägé de 24 ans, n'est pas
encore le réalisateur connu de Dédée
d'Anvers et de Manèges (tournés après
la guerre avec sa femme Simone Signoret). Il a été
jusqu'alors l'assistant de Cavalcanti, de Renoir et de son
frère aîné Marc. Pour la première fois,
il réalise seul un court métrage (550 m, 20 minutes)
dont il est aussi le co-scénariste et le monteur.
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- L'histoire est simple. On suit le cheminement d'une
récolte de pommes de terre, dont le paysan ne retire pas
suffisamment pour payer les achats indispensables à sa
famille. Le grossiste qui avait fait état de la
mévente, s'empresse de doubler le prix pour revendre au
mandataire des halles. Au bout de la chaîne des
intermédiaires, une femme d'ouvrier achète chez
l'épicier les pommes de terre du repas (le prix en a
augmenté à chaque étape) et elle doit
renoncer aux autres dépenses nécessaires du
ménage. Une évidence jaillit : "Il faut supprimer
tous ces intermédiaires parasites". Le travailleur des
champs et celui de l'usine se rejoignent et leur poignée de
main scelle l'union de tous ceux qui enfantent la richesse du
monde.
-
- Boyau précise que c'est un film de pauvres ; pas
d'acteurs professionnels, pas de vedettes. Quand on ne peut
se payer des acteurs, on fait appel aux copains qui, en
l'occurence, s'appellent Jacques Prévert (il joue le commis
du mandataire), son frère Pierre (le
commis-épicier), Marcel Duhamel, futur animateur de la
Série noire de romans policiers (l'ouvrier, dont la
femme est jouée par Isabelle Kloukowski et la fillette par
Lily Masson, fille du peintre surréaliste). Ajoutons que
ces "amateurs" constitueront peu après le groupe Octobre
qui ira jouer aux portes des usines de la région
parisienne. Pour compléter ce générique peu
banal, disons que l'opérateur est Eli Lotar à qui
l'on doit, l'année suivante, les images de Terre sans pain
(Las Hurdes) de Luis Bunuel. Il sera, après la
guerre, le réalisateur du court-métrage
Aubervilliers, avec un commentaire de Prévert.
-
- Du fait de son orientation politique, Prix et Profits ne
passe pas inaperçu à droite où il suscite des
réactions de Lucien Rebatet (qui signe François
Vineuil) dans L'Action Française et de Clément
Vautel (sous le pseudonyme de Prosper) dans L'Echo de Paris.
Le fait que la CEL soit producteur du film est pour certains une
raison supplémentaire de haïr l'instituteur qui
l'anime.
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- Malheureusement pour la coopérative, le film sera un
échec financier, les instituteurs ayant
hésité à en acheter des versions 9,5 mm pour
Pathé-Baby. Il faut dire que le prix était de 720 F
et n'aurait pu s'abaisser à 320 F que si l'on avait atteint
100 souscriptions. En revanche, Prix et Profits sera
projeté, dans la région parisienne, au cours des
spectacles militants de la bande à Prévert qui joue
également sur scène la burlesque Bataille de
Fontenoy.
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- La création de L'Educateur Prolétarien
-
- Comme pour le journal scolaire, Freinet a utilisé un
obstacle comme tremplin. En 1932, l'administration postale refuse
d'accorder désormais le tarif Périodiques au
bulletin L'Imprimerie à l'Ecole , prétextant qu'il
n'est qu'un catalogue commercial de la Coopérative. Cela
semble aberrant, compte tenu des nombreux débats qui s'y
déroulent et des informations diverses qui y sont
données. Mais comment faire comprendre à des
bureaucrates que des enseignants à la recherche d'une autre
pédagogie ont besoin de discuter des outils qui leur sont
nécessaires, de les élaborer collectivement, de les
produire, puis de les diffuser ? La part strictement commerciale
est relativement réduite dans le bulletin, il
n'empêche que l'on parle sans cesse des éditions
(revues et fichiers), des films, des postes de radio, etc.
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- Faute de pouvoir faire admettre ses raisons par les PTT,
Freinet amène le CA de la CEL à créer une
nouvelle revue dont il rêvait depuis quelque temps et qui
sera baptisée L'Educateur Prolétarien. Pour donner
le change à l'administration, c'est son beau-frère
Fernand Lagier-Bruno qui est nommé gérant et qui
déclare la nouvelle revue dans les Hautes-Alpes. Cela
n'empêchera pas l'administration de créer des
difficultés identiques, quelques mois plus tard. Mais la
revue continuera malgré tout son chemin.
-
- On se doute qu'avec un pareil titre, la revue attire davantage
l'attention que lorsqu'elle s'appelait L'Imprimerie à
l'Ecole. Pour ceux qui en auraient douté, le mouvement
affirme son ancrage à l'extrême-gauche et cela suffit
à justifier la hargne de ceux qui jusqu'alors l'ignoraient
avec dédain.
-
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