- Les débats pédagogiques
continuent
- Célestin Freinet, un
éducateur pour notre temps
- Michel Barré
-
- Il ne faudrait pas croire que l'importance des
problèmes idéologiques rejettent à
l'arrière-plan les problèmes strictement
pédagogiques. Ces derniers gardent une large place dans le
bulletin mais, après la phase d'innovation intensive des
années précédentes, il s'agit plutôt de
la consolidation et de l'élargissement des acquis.
-
- En deçà et au-delà de
l'école primaire
-
- L'expression libre, l'imprimerie, la correspondance semblent
avoir conquis leur place définitive et font rarement
l'objet d'articles pour l'école primaire. Par contre, on
parle souvent de leur introduction dans les classes enfantines et
maternelles. Ainsi, en 33-34, Lina Darche (Isère), J. Mawet
(Belgique), J. Lagier-Bruno (Hautes-Alpes), J. Saint-Martin
(Lot-et-Garonne) et G. Fradet (Yonne) se relaient pour
décrire ce qui est possible avec des petits (EP 1, p.25; 2,
74 et 79; 6, p.314; 7, p.374; 8, p.430; 9, p.486). En octobre 34,
dans son compte rendu du congrès des écoles
maternelles de Dijon, G. Fradet critique : Les institutrices
viennent chercher des idées, ce qu'on leur propose (au
stand CEL) c'est que les enfants expriment leurs
idées (EP 2, p.32).
-
- Autre secteur à convaincre : le second degré.
Freinet amorce la question en affirmant que les Cours
Complémentaires (CC) et les Ecoles Primaires
Supérieures (EPS) peuvent adopter avec succès la
nouvelle technique de travail : expression libre par l'imprimerie,
le journal et l'échange, relève des manuels par un
fichier documentaire et une bibliothèque de travail,
remplacement des cahiers de cours par des dossiers à
reliure mobile (EP 4, janv.34, p.180). Après qu'un
collègue d'EPS ait exprimé les difficultés
rencontrées (EP 6, p.300), G. Sore raconte comment il a
fait évoluer la pédagogie de son CC à
Bordeaux (EP 9, p.474). L'année suivante, il est
invité à donner à ce sujet, sur l'antenne de
Radio Bordeaux-Lafayette, une conférence reproduite dans le
bulletin (EP 8, janv.35, p.175).
-
- Réaliser pratiquement l'école sur mesure
-
- Cette expression empruntée à Claparède
amène Freinet à rappeler les apports de Decroly et
Mme Montessori. Il insiste sur deux éléments
supplémentaires : l'expression libre et le fait
qu'éducateurs et élèves doivent collaborer au
même but, sans aucune hiérarchie ni aucune brutale
sujétion. A un militant qui insistait sur les tendances
individuelles, il précise : Individu ou groupe ? Nous nous
refusons à voir sous cet angle un peu simpliste et partial
le problème éducatif. Nous sommes, en marxistes,
persuadés de l'importance déterminante de
l'économique et du social sur les individus et, dans toute
éducation, nous tâchons d'améliorer d'abord le
milieu scolaire qui déterminera les modifications
individuelles. Dans notre esprit, ce souci essentiel ne saurait
nullement s'opposer à l'épanouissement individuel.
(...) Dès qu'un milieu normal est créé -que
ce soitnotre embryon de société scolaire ou la vaste
expérience post-révolutionnaire - les besoins
individuels et les besoins sociaux tendent à se confondre ;
l'épanouissement individuel et l'épanouissement
social sont fonction réciproquement l'un de l'autre et
apparaît alors comme normal le dévouement sans limite
de l'homme à la société dont il est à
la fois élément et aboutissant. (EP 7, janv.35,
p.150) Mais pour progresser dans cette voie, il faut repenser tous
les apprentissages.
-
- Le calcul et les sciences
-
- De nombreux articles sont consacrés au calcul. Dans
trois n° consécutifs (EP 5, p;245; 6, p.310; 7,
p.369), J. Mawet (Belgique), influencé par l'apport de
Decroly, dont l'école est géographiquement proche de
la sienne, propose de relier au maximum les apprentissages
mathématiques avec la vie des enfants : jardinage,
élevage, mensurations des enfants, moyennes des
températures, gestion de la coopérative,
pesée et timbrage des envois aux correspondants,
prévision d'achats pour les travaux manuels, excursions
scolaires, soupe de la cantine, etc. R. Lallemand (Ardennes)
appuie cet effort de motivation et utilise la gestion des
fournitures payantes ou gratuites pour habituer les enfants
à manipuler des marchandises, de l'argent, à
envisager un budget de dépenses (EP 6, p.308). J. Roger
(Nord) explique, entre autres choses, comment il a utilisé
l'engouement de ses élèves pour la course cycliste
Paris-Nice, en étudiant aussi bien les parcours, les
horaires, les vitesses, les moyennes que les
caractéristiques mécaniques ou le prix des
bicyclettes (EP 8, p.428).
-
- Sous le titre de Plan-table d'école active pour
l'enseignement du calcul, Houssin (Manche) publie dans plusieurs
bulletins (EP 5, p.251; 6, p.310; 7, p.369; 10, p.540) le contenu
très divers d'un atelier permettant aux enfants de
dénombrer, mesurer, peser, appréhender les formes
géométriques, les surfaces, les volumes, les
contenances, les densités, le temps, les monnaies, les
fractions.
-
- On poursuit bien entendu les recherches sur les fiches de
problèmes. Cazanave (Loire) préconise des
fiches-mères analysant des difficultés
précises (par ex. retrouver le montant d'un objet à
partir du prix total), des fiches d'exercices oraux habituant
à effectuer mentalement ce type de calcul, des fiches
documentaires chiffrées offrant des données diverses
pour inventer des énoncés, des
problèmes-types et diverses applications (EP 2, nov.33,
p.66). Freinet insiste pour qu'on ne travaille pas seulement pour
les grands préparant le certificat, mais dès le
cours élémentaire en respectant les centres
d'intérêt des enfants d'après leurs livres de
vie (EP 7, p.366). Lallemand qui a étudié les
brochures américaines de Washburne pour l'enseignement
individualisé, estime qu'on peut s'en inspirer pour une
série purement technique de résolution
d'opérations, complétée de séries
reliées aux centres d'intérêt des enfants et
d'une autre préparant aux examens (EP 9, p.476).
