Fait en commun au
Pioulier
le 10 octobre
1935
L'ECOLE FREINET
Le "camarade" Lulu est le plus grand des
élèves, il aura bientôt 13 ans. Bien que les
nouveaux habitants du Pioulier soient authentiquement des
pionniers, au sens farwest du terme, c'est la connotation
soviétique de mouvement de jeunesse qui frappe dès
l'abord.
Le 21, un texte non signé parle de
la façon dont Marguerie a attrapé un lézard
vert en lui présentant une herbe qu'il a saisie dans sa
gueule et n'a plus lâchée. Qui est ce Marguerie, non
cité dans la liste des élèves ? Un
adolescent, ancien élève de Saint-Paul,
embauché par Freinet pour l'aider. Deux autres jeunes
Vençois secondent le couple Freinet (que les enfants
appellent Papa et Maman) et Mme Lagier-Bruno mère
(appelée Mémé): Albert (18 ans) et Fifine
(jeune fille de 17 ans). Forment-ils déjà un couple
à ce moment ? En tout cas, ils ne tarderont pas à se
marier et à fonder une famille. Seule la mort d'Albert,
fusillé avant la Libération, les
séparera.
Les enfants racontent leurs vendanges chez
un voisin, Félix Rubion; ils ont été vite
rassasiés de raisin alors qu'ils se promettaient d'en
manger des kilos.
Dans un autre texte, ils se
réjouissent de pouvoir aller en décembre à la
foire de Nice pour monter dans le grand huit et sur les chevaux de
bois.
Foune (fillette de 7 ans 1/2) se plaint
que Mami ne soit pas venue dimanche et voudrait aller la voir
à Nice.
Le 29, Claude (10 ans 1/2) décrit
sa perception de la montée du nazisme quand il habitait en
Allemagne avec sa mère.
Quand je suis arrivé en
Allemagne, je ne connaissais pas un mot d'allemand. Mais
j'étais très patriote; je croyais que l'Allemagne
était une sorte d'hôtel où on meurt de
faim.
Un jour, dans un tramway, je vois un
monsieur avec une croix d'honneur. Je lui ai dit d'un ton mal
élevé : "Ce n'est pas vous qui avez gagné la
guerre."
J'étais dans une pension
privée communiste. J'avais très peur de la guerre.
(...)
Dans ce temps-là, Hitler avait
constitué un groupe hitlérien. Je ne savais ce que
c'était. La révolution était
commencée. Il y avait des batailles dans les rues entre les
gens et les agents de police.
Il y avait la jeunesse
hitlérienne. Tous les enfants avaient un poignard sur
lequel était inscrit :"Sang & gloire". Car
c'était une gloire d'enfoncer son poignard dans la poitrine
d'un juif. A l'école je me battais sans cesse avec des
enfants parce que j'étais
français.
Quand passait un train
d'hitlériens, il était obligatoire de crier "Heil
Hitler"; si on ne criait pas cela, on allait en prison. A moi on
m'avait donné un insigne bleu blanc rouge, qui me
dispensait de crier "Heil Hitler".
Ma mère m'a dit qu'elle
était allée au théâtre et qu'un
monsieur avait dit : _ Que Dieu nous donne la liberté de
penser.
Tout le monde a
applaudi.
Ces souvenirs graves n'empëchent pas
le journal d'octobre de se terminer par des
devinettes.
Début novembre, grande nouvelle
:
Aujourd'hui, M. Lebrun le professeur de
musique vient. Il apporte un accordéon à Claude, un
saxophone à Lulu et peut-être un violon à
No‘l. Nous aurons notre orchestre.
Le drame se mèle parfois
à la vie
quotidienne
Le 7, un texte plus dramatique : le
récit par Germaine (9 ans 1/2) de l'incendie de la maison
de Catherine (5 ans 1/2) qui était sa voisine dans son
village des Hautes-Alpes, au nord de Briançon. On sauva de
justesse les enfants. Le plus tragique, c'est que le père,
en état de démence alcoolique, est le responsable de
l'incendie, que la mère est devenue folle. Faut-il
s'étonner que Catherine parle peu depuis son arrivée
à l'école avec son amie Germaine? Les deux fillettes
ont été prises en charge financièrement par
un comité de militants des Hautes-Alpes et de la
Creuse.
Deux jours plus tard, les enfants
reparlent de Catherine : Elle parle seule : "Moi, je vais
détruire mes enfants. Au moins ils seront plus heureux.
Quand j'étais grande, je chantais, pendant des mois et des
années, des chansons à mes enfants. Mon père
est vilain, il a brélé la maison mais j'aime bien ma
mère". Dans le n° 7 de
L'Educateur Prolétarien ,
du 10 janvier 36, est citée l'intégralité des
confidences dramatiques de Catherine, sans doute pour montrer aux
militants quelles détresses permet de secourir leur
argent.
Le 8, Coco (7 ans) raconte qu'Albert l'a
réveillée alors que, debout en pleine nuit, elle
tentait d'enfiler ses jambes dans les manches de son tricot.
Moi je ne m'en souviens pas. On me l'a dit. C'est
rigolo.
Foune écrit : Dimanche nous
sommes allées au cinéma à
Vence.
Mais nous ne saurons rien du film, sinon que c'était
un peu triste à la fin. L'important : Nous avons
acheté des surprises.
Le 12, Lulu, le plus
grand, raconte qu'avec Claude il a
conduit les deux chèvres au bouc chez un voisin. Il ne
décrit pas ce qui s'est passé mais précise :
Le long du chemin, elles
bêlaient. Quand nous sommes arrivés chez M. Savino,
les chèvres étaient contentes, elles sentaient le
bouc. (...) C'est d'abord Bichette qui a passé,
après ce fut au tour de Bibine. M. Savino nous a dit que
les deux étaient bien prises. Les chèvres
étaient contentes. On aurait dit qu'elles étaient
allégées d'une lourde charge.
Le même jour, les petits racontent :
Pierrot est parti, son oncle s'ennuyait trop sans lui. Il est
venu le chercher ce matin de bonne heure. Il était content
: il mangera encore des bonbons et il fera ce qu'il voudra. Mais
il ne sera pas un pionnier.
Pigeon (fillette de 8 ans 3 mois) raconte
que Maman les a emmenés à cinq jusqu'à
Saint-Paul pour acheter des figues
sèches.
Le 14, les enfants impriment le menu du
jour :
DEJEUNER : Pommes et pain - Tourte aux
pommes de terre - Fromage blanc - Raisin
DINER : Gratin au riz et aux herbes -
Compote de pruneaux - Dattes et noix -
Pommes
Un long texte de Lulu décrit la
fabrication du pain à l'école. D'abord, on moud
à la main le blé acheté à
Coursegoules. Mémé se charge de pétrir la
pâte. Quand celle-ci est levée, elle forme une
vingtaine de pains et une fougasse avec les restes. Marguerie est
chargé du feu dans le four mais c'est Papa qui retire les
braises, enfourne puis défourne les pains et la fougasse.
Moment de joie collective quand on se partage la fougasse encore
chaude.
Le 16, panne d'imagination chez les petits
: Moi, j'ai la tête vide. - Moi, dit Baloulette, je n'ai
pas d'idées dans la tête mais j'en ai dans le
ventre! - Demandons au chien s'il en a
des idées! - Je n'ai pas
d'idées.
Le 18, c'est le drame : Samedi, en
sautant un escalier, Baloulette s'est cassé la jambe
au-dessus du genou et démis la rotule. Elle devra rester 10
jours couchée, la jambe droite
suspendue.
Pour Elise aussi, c'est un drame, car cela réduira
sa disponibilité alors que tout n'est pas encore en place
(mais dans cette école en mouvement, tout peut-il
l'être un jour?). Foune écrit : Ce matin, nous
avons mangé à la cuisine. On
déménageait et le réfectoire était
encore encombré. Nous étions tous contents, on avait
bien chaud.
Un récit sera
tiré de l'accident de Baloulette : Conte d'une petite
fille qui s'était cassé la
jambe
(Enfantines n°
74).
Les enfants ont fait une cabane en briques
qui a résisté au vent la nuit.
Le 25, l'imprimé du jour annonce
que Baloulette va bien mieux, qu'une petite Line vient d'arriver
avec une jolie poupée qu'elle prêtera à
Baloulette et aux autres petites filles. Oleg écrit que
l'on va installer la radio à l'école et faire des
tableaux de l'air, l'homme, l'habitation, le feu, la
géographie.
Lulu qui a vécu en Algérie
publie un long texte dactylographié de 5 pages sur les
Arabes et leurs coutumes. Il le conclut ainsi : Les
indigènes ont le caractère un peu aigri par la
misère et par le dédain des Français envers
eux. Sans cela, ils ont très bon coeur et j'étais un
grand ami des petits Arabes.
Le journal du mois se termine par des jeux
et un plan polycopié des locaux scolaires : trois petits
ateliers et quatre petites salles de travail. Ayant
enseigné personnellement, 15 ans plus tard, dans le
même bâtiment, je constate que les salles de travail
furent par la suite réunies deux à deux pour
constituer deux classes de plus grandes dimensions. Un petit local
attenant contenait les cabines de sudation et une
douche.
Le mois de décembre commence par un
appel à la générosité :
A tous les amis de l'école
Freinet
Nous voudrions faire un arbre de
No‘l. Mais nous sommes tous pauvres. Pourriez-vous nous
aider? Ici, tout est en commun, il est inutile de nous faire des
cadeaux personnels. Ce que vous nous offrirez sera pour la
communauté. Nous ne mangeons ni gâteaux ni sucreries.
Tous vos envois seront les bienvenus. Nous vous remercions.
Les élèves de
l'école
Le 6, la neige blanchit les sommets que
l'on aperçoit de l'école. Cela fait rêver les
enfants : Quelle chance si nous avions de la neige cet hiver.
Nous pourrions faire des boules et des bonshommes de neige. Nous
nous laverions avec la neige mais nous aurions froid aux
mains.
Mais au Pioulier il y a peu
de chance d'en avoir : Il pleuvra mais il ne neigera
pas.
Alors pour prolonger le
rêve, Germaine parle des 2 mètres de neige du Val des
Prés, Pigeon de la Suisse d'où elle vient et Claude
de l'Allemagne. Lulu ajoute qu'en Algérie, après
quatre années sans neige, il en était tombé
mais qu'elle fondait à mesure.
Lulu écrit qu'il a
rêvé qu'il se retrouvait dans son ancienne
école. En se réveillant, il est tout joyeux de se
souvenir qu'il est dans une école libre
nouvelle
et de penser aux beaux
travaux intéressants que nous
faisons.
Le 17, un rêve s'est exaucé :
Tous les dimanches, de jeunes camarades de Vence viennent
travailler pour nous faire un garage car l'auto n'est pas bien
dehors. Ces jeunes travailleurs mangent avec nous. Hier, ils ont
fait la bataille à boules de neige avec nous. Nous avons
fait marcher la TSF. Nous nous sommes bien
amusés.