-
- Pour l'enseignement scientifique, on retrouve le même
souci de faire expérimenter les enfants. Bertoix et Martin
(Allier) soumettent à la discussion une liste du
matériel de base (EP 4, janv.34, p.186). Le but est de
diffuser ce matériel par la CEL. En comparaison du
compendium scientifique habituel en primaire, notons la
présence affirmée du matériel
d'électricité, à une époque où
les campagnes sont loin d'être toutes
électrifiées. Pour cette raison, l'accu de 4 volts
est cité en premier. Le mois suivant (EP 5, p.247), Bertoix
complète la liste pour la chimie et publie les plans d'une
lunette astronomique réalisable pour 25F. Puis (EP 6,
p.306), Vovelle (Eure-et-Loir) propose une simplification de la
première liste mais, en revanche, souhaite élargir
à des collections d'échantillons minéraux
fournis par des collègues de diverses régions. Dans
le même bulletin (p.307), Martin insiste sur l'importance de
l'initiation à l'électricité pour les enfants
d'aujourd'hui. Tout en se défendant de politiser son
propos, il fait une allusion enveloppée au slogan de
Lénine ("le socialisme, c'est les soviets plus
l'électrification"). Il souhaite également une
expérimentation en photo avec un appareil ultra-simple
à plaques, apparemment à inventer. Pour Freinet, la
préoccupation majeure est de concevoir des fiches
d'expérimentation scientifique qui permettront aux enfants
de réaliser eux-mêmes les expériences au lieu
de se contenter de regarder celles exécutées par le
maître ou décrites dans le manuel (EP 7, p.368).
Vovelle (EP 8, p.424 et 9, p.480) amorce la recherche dans cette
voie, tout en montrant que l'exploitation réellement
scientifique de certaines expériences de physique
"amusante" est parfois plus complexe qu'il n'y paraît.
-
- L'histoire
-
- La CEL publie en octobre 33 une Chronologie mobile d'Histoire
de France, travail coordonné par Gauthier (Loiret).
Il s'agit d'un petit classeur avec des feuilles perforées
(13,5 x 21) contenant l'énumération des
années. Certaines dates mentionnent un
événement politique ou culturel, mais l'outil est
conçu pour être complété par les
enfants (faits locaux ou documents trouvés et
étudiés). Bourguignon (Var) demande que l'on
recueille et publie, sous forme de fiches, des documents
directement utilisables par les enfants (EP 3, p.128). Lallemand
propose de compléter les documents reproduits et la
chronologie des faits par des fiches de récit historique
parlant avec simplicité du thème (travail, voyages,
religion) à l'époque mentionnée (EP 9,
p.479). Plus tard, Guillard (Isère) insiste sur la
représentation graphique du temps pour donner aux enfants
la notion de durée que risque de comprimer ou de dilater la
rareté des événements ou leur abondance,
selon les époques (EP 7, janv.35, p.155).
-
- Dessin et peinture
-
- Curieusement, la signature d'Elise Lagier-Bruno
n'apparaît pas dans cette rubrique à cette
période. Nous verrons qu'elle se consacre alors en
priorité aux problèmes de santé et
d'alimentation. Par contre, Lina Darche (Isère) parle de sa
pratique avec des petits et de l'exposition de travaux libres qui
a terminé l'année scolaire (EP 1, oct.33, p.24).
Dans le même n° (p.53), Lallemand aborde, pour la
première fois, le problème des couleurs à bon
marché permettant d'entreprendre de grands dessins. Il
s'agit des poudres vendues par les droguistes et diluées
avec de la colle à papier peint. Pour donner le brillant
aux dessins réalisés, on remplace le vernis, trop
coéteux, par une solution d'alun ou de formol. Le mois
suivant (EP 2, p. 112), la CEL annonce qu'elle sera bientôt
en mesure de livrer ces couleurs. Un conseil précise qu'il
faut ajouter un antiseptique (borax) à la colle Rémy
putrescible.
-
- Freinet consacre 7 pages à ce qu'il appelle : Notre
technique nouvelle de dessin à l'école
primaire (EP 5, p.235). Il renouvelle les critiques qu'il
portait naguère à l'enseignement du français
en montrant les limites des exercices de dessin. Il conclut : Par
nos techniques, entretenez d'abord la vie, le besoin
d'activité et de création. Organisez ensuite le
milieu : réservez la possibilité pour les enfants de
dessiner librement ; préparez-leur le matériel :
papier, couleurs, crayons, etc. Offrez ensuite de bons
modèles artistiques que chacun verra sous l'angle qui lui
plaira. Et puis, laissez les enfants se saisir du monde qui les
environne : ceux qui ont une personnalité forte,
prédisposée pour cet art, ne seront du moins ni
découragés ni déformés ; ils prendront
autour d'eux, avec une puissance et une séreté qui
vous étonnera, le suc dont ils feront leur miel. Quant aux
autres, ils auront du moins la satisfaction de s'exprimer dans la
joie en réalisant des oeuvres significatives qui les
passionneront et les viriliseront. Connaissant la
volonté d'éducation mixte de Freinet, on sourit
à cette virilisation de l'enfance des deux sexes; le
dynamisme, l'énergie sont-ils donc indissociables de la
virilité ?
-
- Un an plus tard, en mars 35, Freinet fait le compte rendu de
Didactique du dessin de Richard Berger, dont la CEL a
publié une brochure sur la gravure sur lino. Par
delà ses réticences sur l'interventionnisme
exagéré de l'auteur en matière
d'apprentissage du dessin, il conseille l'ouvrage qui donne de
nombreux conseils pratiques sur les techniques et matériels
utilisés.
-
- Musique et disques
-
- Le pipeau de bambou fait des adeptes. D'abord grâce
à l'analyse du livre de Lina Roth : Tous musiciens
(Nathan) (EP 6, p.347), puis par le compte rendu de Rossat-Mignod
(Savoie) d'une conférence d'Henriette Goldenbaum au
congrès de la Nouvelle Education en mars 34 (EP 8, p 420).
Celle qui sera pendant un demi-siècle la spécialiste
du sujet a convaincu l'instituteur des vertus éducatives et
musicales du pipeau fabriqué par les enfants. Lallemand
(décidemment, cet homme est universel!) se passionne
surtout pour les instruments à percussion,
réalisés par les enfants en s'inspirant du livre de
Satis Coleman : Creative Music for Children (EP 9, p.