Un texte aux correspondants de Toctoucau
(Gironde) précise que Baloulette va beaucoup mieux mais
elle doit encore rester couchée jusqu'au 21
décembre; elle pourra seulement
s'asseoir.
Les enfants ajoutent qu'ils
ne travaillent pas comme dans une école normale : nous
avons des fiches de telle sorte que nous pouvons travailler sans
maître. Nous apprenons à nous
débrouiller.
Quelques précisions
sont données sur le régime alimentaire (salade,
fruits, riz et pain sans sel) qui évite la
soif.
Des nouveaux obligent à repenser
l'organisation
Quelques jours avant la No‘l,
arrivent huit enfants de Gennevilliers : trois frères de
12, 6 et 4 ans, trois autres de 9, 6 et 4, un garçon seul
de 11 ans et une adolescente de 14 ans. Des "cas sociaux", plus
habitués à la débrouille individuelle
qu'à la vie coopérative, qui ne seront pas sans
bouleverser un peu les habitudes de la communauté
naissante.
Le 27, Claude fait le compte rendu de la
veillée de No‘l qui accueillait aussi les habitants
du quartier. Des chants, dont La jeune
garde, des jeux dramatiques, dont
La farce du cochon
que Freinet avait
déjà publiée à l'école de
Saint-Paul. Le père No‘l était en retard car
il avait manqué le train, mais il arrive tout
essoufflé et tout se passe pour le mieux.
Janvier commence par le texte de
No‘l racontant les tours de manèges à la foire
de Nice. Le 7, on fête les rois. Claude a joué de
l'accordéon et No‘l a fait du phonographe.
Bourrée, danse russe et
pyramide par les grands.
Le 8, les grands racontent leur promenade
du dimanche avec Marguerie. Ils ont coupé tout droit en
traversant la vallée de la Cagne. Un plan polycopié
suit le texte.
Le 12, les grands sont allés
à Vence voir un match entre Vence et Nice. Vence a
gagné 1 à 0, mais ce
n'était qu'un match amical et des spectateurs ont
protesté car ils avaient payé pour un match de
championnat. Preuve que les joueurs de l'équipe de Nice
étaient des bourgeois : ils avaient leurs voitures
particulières.
Le 15, les enfants parlent des
conférences : Tous les soirs à 17 h., nous
faisons des conférences. Chaque enfant à son tour
prépare sa conférence, cherche des vues et des
documents dans le fichier, dessine une carte s'il le faut. Les
grandes personnes aussi; des ouvriers, des paysans des environs
viennent nous faire des conférences. L'autre soir, un jeune
paysan, Antoine, nous a parlé de son voyage de Nice
à Perpignan à bicyclette, des vendanges et de la
cueillette des cerises. Quand nous aurons le cinéma, ces
conférences seront accompagnées de
projections.
Dans un texte non daté, Jacques et
Lucien explique l'éclipse de lune qui s'est produite la
veille à 18h.
Le 17, Lucien et Claude racontent leur
découverte de la petite chapelle Saint Lambert au milieu du
bois. Ils sont montés sur une barre de fer de la porte pour
voir à l'intérieur mais n'ont pu s'empêcher de
jeter des pierres pour faire sonner la cloche et de glisser des
cailloux dans le tronc.
Le 20, on demande 20 imprimés, le
nombre d'élèves ayant augmenté. Baloulette
va mieux; on va lui apprendre à marcher. Nous allons
travailler aux champs et regarder un voisin qui est venu tailler
nos arbres et nos vignes.
Le même
jour, Claude raconte que, revenant en voiture du Rassemblement
Paysan, avec Lulu et Papa, il ne retrouvait plus le porte-monnaie
que Papa lui avait prêté pour acheter un pain et dont
il avait besoin pour payer l'essence. Heureusement il était
au fond d'une de ses poches.
Le 22, Lucien et Jeannot parlent de la
conférence de Papa sur la guerre de 1914 et terminent par :
Avec l'argent dépensé pendant la guerre, on
aurait pu construire des milliers d'hôpitaux,
d'écoles, de maisons et d'usines.
Le 21, Foune annonce que Baloulette marche
déjà bien. Cette dernière ajoute :
Maintenant je vais dans la grande salle avec Papa, Foune et
Pigeon.
Dimanche, des enfants sont allés au
cinéma avec Marguerie, voir
Chabichou
et Le contrôleur
des wagons-lits.
Le 23, Lucien raconte ce que lui a
écrit son correspondant de Toctoucau.
Ce soir-là, les grands, à 12
dans l'auto sont allés à Vence voir la projection
privée de films soviétiques : Le cuirassé
Potemkine
et Le
Turk-Sib (des travailleurs de choc
ont construit en deux ans un chemin de fer reliant le Turkestan
à la Sibérie). A l'entr'acte, Lucien a vendu un
"Cri" (journal des travailleurs
communistes de Nice) et Claude 15 "Russie d'aujourd'hui". A la
fin, on a chanté l'Internationale le poing
levé.
Le 24, la coopérative Les
enfants libres de l'école Freinet
remercie les donateurs : 38
personnes et 9 groupes pour un total de 3000 F.
Le 25, des notes manuscrites de Freinet
signalent, pour la première fois, que l'A.G. de la
coopérative se fait juge des faits commis au cours de la
semaine. Surtout des problèmes de discipline interne au
groupe (bruit pendant que les autres travaillent) ou disputes
entre frères. Cela semble marquer la naissance du conseil
de coopé.
Le 27, Jaki (12 ans 8 m) raconte la
promenade à pied à Saint-Jeannet.
Une divergence pédagogique au
grand jour
Le 30, long texte sur l'organisation du
travail. Des règles précises sont rendues
nécessaires par l'arrivée des nouveaux venus peu
disciplinés et par le partage des responsabilités
entre Freinet et Elise qui, pour la première fois,
travaillent avec un même groupe d'enfants.
Hier soir,
nous avons continué la réunion d'avant-hier. Nous
avons discuté pour savoir si nous allions travailler par
équipes ou selon une méthode anarchiste. Papa et
maman ont discuté très longtemps sans pouvoir se
mettre d'accord.
Maman voulait que les grandes personnes
soient responsables parce que les enfants ne peuvent pas
s'instruire tout seuls, Papa voulait que les enfants soient
responsables car ils doivent apprendre à se
débrouiller. Mais il a dit que naturellement quand on ne
sait pas quelque chose on va le demander aux adultes qui nous
aideront ou à nos voisins paysans qui seront alors nos
professeurs.
Mais si nous voulons travailler pendant
un jour ou une semaine à un certain travail, on peut,
quitte à se rattraper ensuite pour l'exécution de
notre plan. Seulement il faut que les membres de l'équipe
soient d'accord.
Elise sent bien que le compte rendu des
enfants penche nettement du côté de Freinet et elle
éprouve le besoin de s'expliquer plus longuement. Un texte
dactylographié, tiré au duplicateur, suit le texte
précédent :
Maman dit que nous n'avons pas bien
compris sa pensée. C'est pourquoi elle précise ce
qui suit :
Je demande que les adultes soient
responsables de certaines activités comme le dessin ou les
sciences, non pas pour asservir mais :
1° - Parce que l'adulte fait
partie d'une communauté au même titre que l'enfant et
qu'il doit avoir des droits égaux;
2° - Parce que, pour certaines
activités comme les sciences, l'enfant a besoin d'une aide
efficace et permanente. Il est normal que l'adulte soit là
pour éduquer en attendant qu'un enfant puisse devenir
responsable. C'est un moment de transition.
3° - L'adulte a aussi à
faire sa propre éducation car il est déformé
plus que l'enfant. S'il est responsable, il est obligé de
mieux vous suivre et de faire lui aussi son
plan.
Je veux être responsable pour le
dessin parce que je sens que je peux vous aider à faire des
dessins plus vrais et plus beaux, tout en vous laissant votre
liberté. Je veux aussi être responsable parce que je
vois plus loin que vous dans le travail que je veux organiser. Je
sais que quand vous êtes seuls, vous ne pouvez pas faire un
gros effort. C'est pourquoi ma pensée vous soutient quand
la vôtre est fatiguée.
Si le PLAN ne m'impose pas des devoirs
précis vis à vis de vous, je peux vous oublier pour
une autre occupation et cela peut être triste pour des
petits comme No‘l qui sont de grands artistes avec une
petite volonté.
Le débat montre bien la divergence
de position. Si Freinet va plus loin dans le sens de l'autonomie
enfantine (c'est important quand il doit s'absenter de
l'école pour cause de militantisme), Elise se montre
réaliste, car les nombreuses tâches
matérielles qui lui échoient l'obligent à une
clarification de ses responsabilités pédagogiques.
Ces textes nous éclairent sur la dialectique qui fut en
permanence celle du couple Freinet, comme dans de nombreuses
équipes d'éducateurs. Mais qui a déjà
poussé le courage jusqu'à expliciter aussi
publiquement les termes de la dialectique?
Comme d'habitude, le journal du mois se
termine par des jeux.
Le 2 février, les enfants racontent
la promenade à Saint-Paul à vélo. A part
l'indication : Nous avons rencontré des religieuses qui
nous ont regardé d'un drôle d'oeil
(mais quel était leur
comportement à eux?), l'originalité du texte tient
dans la signature : non pas un ou deux prénoms mais
Equipe
Moskowa.
Des noms d'équipes qui
interrogent
Les enfants sont maintenant
répartis en plusieurs équipes dont voici les noms :
Moskowa, Les Oudarniks (nom des
équipes de travailleurs de choc en URSS), Les Stakanovs
(du nom du champion
soviétique de la productivité industrielle), Les
Abeilles
et une
curieuse équipe No‘l
qui surprend à
côté de la symbolique soviétique. Une
symbolique qui ne laisse pas sans réaction Maurice Wullens
qui se trouvait aux côtés de Freinet en 1925 pendant
le voyage en URSS et qui a pris ses distances avec le stalinisme.
Il reproche longuement à Freinet de rester séduit
par l'idéologie soviétique et, sur ce plan
précis, de ne pas être cohérent avec son refus
de l'endoctrinement : Alors, non, mon vieux, bourrage de
crânes pour bourrage de crânes, je suis contre l'un et
contre l'autre, contre le bourrage de crâne
bourgeois-patriotard et contre le bourrage de crâne
pseudo-prolétarien.