483). Un peu plus loin, Freinet signale, p.519, les fascicules de
l'Anthologie du chant scolaire et précise : Edition
excessivement intéressante, qui le sera davantage encore le
jour où elle sera doublée d'une édition bon
marché sur disques. Nous allons voir la CEL se
préoccuper de ce problème. En décembre 34 (EP
5, p.121), Freinet signale un livre sur l'orchestre enfantin mais
donne la préférence aux instruments fabriqués
par les enfants. Il indique également un recueil de
saynètes musicales et comédies enfantines, Aux feux
de la rampe de L. Vasseur mais regrette : Ce n'est pas
encore là l'oeuvre populaire que nous attendons, celle qui,
délaissan enfin la tradition bourgeoise, saura puiser dans
la vie enfantine prolétarienne les éléments
émouvants et éducatifs d'une portée sociale.
-
- Côté enregistrements, après deux
années de recherches, Y. et A. Pagès publient une
liste de disques récents, particulièrement utiles
dans une classe primaire. Trois rubriques : enseignement du chant,
diction et littérature, histoire-géographie avec des
chants populaires de plusieurs régions, des textes
historiques lus par des comédiens, des chants
révolutionnaires et, plus curieusement, des musiques
militaires (EP 2, nov.33, p.94). Comme il est impossible aux
classes d'acheter tous ces disques, une discothèque de
prêt a été organisée mais les
coéts de transport s'avèrent beaucoup plus lourds
que les modestes frais de location. Freinet (EP 6, p.328) propose
la réorganisation de la discothèque sur des bases
vraiment circulantes. Pour cela, il propose une
décentralisation départementale ou
interdépartementale de la location coopérative des
disques. Il insiste sur la nécessité d'accompagner
ceux-ci de fiches explicatives contenant des indications
pédagogiques, voire de partitions musicales. Dans le
même n°, Pagès annonce que le nouveau
phonographe portatif CEL est disponible au prix de 350 F. Comme on
pouvait s'y attendre, la première filiale
départementale s'ouvre dans les
Pyrénées-Orientales, où exercent les
Pagès qui publient, avec quelques lignes de commentaire
plutôt indulgent, le catalogue des disques Scholaphone
édités par la Ligue française de
l'Enseignement. Après des essais décevants
d'enregistrement, Pagès propose de décider en
congrès si la CEL va éditer des disques
enregistrés professionnellement (EP 9, p.496). La
réponse ne tarde pas : en octobre 34, on propose une
souscription pour 3 disques CEL au prix total de 50 F (EP 1,
p.17). Ce sera le début d'une longue série.
-
- Radio et cinéma
-
- Fragnaud (Charente-Inf.) donne des conseils sur l'installation
d'une antenne efficace (EP 2, nov.33, p.90). Gleize (Gironde)
indique comment améliorer la réception par la prise
de terre, le survolteur-dévolteur et les filtres
anti-parasites. M. Lallemand a la pénible impression,
devant la disparition des émissions de radiophonie
scolaire, que la France délaisse la question (EP 6, p.326).
Une réponse du ministre des PTT signale que seuls les
postes installés à demeure dans les salles de cours
sont exemptés de taxe (EP 7, p.381). En fin d'année
scolaire, Gleize trace un bilan positif pour le matériel
impeccable, fourni à des prix imbattables (EP 9, p.494).
Malgré cette réussite, confirmée un an plus
tard (EP 19, juin 35, p.443), l'absence de programmes
éducatifs provoque la disparition de la rubrique.
-
- Un article non signé (EP 2, oct. 33, p.87)
dénonce les dangers du cinéma. Il critique surtout
les menaces de propagande, aggravées depuis l'apparition du
"parlant", et le risque de disparition des diversités. Dans
le n° suivant (3, p.142), Boyau fait le point sur les formats
de films utilisables à l'école. Le 9,5 reste le
moins cher et le meilleur, face au 8 mm, trop petit, au 16, encore
trop coéteux, et au 17,5, appelé Pathé rural,
dont le seul avantage est d'exister aussi en "parlant". Par la
suite, à cause des ennuis rencontrés dans son
village par l'animateur de la rubrique, la signature de Boyau
disparaît un certain temps, mais Freinet prend le relais.
-
- Dans le n°6 (p.323), il analyse les rapports
préparatoires du congrès international du
cinéma d'éducation et d'enseignement qui se tiendra
à Rome en avril 34 et donne ses réactions : Le
problème du film ne se sépare pas de celui du livre.
Il le complète et le déborde en même temps.
(...) Les films doivent répondre à nos besoin comme
essaient de le faire nos brochures de la Bibliothèque de
Travail, mais avec une puissance décuplée certes :
apporter des documents vivants au rythme normal de la vie pour
satisfaire les besoins éducatifs tels qu'ils sont
révélés par les pratiques nouvelles du
travail libre. Il regrette qu'aucun rapport n'effleure une
question : l'usage scolaire de la caméra prise de vues,
enregistrement de la vie même, du travail des enfants pour
constituer les bases d'une cinémathèque scolaire qui
devient précieuse dans le cas d'échanges
organisés entre classes. Nous l'avons noté maintes
fois : de même que les textes d'enfants sont les plus
précieux comme stimulateurs de la vie, les films
tournés par les enfants eux-mêmes ont toujours un
très grand succès. Si leur valeur technique est
très relative, leur portée pédagogique est
immense parce qu'ils sont parmi les plus puissants porteurs de vie
que nous puissions trouver à l'école.
Poursuivant son analyse des rapports concernant le cinéma
sonore (n°7, p.380), Freinet reconnaît : Il suffit
parfois de quelques images prodigieusement expressives et
profondes pour faire saisir globalement des rapports et des
pensées que l'école poursuivait en vain. (...) Nous
croyons aussi qu'un emploi pédagogique intelligent du film
sonore serait susceptible de faire acquérir en 2 ou 3
ans ce que les techniques actuelles ne parviennent pas à
"entonner" en 8 ans. (..) Ne se trouverait-il pas aussitôt
des exploiteurs insatiables capables de réduire de
moitié le temps de scolarité? (...) Sans une
nouvelle conception sociale et humaine de l'éducation, le
cinéma, si perfectionné soit-il, ne sera jamais,
comme nous le voudrions, au service de l'enfant. Comme
Ferrière a assisté personnellement à ce
congrès et a communiqué à Freinet le
résumé des discussions, ce dernier peut en donner
des échos (EP 9, p.493). Après avoir regetté
l'absence du point de vue soviétique, il conclut :
L'impuissance du congrès vient de ce que le
développement du cinéma éducateur est
impossible en régime capitaliste : les uns parlent
idéal, progrès, avenir ; le régime oppose sa
conception exclusive de l'exploitation et du profit. Les
rêves, les projets, les discussions ne sont jamais
interdits. Mais, d'une part, les participants, presque tous
officiels, se sont gardés jalousement d'aborder les
questions épineuses du cinéma éducateur dans
ses rapports avec les nécessités sociales et
politiques. L'impuissance s'avère complète en ce qui
concerne les essais de réalisation pratique internationale
: la circulation libre des films éducatifs, par exemple, et
l'unification des formats réduits.
-
- Le rapport de fin d'année de la
cinémathèque (EP 10, p.552) est assuré par
Boyau qui note le bon fonctionnement des locations et de la mise
en place des filiales dans l'Allier, le Var et les
Pyrénées-Orientales. Il pose le problème de
la reconstitution des collections de films réalisés
par les coopérateurs, regrette la faible diffusion du
premier film fixe édité par la coopérative
sur "le Pin maritime".
-
- L'année suivante (EP 1, oct.34, p.14), le débat
sur les filiales se poursuit avec Maguenot (Jura) qui fait ensuite
le point sur les matériels nouveaux : caméra 9,5
Eumig et projecteur bi-film Filo pour 9,5 et 16mm (EP 3, p.64).
Dans le n° suivant (p. 86), il conseille de filmer comme il
l'a fait des manifestations sportives locales. En
récupérant des séquences dans les
actualités de Pathé-Gazette, il serait possible de
constituer des films de montage sur les sports. L'exemple de
l'Allier (EP 8, p.181) prouve que, pour les groupes nombreux et
dynamiques, la cinémathèque-discothèque
locale est une bonne solution. Toujours à l'affét de
progrès techniques, Freinet s'est informé des
possibilités de sonorisation des films d'amateurs :
Hélas! tout cela n'est pas encore pour nous. Nous notons
cependant l'importance des progrès réalisés
qui nous laissent espérer pour un jour prochain la
possibilité d'utiliser l'enregistrement phonographique
comme nous avons utilisé la prise de vue. (EP 9, p.205).
C'est seulement avec l'apparition des magnétophones non
professionnels au cours des années 50 que cette pratique
entrera dans les classes. Un peu plus tard (EP 11, p.254), c'est
sur la télévision qu'il exprime craintes et espoirs
: Si la télévision est, comme il est à
craindre, employée par des gouvernements capitalistes pour
remplir la tête des ouvriers et des paysans, pour les
empêcher de penser, pour faire dévier leurs
aspirations auxquelles on apporte une satisfaction superficielle,
comment ne serions-nous pas contre télévision, comme
nous sommes contre la radio et le cinéma capitalistes. Il
en serait autrement si ce formidable instrument d'éducation
était aux mains d'organismes à principe non pas
mercantile mais éducatif. Rappelons que nous sommes
alors en 1935 et que les premières émissions
françaises n'apparaîtront qu'après la guerre.
-
- Gymnastique et rythmique
-
- C'est Freinet qui le premier (EP 6, mars 34, p. 349) aborde le
sujet par une critique chaleureuse du livre de L.A. Carré
et L. Adélaïde chez Bourrelier : Gymnastique et danse
rythmiques. Comme de nombreuses écoles ne
possèdent pas de piano, il faut développer
l'édition de disques.
-
- Lallemand enchaîne par un article de 4 pages sur la
gymnastique inspirée de la méthode Hébert et
surtout de MÙller (EP 8, mai 34, p.442). L'année suivante,
Freinet revient sur le thème en commentant le livre de R.
Jeudon sur L'éducation du geste (EP 7, janv.35,
p.168) puis celui du Dr Ledent : Conférences
d'éducation physique et du Dr Bogey sur
L'éducation physique féminine (EP 9, p.215).
Citons sa conclusion qui surprendra certains : L'auteur est
à fond contre les compétitions athlétiques et
son ostracisme s'explique dans notre régime de
mercantilisme effréné. Certaines réserves par
contre pourraient être faites et la question
mériterait d'être à nouveau
étudiée dans une société où le
sport athlétique lui-même ne serait qu'un
épanouissement presque normal de l'individu sain et
puissant.
-
- Naturisme
-
- Enchaînons de l'éducation du corps au naturisme,
bien qu'il ne s'agisse pas d'une discipline scolaire. Après
l'édition par la CEL du livre de Ferrière :
Cultivons l'énergie, qui fait l'éloge de la
méthode hygiéniste de Vrocho, le bulletin inaugure
une rubrique régulière sur les pratiques
d'hygiène, d'alimentation naturelle. Ce sera surtout le
domaine d'Elise Lagier-Bruno (elle ne signera E. Freinet
qu'à partir d'octobre 34). Elle donne des conseils
pratiques et prudents concernant l'hydrothérapie, la
sudation, l'exposition au soleil, le régime alimentaire
avec quelques menus et la recette du pain complet (EP 1, oct.33,
p.14). Elle intitule désormais la rubrique Pour un
naturisme prolétarien (EP 3, p.159), s'interroge :
Qu'est-ce que la maladie? (EP 4, p.219), donne la parole
à Vrocho : Les naturistes empiriques au secours de la
science officielle (EP 5, p.279), La théorie des
globules blancs (EP 6 et 7, p.331 et 385), La pratique
naturiste pour la régénération (EP 10,
p.559), Il n'y a que des malades et non des maladies (EP 3,
nov.34, p.68), La mithridatisation, accoutumance aux
mauvaises habitudes alimentaires (EP 5 et 6, déc.34, p.116
et 138), Les tempéraments qui ne sont pas immuables
et ne peuvent justifier un retour aux erreurs antérieures
(EP 7, p.162). Ferrière intervient également :
Naturisme et instinct (EP 9, juin 34, p.498), Alimentation
et instinct (EP 2, oct.34, p.40), L'éducation de
l'instinct (EP 4, janv.35, p.97).
-
- Freinet n'est pas en reste, notamment à l'occasion de
critiques de livres. Par exemple, parlant des Bâtards
d'Esculape du Dr Paul Moinet, il critique sa
désinvolture à l'égard de Coué et de
l'autosuggestion, son indulgence pour les rebouteux et ne peut le
suivre lorsqu'il préconise la répression contre les
essais non orthodoxes de thérapeutie. Dans Pour
ensoleiller notre vie, le Dr Victor Daubret se
méprend sur l'utilisation de l'autosuggestion et commet
l'erreur de tolérer café et tabac, tout en restant
attaché aux médicaments (EP 1, oct.33, p.50).