Freinet reproduit dans
L'Educateur Prolétarien
(n° 12-13 de mars 1936, p. 243)
la longue lettre de Wullens et lui répond. Sur les noms
d'équipes de ses enfants, il précise : Je reste,
aussi farouchement que toi, opposé à tout bourrage
de crâne. Si certains enfants sont venus ici avec l'esprit
un peu trop farci de conceptions simplistes sur les bourgeois et
le fascisme, nous luttons de notre mieux contre cet automatisme
verbal qui oppose une classe à une autre. Nous voulons
enseigner à nos enfants à penser par
eux-mêmes, et surtout à agir, à lutter, sans
verbiage, sans parti-pris inconsidéré. Nous aurions
conscience d'avoir raté notre oeuvre si nos enfants
devenaient un jour d'orthodoxes bavards, alors que nous voulons en
faire des lutteurs et des Pionniers qui, parce qu'ils seront en
avant, serviront toujours d'avant-garde prolétarienne. Mais
les enfants ont naturellement choisi librement le nom de leur
équipe. Quel mal y a-t-il à ce qu'ils se nomment
"Stakanovs" ou "Oudarniks" plutôt que "Bourdons" ou
"Abeilles" ? Quant à nous, l'exemple des ouvriers
révolutionnaires de l'URSS ne nous paraît pas indigne
de l'effort de libération que, dans le cadre des luttes
contemporaines, nous avons entrepris.
Sur le libre choix par les enfants, hors
de toute influence, Freinet dit vrai. Voici ce qu'il écrit
plus tard des enfants de Gennevilliers à leur
arrivée : Ils représentaient assez bien la masse
des pierrots des villes ouvrières, entassés dans les
taudis, s'attardant le soir dans les bals et les cafés,
surexcités par une alimentation, abondante parfois, mais
profondément irrationnelle, habitués à
tourner dans des coins étroits ou à courir les rues,
le poing levé, en criant à tue-tête "La
Rocque, au poteau!" ou scandant :"Les soviets partout! Les soviets
partout!..." ce que Catherine, dans sa candeur, traduit par le
même cri :"Les serviettes partout! Les serviettes partout!"
"(E P spécial 19-20 de
juillet 1936, p. 14).
Un exemple significatif : celui de
l'équipe No‘l dont le nom ne manquait pas d'intriguer
dans cette école "peu catholique". Le 3 mars, nous avons
l'explication : No‘l (9 ans) avait décidé de
constituer une équipe à lui seul et, en toute
logique, lui avait donné son prénom. Un mois plus
tard, il décide de se joindre à trois autres pour
former l'équipe des Bourdons. Tout simple, pensera-t-on
peut-être, mais était-il si évident de laisser
l'enfant libre de faire l'expérience de l'équipe en
solitaire, en ayant tout le pouvoir mais aussi toutes les
responsabilités et les corvées? Sont-ils nombreux
les éducateurs de l'époque (et peut-être
d'aujourd'hui) qui ne seraient pas exclamés: "Voyons,
une équipe d'un seul, ça n'existe pas! Il te faut un
ou plusieurs équipiers." ?
Freinet a patiemment attendu que l'enfant découvre par
lui-même le sens du travail
d'équipe.
Un des rares textes signés alors
d'un prénom est de Baloulette, le 4 février. Il
parle d'un jeu à la famille dans le bois. Baloulette est la
petite soeur de 3 ans qui pleure tout le temps quand la maman
(Foune) s'en va.
Au coeur de
l'actualité
Le 5, les Oudarniks signent un texte
d'actualité : Dimanche matin, cinq fascistes sont venus
à Vence vendre leur journal, le Franciste. "Demandez le
Franciste, le seul organe fasciste
français!" Ils ont
rencontré quelques vendeurs du Cri et ça a
commencé. Un fasciste a craché à la figure
d'un camarade. Celui-ci lui a donné un coup de poing qui
l'a envoyé par terre.
Les fascistes ont dit : "Si vous ne
partez pas, nous tirons dedans! La
police est venue qui les a emmenés à la gendarmerie.
Ils sont repartis. Dimanche, ils reviendront avec du
renfort.
Le lendemain, les Stakanovs adressent un
hommage à Romain
Rolland
pour son soixante-dixième anniversaire, en y
joignant une linogravure.
Le 7, Lucien, Jeannot et Jacky
décrivent la machine linotype de l'imprimerie Aegitna de
Cannes, qui imprime La Gerbe et L'Educateur prolétarien.
Le 10, les Abeilles racontent que
Jeannette est repartie sans dire au revoir aux petits. Quand elle
est montée dans le train à Cagnes, elle n'a
même pas fait signe à la portière aux enfants
venus l'accompagner. Nous avons jugé que c'était
mal.
Le 11, les Oudarniks parlent du match de
rugby de Vence contre Saint-Rapha‘l. Vence était
toujours plus fort, il faut dire qu'il y avait 3 joueurs de plus.
Vence a gagné par 28 à 0. A la fin, nous avons un
peu joué avec le ballon.
Le 12, un texte à la
première personne, pourtant signé par
l'équipe des Stakanovs, décrit une
pépinière du bord du Var où le narrateur
s'est rendu à vélo.
Le 13, c'est le carnaval qui
préoccupe l'équipe Moskowa : Ce matin, les
hérauts sont passés dans toutes les rues de Nice
pour annoncer l'arrivée de Carnaval. Sur la place
Masséna, tout sera illuminé.
Dimanche prochain, il y aura un corso
et, le jeudi suivant, la bataille de confetti de plâtre. A
la fin, on brélera Carnaval et on fera des feux
d'artifice.
Nous irons peut-être à
Nice un soir. Ici nous nous déguiserons et nous mangerons
des crêpes.
Le 14, (l'équipe) No‘l
raconte son rêve de naufrage dans la tempête.
Recueilli avec sa soeur, il mange de la galette et repart
content.
Le 15, les Abeilles parlent du grand
nettoyage du samedi. Le samedi après-midi, nous
écrivons tous à nos parents. A 17 heures, Nous
tenons l'assemblée générale de la
coopérative (là se
règlent les conflits mentionnés sur le journal mural
de la semaine). Le soir : Guignol.
Le 17, les Oudarniks annoncent un autre
évènement : Avant-hier, nous avons reçu un
cinéma Pathé-Baby. C'est un camarade qui nous l'a
envoyé. (il est probable que
le projecteur de Saint-Paul appartenait à l'école)
Hier matin, Lulu, Claude et moi, nous avons loué des
films à Vence; nous en avons loué dix et nous les
avons vus. Il y avait : Nage sous l'eau, Un audacieux
parachutiste, Acrobatie sur un avion, etc. Après nous avons
aussi vu des films de Saint-Paul. Papa nous a dit que
peut-être nous allions avoir un appareil de prises de vues.
Nous prendrons des films, ce sera amusant.
Presque 15 ans plus tard, en
juillet 1950, j'ai eu la chance de projeter aux enfants de
l'école les films de St-Paul avec ce projecteur et de
filmer les petits avec la caméra 9,5 de Freinet
.
Le 19, l'équipe Moskowa
décrit toutes les festivités du carnaval de Nice :
l'arrivée de Carnaval sous le signe des chansons
populaires, les diverses cavalcades puis la mort de Carnaval dans
les flammes. Comme il est peu probable que les enfants aient
assisté à tout, ils ont dé s'inspirer de la
presse régionale dont ils enverront les photos à
leurs correspondants.
Le 21, les Abeilles décrivent les
réjouissances du dimanche : phonographe et danse, puis
dînette en vrai et cinéma pour clore le tout. Jok
n'a pas voulu aller à Vence avec No‘l. Il n'aime pas
passer par le raccourci.
Le 24, les Oudarniks décrivent les
services quotidiens : par roulement, cinq équipes
s'occupent de l'épluchage, du nettoyage (classes, ateliers,
abords) et de l'aide aux repas (illustration du menu et mise du
couvert).
Faute
avouée...
Le 25, aveu de l'équipe Moskowa :
On nous avait défendu d'aller à Vence dimanche,
car le jour de la foire, nous avions fait du bruit dans la ville.
Nous avons demandé d'aller promener dans les bois. Vous
pouvez aller faire un tour mais vous ne devez pas aller à
Vence, nous a dit papa. Mais nous sommes allés à
Vence quand même. Tout le long de la route, Lucien avait
peur d'être grondé. En arrivant dans Vence, nous
étions tous sages car nous craignions de rencontrer
quelqu'un du Pioulier. Vers 3 heures, Lucienne a acheté un
gâteau de Savoie pour 1 fr. Nous en avons eu un petit
carré que nous avons partagé, Lucien, Pigeon,
Lucienne, Jeannot et Jean. Après avoir mangé, nous
sommes revenus tout de suite : nous sommes arrivés vers
cinq heures pour voir le cinéma.
Après la signature de
l'équipe, le texte est suivi d'un commentaire : Ces
enfants n'ont pas tenu leur promesse. Ils n'ont pas eu le courage
de se priver d'un gâteau qui leur fait du mal. Ils ont
encore beaucoup de progrès à
faire.
Décidemment, dans la
gamme des délits à l'école Freinet, la faute
alimentaire pèse bien lourd (façon de parler, pour
un cinquième de gâteau !).
Le 29, Lulu a donné un jardin de
3m50 sur 2m40 à No‘l qui l'a bêché avec
Maman et Roger. On y a planté des poireaux et bientôt
on sèmera des carottes et des navets.
Le journal du mois se termine par les
devinettes et charades habituelles.
Le 2 mars, les Abeilles racontent la
mésaventure de Catherine qui, s'étant levée
la nuit, ne retrouvait plus ses couvertures. Papa a dé la
recoucher.
Le 3, remaniement des équipes
(déjà évoqué) : il n'en reste plus que
quatre dont une seule est mixte, celle des Bourdons. Les Abeilles
sont toutes des filles, Moskowa et Stakanovs tous
garçons.
Le 4, l'équipe des Bourdons
décrit un rêve. Le narrateur a reçu un grand
nombre de boîtes de biscuits qu'il n'aime pas et il va les
revendre pour acheter des bonbons
qu'il charge dans sa charrette. Heureusement, une ruade de
l'âne interrrompt le rêve : l'enfant aurait-il
mangé les bonbons, pires encore que les biscuits ? On le
voit, les friandises reviennent souvent dans l'inconscient des
enfants du Pioulier.
Diversité du
réel
Le 5, nous apprenons que Romain Rolland
qui était souffrant, vient de répondre aux souhaits
d'anniversaire. Je vous prie de transmettre à vos petits
élèves ma gratitude et mes félicitations
cordiales pour leur adresse et leur lino gravé. Honneur aux
bons petits ouvriers
d'art!
Le 7, les Stakanovs font le point sur
l'état de la campagne, en retard sur les années
précédentes (qu'ils n'ont probablement pas connue,
n'étant pas alors dans la région). Nous avons
quelques pruniers qui fleurissent. Devant la maison, un jeune
prunier est tout vert de bourgeons à fruits. A l'ouest de
notre dortoir, un pêcher est déjà tout rose
des fleurs qui s'entr'ouvrent. Les pêchers , les pruniers
que nous avons plantés ont bien pris et ont
déjà des bourgeons à fruits. Nous avons
cueilli quelques artichauts. Toutes nos fèves fleurissent
mais les petits pois ont été
gelés.
Le 9, un enfant de l'équipe Moskowa
raconte un placement d'été en Auvergne à six
ans. Il dit qu'on le faisait travailler : avec une hache, il
devait casser du bois.