Freinet critique une publicité rédactionnelle en
faveur du sucre industriel dans L'Ecole Libératrice,
critique renouvelée un an plus tard lorsque ce bulletin
syndical récidive (EP 6, mars 34, p.343 et EP 9,
fév.35, p.214). Dans le même esprit, il rejette le
Livre de cuisine des petites filles car il s'agit d'une
cuisine essentiellement nocive avec des oeufs, des harengs, du
saumon, des épices, des sucreries (...) tous les
excitants dangereux pour le développement physique,
intellectuel et moral des enfants. Dans le même
n°6 (p.334) et le suivant (p.387), il consacre plusieurs
pages à la pratique des sudations et réactions et
cite le cas de sa fillette de 4 ans et demi. L'année
suivante s'ouvre par un article non signé (mais on y
reconnaît le style de Freinet) sur la poursuite de la
rubrique (EP 1, oct.34, p.18). On signale les tarifs de la maison
Le Paradis des fruits à Marseille. Une souscription
annonce que Freinet prépare un recueil de menus
naturistes. S'agit-il d'une coquille? Probablement, car le
n° suivant reprend la même annonce en mentionnant E.
Freinet comme auteur. C'est elle qui, désormais, tiendra la
rubrique de cuisine végétarienne, essentiellement
fruitarienne. Cela n'empêche pas Freinet de consacrer son
éditorial de 4 pages à Notre naturisme
prolétarien fonction éducative (EP 5, nov.34,
p.97). En réponse à Bourguignon (Var) qui
trouvait la rubrique trop envahissante, il veut montrer que les
problèmes de santé et d'hygiène sont
indissociables de l'éducation. Les militants le comprennent
qui, en majorité, réagissent favorablement aux
articles et aux livres proposés. Pour Freinet, face
à la fatigue, à la nervosité ou à
l'apathie de nombreux enfants, l'efficacité de
l'éducation nécessite une véritable
désintoxication préalable, au propre (abandon des
excitants : sucreries, café, alcool) comme au figuré
(rupture avec la suprématie de l'intellectualité).
Dans le même n° (p.114), Elise pose la question :
Faut-il manger cru ou cuit ? Après avoir fourni
sept arguments contre la cuisson, elle n'en conclut pas moins
qu'elle est indispensable avec les céréales et les
végétaux coriaces, ne serait-ce que transitoirement
pour réhabituer nos organismes
dégénérés à un alimentation
naturelle. Ce qui lui donne l'occasion de donner dans le n°
suivant (6, déc.34, p.137) huit recettes extraites du livre
à paraître dont le titre est devenu Principes
d'alimentation rationnelle. L'appel à souscription est
suivi d'une proposition de colis naturiste au prix de 50 F.
-
- Le tourisme prolétarien est inclus dans la rubrique
avec une information, donnée par Mlle Achard (Bas-Rhin),
sur les Auberges de Jeunesse se terminant par les adresses des
trois mouvements, celui fondé par Marc Sangnier, celui
qu'influence le Syndicat National des Instituteurs, enfin les
Auberges du Monde Nouveau, affiliées au comité
antifasciste Amsterdam-Pleyel (EP 8, janv.35, p.185). Une note de
lecture conseille le livre de J. Loiseau : Camping et voyage
à pied mais critique sa Cuisine de camping qui
ne se soucie pas de la portée naturiste du système
d'alimentation. Freinet signale (p.186) une nouvelle publication
Les Etudes Sexuelles du Prof. Branson.
-
- Elise (EP 9, p.208) s'attaque au problème de la
déminéralisation pour conclure : Il n'y a pas de
syndrome de déminéralisation, il n'y a que des
symptômes d'arthritisation généralisée,
c'est-à-dire d'engorgement par des déchets toxiques.
Vrocho critique (p.210) des cas de zèle
exagéré, certains croyant nécessaire
d'absorber sans distinction la peau et les pépins des
fruits consommés, y compris pour les oranges et les
bananes.
-
- Pour favoriser l'utilisation de produits sains et naturels,
Freinet reprend la proposition de Fromentin (Ardèche) de
constituer un réseau de producteurs sérieux auxquels
pourraient s'adresser les camarades (EP 10, p.233). On publie la
préface par Vrocho du livre qui sortira incessamment, ainsi
que deux critiques, assez négatives, de deux livres
concurrents de cuisine végétarienne (p.235).
-
- Lallemand, qui est décidément universel,
réunit les caractéristiques de l'habitation
naturiste (EP 11, p.257) puis conseille Comment reconquérir
l'instinct d'après le Hatha Yoga (EP 16, p.373 et 17,
p.396).
-
- Des critiques significatives de livres et revues
-
- Comme on l'a vu précédemment, le bulletin
contient de nombreuses critiques de revues et de livres
très divers, reçus en service de presse et
confiés aux militants qui désirent en faire un
compte rendu. Les livres mentionnés peuvent aussi
être prêtés, pour six mois maximum, aux
militants qui en assumeront les frais de port (EP 6, mars 34,
p.352). Dans la pratique, Freinet est le rédacteur le plus
fréquent de cette rubrique et la lecture attentive de ses
critiques précise certains aspects de sa pensée qui
ne s'expriment pas toujours ainsi dans ses autres écrits.
-
- Thème attendu, les critiques de livres et revues pour
enfants. A propos de Histoire du poussin chaussé de
Simone Ratel, Freinet termine son appréciation positive de
l'album par une réflexion : Les contes tirés du
folklore contiennent tous une sorte de signification psychique qui
leur assure une puissante résonance dans l'âme des
primitifs et dans celle des enfants. Ces contes avaient un sens et
une portée. On veut aujourd'hui faire plus rationnel, plus
calculé, moins instinctif et on aboutit souvent à
une sécheresse plus ou moins dangereuse selon le talent de
l'auteur. Qui s'essaiera un jour aux véritables contes
modernes, répondant à l'esprit des enfants du XXe
siècle ? (EP 6, mars 34, p.350). Chaque
été, sans doute pour suppléer les
journalistes professionnels en vacances, le journal Benjamin
animé par Jaboune, alias Jean Nohain, confie à ses
jeunes lecteurs le soin de pourvoir au contenu d'un n°, en
envoyant des articles imités de nos rédacteurs, des
dessins imités de nos dessinateurs, le tout sera
payé. Freinet réagit en animateur de La Gerbe,
réellement composée par ses lecteurs : Que ce soit
flatteur pour les rédacteurs d'être ainsi pris pour
modèles, c'est possible. Mais nous devons dénoncer
cette pédagogie retardataire qui enseigne aux jeunes
lecteurs non pas à penser par eux-mêmes, à
créer, mais à penser par les adultes, comme les
adultes, à copier servilement... pour gagner une
indemnisation à tant la ligne (EP 1, oct.34, p.23). Il est
encore moins tendre avec Le Journal de Mickey qui vient
d'être lancé : C'est à
désespérer de l'intelligence des éditeurs :
des gribouillages informes, des histoires on ne peut plus
bêtes (EP 6, déc.34, p.142). Il se montre favorable
à Copain Cop journal pour enfants créé
sous le patronage de l'Office Central de la Coopération
à l'Ecole, de la Ligue de l'Enseignement et du Syndicat
national des Instituteurs mais, à notre surprise de le voir
transiger avec son refus de tout endoctrinement, il conclut :
Copain Cop serait certainement mieux accueilli s'il ne craignait
pas d'être franchement socialiste et de donner les oeuvres
pour enfants qui répondent à cette idéologie.