Le 11, texte des Bourdons : No‘l (9
ans) et Jean (11 ans) vont à pied à Saint-Paul
remettre à la marchande de figues sèches un billet
que papa leur avait confié.
Le 12, les Abeilles racontent que papa,
maman, Baloulette et Foune sont allés à Nice
accueillir la marraine de Baloulette et faire des achats aux
Galeries.
Le 13, long texte dactylographié
des Stakanovs sur le moulin à farine de Saint-Jeannet. Il
s'agit d'un moulin à eau.
Le 14, récit par les Moskowa d'une
réunion à Vence. Ils y sont allés en auto, il
est probable que Freinet qui y participait a proposé
d'emmener les volontaires. Nous étions
9 (mais
l'on ne sait pas si c'était le nombre total des
participants ou celui de ceux du Pioulier).L'orateur, Braman,
parlait au nom de l'ARAC (Association Républicaine des
Anciens Combattants). Il parlait contre la guerre et contre ceux
qui gaspillent des sous pour aller au théâtre voir
Maurice Chevalier ou Joséphine Baker. Il a dit que, dans
une réunion royaliste, des dames lui avaient craché
dessus parce qu'il était un travailleur. A la fin, un
camarade a rappelé : N'oubliez pas le plateau à la
sortie.
On peut aussi
rêver
Le 16, timide ébauche d'un
poème sur le printemps par les Bourdons.
Le 17, les Abeilles ont vu planer un aigle
au-dessus de la maison. Suit un long texte documentaire
dactylographié sur les aigles, nombreux dans la
région par la proximité des Baous, barres rocheuses
voisines de Vence.
Le 18, les Stakanovs racontent l'un des
trois grands films soviétiques qu'ils sont allés
voir : La fin de Saint-Petersbourg.
Le 20, un rêve de goinfrerie
rappelle l'escapade racontée le 25 février. Cette
nuit, j'ai rêvé que papa était parti à
Vence. Alors, avec Lulu, Claude et Jean, nous avons acheté
4 kg de figues que nous nous sommes partagées et nous nous
sommes cachés dans un coin de Vence pour qu'on ne nous voie
pas. Puis nous sommes partis chez la mère d'Honorine
où nous avons mangé de la galette et du gâteau
à la crème. Lulu dit : On s'est bien
régalé. Nous sommes revenus au Pioulier et je me
suis réveillé en sursaut.
Le 23, les
Bourdons parlent des nouvelles reliures données par papa
pour classer nos textes, les fiches que nous faisons, les
contes, les lettres, les dessins.
Le 24, long texte signé de Jacky et
Roger Dupuis sur l'excursion à bicyclette aux gorges du
Loup, le dimanche précédent. Voyage marqué
à plusieurs reprises par la pluie mais impossible
d'approcher du Saut du Loup car l'entrée est
payante.
Le 25, au tour de Foune de s'essayer au
poème L'oiseau chante toujours!
L'oiseau
chante,
Aussi la grenouille
chante,
Mais l'oiseau a une si jolie
chanson
Que nul
Ne pourrait chanter aussi
bien!
L'abeille est sur une fleur,
Le papillon blanc vole
Et l'oiseau s'est posé
sur une pierre
Tout près de moi,
L'abeille est toujours sur sa
fleur.
Les pins remuent leur
branches,
L'oiseau chante toujours,
En bas la Cagne continue sa
chanson.
Le papillon s'est posé
sur la bruyère,
La mer luit comme de l'argent,
Et l'oiseau
chante,
Chante
toujours.
Le 25, les Stakanovs décrivent le
passage à Vence de la course Paris-Nice.
Un plan de travail
chargé
Le 27, les Moskowa détaillent le
contenu de leur plan de travail de mars: une planche de terrain
à bêcher; déblayer devant l'école et
faire quatre murs (des murets,
plutôt); attacher les oeillets; 25 fiches de sciences; 50
fiches de calcul; 25 fiches de géographie; 50 fiches de
grammaire. Nous faisons en plus 1 heure 1/2 environ de travail
collectif. Ce mois-ci, nous sommes plus en avance que l'autre
mois. Nous vérifierons bientôt si notre plan est
terminé.
Le 27 également, texte des Bourdons
sur une dispute autour d'un pneu.
Le 28, les Abeilles racontent que
Catherine est allée cueillir un bouquet de belles fleurs
jaunes pour la chambre de maman.
Le 31, les Moskowa ont attrapé une
souris et l'ont donnée au chat qui s'est caché pour
la manger.
Jeux de fin de mois comme de
coutume.
Texte des Bourdons sur les farces du
premier avril; même maman s'y est mise en trompant les
filles sur l'heure du lever. Curieusement, les enfants, n'ayant
changé que le quantième du mois, ont daté le
texte du 32 mars.
Le 3 avril, grâce aux Stakanovs,
nous assistons à l'arrivée de Robert, un jeune homme
de Tourettes, village proche de Vence. Ayant l'intention de
devenir instituteur, il vient s'exercer à l'école
Freinet. Il ne sait pas encore que l'on travaille librement :
il fait parfois comme les maîtres mais il est gentil. Il va
nous aider à préparer notre camping de Pâques.
Mercredi, il a déjà fait des fiches pour les petits.
J'espère qu'il va bien s'habituer à la nourriture
car il est carnivore. Catherine va toujours avec lui et lui chante
des chanson pour l'encourager.
Le 4, texte signé des Bourdons sur
un voyage en car à Eze avec maman. Le contexte fait penser
que, cette fois, il s'agit de la maman de No‘l et Coco,
venue voir ses enfants et peut-être les emmener pour les
vacances de Pâques.