Les temps viennent où il faudra être net et
hardi (EP 7, janv.35, p.166). Ne s'agit-il pas plutôt
pour lui de critiquer la tiédeur politique des promoteurs?
En effet, il se montre habituellement plus prudent sur le terrain
de l'école. Par exemple, en recommandant la lecture du
livre de Bertha Lask : A travers les âges, où un
enfant d'ouvrier revit en songe les époques de luttes
sociales, le servage, l'esclavage avec l'histoire de Spartacus, la
guerre des paysans allemands, la Commune de Paris et la
révolution soviétique, Freinet ajoute : Quant
à introduire ces livres dans les bibliothèques
scolaires, c'est là affaire plus délicate dont
chaque instituteur devra décider lui-même selon
l'ambiance et les possibilités locales (EP 1,
oct.34). Même prudence exprimée dans une critique
signée P.B. (probablement Paul Boissel, de
l'Ardèche) à l'occasion de la publication d'un album
de Véra Barclay : Les belles découvertes de Pierre
et Véronique, patronné par l'abbé Viollet et
dans lequel une maman explique à ses enfants comment se
reproduisent les plantes, les grenouilles, les oiseaux, les
écureuils et enfin les hommes. Cela est dit avec beaucoup
de tact, de naturel et de simplicité. Devant les
réticences de parents pratiquants, questionnés sur
l'opportunité de faire lire l'album à leurs enfants
d'une douzaine d'années, P.B. ajoute: Pour une fois que
l'Eglise fait un effort d'émancipation, M. l'abbé
Viollet se heurtera sans doute, surtout dans son entourage,
à bien des résistances. Mais à qui la faute?
En tout cas, quel cri d'indignation si c'était nous qui
lancions un tel livre de bibliothèque enfantine! (EP 16,
mai 35, p.380). Freinet salue avec réserve la
publication des Albums du Père Castor animés
par Paul Faucher, chez Flammarion : collection vraiment unique et
qui se distingue nettement des diverses éditions pour
enfants parues actuellement (...) Et pourtant, Père Castor,
nous ne sommes pas encore satisfaits. Vous amusez les enfants;
vous ne les éduquez pas puissamment parce que vous n'avez
pu faire appel aux sources véritables de vie, à
l'effort prolétarien, à l'harmonie du travail,
à l'héroïsme de la souffrance ouvrière
(EP 6, déc.34, p.144). Un peu plus tard (EP 19, juin 35,
p.453), il critique dans cette collection Le royaume des abeilles
de Lida avec des dessins de Ruda : Nous mettons en garde le
Père Castor contre la tendance capitaliste à
sacrifier le fond à l'illustration, à "piper"
l'intérêt du jeune lecteur sans prendre garde aux
conséquences regrettables de cette duperie. Par
contre il conseille les albums publiés chez Istra par
Carlier(auteur des premières brochures B.T.), sur
l'histoire de la navigation, du rail et de l'aviation en
regrettant que le texte en soit souvent trop condensé et
trop technique, et de lecture difficile pour nos jeunes
élèves qui en admireront du moins les belles
illustrations (EP 17, mai 35, p.405).
-
- C'est vis-à-vis du scoutisme que Freinet montre
à la fois son exigence et son absence de sectarisme. A
propos du livre de H. Bouchet : Le scoutisme et
l'individualité, il écrit : Nous sommes
entièrement de l'avis de l'auteur, le scoutisme
résulte d'une compréhension géniale des
désirs et des besoins des jeunes enfants et des
possibilités sociales de les satisfaire (...) Ceci dit sur
le terrain plus strictement psychologique et pédagogique,
nous avons à faire une réserve de la plus haute
importance. Il s'agit de l'idéologie nationaliste et
religieuse, ainsi que de l'illusion de fraternité des
classes. Mais il conclut : Nous devons dénoncer partout
l'erreur sociale de ces palabres, en nous efforçant
d'adapter les principes pédagogiques de Baden-Powel aux
besoins individuels et sociaux des enfants du peuple (EP 6,
mars 34, p.345). Un an plus tard (EP 17, mai 35, p.403), il rend
compte d'un article de la revue Le Barrage, réagissant
contre l'action nationaliste et réactionnaire des
Eclaireurs pour la militarisation de la jeunesse et la
préparation physique et psychologique à la guerre.
Cela ne l'empêche pas de tirer parti de l'expérience
du scoutisme. Ainsi, parlant d'un livre sur les jeux (EP 4,
nov.34, p.97), il écrit en pensant aux masses d'enfants qui
croupissent dans les villes, manquant d'espaces libres, trop
mêlés et trop tôt à la civilisation qui
impose ses déformations regrettables. Ces enfants-là
ont besoin d'autres jeux: nous mettrions au premier rang les jeux
scouts pour ceux qui peuvent les pratiquer - non pas que nous
recommandions le scoutisme, on pense bien - mais il faudrait, dans
les organisations ouvrières d'enfants, entraîner
ceux-ci à des jeux actifs, en plein air, des jeux dans une
certaine mesure créateurs, où l'imagination peut
jouer un rôle prépondérant. Un peu plus
tard, tout en rappelant ses réticences sur l'esprit du
scoutisme, il conseille de puiser des idées
d'activités dans le journal L'Eclaireur de France et
dans le Bulletin des Comédiens-Routiers (EP 7, janv.35,
p.167).
-
- Dans le domaine strictement scolaire, Freinet recommande un
pamphlet de Régis Messac : A bas le latin ! (EP 8, mai 34,
p.457). Il oppose un livre sur le Père Girard, enseignant
à Fribourg au début du XIXe s., à un autre
sur l'enseignement mutuel en France à la même
époque. On comprend qu'il approuve le premier d'avoir
refusé d'écrire des manuels parce que "c'est ne rien
comprendre à l'esprit de la méthode qui ne veut pas
mettre sous les yeux des élèves ce qu'ils doivent
trouver eux-mêmes. Leur donner des phrases et des
règles toutes faites, c'est les dispenser de l'effort
créateur et culturel de la recherche et de l'invention,
c'est s'exposer à retomber dans la routine et le
mécanisme de la mémoire". A l'opposé,
les protagonistes de l'enseignement mutuel affirment : "A ces
enfants d'ouvriers, donnons l'instruction
élémentaire. Nous les préparerons à
l'habitude de l'ordre et de la subordination qui se puise dans les
écoles mutuelles et se reporte dans les ateliers, mais
encore, nous les mettrons en état de servir plus utilement
dans l'intérieur des fabriques et de pouvoir étudier
les procédés industriels dont la conservation et le
perfectionnement sont si essentiels à la
prospérité nationale". Et Freinet de conclure
: Si la pédagogie du Père Girard reste, par de
nombreux côtés, parfaitement actuelle, on voit tout
ce que cet enseignement mutuel contient de mécanique et
d'antipédagogique (EP 9, juin 34, p.512). C'est sans
surprise qu'on le voit conseiller la lecture du livre de Mlle
Flayol sur le Dr Decroly (EP 5, déc.34, p.119) et
réagir (EP 6, p.142) à un "propos" d'Alain sur la
paresse et l'effort, publié dans L'Ecole
Libératrice, en écrivant : De deux choses l'une : -
ou bien l'enfant sent la nécessité individuelle et
sociale de l'effort que vous lui demandez. Et, s'il a un gros
potentiel de vie, il saura s'y soumettre gaiement, sans que vous
l'y contraigniez, - ou bien il ne comprend nullement le sens de
cet effort (parce que peut-être il n'en a aucun que le
désir des adultes de mortifier l'enfant, de le faire
peiner, de le soumettre. Et il s'y refusera et il aura raison.
Nous n'appelons pas cela de la paresse mais de la virilité.
Alain continue à voir l'enfant avec ses yeux d'adulte et de
professeur. La conception qu'il s'en fait changerait
peut-être s'il pouvait assister au spectacle d'enfants
régénérés par l'activité libre.
Ce serait d'autant plus souhaitable que l'autorité d'Alain
se retourne en définitive contre l'éducation
libératrice, au profit de la réaction.
-
- Sur un autre plan, sont-ils nombreux les bulletins
pédagogiques à conseiller en 1934 la lecture des
Essais de psychanalyse appliquée de Freud (EP 6, mars
34, p.346) et surtout à consacrer trois colonnes à
La crise sexuelle de W. Reich (EP 8, p.455), trente-quatre
ans avant le retour à la mode en mai 68? Citons la
réaction de Freinet : Le livre de Reich nous paraît
insuffisant ou même dangereux. Si l'homme, si l'enfant
étaient encore à l'état de nature, la
satisfaction naturelle du besoin sexuel amènerait
immanquablement un état de détente salutaire. Chez
les jeunes énervés, excités par
l'alimentation, les lectures, le cinéma, les
lumières, les couleurs, on court en effet le grave risque
de voir les individus s'abandonner à la débauche
sexuelle qui les "videra" physiquement et intellectuellement.
Suivent des considérations hygiénistes qui
évitent l'exacerbation des pulsions sexuelles. A la
controverse de Reich contre le freudisme au nom du
matérialisme dialectique, Freinet répond : Que la
théorie freudiste ait été
déformée par le capitalisme, par la mode
intellectualiste d'une classe finissante, cela ne fait aucun doute
; que Freud lui-même n'ait rien compris aux théories
marxistes, cela est fort probable. Ce qui n'implique pas que les
théories freudiennes soient erronées, mais seulement
que les chercheurs prolétariens doivent les recréer,
en éliminer tout ce qui est l'abject produit du capitalisme
pour en extraire les enseignements puissants qui, nous en sommes
persuadés, naîtront de ces recherches. A propos
d'un récit signé *** et intitulé
Puberté (Le journal d'une écolière) , Freinet
écrit (EP 9, juin 34, p.516) : Nous comparons
instinctivement ce livre à notre n° d'Enfantines :
Maria Sabatier (ce recueil de textes de l'école du Prat,
publié en juin 31, avait suscité l'inquiétude
d'un militant pour la curiosité qu'il témoignait
à l'égard de la maternité, inquiétude
alors aussitôt tempérée par Freinet, I.E.
n°44, p. 297) . Dans ces textes, écrits librement,
choisis librement et imprimés, il n'y a aucune excitation
anormale, aucune dépravation ; l'auteur ne sait pas comme
*** qu'elle est sur le seuil de la puberté : on sent
celle-ci, on comprend quel bouillonnement de vie agite cette jeune
personnalité ; on devine d'inconscientes
préoccupations sexuelles qui n'osent pas s'affirmer ; mais
le mystère reste entier, non pas parce que l'auteur n'a su
s'analyser, mais parce qu'elle se livre aussi tout entière
dans sa complexité psychologique. Nous craignons que
l'auteur de "Puberté" ait surtout voulu écrire un
livre à scandale. Sous le couvert d'un pseudo-freudisme, on
relate crément les premières aventures sexuelles
d'une écolière névrosée. Freinet a su
discerner lÕimposture de ce soi-disant journal dÕune
écolière, nous savons que le véritable auteur
était Alfred Machard, spécialiste de ce genre de
littérature.
-
- Freinet revient sur le thème de la
sexualité (EP 8, janv;35, p.191) à l'occasion d'un
livre de Havelock Ellis sur Le mécanisme des
déviations sexuelles et réaffirme : Les
spécialistes qui s'occupent, à divers titres, des
déviations sexuelles et préconisent une
thérapeutique exclusivement basée sur l'étude
de ces déviations, négligent beaucoup trop le
côté matérialiste et physiologique du
problème. (...) Une alimentation naturiste, un exercice
bien réglé, l'hydrothérapie auraient à
coup sér fait disparaître cette obsession que
l'analyse psychique est parvenue à grand' peine à
canaliser. Rendant compte d'un livre de Claparède sur Le
sentiment d'infériorité chez l'enfant , il relie,
lui, ce problème à la libido mais approuve
totalement l'auteur pour le traitement pédagogique du
sentiment d'infériorité par le travail motivé
(EP 11, p.264).