Le 8, la même équipe nous
apprend que papa est parti pour quelques jours. Maman a fait la
moitié du chemin mais
Antoine a continué avec Papa
(jusqu'à Vence, d'où
il allait prendre le train). Nous savons où se rend Freinet
: au congrès de Pâques de la coopérative
à Moulins, les 9, 10 et 11 avril.
Le 15, Lucien Ferry raconte une chasse aux
escargots.
Le 20, Baloulette va observer la formation
des petites cerises et prunes sur les arbres. Question : Y en
aura-t-il une pour chacun ?
La signature est suivie du
nom de l'équipe : les Abeilles.
Le 21, Lucien évoque une dispute de
gamins avec menace réciproque du grand
frère.
Le 22, les Bourdons décrivent le
retour de No‘l et Coco de Saint-Germain où ils
étaient enrhumés. Papa et Roger sont allés
les chercher à leur arrivée en gare de Nice. Ils
ont rapporté des avions en carton et en papier et un
couteau chacun.
Le 23, les Abeilles racontent le difficile
apprentissage du vélo par Lucienne, Fifine et Pigeon. Une
chute sans gravité dans la descente pour Lucienne, la plus
grande.
Le 24, les Stakanovs se posent de
troublantes questions : Combien pèse un cuirassé?
quelle est sa hauteur totale? combien déplace-t-il
d'eau?
Ils énumèrent
aussi ce qu'ils ont observé : des pierres à feu,
du liège que Baloulette a arraché à un
chêne des environs, une petite corne en calcaire
(fossile?),
un petit crapaud, une grosse limace, un mille-pattes qui va
à une vitesse étonnante.
Le 25, les Stakanovs annoncent que Claude
est revenu, après deux semaines dans une maison de
santé de Grasse. Max repart demain. Par contre un nouveau,
Marcel (8 ans 1/2) vient d'arriver.
Le même jour, un long texte
dactylographié et non signé raconte le labourage :
Hier, Lulu a trouvé une charrue
derrière la cabane des chèvres. Lulu avait
l'intention d'acheter un âne. Pour nous amuser, Claude,
Lulu, Jean, Lucien, Roger le Grand, Antoine et Robert
(le jeune instituteur), nous nous
sommes attelés pour remplacer le
bourriquot.
Papa faisait le laboureur. Antoine
voulait labourer, mais il ne savaitpas qu'il fallait changer le
versoir de côté au bout de chaque sillon. Lucien
tirait si fort qu'il est tombé dans le sillon. Tout le
monde riait aux éclats. De temps en temps, nous
étions à bout de force et nous restions en panne.
Alors Papa criait : Hue!
Bourricots!
Pour que nous ne nous fatiguions pas
trop, No‘l nous suivait en tenant les mains dans les poches
et en sifflant de temps. Coco faisait la mouche. Quand nous avons
vu que nous faisions du bon travail, nous avons labouré
sérieusement et nous avons terminé la
planche.
Antoine a proposé alors de nous
faire lever une heure plus tôt le lendemain pour labourer la
planche qui se trouve au-dessous du chemin. Nous avons
accepté avec enthousiasme. Alors, ce matin, nous nous
sommes levés à cinq heures et nous sommes partis
labourer avec Papa. Nous avions déjà labouré
la moitié de la planche quand, tout à coup, la corde
a cassé et tout le monde s'est retrouvé par
terre.
Ce texte illustre parfaitement les liens
entre jeu et travail que Freinet développera par la suite
dans L'Education du Travail .
Cela commence comme un jeu et, tout au long de l'action, le
côté ludique ne disparaît pas. L'initiative
vient des enfants, les adultes ne se joignent à eux que
pour aider. Tout en jouant, les enfants découvrent le
fonctionnement de la charrue, prennent conscience que faute
d'animaux de labour, les hommes ont utilisé leur propre
force et ils labourent réellement deux morceaux de leur
terrain qu'ils auraient bêchés à la main. Le
lendemain, ils se lèvent exceptionnellement tôt,
à la fois pour bénéficier des heures
fraîches du climat provençal et pour avoir le
sentiment de faire à ce moment un travail d'homme (Freinet
est généralement levé dès cette heure
mais pour travailler aux éditions de son mouvement et,
à cette période de conquête du pouvoir par le
Front Populaire, pour oeuvrer au combat syndical et politique). Et
surtout, ils prennent conscience de la solidarité du
travail qu'illustre une linogravure pleine page qui accompagne le
texte, représentant toute l'équipe au travail
(Freinet, aux mancherons de la charrue, est reconnaissable
à ses cheveux longs), avec la légende : L'union
fait la force . Sans oublier
l'évocation des mouches du coche (qui ont l'excuse
d'être des petits, incapables de l'effort physique du
labourage).
Le 29, Oleg, de l'équipe des
Bourdons, parle de l'accordéon que Marguerie (l'adolescent
moniteur) avait laissé à Lucien avant de quitter
l'école. Il a dé le démonter et le
réparer. Maintenant il marche bien.
Le 30, le journal du mois d'avril se
termine par un poème de Foune, Bonté de la nature
, imprimé par les
Abeilles.
Là s'arrête le document
retrouvé. Nous n'avons pas (encore) recueilli
d'imprimés des derniers mois de cette année
scolaire. Bien sér, nous savons que Freinet est très
pris au plan local et national par l'avènement du Front
Populaire, mais les enfants sont suffisamment autonomes pour
continuer à imprimer. Peut-être pourrons-nous un jour
terminer ce panorama des débuts de l'école Freinet.
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