-
- On s'attendait moins à trouver sous la plume de Freinet
(EP 10, fév.35, p.240) un éloge appuyé du
bactériologiste Charles Nicolle pour son livre La nature,
conception et morale biologique. Les citations qu'il en
donne montrent qu'il a trouvé dans ce livre la
réconciliation par la biologie du matérialisme et de
la complexité : Ch. Nicolle détruit radicalement
l'argument de ceux qui attribuent à la nature un but et un
sens, et des voies pour la marche vers ce but. La nature est
illogique et souvent monstrueuse; ses plus belles
réalisations sont filles du hasard
généreusement dispensé. Mais une grande loi
paraît dominer toute l'évolution humaine :
l'équilibre général de la vie, auquel doit
répondre l'équilibre naturel individuel. Conception
que nous avons senti instinctivement, tant au point de vue
pédagogique que naturiste. (...) Quelle sera alors
l'attitude sociale devant la nature? La grande loi, on l'a
deviné, sera la recherche de l'équilibre :
l'injustice est un déséquilibre que tend à
rétablir l'injustice. "Le sentiment du beau n'a point une
origine différente. Il nous instruit de l'harmonie. Qu'est
l'harmonie sinon la marque sensible de l'équilibre? Le
plaisir que nous en éprouvons est une loi biologique,
l'émotion de nos sens conquis et satisfaits. Dans le
domaine de la vie il n'est point de dogmes, pas même de
vérité : il n'est que des états provisoires
et fragmentaires. Vie, beauté, vérité
évoluent, changent en même temps. Et, comme le bien
se lie au sentiment de la justice, l'ensemble de ces
intérêts les plus nobles de notre esprit, se confond
avec le besoin, la recherche et l'amour de l'équilibre,
donc avec la santé, la norme même de notre
être." L'enthousiasme de Freinet marque sa rupture
avec la logique mécaniste, souvent présentée
comme la seule voie du rationalisme, et son passage vers une
logique du vivant, apparemment moins systématique mais plus
rigoureuse s'agissant des problèmes d'éducation et
de santé.
-
- Une coopérative dynamique
-
- Malgré les turbulences de l'année 32-33, le
bénéfice d'exploitation est inespéré.
Le problème est maintenant de pouvoir satisfaire les
demandes de sympathisants nouveaux. Pour faciliter sa
trésorerie, la CEL écarte le choix d'emprunter
à la Banque des Coopératives et lance auprès
de ses 500 adhérents un emprunt par actions de 50 F, avec
intérêt de 5 %. Quelques mois plus tard, 300 ont
été souscrites, soit 15.000 F. En apprenant la mise
en liquidation judiciaire de la banque coopérative, les
militants se réjouissent du choix opéré, car
la CEL aurait pu tomber sous la coupe de l'Etat, ce qui dans le
contexte du moment aurait été dangereux.
-
- Le bilan de fin d'année scolaire 33-34 est encourageant
pour les abonnements. Alors que le bulletin L'Imprimerie à
l'Ecole était passé, entre 1927 et 1932, de
200 à 500 abonnés, L'Educateur Prolétarien
a atteint 800 en moins de deux ans. Devant ce succès,
on décide que le bulletin deviendra bimensuel en 34-35 (20
n° de 24 p. contenant chacun un encart de 4 fiches
documentaires). La Gerbe, devenue bimensuelle depuis un an, compte
2.200 abonnés; il en faudrait 500 de plus pour son
équilibre. Les textes envoyés par les classes sont
publiés en rubriques : histoires d'animaux, contes,
poèmes, jeux à construire, enquêtes
documentaires et, sous le titre "autrefois", des récits de
traditions, coutumes, des documents d'archives. A signaler
également une sorte de feuilleton collectif : un personnage
imaginaire appelé Gris-Grignon-Grignette, sorte de fouine
qui parle, dont les aventures varient d'une région à
l'autre, selon les enfants qui prennent le relais de l'histoire.
-
- Pour les éditions, le problème du stock
crée un déficit, assez léger pour les
collections BT et Enfantines, plus lourd pour
l'édition sur carton des fiches documentaires FSC. Cela
amène à ralentir le rythme de parution de nouvelles
BT et à proposer, jusqu'au numéro 22*, des brochures
qui sont en fait des recueils de fiches précédemment
parues dans le FSC.
-
- *Après la guerre, ces recueils de fiches étant
épuisés, Freinet réutilisera les n° pour
de nouveaux titres, ce qui explique l'anomalie des dates de
première parution (par exemple, la BT n° 5 Le village
kabyle est publiée en juin 48 alors que le n° 6
Les anciennes mesures date d'avril 34).
-
- Néanmoins, les difficultés n'empêchent pas
de nouvelles éditions : la Chronologie d'histoire de France
(oct. 33), le livre d'Elise Freinet : Principes d'alimentation
rationnelle et une brochure sur La gravure du
linoléum (fév. 35). Freinet publie une version
refondue de ses deux livres L'imprimerie à l'école
et Plus de manuels scolaires, d'abord en n°
spécial du bulletin, puis en livre en y ajoutant des photos
hors texte.
-
- En octobre 34, a été proposée une version
tout métal de la presse d'imprimerie.
-
- Afin de faciliter le fonctionnement des prêts de films
et de disques, des filiales départementales se sont
créées dans l'Allier et les
Pyrénées-Orientales.
-
- Depuis octobre 34, l'adresse de la CEL est
transférée à Vence, car Freinet habite
maintenant dans sa petite maison au quartier du Pioulier. Le local
et les employés restent à Saint-Paul pendant
quelques mois, jusqu'à ce qu'un autre local plus proche
soit trouvé (sur la place de la mairie de Vence). Freinet
n'aura plus alors que quelques kilomètres de
déplacement pour aller y travailler.
-
- Rayonnement international du mouvement
-
- On assiste au développement de mouvements de
l'Imprimerie à l'Ecole en Belgique (création de la
coopérative belge, EP 5, fév.34, p.242) et en
Espagne (participation de Freinet à l'école
d'été de Barcelone, EP 1, oct.33, p.16 ;
création du bulletin Cooperacion, EP 12, avr.35,
p.273). En Norvège, certains enseignants
syndicalistes s'intéressent vivement au journal scolaire
(EP 6, mars 34, p.300).
-
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